Les infirmités des Kohanim

«L’Ét’ernel parla à Mochè en ces termes : «Parle ainsi à Aharone : Quelqu’un de ta postérité, dans les âges futurs, qui serait atteint d’une infirmité, ne sera pas admis à offrir le pain de son D’ieu. Car quiconque a une infirmité ne saurait être admis : un individu aveugle ou boiteux, ayant le nez écrasé ou des organes inégaux; ou celui qui serait estropié, soit du pied, soit de la main; ou un bossu, ou un nain; celui qui a une taie sur l’oeil, la gale sèche ou humide, ou les testicules broyés. Tout individu infirme, de la race d’Aharone le pontife, ne se présentera pas pour offrir les sacrifices de l’Ét’ernel. Atteint d’une infirmité, il ne peut se présenter pour offrir le pain de son D’ieu. Le pain de son D’ieu, provenant des offrandes très-saintes comme des offrandes saintes, il peut s’en nourrir; mais qu’il ne pénètre point jusqu’au voile, et qu’il n’approche point de l’autel, car il a une infirmité, et il ne doit point profaner mes choses saintes, car c’est Moi, l’Ét’ernel, qui les sanctifie. Et Mochè le redit à Aharone et à ses fils, et à tous les enfants d’Israël(1)

Après avoir rapporté les prescriptions de pureté et de sainteté imposées aux Kohanim et surtout au Kohène Gadol, la Tora énumère les infirmités et les défauts les disqualifiant et les rendant inaptes au service divin. En effet, saurait-on garder au service de D’ieu un homme dont l’infirmité physique le tiendrait déjà éloigné du service d’un roi ou d’un ministre!

Cependant, le texte ne manque pas de soulever un problème. Un Kohène déjà affligé d’une infirmité physique se voit en plus privé et écarté du service divin. Ne lui suffit-il pas de supporter son handicap physique qu’il faille lui ajouter la souffrance morale de lui interdire le service du Bèt ha-Miqdache ?

Le Midrache(2) rapporte :

«L’Empereur avait demandé à Rabbi Yéhochouâ Ben Qorha : pourquoi y a-t-il des sourds, des muets, des aveugles et des boiteux de naissance?

Rabbi Yéhochouâ répond : parce que le Saint béni soit-Il connaît à l’avance les actes de l’homme. Avant même sa naissance, Il sait s’ils seront bons ou mauvais.

L’Empereur reprend : n’y a-t-il pas de repentir? Qu’il se repente et [l’aveugle] recouvrera la vue!

Rabbi Yéhochouâ propose à l’Empereur : si vous désirez avoir la réponse à cela, donnez-moi mille dinars et deux témoins jouissant de votre confiance. Aussitôt l’Empereur les lui confie et désigne les deux témoins.

Rabbi Yéhochouâ alla vers un aveugle de naissance et lui dit : l’Empereur m’a condamné à mort et j’ai mille dinars dont je ne sais que faire. Aussi, ces mille dinars seront-ils déposés chez toi. Si l’Empereur me fait mourir, ils sont à toi. Sinon, tu me les rends.

L’aveugle dit à Rabbi Yéhochouâ : Ah! pourvu que cela se passe comme tu souhaites! Puisses-tu ne point être condamné et que je te rende tes mille dinars!

Trois mois après, Rabbi Yéhochouâ revint chez l’aveugle accompagné des deux témoins. Il lui dit :

l’Empereur, annulant son décret, ne veut pas me faire mourir. Rends-moi alors les mille dinars que je t’avais confiés!

Je ne suis pas au courant des mille dinars que tu prétends avoir déposé chez moi. Il ne s’est jamais rien passé; tu ne m’as jamais rien confié.

Rabbi Yéhochouâ conduit alors l’aveugle auprès de l’Empereur. Les deux témoins font leur déposition que l’aveugle dément aussitôt affirmant qu’il ne s’est jamais rien passé.

Rabbi Yéhochouâ dit alors à l’aveugle : Hélas! tu ne profiteras pas de ces mille dinars. J’ai vu ta femme dire à un autre homme en riant : L’Empereur va sûrement condamner à mort mon mari, et toi et moi profiterons de ces mille dinars.

À ces mots, l’aveugle déposa devant l’Empereur les mille dinars.

Rabbi Yéhochouâ dit à l’Empereur : D’ieu eut donc raison de l’avoir créé aveugle de naissance. Il n’est donc pas permis de douter de notre D’ieu.

L’Empereur, reconnaissant, dit à Rabbi Yéhochouâ :

Heureux votre D’ieu, heureux son peuple et heureux quiconque mérite de se tenir sur le sable se trouvant sous la plante de vos pieds.»

Ce récit retient notre attention. A priori, l’Empereur romain semble avoir raison de dire qu’il y a injustice dans la Création lorsque des êtres humains naissent inégaux. Le fait que certains partent dans la vie avec un handicap physique pourrait laisser croire que le monde souffre de désordre.

Mais Rabbi Yéhochouâ enseigne, au contraire, que tout obéit à une intention précise. En le créant infirme, D’ieu indique bien que la nature de cet homme est essentiellement mauvaise.

Un enseignement condamnant un homme avant de l’avoir éprouvé dérange résolument l’Empereur. La téchouvale repentir, existe! Ne pourrait-il donc pas, malgré ses mauvaises dispositions, réparer sa conduite? Faut-il conclure que même le recours au repentir lui sera refusé? Autant de questions qui, dans ce midrache, ne trouveraient de réponses satisfaisantes que si l’on accepte la proposition de l’auteur Méorè ha-Èche sur le Tana Débè Èliyahou.

Selon lui, Rabbi Yéhochouâ constate chez cet aveugle des signes évidents de méchanceté à telle enseigne que la nature le rend incapable d’agir pour le bien. Aussi, pour cette raison est-il condamné à être aveugle. La vue ouvre l’accès au monde extérieur et permet la prise de conscience des différentes attitudes et conduites de l’homme. La cécité révèle surtout une tendance à la méchanceté.

Toutefois, une telle théorie condamnant un homme, même essentiellement mauvais, à une infirmité, remet en cause le libre choix de l’homme que prônent nos Maîtres.

En effet, le Talmoud(3) enseigne que quiconque naît sous le signe de Mars est destiné à verser le sang. Pour échapper à cette tendance, il lui est possible d’être ou mohèlcirconciseur, ou chohète,, sacrificateur. Ces deux pratiques permettent, en fait, à l’homme de transférer cette tendance au meurtre et l’orienter vers l’accomplissement de la mitswa.

Toutefois dans le cas de l’infirmité, tout semble bloqué. De fait, pour bénéficier du recours à la téchouva et, par suite, agir selon le principe du libre choix, l’homme se doit de faire preuve d’un minimum de foi, principe qui l’aiderait à dépasser sa nature. Ne l’ayant pas, il restera coincé par la tare qui l’affecte.

Ainsi, pour le Zohar(4), l’infirmité est la preuve d’un défaut qui rend inapte le Kohène à servir dans le Sanctuaire. Un homme infirme est un homme souffrant d’une absence de foi. Le Kohène, lui, doit être parfait ayant une foi absolue en D’ieu. Servir D’ieu devient impossible si, à la base, le Kohène est dépourvu de foi.

Le Zohar(5) enseigne également qu’en portant atteinte à la perfection de ses actes, l’homme crée un défaut dans son âme. Les lettres du Nom divin ne peuvent être présentes dans un lieu dont la perfection est entamée. L’homme ayant un défaut moral est atteint également d’une infirmité. Il sera muet, sourd, aveugle ou boiteux afin d’être ainsi marqué au ciel comme sur terre.

Rambane(6), parlant de la lèpre des vêtements, souligne :

«Qu’un tel phénomène n’est point dans l’ordre de la nature et du monde. Il en est ainsi pour la lèpre des maisons. Mais Israël étant parfait, obéissant à D’ieu, jouit de l’appui de l’esprit divin pour maintenir corps, vêtements et maisons dans un état de perfection. Mais la faute morale ou le péché détériorant l’état de la chair, du vêtement ou de la maison, montrent que D’ieu a enlevé Sa protection.»

Ainsi, le Kohène infirme est écarté du service divin car toute infirmité révèle une absence de foi qui le prive de la sainteté et de l’assistance divine.

Hawot Yaïr(7), à la question de savoir s’il est possible de nommer un ministre officiant présentant un défaut physique, répond :

«Un Kohène servant au Sanctuaire doit être sans défaut physique car il est admis que 248 membres de l’homme constituent le siège et le reflet de 248 lumières supérieures et de 248 membres spirituels de l’âme. L’infirmité révèle que le siège de ces lumières est entamé, il porte un défaut. S’il est donc possible de recourir aux services d’un ministre officiant, sans défaut, correct [en tous points], qu’on le prenne.»

C’est aussi la conclusion du Maguène Abraham à propos de la nomination d’un chaliah tsibbourofficiant, affligé d’un défaut physique(8).

Cependant, remarque le Zohar(9), D’ieu aime à se servir d’«éléments brisés» tels que l’humble et le modeste. Toutefois, dans ce cas, Il refuse un Kohène qui, souffrant d’une infirmité, doit être modeste et soumis.

Pour le Zohar, la modestie et l’humilité doivent avoir pour base fondamentale la perfection. Le défaut physique est marque d’imperfection.

Mèiri(10) précise :

«L’enfant rebelle, bèn sorèr ou morè, dont l’un des parents est manchot, boiteux, muet, aveugle ou sourd, ne sera pas condamné à mourir, car les parents sont impies. Et la cruauté est un des traits essentiels de [ces infirmes].»

Ainsi, les infirmes sont-ils cruels de nature. Et, si le fils a fauté, la responsabilité incombe aux parents si bien qu’ils ne sauraient accuser le fils en disant(11) : «Notre fils que voici est libertin et rebelle et n’obéit pas à notre voix.»

Étant donc infirme, le Kohène révèle une essence mauvaise, une nature imparfaite, ce qui le rend inapte à servir D’ieu.

L’Ét’ernel parla à Mochè en ces termes : «Parle ainsi à Aharone : Quelqu’un de ta postérité, dans les âges futurs, qui serait atteint d’une infirmité, ne sera pas admis à offrir le pain de son D’ieu.

Parle ainsi à Aharone : Quelqu’un de ta postérité, dans les âges futurs, qui serait atteint d’une infirmité

Rambane remarque à juste titre que partout le texte emploie la formule : «Parle à Aharone et à ses fils», . En revanche, un changement apparaît dans ce passage, il dit : «Quelqu’un de ta postérité», .

La raison est bien simple. En employant la formule consacrée «Parle à Aharone et à ses fils», le texte doit normalement poursuivre «Tout homme parmi vous, dans les âges futurs». Ceci implique d’inclure Aharone dans cette prescription traitant des infirmités. Mais Aharone, étant saint, entièrement voué à D’ieu, ne saurait être frappé d’infirmité.

Néanmoins, cette prescription intéressant ses descendants, D’ieu lui demande d’attirer leur attention afin qu’ils éloignent du service divin tout Kohène infirme.

En revanche, lorsqu’il parle de l’impureté, le texte(12) s’exprime ainsi : «Avertis Aharone et ses fils d’être circonspects à l’égard des saintetés des enfants d’Israël» car il se pourrait qu’Aharone contracte une impureté au contact d’un cadavre ou d’un reptile. Mais s’agissant de l’impureté issue de la lèpre ou de flux, le texte stipule(13) : «Tout individu de la race d’Aharone, atteint de lèpre ou de flux», le texte exclut Aharone qui, à l’image d’un ange divin, ne saurait être atteint de lèpre ou de flux.

Toutefois, à la fin de ce passage, le texte reprend(14) : «Et Mochè le redit à Aharone et à ses fils et à tous les enfants d’Israël» pour souligner l’intention de Mochè de recommander aux fils d’Aharone cette prescription ainsi qu’aux Anciens d’Israël de faire appliquer une telle prescription.

Pour Or ha-Hayim, l’emploi de lèmorpour dire, adressé à Aharone, précise que le texte confie l’exécution de cette prescription à Aharone. C’est donc à lui que revient le devoir d’écarter du service divin tout Kohène infirme.

Quelqu’un de ta postérité

L’emploi de cette formule inspire à Or ha-Hayim l’assurance qu’Aharone et ses fils ne seront pas affectés par des infirmités. Le texte s’adresse surtout aux descendants qui viendront après eux.

Mi-zar’âkhade ta postérité.

Pour Or ha-Hayim le mèm, partitif souligne que, si des infirmes il y a, il ne pourrait s’agir que d’une partie et non de la totalité.

Kéli Yaqar tente de comprendre le changement dans les expressions employées. D’un côté(15), il dit : «Quiconque serait atteint d’une infirmité» et, de l’autre(16)«Car quiconque a une infirmité ne saurait être admis.»

Au début, le texte parle d’une infirmité future mais, par la suite, il s’agit de l’infirmité actuelle et présente. De même, le deuxième verset n’étant que la justification du premier, il n’y a rien de nouveau par rapport au premier verset.

C’est pourquoi, dit-il, les Anciens, détenant certaines sciences, arrivaient à déterminer les infirmités futures d’un homme avant son apparition, en se basant uniquement sur sa conduite morale. Ainsi le juge recevant des présents corrupteurs sera atteint finalement de cécité. Orgueilleux, il sera atteint de fracture du pied.

De même, en scrutant les traits de sa physionomie, ils décelaient les travers pouvant provoquer des infirmités qui le rendront inaptes à la prêtrisela kéhounna.

Le texte se lit ainsi : Quelqu’un de ta postérité est atteint d’une infirmité, autrement dit sa conduite morale le condamne à avoir une telle infirmité. Et s’il est exclu du service divin, c’est parce qu’il finira par être atteint d’une infirmité. La raison motivant cette prescription est que si, à ce moment précis, il présentait un défaut, une infirmité, ne serait-il pas déclaré inapte au service divin? Il suffit que, dans l’avenir, il soit atteint d’une infirmité pour le considérer comme l’ayant déjà et, par conséquent, inapte à la kéhounna.

Il est évident que l’on parle du Kohène atteint effectivement d’une infirmité et non du Kohène ayant à la naissance une infirmité. Un infirme de naissance est-il apte au service divin? La Tora, après avoir signalé tous les défauts physiques, reprend encore :

Tout individu infirme, de la race d’Aharone le pontife, ne se présentera pas pour offrir les sacrifices de l’Ét’ernel. Atteint d’une infirmité, il ne peut se présenter pour offrir le pain de son D’ieu.

Le texte écarte même l’infirme de naissance. Certes, le Kohène infirme n’a pas le droit d’offrir les sacrifices ni le pain. Se peut-il qu’il n’ait pas aussi le droit de les manger?

Le texte précise à ce propos :

Le pain de son D’ieu, provenant des offrandes très saintes comme des offrandes saintes, il peut s’en nourrir.

Rabbènou Béhayè, après avoir rapporté l’explication de Rambane, donne une classification des infirmités mentionnées par le texte. Il s’agit des infirmités provenant :

D’un manque d’organe aveugle ou boiteux.

L’organe petit ou grand : nez écrasé ou des organes inégaux.

Les organes dont les os ont subi une fracture : estropié du pied ou de la main.

Enfin toutes infirmités qui signalent une nature désagréable ou peu esthétique : bossu, nain, taie à l’oeil, gale sèche ou humide, testicules broyés.

L’auteur de Mèchèkh Hokhma, abordant l’explication de cette prescription, signale que tout ce qui a trait aux sacrifices relève de la volonté divine. Car ni la raison ni la logique ne peuvent expliquer une telle prescription. Aussi est-ce la raison pour laquelle il est dit à propos de tous les sacrifices «la-chèm»en l’honneur de l’Ét’ernel, afin de ne pas donner des arguments aux contestataires et aux détracteurs de la Tora.

Le Kohène, pouvant avoir, lui aussi, des doutes, servirait D’ieu sans conviction. En servant ainsi, le sacrifice serait nul et non avenu. Le Kohène se doit donc de le savoir.

Néanmoins, parce qu’Il ne veut point passer pour délateur, D’ieu ne lui révèle pas son mécontentement par l’intermédiaire d’un prophète. Le recours à l’infirmité est là pour montrer à l’homme ses défauts et, pendant toute la durée de l’infirmité, le tenir à l’écart de l’autel.

La Tora n’a pas à juste raison employé les termes de Kohène rachâ,  impie, ou Kohène tsaddiqjuste et pieux. Mais en déclarant inapte le Kohène infirme, elle tente de couvrir son imperfection pour lui donner une chance de se repentir.

Ainsi l’infirmité physique révèle-t-elle en réalité un défaut moral. Même les pensées les plus intimes ne restent point à l’abri. Elles font surface et finissent par apparaître. Le Kohène qui, dans le service divin, doit faire preuve de foi et croyance sans faille en D’ieu ainsi que d’une perfection morale absolue saura qu’une infirmité, pouvant le tenir éloigné de l’autel, le guette dès qu’il baisse la garde dans sa conduite morale.

De toute évidence, D’ieu agit avec plus de sévérité à l’égard des Kohanim. Mais ce principe demeure valable également pour tout homme. La perfection morale, précaire et fragile, est toujours mise à l’épreuve. La perfection physique, en vérité, n’est que le reflet de la beauté morale.

1. Wayi-qra 21, 16-24.

2. Tana Débè Èliyahou Zota chap. 23.

3. Chabbat 156a.

4. Wayi-qra sur sidra Èmor 90b.

5. Bémidbar sur Nasso 123b.

6. Wayi-qra 13, 47.

7. chap. 121.

8. cf. Orah Hayim, chap. 53, article 8. Il cite en preuve le Zohar qui exclut, lorsque le choix est possible, un officiant infirme.

9. Wayi-qra 90b et 91a.

10. cf. Sanhèdrine 71a.

11. Dévarim 21, 20.

12. Wayi-qra 22, 2.

13. Wayi-qra 22, 4.

14. id. 21, 24.

15. ibid. 21, 17.

16. verset 18.

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