Abraham reconnaît le Créateur

Le Midrache rapporte :

“Rabbi Chimône Ben Yohaï dit : Abraham, notre père, ne reçut d’enseignement ni de son père ni de son maître. Comment a-t-il appris la Tora ? Le Saint béni soit-Il lui a donné des reins aussi grands que des vases débordant de sagesse qui lui enseignaient la Tora et la connaissance durant toute la nuit. Rabbi Léwi dit : il apprit par lui-même la Tora.”

De toute évidence, le midrache tente de combler le fossé séparant la période de la naissance d’Abraham au moment où il prit conscience de l’existence de D’ieu. Impossible d’envisager un enseignement reçu par son milieu familial qui, bien au contraire, s’opposait à toute croyance monothéiste. Tout son environnement était idolâtre. Le père, Tèrah, fabriquait des idoles. Alors comment Abraham a-t-il pu émerger dans un milieu aussi hostile à la vérité et à la connaissance de D’ieu Un ? Et si le père ou un maître furent incapables de lui transmettre cette vérité, comment a-t-il eu accès à la Tora ?

Pour Rabbi Chimône Ben Yohaï, la connaissance de la Tora serait impossible sans l’enseignement du maître ou du père. La Tora, par les divers aspects qu’elle comporte, nécessite une transmission. Certaines mitswot, étant logiques et rationnelles, pourraient, il est vrai, être édictées par l’homme. Mais qu’en est-il des décrets qui, n’ayant ni justification rationnelle ni référence historique, sont uniquement prescrits par D’ieu. Comment les découvrir sans l’aide du maître ?

Rabbi Chimône Ben Yohaï affirme que D’ieu, Lui-même, se fait le maître d’Abraham. Les reins pour nos maîtres constituent le siège de la connaissance. Doté de reins jaillissant et débordant de sagesse, Abraham est en mesure d’apprendre la Tora et de détenir sa connaissance. Mention précise est faite du temps indiqué pour accéder à la connaissance de la Tora. Il s’agit de la nuit où tout est repos, tout est calme, invitant à la réflexion et à la méditation. C’est d’ailleurs la nuit où l’esprit de l’homme est en mesure de s’ouvrir aux mystères de la vie.

Rabbi Léwi, quant à lui, précise qu’Abraham avait trouvé en lui toutes les ressources pour apprendre la Tora ou pour découvrir l’existence du véritable auteur du monde.

Le Midrache enseigne par ailleurs :

“Abraham avait trois ans lorsqu’il sortit de la caverne [où l’avait caché son père pour le soustraire à la colère de Nimrod]. S’interrogeant sur le créateur du ciel, de la terre et de lui-même, il passe toute la journée, à adresser ses prières au soleil. Le soir, le soleil se couche à l’occident et la lune se lève à l’orient. Voyant la lune entourée d’étoiles, il se dit : voilà le créateur du ciel, de la terre et de moi-même ; ces étoiles sont ses ministres et ses serviteurs. Toute la nuit, il adresse donc ses prières à la lune. Au matin, la lune disparaît à l’ouest et le soleil se lève à l’est. Il dit : ces deux [astres] sont dépourvus de puissance. Un souverain est au-dessus d’eux, à Lui j’adresserai mes prières et devant Lui je m’inclinerai !”

L’existence de D’ieu apparaît dans toute son évidence à partir des phénomènes naturels qui régissent le monde. Abraham eut tôt fait de reconnaître D’ieu parce qu’il est impossible d’envisager le monde dont le mécanisme est réglé avec autant de précision sans qu’un auteur n’en soit le maître et le Créateur.

Abraham mène une existence conforme au principe que le monde est créé et D’ieu en est le Créateur. Toutes les idoles sont impuissantes ; elles ne sont d’aucun secours pour l’homme. Quiconque les adore comme divinité se trompe. Abraham combat ainsi toute la société idolâtre. Tèrah, son père, n’eut d’autre choix que de le dénoncer à Nimrod.

Le Midrache décrit avec force détails la rencontre d’Abraham avec Nimrod :

” Nimrod, dit à Abraham : es-tu bien Abraham fils de Tèrah ?

­ En effet !

­ Sais-tu que je suis l’auteur de toutes les œuvres, du soleil, de la lune, des étoiles et des astres ? Les hommes sont issus de moi. Pourquoi as-tu détruit mon idole ?

À ce moment, le Saint béni soit-Il inspire Abraham qui répond :

­ Que votre Grandeur me permette de répondre !

­ Parle !

­ Depuis la création du monde, le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest. Ordonnez donc au soleil de se lever demain à l’ouest et se coucher à l’est. J’attesterai alors que vous êtes le maître du monde. De plus, si vous êtes l’auteur des êtres humains, vous devez connaître avec certitude toutes leurs pensées intimes. Dites-moi donc maintenant ma pensée et mes projets immédiats.

Nimrod, perdu dans ses pensées, caresse sa barbe. Abraham s’adresse à lui : ne soyez point surpris. Vous n’êtes nullement le maître du monde, mais plutôt le fils de Kouche. Et si vous étiez le maître du monde, pourquoi n’avez-vous pas sauvé de la mort votre père ? Mais, comme vous ne l’aviez point sauvé, ainsi serez-vous incapable d’échapper vous-même à la mort.

Aussitôt, Nimrod convoque Tèrah et dit : Quel traitement réserver à ton fils qui détruisit mes idoles ? Son châtiment serait de le brûler vif !

Mais Nimrod dit à Abraham : Prosterne-toi devant le feu et tu auras la vie sauve.

­ Je me prosternerai plutôt devant l’eau qui éteint le feu.

­ Alors prosterne-toi devant l’eau !

­ Si c’est ainsi, mieux vaut s’incliner devant les nuages qui supportent l’eau.

­ Incline-toi devant les nuages !

­ Alors mieux vaut s’incliner devant le vent qui disperse les nuages.

­ Très bien, incline-toi devant le vent !

­ N’est-il pas mieux de s’incliner devant D’ieu qui maîtrise le vent ?

Alors Nimrod, [s’emportant], dit : assez parler ! Je ne me prosterne, quant à moi, que devant le feu. Je t’y jetterai et que vienne ton D’ieu te délivrer.

Aussitôt, on le fit sortir pour le jeter dans une fournaise ardente. Ligoté, enchaîné, placé sur une pierre, il fut entouré de toutes parts de bois ayant cinq coudées de longueur et cinq de hauteur qu’on eut bien soin de flamber.

À ce moment, tous les voisins et les concitoyens vinrent conspuer Tèrah, le frappant sur la tête : honte ! humiliation ! Le fils que tu disais appelé à hériter ce monde et le monde à venir est en train de brûler vif par les soins de Nimrod !

Mais le Saint béni soit-Il, plein de clémence, descend et le sauve !”

Une fois de plus, le midrache nous sert avec une rigueur étonnante la preuve de l’existence de D’ieu. Abraham souligne la folie de celui qui se prétend dieu. Nimrod est incapable de changer le cours du monde, ses règles et ses principes. Nul autre que D’ieu ne saurait commander au soleil de se lever à l’ouest et se coucher à l’est. Bien entendu, D’ieu n’a pas besoin de le prouver. Mais, quand cela est nécessaire, D’ieu brise, en maître, les lois de la nature. L’Égypte est frappé de ténèbres. Yéhochouâ arrête le soleil et la lune dans leur course. Et si Nimrod ne peut maîtriser un seul élément de la nature, comment pourrait-il assurer qu’il est le maître du monde ? Et s’il se targue d’être l’auteur de l’homme, pourquoi ne peut-il révéler les pensées intimes et les projets d’Abraham ?

Nimrod est certes convaincu de son impuissance. Il fut incapable de sauver son père comme il le sera aussi face à la mort. L’arme qu’il a toujours utilisée contre les hommes est le feu. Abraham lui prouve que chaque élément de la nature est dépassé par un autre si bien que, par la chaîne des causes et effets, nous remontons à la Cause première, à D’ieu Lui-même.

Un tel exercice échappe à un esprit dérangé par la folie de l’idolâtrie. Seule la force physique constitue le point de référence. Abraham se charge de souligner que le monde ne saurait tenir et exister dans toute sa perfection, que si les hommes reconnaissent l’autorité divine et attestent qu’Il est le véritable Créateur du monde.

Le Talmoud enseigne :

“Au moment où Nimrod, l’impie, avait jeté Abraham, notre père, dans la fournaise ardente, Gabrièl dit au Saint béni soit-Il : Maître du monde, puis-je descendre refroidir le feu et sauver le Juste de la fournaise ? Le Saint béni soit-Il répond : Je suis Unique dans mon monde et il est unique dans son monde. Il convient à l’Unique de sauver l’unique. Et comme le saint béni soit-Il ne prive aucune créature de sa récompense, Il dit [à Gabrièl] : Je te réserve le mérite de sauver ses trois descendants.”

Suprême reconnaissance de D’ieu à Abraham dont la première épreuve fut de livrer un combat à Nimrod l’impie, premier à se révolter contre D’ieu. Nimrod, dérive de marod, se révolter. Il s’est révolté et a incité tous ses sujets à se révolter également contre D’ieu. Abraham est seul face au cruel et sanguinaire Nimrod. Prêt à subir le supplice du feu, il eut l’insigne honneur d’être sauvé par D’ieu en personne.

Gabrièl, ayant pris l’initiative de refroidir la fournaise, mérite pour sa part de participer à la délivrance de Michaèl, Hanania et Âzaria, jetés par Néboukhad’nétsar dans la fournaise pour avoir justement désobéi à son ordre de s’incliner devant sa statue. Le Talmoud y voit une reconnaissance. Le mérite revient à Abraham. Car sans son enseignement, ils n’auraient pas eu la force d’opposer un refus à l’idolâtrie au mépris de leur vie.

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