Le plaidoyer de Yéhouda

Alors, Yéhouda s’avança vers lui en disant : De grâce Seigneur! que ton serviteur fasse entendre une parole aux oreilles de mon seigneur, et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur! car tu es l’égal de Parô. Mon seigneur avait interrogé ses serviteurs, disant : Vous reste-t-il un père, un frère? Nous répondîmes à mon seigneur. Nous avons un père âgé, et un jeune frère enfant de sa vieillesse; son frère est mort, et lui, resté seul des enfants de sa mère, son père le chérit. Tu dis alors à tes serviteurs : Amenez-le moi, que je l’examine. Et nous répondîmes à mon seigneur : Le jeune homme ne saurait quitter son père; s’il quittait son père, il en mourrait. Mais tu dis à tes serviteurs : Si votre jeune frère ne vous accompagne pas, ne reparaissez point devant moi. Or, de retour auprès de ton serviteur, notre père, nous lui rapportâmes les paroles de mon seigneur. Notre père nous dit : Retournez acheter pour nous quelques provisions. Nous répondîmes : Nous ne saurions partir. Si notre jeune frère nous accompagne, nous irons; car nous ne pouvons paraître devant ce personnage, notre jeune frère n’étant point avec nous. Ton serviteur, notre père, nous dit : Vous savez que ma femme m’a donné deux enfants. L’un a disparu d’auprès de moi, et j’ai dit : Assurément il a été dévoré! et je ne l’ai point revu jusqu’ici. Que vous m’arrachiez encore celui-ci, qu’il lui arrive malheur, et vous aurez précipité cruellement ma vieillesse dans la tombe. Et maintenant en retournant chez ton serviteur, mon père nous ne serions point accompagnés du jeune homme, et sa vie est attachée à la sienne Bérèchit 44, 18-30.!

Avant de se faire connaître à ses frères, Yossèf voulut les amener à réaliser un repentir sincère sur leurs agissements vis-à-vis de lui. Dès le départ, il les traite d’espionsméraguélim. Pourquoi? C’est à leur tour de ressentir la souffrance morale que ressent l’homme injustement accusé d’un acte. Ils l’accusaient d’être un délateur, rapportant à leur père toute leur mauvaise conduite. Il les accuse à son tour de vouloir espionner l’Égypte dans le but de découvrir ses points faibles. Ils le jetèrent dans la citerne. A son tour, il les maintient en prison pendant trois jours. Chimône fut avec Léwi l’instigateur du complot contre lui. Il le garde emprisonné. Ils l’ont vendu pour retirer vingt sicles d’argent. Il demande à son intendant de remettre l’argent de chacun dans son sac. Enfin, pour l’épisode de Binyamine, Yossèf entend surtout examiner leur capacité de sacrifice pour le fils de Rahèl. La sincérité de leur sacrifice le convaincra de la disparition définitive de la haine des fils de Lèa pour ceux de Rahèl et, par conséquent, l’assurera de leur profond regret pour tout ce qu’ils ont fait subir à leur frère et à leur père.

Le Yalqout Bérèchit 44. rapporte :

Alors Yéhouda s’avança vers lui…

[Chélomo dit] Qohèlète 7, 29. : La sagesse est une force pour l’homme.

Rabbi Yohanane dit: Lorsque Yossèf avait pris Binyamine, Yéhouda lui dit: Penses-tu retenir Binyamine sans que soit dérangée la paix dans la maison de mon père? Aussitôt Yéhouda se mit en colère et rugit d’une voix forte si bien qu’elle retentit à une distance de 400 parsa Environ 1,600 kilomètres, et parvint aux oreilles de Houchime fils de Dan Houchime étant sourd, cela nous donne la force du cri de Yéhouda. qui se précipita de Kénaâne rugissant lui aussi et, tous deux, voulaient renverser l’Égypte. C’est à leur propos qu’Iyob dit Iyob 4, 10. :

Que le lion rugisse, il s’agit de Yéhouda tel qu’il est dit Bérèchit 49, 9. :

Yéhouda, tu es un jeune lion.

Que le fauve pousse un hurlement, il s’agit de Houchime fils de Dan comme il est dit Dévarim 33, 22. :

Au sujet de Dan, il dit : Dan est un jeune lion.

Et les dents du lionceau sont brisées, il s’agit des braves de Yossèf qui, au cri de Yéhouda, avaient tous perdu leurs dents.

Rabbi Léwi dit : dès qu’ils virent crier Yéhouda tous les frères furent remplis de colère et tapant le sol ils le transformèrent en sillons tel qu’il est dit Iyob 4, 11. :

La bête féroce périt, faute de proie, et les petits de la lionne sont dispersés.

La bête féroce périt, faute de proie, c’est Yéhouda qui s’est sacrifié pour Binyamine. Peut-être, dit-il, le Saint béni soit-Il me pardonnera ainsi la faute d’avoir dit à mon père :

Yossèf a été dévoré par une bête féroce.

Et les petits de la lionne sont dispersés, il s’agit des frères qui se mirent en colère contre Yossèf.

Le midrache Bérèchit Rabba 93. dit par ailleurs :

Yéhouda s’étant avancé vers lui. C’est à propos de Yéhouda que le texte dit Michelè 20, 5. :

Telles des eaux profondes, les idées abondent dans le coeur humain: l’homme avisé sait y puiser.

Ceci rappelle le cas du puits dont les eaux étaient limpides et profondes. Personne ne pouvait cependant s’en désaltérer. Un homme se mit à nouer une corde à l’autre, un fil à l’autre. Ayant puisé et bu, tous se mirent à boire après lui. Aussi, Yéhouda ne laisse Yossèf répondre qu’après avoir appris tout ce que ce dernier avait dans le coeur.

Ces deux midrachim sont en effet complémentaires. La sagesse de Yéhouda consiste à débusquer tous les plans et projets de Yossèf. La sagesse nécessite une dose de courage et de témérité. Yéhouda n’est nullement prêt à voir l’ordre et la paix de la famille dérangés, bousculés par les fausses accusations de Yossèf. La colère de Yéhouda exprime davantage sa révolte devant tous les prétextes invoqués par Yossèf pour les contraindre à lui présenter Binyamine. Cette colère inspire à Yossèf la crainte de voir l’Égypte détruite par Yéhouda et Houchime, fils de Dan, ainsi que par tous les frères qui commencent aussi à donner des signes d’impatience.

Yéhouda apparaît, pour le deuxième midrache, tel ce sage qui, pour découvrir les motifs de Yossèf, utilise la colère comme moyen pour tirer toutes les informations qui lui seront utiles pour délivrer Binyamine.

Alors Yéhouda s’avança vers lui en disant : De grâce Seigneur! que ton serviteur fasse entendre une parole aux oreilles de mon seigneur, et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur! car tu es l’égal de Parô.

Alors Yéhouda s’avança près de lui…,

N’était-il pas justement près de Yossèf?

La sidra précédente rapporte les difficultés rencontrées pour faire admettre à Yaâqov d’envoyer Binyamine avec ses fils en Égypte, Yossèf ayant exigé sa présence pour la libération de Chimône. Yaâqov se range, bien malgré lui, aux arguments de Yéhouda qui s’est engagé à le ramener en personne. Mais après que Yossèf les eut bien reçus chez lui, Binyamine fut accusé du vol de la coupe d’argent et condamné à être l’esclave de Yossèf. Yéhouda, n’ayant rien à dire pour se justifier, admet le fait qu’ils sont tous coupables aux yeux de D’ieu. D’ieu profite de l’occasion pour leur faire payer la faute commise à l’égard de Yossèf.

C’est pourquoi Yéhouda, responsable de la vente de Yossèf, responsable également de ramener Binyamine auprès de son père, entend accomplir sa mission en signe de repentir. Il s’avance vers Yossèf pour lui parler.

Wayi-gache, Il s’avança.

Selon le midrache, ce terme prend trois significations : se quereller, apaiser et prier. Yéhouda s’est avancé en vérité auprès de Yossèf dans le but de réaliser ces trois actions. Cependant une difficulté surgit du fait de la contradiction existant entre se quereller et apaiser. Ces deux actions sont incompatibles. Elles le seront d’autant plus que Yéhouda emploie également yé-dabbèr, qu’il soit permis de parler durement car dabbèr, c’est exprimer un langage sévère et dur, pour le faire suivre aussitôt de na, s’il vous plaît. Il est inconcevable que l’on puisse s’adresser ainsi à un roi, de lui demander l’autorisation de lui parler durement.

Yéhouda se trouve dans une situation délicate. Faut-il attendrir Yossèf sur le sort de Binyamine et surtout sur celui de Yaâqov qui risque de perdre un second fils ou, au contraire, lui servir des paroles dures et menaçantes avec colère et indignation afin de faire comprendre à Yossèf que les manigances et les manipulations dont ils sont l’objet avaient assez duré. Pris dans ce dilemme, Yéhouda se doit, de surcroît, de respecter Yossèf devant sa cour et ses conseillers. Aussi s’adresse-t-il à Yossèf de telle sorte qu’il est seul à comprendre la signification de ses paroles. Ce sont des expressions dures à l’intention de Yossèf mais respectueuses aux yeux de son entourage. C’est dans ce sens que le midrache dit que Yéhouda s’est avancé dans le but à la fois de se quereller et d’apaiser.

Bi adoni, De grâce, seigneur!

Selon Rachi, Yéhouda demande la permission à Yossèf de s’adresser à lui. Mais Kéli Yaqar explique, selon le sens littéral du texte, que Yéhouda tente de répondre à l’argument que Yossèf ne manquerait pas de lui opposer : pour quelle raison Yéhouda est seul à parler plus que les autres frères.

Yéhouda lui dit en effet qu’il se sent responsable de tout ce qui leur est arrivé depuis le moment qu’ils avaient comparu devant-lui. Il dit notamment que c’est à cause de lui que tous ses frères et Binyamine surtout se trouvent dans cette situation inconfortable et difficile. Car s’il n’avait pas conseillé à ses frères de vendre Yossèf, ils ne seraient peut-être pas là accusés de vol ni Binyamine condamné à être esclave. Bi la faute est à moi, en moi. Sa responsabilité étant en jeu, c’est donc à lui que revient le droit à la parole.

Or ha-Hayim précise que Binyamine ne saurait être tenu responsable de ce vol puisqu’il proteste de son innocence. En revanche, Yéhouda reconnaît avoir commis la faute. Ainsi bi, la faute me revient, je suis coupable de ce vol.

Bé-oznè adoni, aux oreilles de mon seigneur.

Yéhouda demande à Yossèf de prêter attention à ses propos afin de ne point se méprendre. En outre, il demande à parler en privé à Yossèf pour ne pas avoir à étaler certaines vérités devant tous ses serviteurs et conseillers et ce, par respect vis-à-vis de Yossèf.

Et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur.

Yéhouda supplie Yossèf de ne point s’emporter si jamais il lui arrive de se comporter en égal : Je ne suis que ton serviteur et non ton égal car tu es à mes yeux comme Parô.

Selon le midrache je peux te tuer comme je peux tuer également Parô. En outre si tu le retiens tu seras châtié comme a été châtié Parô parce qu’il avait retenu Sara.

Liqoutè Mégadim explique : tu es considéré à mes yeux comme Parô. De même que Parô, en tant que roi, voit sa liberté limitée par D’ieu qui dirige ses actes, ainsi tu ne serais pas libre de me faire du mal tant que D’ieu lui-même ne l’aura pas décidé.

C’est surprenant de la part de Yéhouda que dans toute son argumentation il ne fasse mention ni de l’accusation d’espion ni de l’argent retrouvé dans leur sac de blé! Il est évident qu’en n’en parlant pas, Yéhouda signifie à Yossèf qu’il n’attache aucune importance à ces faits autant que lui. En réalité, il est clair pour tous que Yossèf veut garder Binyamine à son service. C’est pourquoi tout dans l’attitude de Yossèf donne à croire que c’est là seulement son intention.

Mon seigneur avait interrogé ses serviteurs, disant: Vous reste-t-il un père, un frère? Nous répondîmes à mon seigneur. Nous avons un père âgé, et un jeune frère enfant de sa vieillesse; son frère est mort, et lui, resté seul des enfants de sa mère, son père le chérit.

Ainsi mon seigneur avait interrogé ses serviteurs, disant : Vous reste-t-il un père, un frère?

Votre interrogation, lui dit-il, n’a aucun rapport avec l’objet de notre demande d’acheter le blé. Rachi rapporte :

Bien que nous ne demandions pas la main de ta fille ni tu ne demandais la main de notre soeur, chose qui aurait justifié une telle interrogation, nous ne vous avions rien caché!

En outre, les interrogations sont faites de telle manière que nous avons répondu avec franchise et sans réticence : nous avions un père âgé et un jeune frère. En disant un père âgé, Yéhouda entend expliquer la nécessité de maintenir auprès de lui un enfant pour le servir. Si Binyamine est retenu par son père, c’est en raison de l’âge de l’enfant jeune et enfant de sa vieillesse. Le père a besoin de l’avoir à ses cotés car, toute l’affection qu’il ressentait pour Yossèf, Yaâqov l’avait reporté sur Binyamine.

Chaâr Bat Rabbim établit une différence entre chéarreste et notarresteChéar est un reste, résidu qui a de la valeur tandis que notar demeure un reste sans grande valeur. Yéhouda emploie ici wayi-watèr, pour que Yossèf n’attache aucune importance à Binyamine et, par conséquent, qu’il ne le retienne pas.

Cependant Yéhouda n’arrive pas du tout à comprendre l’insistance de Yossèf à vouloir rencontrer Binyamine!

La logique voudrait que l’on prenne en compte la souffrance du père, vieux et âgé, et celle du jeune enfant qui sera privé de l’affection de son père et qui pourrait mourir en chemin comme le fut son propre frère. Il eût été préférable réclamer la présence du père en compagnie de son fils!

Tu dis alors à tes serviteurs : Amenez-le moi, que je l’examine. Et nous répondîmes à mon seigneur : Le jeune homme ne saurait quitter son père; s’il quittait son père, il en mourrait. Mais tu dis à tes serviteurs : Si votre jeune frère ne vous accompagne pas, ne reparaissez point devant moi.

Mais Yossèf leur dit : Si votre jeune frère ne vous accompagne pas ne reparaissez point devant moi.

Yéhouda semble lui reprocher, selon Rav Alchikh, le peu de sérieux qu’il accorde lui même à l’accusation d’espions. Car s’ils avaient été des espions le châtiment aurait dû être plus sévère. Mais comme Yossèf ne devait accorder aucune valeur à cette accusation, son intention serait uniquement de vouloir retenir Binyamine, jeune et beau, pour le servir.

De retour chez leur père, Yéhouda rapporte qu’ils lui firent le récit de leur rencontre. Yaâqov n’avait accordé pas foi à de telles accusations puisqu’il consent à les envoyer une seconde fois en Égypte pour acheter d’autres provisions.

C’est alors que Yéhouda intervient et demande à son père de laisser Binyamine partir avec eux. Il refuse car Binyamine est l’enfant de Rahèl, son épouse principale. Des deux enfants, Binyamine demeure seul en vie, l’autre ayant disparu, dévoré assurément. Yéhouda n’a pas voulu dire que Yossèf était perdu de vue de peur de se voir encore obligé de le présenter.

Ton serviteur, notre père, nous dit : Vous savez que ma femme m’a donné deux enfants. L’un a disparu d’auprès de moi, et j’ai dit : Assurément il a été dévoré! et je ne l’ai point revu jusqu’ici. Que vous m’arrachiez encore celui-ci, qu’il lui arrive malheur, et vous aurez précipité cruellement ma vieillesse dans la tombe.

Que vous m’arrachiez encore celui-ci.

Yaâqov leur demande de ne point le contraindre à leur donner Binyamine car il pressent que la rigueur divine le frappera comme le fut son frère. Et s’il mourrait, cela provoquera assurément la mort de Yaâqov.

Et quant à croire que Binyamine mérite ce châtiment puisqu’il a commis le vol de la coupe, Yéhouda rétorque qu’il n’en est rien car l’âme de Yaâqov, le tsaddiq, le juste, est attachée à celle de Binyamine. Un tsaddiq ne saurait s’attacher à un voleur.

De plus Yéhouda n’arrive pas à comprendre qu’un gouverneur puisse prendre à son service un serviteur voleur. Yéhouda demande à le remplacer car il est plus apte à le servir bien mieux que Binyamine. De toutes les manières la proposition de Yéhouda convient à tous puisqu’elle a l’avantage de ne point provoquer la douleur accablante de Yaâqov et peut-être sa mort.

Ce sacrifice, Yéhouda consent à l’assumer car il avait conseillé la vente de Yossèf. Yossèf eut raison de les traiter avec sévérité. Provoquant leur repentir, Yossèf finit par se faire connaître à ses frères.

En Égypte, les douze fils de Yaâqov se sont tous retrouvés unis par des liens et des sentiments de fraternité. C’est ainsi que le peuple d’Israël, peu avant sa délivrance, se retrouvera uni : Èfrayim ne jalousera plus Yéhouda, et Yéhouda ne sera plus hostile à Èfrayim Yéchâya 11, 13..

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