Yossèf et ses frères

«Un jour, ses frères étaient allés conduire les troupeaux de leur père à Chékhèm. Israël dit à Yossèf : «Tes frères font paître les troupeaux à Chékhèm. Viens donc, je veux t’envoyer auprès d’eux». Il lui répondit : «Je suis prêt». Il reprit : «Va voir, je te prie, comment se portent tes frères, comment se porte le bétail, et rapporte-m’en des nouvelles». Il l’envoya ainsi de la vallée de Hèbrone, et Yossèf se rendit à Chékhèm. Un homme le rencontra errant dans la campagne. Cet homme lui demanda : «Que cherches-tu?». Il répondit : «Ce sont mes frères que je cherche. Veuille me dire où ils font paître leur bétail». L’homme dit : «Ils sont partis d’ici car je les ai entendus dire : Allons à Dotane». Yossèf s’en alla sur les pas de ses frères, et il les trouva à Dotane. Ils l’aperçurent de loin; et, avant qu’il fût près d’eux, ils complotèrent de le faire mourir. Ils se dirent l’un à l’autre : «Voici venir l’homme aux songes. Or ça, venez, tuons-le, jetons-le dans quelque citerne, puis nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré. Nous verrons alors ce qui adviendra de ses rêves!» Réoubène l’entendit et voulut le sauver de leurs mains; il se dit : «N’attentons point à sa vie». Réoubène leur dit donc : «Ne versez point le sang! Jetez-le dans cette citerne qui est dans le désert, mais ne portez point la main sur lui». C’était pour le sauver de leurs mains et le ramener à son père(1)

Yaâqov, à peine sauvé des griffes de Labane et Êssaw, aspirait à un repos. Mais le voilà, aussitôt, tourmenté par la division régnant parmi ses fils. Même un homme aussi fort que Yaâqov, habitué à surmonter tant d’épreuves dans sa vie, ne peut gérer avec calme une telle situation. Il voit chaque jour le contrôle lui échapper.

Ayant fait une tunique spéciale à Yossèf, les frères y voient un signe de préférence, les excluant ainsi de la grande chaîne du peuple élu comme Yichemaêl et Êssaw furent exclus. Yossèf débitant des médisances sur leur compte à leur père, ne fait qu’attiser le feu de leur jalousie. L’absence de toute réaction de la part du père, la série des songes que Yossèf raconte à ses frères, étalant ainsi ses projets les plus hardis pour la royauté, excitent davantage leur jalousie.

Toutefois, il est surprenant de constater que malgré les indices révélant la haine que nourrissent ses fils pour Yossèf, Yaâqov ne tente rien pour remédier à la détérioration de la situation. Tout indique que Yaâqov la trouve, au contraire, à son goût. N’est-il pas dit(2) : «Voici l’histoire de la descendance de Yaâqov, Yossèf…»? Ce qui confirme que Yossèf n’atteindra la gloire, la royauté que lorsqu’il passera par les mêmes situations que Yaâqov. La haine, la jalousie des frères, hâtera, au contraire, le succès de Yossèf. En effet, là où les frères ne voient que fantasmes d’un enfant qui rêve de grandeur, Yaâqov, en revanche, y décèle un signe du destin extraordinaire de Yossèf. Le texte souligne(3) : «Les frères de Yossèf le jalousèrent; mais son père attendit l’événement.»

Le Midrache(4) rapporte :

«Rabbi Léwi dit : [Yaâqov] prend une plume et consigne le jour, l’heure et l’endroit tel qu’il est dit : son père attendit l’événement.

Rabbi Hiya le Grand propose : «Son père attendit l’événement» : l’Esprit Saint dit : attends cet événement car les choses se réaliseront.

Rabbi Léwi enseigne au nom de Rabbi Hama fils de Hanina : Voici ce que notre père Yaâqov pensait. Voyant le déroulement des événements [donner raison à Yossèf], il s’était dit : puisque l’examen du dossier [de Yossèf] est à ce point favorable, que puis-je y faire?»

Ce midrache émet ainsi l’opinion que, pour Yaâqov, le règne de Yossèf, annoncé par les songes, ne tarderait pas à se réaliser. Pour Yaâqov, aucun doute, en effet, n’est possible quant à l’avènement de Yossèf. Le fait de consigner dans un document le jour, l’heure et le lieu du récit de ces songes, constitue pour Rabbi Léwi la preuve qu’il s’agit d’un message prophétique. Ceci explique l’expectative de Yaâqov. On dirait qu’il voit en fait d’un bon oeil que Yossèf soit à la tête de tous ses fils. Ce qui effraie les fils, calme et apaise, au contraire, le père. Ainsi, les gerbes de blé sont-elles le signe que Yossèf aura à les nourrir tous aux moments les plus difficiles de leur existence. Les étoiles indiquent leur élévation spirituelle ainsi que leur pérennité. En outre, tous les deux songes soulignent bien l’union entre frères. Ils sont toujours ensemble, rien ne les divise même quand il s’agit de servir Yossèf. C’est cela même qui donne l’espoir à Yaâqov que cette division et cette haine ne sont que momentanées.

Pour Rabbi Hiya, le doute pouvant encore subsister, l’Esprit Saint avertit Yaâqov d’attendre cet événement. L’attente est porteuse d’espoir. Inviter à attendre, c’est assurer d’abord la réalisation mais également une limitation dans le temps. L’attente est une promesse. Lorsque la promesse vient de D’ieu c’est une réalité.

Rabbi Léwi, au nom de Rabbi Hama fils de Hanina, se place déjà à un moment où la réalisation de ces songes est enclenchée. Il ne s’agit plus d’attente mais du déroulement. Yaâqov est lui-même concerné par les songes de Yossèf. Il doit s’en remettre à Yossèf pour lui procurer les moyens d’existence. Le soleil représente Yaâqov. Lui aussi se prosterne, se plie aux ordres de Yossèf.

Néanmoins, le midrache tente par ces trois opinions de nous livrer le message de la délivrance future. Ne faisant pas de doute, elle suit nécessairement des étapes bien précises.

Yossèf est le symbole du Sage, du chef dont l’autorité, pour être efficiente, doit recourir à l’assentiment et à l’adhésion de tous ses frères. Son action ne prend tout son sens que si tous s’unissent autour de lui. Mais la contestation et la division ont pour effet de disloquer l’unité du peuple et provoquer l’exil. Ceci ne résout rien puisque c’est à partir de l’exil que Yossèf règnera et s’imposera comme chef. Yaâqov note le jour et l’heure du songe prophétique pour montrer que deux options se présentent aux Bénè Yisraèl. Le règlement immédiat par l’unité et la cohésion autour du Sage, autour de Yossèf, ou la division reportant le règlement à une date ultérieure qui ne sera possible qu’en réalisant aussi l’unité. Israël détient toujours, par son repentir et par l’unité, l’initiative. Il peut à tout moment hâter cette délivrance.

Mais Israël, ne réalisant pas son repentir, doit attendre le délai prévu par D’ieu pour la délivrance. C’est la deuxième opinion exprimée par Rabbi Hiya le Grand «d’attendre ces événements, car ils finiront par se réaliser». L’exil implique également, il est vrai, la fin; il ne saurait durer indéfiniment. Mais l’attente peut entraîner, quand elle se prolonge, une perte d’espoir ou tout simplement voir le doute s’installer dans les esprits. Aussi Rabbi Hiya recommande-t-il de ne pas perdre cet espoir et continuer à attendre la délivrance qui finira par se réaliser. Quand bien même les Bénè Yisraèl ne mériteraient pas la délivrance, elle viendra au délai prévu par D’ieu.

La troisième opinion affirme avec force que la délivrance commence à se réaliser dès les premiers instants de l’exil. Le Talmoud affirme : le jour de la destruction du Bèt ha-Miqdache, le libérateur est né. La destruction du Temple ne fut possible qu’en raison de la haine et la division qui régnaient alors en Israël. Là aussi les frères de Yossèf s’étaient laissé envahir par la haine à l’égard de leur frère. Ce fut, au contraire, le premier pas à son avènement. Pour les Bénè Yisraèl, le déroulement de la délivrance débute déjà aussitôt l’exil commencé. Aux Bénè Yisraèl de veiller à ne point laisser perpétuer l’exil. La délivrance demeure cependant soumise aux deux possibilités qui s’offrent à Israël : soit avant le délai prévu grâce au repentir, soit dans le délai prévu parce que rien ne fut entrepris pour réaliser ce repentir.

Cette situation ne convient certes pas à Yaâqov. Mais il ne fait rien pour y remédier. Yossèf reste avec ses songes qui lui prédisent son avènement prochain; les frères, tous dirigés contre lui, le haïssent. Pourtant Yaâqov ne résiste pas à la tentation d’envoyer Yossèf prendre des nouvelles de ses frères. Bien que conscients tous deux du danger de cette expédition, Yaâqov n’hésite pas à envoyer Yossèf qui, obéissant, ne refuse point.

Un jour, ses frères étaient allés conduire les troupeaux de leur père à Chékhèm.

Ses frères étaient allés conduire les troupeaux de leur père.

La particule Ète, , est surmontée de points. Ceci indique que leur intention était surtout d’aller pour se «repaître» eux-mêmes(5).

Hatam Sofèr voit dans cet enseignement de Rachi la raison de leur future descente en Égypte afin de s’y procurer des vivres pour eux comme pour leurs familles. En effet, le châtiment infligé aux frères de Yossèf pour avoir pris soin d’eux-mêmes plutôt que de s’occuper des troupeaux de leur père fut de les contraindre à aller ailleurs chercher leur propre subsistance. Tout indique que la Providence est absolument présente dans tout ce qui a trait à Yossèf et ses frères.

Selon Mèâm Loêz, les frères sont allés en vérité tenir un conseil sur la position à prendre vis-à-vis de Yossèf.

Yéfat Toar affirme, quant à lui, qu’ils sont allés se chercher des femmes à marier pour échapper à la médisance de Yossèf. Ainsi, ils auraient montré leur piété puisqu’ils sont prêts à se marier alors que Yossèf n’y pensait même pas.

Israël dit à Yossèf : «Tes frères font paître les troupeaux à Chékhèm. Viens donc, je veux t’envoyer auprès d’eux». Il lui répondit : «Je suis prêt».

Israël dit à Yossèf : «Tes frères font paître les troupeaux à Chékhèm. Viens donc, je veux t’envoyer auprès de tes frères».

Pourquoi le texte emploie-t-il Yisraèl au lieu de Yaâqov?

Rav Alchèkh énumère les raisons qui ont motivé la descente de Yossèf en Égypte :

Selon le Midrache(6), Yaâqov devait descendre en Égypte forcé, traîné par des chaînes en fer. Mais D’ieu préfère envoyer Yossèf qui, l’y devançant, permet à Yaâqov de faire son entrée en Égypte avec tous les égards et honneurs.

Selon le Zohar, Yossèf devait servir de mèrkava, de monture, pour la chékhina, présence divine, qui allait s’installer en Égypte pour protéger Israël.

Malgré ces deux raisons, Yossèf sera châtié pour avoir débité des médisances à propos de ses frères. C’est en Égypte qu’il sera livré en pâture à la femme de Potifar pour avoir accusé ses frères de regarder les filles du pays.

Yaâqov, ayant prêté attention aux médisances de Yossèf sans réagir, paiera en étant séparé de son fils chéri.

Yossèf devait être séparé de son père autant d’années que Yaâqov fut loin de Yitshaq.

Pour toutes ces raisons, D’ieu fait que Yaâqov accepte d’envoyer son fils Yossèf à Chékhèm, lieu destiné au châtiment puisque c’est là que Dina fut violentée par Chékhèm, fils de Hamor; c’est là aussi que Yossèf sera vendu et envoyé en Égypte, et c’est là enfin qu’aura lieu le schisme. En effet, le royaume de David fut divisé en deux : le royaume d’Israël et le royaume de Yéhouda. Yaâqov est conscient de tous les dangers que courait Yossèf et Yossèf sait également qu’il s’expose ainsi aux représailles de ses frères. Pourtant tous deux se prêtent à agir dans le sens choisi par la Providence.

Le texte se lit donc ainsi : Yisraèl, agissant comme son nom l’indique avec droiture et sincérité(7)dit à Yossèf : viens donc, je veux t’envoyer auprès de tes frères. Considérant l’endroit dangereux, car des représailles sont toujours possibles à l’encontre de ses fils, Chimône et Léwi qui avaient tué les mâles de Chékhèm, Yaâqov, demande à Yossèf, non pas sous forme d’ordre, d’impératif, mais sous forme de suggestion : je veux bien t’envoyer si jamais tu acceptais toi-même une telle mission. Ce n’est alors que je pourrais te la recommander sous forme de mitswa, . Et Yossèf de répondre me voici, prêt à remplir cette mission. Yaâqov, perplexe, se trouve devant un dilemme : faut-il ou ne faut-il pas révéler à Yossèf ses soupçons sur les intentions meurtrières de ses frères à son égard. Aussi Yaâqov prend-il soin d’y faire seulement allusion. Yossèf, en connaissance de cause, doit décider s’il veut accomplir la mission de son père.

Or ha-Hayim souligne que Yaâqov recommande surtout à Yossèf de retrouver ses frères, autrement dit de renouer avec la fraternité et la paix. Et si Yossèf craint leur haine, Yaâqov l’accompagne et le charge de mission de telle sorte que réalisant la volonté de son père, cette mitswa l’assure de sa protection contre tout malheur(8).

Me voici.

Rachi rappelle que cette formule indique la soumission et le zèle. Yossèf est disponible, prompt à obéir au commandement de son père, malgré la haine de ses frères.

Il reprit : «Va voir, je te prie, comment se portent tes frères, comment se porte le bétail, et rapporte-m’en des nouvelles». Il l’envoya ainsi de la vallée de Hèbrone, et Yossèf se rendit à Chékhèm.

Va voir comment se portent tes frères, comment se porte le bétail et rapporte-m’en des nouvelles.

La mission de Yossèf est bien précise : se rendre compte de l’état de santé de ses frères et de celui du bétail, ensuite faire un rapport à Yaâqov. Yossèf ne devait faire rien d’autre. Afin de bénéficier de la protection de la mitswa, même dans le chemin du retour, Yaâqov le charge également de lui rapporter les nouvelles. Cependant, force est de constater que Yossèf n’est pas retourné chez son père. Pourquoi la mitswa n’accorde-t-elle pas sa protection?

Or ha-Hayim explique, rappelant les paroles du Talmoud(9), que la mitswa ne peut pas assurer une protection lorsque le danger est évident. Dans notre cas, les frères haïssant Yossèf à mort, elle ne pouvait apporter sa protection. Par ailleurs, fait-il remarquer, Yaâqov envoie Yossèf à Chékhèm et non à Dotane. La mitswa de Yaâqov était précise : aller les voir à Chékhèm. Ne les ayant pas trouvés, sa mission se terminait. En prenant l’initiative d’aller à Dotane, Yossèf n’était plus placé sous la protection de la mitswa.

Il l’envoya ainsi de la vallée de Hèbrone.

Rachi remarque à juste raison que Hèbrone est bien située sur une montagne(10). Pourquoi alors le texte parle-t-il de la vallée de Hèbrone? Mais, dit-il, c’est pour suivre le dessein profond(11), annoncé à ce «Juste» [Abraham] qui repose à Hèbrone, de manière à réaliser ce qui avait été dit à Abraham lors de l’Alliance(12) : «Ta postérité sera étrangère dans un pays qui ne leur appartient pas». En effet, Yaâqov avait certainement d’autres serviteurs qui auraient pu remplir cette mitswa. Mais la Providence avait décidé autrement afin que Yossèf descende en Égypte pour y entraîner toute la famille de Yaâqov.

Cependant, voyant le sacrifice consenti par Yossèf d’aller à Chékhèm s’exposer au danger dans l’unique but de s’inquiéter de leur santé, ses frères auraient pu se rapprocher de lui. Mais la Providence avait décidé de passer à l’exécution du décret annoncé à Abraham.

Un homme le rencontra errant dans la campagne. Cet homme lui demanda : «Que cherches-tu?».

Un homme le rencontra errant dans la campagne.

Cet homme est l’archange Gabrièl. Yossèf était perdu dans la campagne. Ba-sadè, comme si le texte parlait d’un champ ou d’une campagne connus!

Selon Rav Alchèkh, ce terme fait référence au premier rêve de Yossèf(13) :

«Nous composions des gerbes dans le champ».

Pour Yossèf, c’était l’occasion de voir ses frères se prosterner devant lui dans le champ. Selon cette explication, Yossèf était perdu dans ses rêves de grandeur.

Cet homme lui demanda : «que cherches-tu?»

Or ha-Hayim s’interroge sur l’intention de cet homme qui demande à Yossèf que cherches-tu pour que Yossèf le prie de lui dire :

«Veuille me dire où ils font paître le bétail»

Yossèf comprend que cet homme veut lui apprendre quelque détail important si bien qu’il lui consent à lui faire part de l’objet de ses recherches.

Il répondit : «Ce sont mes frères que je cherche. Veuille me dire où ils font paître leur bétail». L’homme dit : «Ils sont partis d’ici car je les ai entendus dire : Allons à Dotane». Yossèf s’en alla sur les pas de ses frères, et il les trouva à Dotane.

«Ce sont mes frères que je cherche».

Yossèf invoque ici la fraternité. Il cherche surtout à lier des liens fraternels avec eux.

Mais l’homme dit «ils sont partis d’ici»

L’ange utilise un langage qui se prête à un double sens. Le premier est qu’en réalité ils avaient quitté Chékhèm pour Dotane. Le deuxième, ils ont abandonné tout sentiment de fraternité à ton égard. Ils ne le comptent plus comme étant leur frère. a pour valeur numérique 12. Yossèf ne fait plus partie pour eux des 12 tribus.

Je les ai entendus dire : allons à Dotane

Dotane, se rapproche de Dat, , loi. Ainsi, lui dit-il, ils cherchent des prétextes dans l’arsenal des Lois pour le faire mettre à mort. Ils cherchent donc des prétextes pour le tuer sans qu’ils soient impliqués directement dans sa mort(14).

Cependant, il est possible de dire avec Or ha-Hayim que Yossèf avait compris le message du mal’akh Gabrièl. Malgré cela, Yossèf continue à rechercher plutôt la fraternité de ses frères.

C’est pourquoi le texte précise :

«Yossèf s’en alla sur les pas de ses frères».

Selon cette explication, la position du mal’akh qui, à un certain moment, nous semblait contre la décision divine de conduire Yossèf en Égypte, permet au contraire à Yossèf d’assumer pleinement son destin ce qui lui vaut une récompense hautement méritée.

Ils l’aperçurent de loin, et, avant qu’il fut près d’eux, ils complotèrent de le faire tuer.

Chaâr Bat Rabbim souligne que les frères complotèrent de le tuer pendant qu’il était encore loin, autrement dit, éviter de lui donner la possibilité de se rapprocher, chose qui n’aurait pas manqué d’éveiller en eux la pitié. Mais étant loin, ils pouvaient maîtriser leurs sentiments.

Dans le midrache, les frères incitèrent contre lui des chiens méchants. Pourquoi les chiens? Parce qu’il avait débité des médisances, sa mort serait de le jeter en pâture à des chiens méchants qui, eux, savent retenir leur langue. Mais ils ont remarqué que les chiens ne purent lui faire aucun mal.

Ils se dirent l’un à l’autre : «Voici venir l’homme aux songes. Or ça, venez, tuons-le, jetons-le dans quelque citerne, puis nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré. Nous verrons alors ce qui adviendra de ses rêves!»

Venez, tuons-le, jetons-le dans quelque citerne.

Pendant qu’il était encore loin, les frères ont décidé de le tuer. Mais leur impatience était telle qu’ils ne pouvaient tenir en place. Ils décidèrent d’aller à sa rencontre «Venez», pour le tuer. Leur décision, pour Or ha-Hayim, était de se mettre à dix pour le tuer, c’est-à-dire ensemble car, selon le Talmoud(15) : «dix qui tuent ensemble un homme sont quittes aux yeux de la justice humaine.» Ce fut donc leur décision afin d’échapper à la justice de l’homme.

Nous verrons alors ce qui adviendra de ses rêves.

Rachi précise :

«Pendant que les frères disent : nous allons le tuer! L’Esprit Saint répond : «et nous verrons ce que seront ses rêves». Nous verrons la parole de qui se réalisera, la vôtre ou la mienne.»

Réoubène leur dit donc : «Ne versez point le sang! Jetez-le dans cette citerne qui est dans le désert, mais ne portez point la main sur lui». C’était pour le sauver de leurs mains et le ramener à son père.

Réoubène l’entendit et voulut le sauver de leurs mains.

Qu’entendit Réoubène pour qu’il veuille le sauver?

Pour Chaâr Bat Rabbim, Réoubène fut le seul à entendre la voix céleste affirmer «et nous verrons ce que seront ses rêves». C’est ce qui l’engage à le sauver.

Réoubène sauve Yossèf de leurs mains car, étant des êtres libres, les frères pouvaient faire mourir un homme qui ne méritait point la mort. Mais en le jetant dans un puits où il y a certes des bêtes et des reptiles capables de le tuer, Yossèf ne sera attaqué que si, aux yeux du ciel, il était coupable. C’est donc pour cela que Réoubène propose, dans l’intention de le sauver et le ramener à son père, de le jeter dans l’une des citernes pour provoquer sa mort et éviter que les frères ne versent son sang.

Pour Rabbènou Béhayè, Réoubène tente de dissuader ses frères de le tuer de leurs propres mains. Tout se passe comme si Réoubène ne cherche que l’intérêt de ses frères. Bien que condamnant Yossèf à mort, il n’est pas prêt à les laisser commettre eux-mêmes ce meurtre. Mais la Tora atteste que l’intention de Réoubène était de le ramener à son père.

Toutefois le midrache(16) dit :

«Si Réoubène savait que la Tora allait écrire «Réoubène l’entendit et voulut le sauver de leurs mains», il l’aurait porté sur ses épaules et ramené à son père».

Si Réoubène avait su qu’en le sauvant il accomplissait une mitswa, il eût tout fait pour le délivrer. Mais c’était compter encore sans la Providence divine qui mit en branle son plan pour asservir les Bénè Yisraèl en Égypte conformément à l’annonce faite à Abraham.

1. Bérèchit 37, 12-22.

2. Bérèchit 37,2.

3. id. 37,11.

4. Bérèchit Rabba, paragr. 84 et Yalqout Chimôni 141.

5. cf. Rachi sur le texte.

6. Bérèchit Rabba paragr. 86.

7. Le nom se décompose en, D’ieu de droiture.

8. cf. Péssahim 8b.

9. cf Qiddouchine 39b.

10. cf. Bé-midbar 13, 22.

11. Êmèq, vallée, s’apparente à Âmoq, profond.

12. Bérèchit 15,13.

13. Bérèchit 37,7.

14. cf. Rabbènou Béhayè sur le texte.

15. T.B. Baba Qama 26b.

16. Bérèchit Rabba sur le texte.

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