L’élection d’Israël
Israël a le mérite d’être le partenaire de D’ieu. De toute évidence, il n’est ni facile ni simple d’être l’interlocuteur de D’ieu. C’est une lutte de tous les jours contre le yètsèr ha-râ dont l’objectif constant est d’éloigner Israël de D’ieu. C’est aussi une existence parcourue d’efforts et de sacrifices qui l’obligent à défendre sa réputation.
Israël, à ses propres yeux, ne manque pas de s’interroger sur les motifs de son élection. Les peuples n’y voient qu’injustice et affront.
Que signifie, au juste, pour Israël élection? Est-ce seulement un privilège ou plutôt un défi permanent permettant à Israël de s’illustrer en tant qu’allié de D’ieu?
Israël est seul, il est vrai, à mener une existence exaltante. En toutes situations, il assume l’attachement exclusif à D’ieu ou, au contraire, un éloignement exprimant l’indifférence totale à D’ieu et à la Tora.
Aussi en guise d’introduction, la Tora rappelle-t-elle que l’amour de D’ieu pour Israël tient à l’obéissance et à la fidélité à D’ieu. Le texte affirme en effet(1) :
“Pour prix de votre obéissance à ces lois et de votre fidélité à les accomplir, l’Ét’ernel, votre D’ieu, sera fidèle aussi au pacte de bienveillance qu’Il a juré à vos pères. Il t’aimera, te bénira, te multipliera…”
Cependant, qu’arrive-t-il en l’absence de l’obéissance à D’ieu? Le pacte est-il dénoncé et l’élection remise en cause?
Le Midrache(2), citant le texte(3) :
“Pour prix de votre obéissance à ces lois…“, rapporte : Qu’est-il écrit plus haut(4)? :
“Si l’Ét’ernel vous a préférés, vous a distingués, ce n’est pas que vous soyez plus nombreux que les autres peuples, car vous êtes le moindre de tous.” Ce n’est donc pas pour votre nombre plus important que celui des peuples. Ce n’est pas parce que vous réalisez des mitswot plus que les peuples car, eux, ils réalisent mieux une mitswa ne les concernant point, ils glorifient Mon nom tel qu’il est dit(5) :
“Certes, du levant du soleil à son couchant, Mon Nom est glorifié parmi les peuples…” En revanche(6) :
“C’est vous qui Le déshonorez! Par votre langage, la table du Seigneur est souillée! Ce qui en provient, son aliment, est digne de mépris.”
“Car vous êtes le moindre de tous.” C’est donc parce que vous vous faites humbles devant Moi que Je vous aime tel qu’il est dit(7) :
“Je vous ai pris en affection, dit l’Ét’ernel! Vous répliquez : “En quoi nous as-Tu témoigné Ton amour?” Êssaw n’est-il pas le frère de Yaâqov? dit l’Ét’ernel; or, J’ai aimé Yaâqov, mais Êssaw, Je l’ai haï…” Il est dit, par ailleurs(8) :
“Alors, Je les guérirai de leur égarement, Je les aimerai avec abandon.” Mon âme aime [Israël] quoique n’étant pas correct. Il dit également(9) :
“C’est parce que l’Ét’ernel vous aime, parce qu’il est fidèle au serment qu’il a fait à vos aïeux.” Il est écrit(10) :
“Il arrivera, à la fin des temps, que la montagne de la maison du Seigneur sera affermie sur la cime des montagnes et se dressera au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront.” C’est ce qu’exprime le texte(11) :
“Humbles auront été tes débuts, mais combien brillant sera ton avenir.” C’est pour t’enseigner que quiconque souffre à ses débuts connaît à la fin le bonheur.”
Le midrache tente de répondre à sa manière à la question épineuse de l’élection d’Israël. Il surprend par sa démarche. Car à quoi attribuer l’attachement de D’ieu à Israël?
Sans doute, le nombre peut-il influer. Mais non au niveau de D’ieu. Le nombre et la loi de la majorité ne sauraient être déterminants surtout lorsqu’il s’agit de l’attachement à la vérité. L’intervention du nombre est une manière de découvrir, en vue de s’y conformer, la vérité. Il est admis par principe, et c’est assez commode de raisonner ainsi, que le nombre se conformant à la même opinion exprime la vérité.
Néanmoins il n’est pas de plus discutable qu’une telle position. Le vrai est souvent affaire de conviction et de logique faisant appel aux critères de la raison. Le vrai se trouve chez des êtres, cas isolés, qui bravent la société en n’épousant pas nécessairement ses convictions et opinions. De plus, combien de fois un homme, bien qu’étant seul face au nombre, exerce une telle influence que tous se rangent à son avis.
Il est vrai que le nombre impressionne. Plus les délégués sont nombreux et mieux la représentation est efficace. Une autorité tient sûrement compte du nombre qui s’exprime en faveur d’une réclamation. S’agissant de D’ieu, le nombre n’impressionne que si ses mérites sont abondants. Alors pour quelle raison subirait-Il l’influence du nombre?
Bien au contraire, les peuples sont plus nombreux et D’ieu n’en tient aucunement compte.
L’élection d’Israël serait-elle motivée par les mérites? Le midrache affirme, à notre grand étonnement, que les peuples réalisent mieux qu’Israël la mitswa de glorification de D’ieu. Le Nom divin est respecté par tous les peuples. Il est glorifié de l’Orient à l’Occident.
Comment faire reproche à Israël qui, limité dans les frontières de son pays, ne saurait entonner la glorification de D’ieu d’une extrémité du monde à l’autre? Il est naturel que les peuples, parce qu’ils se trouvent partout dans le monde, fassent entendre leurs louanges d’Est en Ouest.
Le reproche du prophète est certes grave. Israël, se trouvant dans son pays, a l’avantage d’avoir Bèt ha-Miqdache. C’est le centre du monde. C’est là que réside la Chékhina. Israël, proche de la Chékhina, doit se préoccuper de la glorifier, de la respecter, afin de la retenir davantage. L’autel est le lieu de sacrifices dont le but est de garder Israël en proximité de la Chékhina. Le prophète constate, en revanche, qu’Israël est loin d’apprécier à sa juste valeur le bonheur de servir l’Ét’ernel et de vivre en Sa proximité. En déclarant l’autel souillé et le sacrifice digne de mépris, il atteste du peu de considération faite à D’ieu.
Mais les Nations, bien qu’étant éloignées du Bèt ha-Miqdache, élèvent et glorifient D’ieu, Créateur du monde. Le prophète souligne bien l’évolution du soleil d’Est en Ouest occupant aux yeux de tous les peuples la preuve magistrale de la grandeur de D’ieu. Conscients du rôle absolument important du soleil à travers cette manifestation de D’ieu, les Nations n’ont d’autre choix que de reconnaître la grandeur de D’ieu. Là aussi, les peuples auraient eu la possibilité de retenir l’attention divine au point de les choisir au détriment d’Israël.
D’ieu ne tient pas rigueur à Israël pour cette profanation. Rien ne sert en vérité de glorifier l’Ét’ernel si, par ailleurs, l’attitude et le comportement demeurent marqués par l’orgueil et l’arrogance. Les peuples ne se soumettent nullement à D’ieu. Leur reconnaissance est certes exprimée mais non ressentie au point qu’elle s’accompagne de soumission.
La raison essentielle de l’attachement de D’ieu à Israël reste sa tendance à exprimer sa soumission et son humilité face à D’ieu. L’humilité couvre bien les propos irrespectueux et irrévérencieux à l’égard de Son autel et de Ses sacrifices. Le comportement est en soi l’expression de la grandeur et de la glorification de D’ieu, même s’il ne s’accompagne pas de propos corrects et adéquats.
Parce qu’Israël se fait humble, D’ieu l’aime. Il est l’élu de D’ieu bien que Êssaw soit frère de Yaâqov. Peut-être Êssaw mérite-t-il, en tant que fils de Yitshaq et petit-fils d’Abraham, de partager cette élection avec Yaâqov. Mais non! Êssaw est l’orgueil personnifié! Son langage et ses propos sont des injures pour D’ieu parce qu’arrogants et dépourvus de sincérité.
D’ieu se plaint de l’incompréhension d’Israël. Son amour pour Israël est là, éclatant sans qu’il s’en aperçoive. Pourtant, Êssaw est le premier à l’attester. Il ne jouit pas de l’amour de D’ieu. Bien plus, D’ieu administre plus qu’une preuve de Son attachement à Israël : “Êssaw, Je l’ai haï!” La déclaration divine constitue en soi la raison. La raison est qu’Il hait Êssaw.
Alors qu’aime-t-Il, D’ieu, en Israël? Puisque sa révolte l’éloigne de D’ieu, comment Israël pourrait-il continuer à jouir de l’attachement de D’ieu?
En fait, tout rapproche Israël de D’ieu. La conduite morale d’Israël laisse-t-elle à désirer? Qu’à cela ne tienne! D’ieu exerce Son pouvoir pour le soigner et le “guérir de son égarement”. Israël peut se racheter, et D’ieu agit de manière à favoriser sa réparation et sa réintégration dans les faveurs de D’ieu. Aussi, Israël, malgré son inconduite, continue-t-il à être l’objet de l’amour de D’ieu. Cet amour est à la limite gratuit. Il n’est pas en compensation pour quelque service rendu!
L’élection d’Israël à la limite ne se justifie pas. Il est aimé parce que D’ieu l’aime et parce qu’Il garde fidélité au serment fait aux aïeux. Une raison de plus militant en faveur de l’élection d’Israël. Ses aïeux, Abraham, Yitshaq et Yaâqov, ont, chacun à leur manière, prouvé leur attachement à D’ieu. Toutes les épreuves furent assumées avec un souci constant de rester fidèles à D’ieu. Leur fidélité appelle en écho la fidélité de D’ieu à leur descendance. Israël, élu, est redevable, de cette situation privilégiée, à ses pères.
Abraham, Yitshaq et Yaâqov campent l’exemple vivant de la réussite après des souffrances marquant le cours de leur existence. Israël, après les épreuves et les souffrances, connaîtra le bonheur. Le prix de l’élection consiste également à assumer les épreuves et les souffrances.
L’assomption des épreuves constitue une raison de plus pour l’élection d’Israël. Les peuples, en général, quand bien même seraient-ils fidèles à leur dieu, se révoltent aussitôt que la fortune leur tourne le dos. Ils ne sont fidèles que par intérêt.
En revanche, Israël voit dans les épreuves morales et physiques l’occasion d’exprimer davantage son amour et sa soumission à D’ieu. L’épreuve n’est pas éprouvante mais exaltante, au sens propre du terme. Elle élève et transcende Israël. Le terme nissayone, épreuve, dérive de nès, étendard, car quiconque est éprouvé, est élevé aussi haut qu’une bannière.
Aussi, la suite du midrache fait-elle allusion au bonheur final auquel accèdera Israël parce qu’il maintient un profil bas et humble durant tout son exil. Il est vrai que l’exil procure à Israël des occasions de prouver son attachement à D’ieu. Il crée une situation de nostalgie de D’ieu et de ce sentiment de rapprochement liant toujours Israël à D’ieu.
Assumer l’exil et l’éloignement de la Chékhina débouche nécessairement sur un avenir lumineux et merveilleux.
L’élection d’Israël ne trouve sa parfaite expression qu’à la fin des temps. C’est à ce moment même que les Nations, elles-mêmes, reconnaîtront le mérite d’Israël pour ne plus lui contester ses relations privilégiées avec D’ieu.
L’idéal d’Israël, sa fidélité à la Tora et à D’ieu, cesseront d’être l’enjeu de la lutte et des conflits qui opposent les peuples à Israël. Ils seront eux-mêmes touchés par la grâce au point de vouloir s’imprégner de la connaissance divine. “Humbles auront été tes débuts, mais combien brillant sera ton avenir”. Israël investit tous ses efforts dans l’avenir. Peu importe si l’immédiat est peu réconfortant, peu reluisant. Mais l’avenir est prometteur.
À la fin des temps, D’ieu apportera la preuve de Son attachement indéfectible à Israël. Le Bèt ha-Miqdache détruit, retrouvera non seulement son éclat d’antan, mais aussi sera le point d’attraction pour toutes les Nations qui, elles aussi, seront assoiffées de la parole divine. Toutes les Nations partageront alors avec Israël les relations privilégiées avec D’ieu. Elles aspireront à l’élection.
1. Dévarim 7, 12-13.
2. Tanhouma sur Êqèv paragr. 3.
3. Dévarim 7, 12.
4. id.7, 7.
5. Mal’akhi 1, 11.
6. id 1, 12.
7. ibid 1, 2-3.
8. Hochèâ 14, 5.
9. Dévarim 7, 8.
10. Yéchâya 2, 2.
11. Iyob 8, 7.