La justice en Israël
«Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l’Ét’ernel, ton D’ieu, te donnera, dans chacune de tes tribus; et ils devront juger le peuple selon la justice. Ne fais pas fléchir le droit, n’aie pas égard à la personne, et n’accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes. C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Ét’ernel, ton D’ieu, te destine(1).»
La sidra Chofétim, traite dans son début de la nomination des juges et agents d’autorité en Israël. Il est évident que la justice joue un rôle considérable pour maintenir une coexistence harmonieuse entre tous les segments de la société. Sans la justice, le désordre régne et le fort dévore le faible.
La Michena(2) enseigne :
«[Rabbi Chimône fils de Gam’lièl] disait : le monde se maintient par trois principes : par la vérité, la justice et la concorde, ainsi qu’il est dit(3) :
«Faites régner dans vos murs la vérité, la justice et la paix.»
La justice est le pilier central qui exige l’exercice des deux autres vertus vérité et paix. En effet, par la justice le monde est-il appelé à vivre selon les principes de la vérité et s’ouvrir à une ère de paix.
Par ailleurs, la Michena rapporte(4) :
«Rabbi Hanina, suppléant du Grand Prêtre recommandait : Prie pour le salut de ceux qui sont à la tête de l’État car, sans la crainte qu’ils inspirent, les hommes s’entre-dévoreraient.»
Le Talmoud(5), s’appuyant sur les propos du prophète(6) :
«O Toi qui as les yeux trop purs pour voir le mal et qui ne peux regarder l’iniquité, pourquoi regardes-Tu ces perfides, gardes-Tu le silence quand le méchant dévore plus juste que lui? Pourquoi as-Tu rendu les hommes pareils aux poissons de la mer, aux reptiles qui n’ont point de maître?», affirme : sans la crainte et le respect qu’inspire l’autorité, l’homme se comporterait tel le poisson de la mer, le grand dévorant le petit.»
Sans l’autorité qui applique la justice, point de société possible.
Le Roi Chélomo, quant à lui, souligne(7) : «Un roi grandit son pays par la justice mais celui qui est avide de dons, le ruine.» Affirmant cela, il cite un des grands avantages de la justice. Elle procure au monde des bases fermes et solides sans lesquelles il s’ébranle et s’écroule.
C’est donc à juste raison que Rachi, à la suite du Talmoud(8), rattache la nomination de juges justes et droits au mérite qu’aura Israël de vivre et hériter le pays de Kénaâne.
«Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes…» rapporte : cela fait penser à un roi qui aimait davantage, parmi tous ses enfants, le plus jeune. De tous ses biens, il était particulièrement attaché à un verger. Il en fit don à son jeune fils. Le Saint béni soit-Il dit : De tous les peuples, j’aime davantage Israël tel qu’il est dit (11):
«Quand Israël était jeune, Je l’avais pris en affection; du fond de l’Egypte, J’ai appelé Mon fils.» Il est dit, par ailleurs(12) :
«C’est Moi l’Ét’ernel, J’aime le droit et déteste les rapines exercées par l’injustice.» Et le Saint béni soit-Il dit : Quand vous observez la justice, Je M’élève ainsi qu’il est dit(13) :
«Et l’Et’ernel Tsébaot, des armées, sera haut par le jugement.» Je fais résider Ma Chékhina, Ma Présence, parmi vous tel qu’il est dit(14) :
«Et le D’ieu Saint sera sanctifié par la justice» et, Je vous délivre selon le texte(15) :
«Ainsi parle l’Et’ernel :«Observez la justice et faites le bien; car Mon secours est près de venir et Mon salut de se manifester.» C’est ce que le texte enseigne(16) :
«La force du roi, c’est l’amour de la justice.» Cela fait penser à une route qui ne comportait pas de poteaux indicateurs. Les voyageurs qui l’empruntaient s’égaraient. Le roi dit à son agent d’autorité : Installe des poteaux indicateurs de telle sorte que les voyageurs les voient.
Ainsi, le Saint béni soit-Il dit à Mochè : Prépare la voie aux Bénè Yisraèl et désigne des juges pour leur enseigner la Tora afin de ne point être dans l’erreur et ce, conformément au texte : «La force du roi, c’est l’amour de la justice.» Il est dit également(17) :
«Aie soin de dresser des signaux, érige-toi des poteaux indicateurs.»
À deux reprises, ce midrache souligne l’importance de la justice pour Israël. Tout compte fait, il y aurait compatibilité entre Israël et l’existence de la justice.
Ainsi D’ieu prévoit-Il que la justice, domaine réservé au Créateur, doit être confiée également à Israël. Sans la justice, les fondements de l’existence seront à jamais ébranlés. Israël est un partenaire privilégié de D’ieu car il justifie, en fait, la création du monde.
Israël a donc le devoir de veiller au maintien de l’existence, au maintien du monde. La justice, son exercice surtout, vise avant tout le maintien de la coexistence. Sans la justice, les bases de la société seront ébranlées. Aussi, pour cette raison, le Talmoud(18) enseigne :
«Tout juge qui rend la justice selon le principe de la vérité, ne serait-ce que pour une heure, est considéré comme l’associé du Saint béni soit-Il dans l’acte de la Création.»
Assister à la destruction de la société par l’absence de toute justice, c’est remettre en cause la Création.
Bien plus, le maintien de la Création, grâce à l’exercice de la justice, entraîne par la suite l’élévation du Créateur. En effet, plus la création prend de la valeur et plus élevé sera le Créateur. D’ieu s’élève en sainteté et désire maintenir Sa présence parmi Israël. C’est dire combien la responsabilité d’Israël est grande! De la justice dépend, en fait, la présence de D’ieu qui garantit l’existence d’Israël en tant que peuple.
L’exercice de la justice débouche sur la délivrance d’Israël. La relation Israël-Justice est une relation des plus nécessaires. Plus Israël s’applique à exercer la justice et l’observe et plus sa liberté est préservée et protégée.
De même, l’exercice de la justice aboutit à la transcendance de D’ieu par Sa sainteté et Sa grandeur infinie. Toutefois, D’ieu demeure immanent et présent parmi Israël.
Par ailleurs, l’exercice de la justice est si précieux aux yeux du Créateur qu’Il ne se contente pas seulement de le prescrire. Pour le midrache, le texte eût pu se suffire de la prescription divine de nommer des juges et magistrats partout dans le pays d’Israël. En fait, D’ieu réclame davantage de Mochè : installer des panneaux indicateurs c’est mettre à la disposition de tout Israël un système judiciaire facile et accessible afin que la société n’ait pas à souffrir du manque ou de l’absence de justice. Laisser en souffrance un cas au lieu de le juger et le régler expose la société à l’éclatement.
La force d’un roi est d’aimer la justice. Un roi a tendance, il est vrai, à passer outre une défense, à transgresser une loi que lui-même avait pourtant promulguée. Cette possibilité est d’autant plus courante que le roi est un monarque absolu. La loi ne concerne que les autres.
Mais D’ieu, maître souverain de l’univers, se sent Lui-même concerné par Sa loi. Il aime l’exercice de la justice. Aussi, pour cette raison, demande-t-Il à Mochè de recommander à tous ceux qui ont le pouvoir de nommer et installer des juges et magistrats, d’être les premiers prêts à obéir aux juges. Il s’agit là de la seule garantie d’une justice juste, vraie et efficace. L’accessibilité à la justice, son respect et son amour constituent donc les meilleures conditions de l’exercice de la justice.
Le Midrache(19) complète cet enseignement en définissant les qualités essentielles d’un juge. Il dit en substance :
«Tu institueras des juges et des magistrats.» Les juges se doivent d’être fort distingués en bonnes oeuvres. C’est ainsi que Mochè agit(20) :
«Il choisit des hommes de mérite entre tout Israël et les créa magistrats du peuple.» Distingués, en Tora. En bonnes oeuvres, autrement dit, courageux, libres, innocents, irréprochables de tout délit.
Mochè dit à Israël(21) :
«Je n’ai jamais pris à un seul d’entre eux son âne, je n’ai jamais fait de mal à un seul d’entre eux.» Chémouèl dit également(22) :
«Eh bien! accusez-moi à la face de l’Et’ernel et à la face de son élu, s’il est quelqu’un dont j’aie pris le boeuf ou l’âne, quelqu’un que j’aie lésé ou pressuré, quelqu’un qui m’ait déterminé, par un présent, à fermer les yeux sur sa faute…, je suis prêt à vous le rendre.» C’est pourquoi il recommande : «Tu institueras des juges et des magistrats.»
Rabbi Hanina, fils d’Èl’âzar, avait un arbre planté dans son champ mais dont les branches pénétraient dans le champ du voisin. Un homme vint se plaindre devant Rabbi Hanina de son voisin dont l’arbre donnait sur son champ. Il lui dit : Reviens demain. L’autre répond : Tous les cas qui se présentent à toi tu les règles séance tenante, et mon cas tu le laisses souffrir! Que fit [entre-temps] Rabbi Hanina? Il manda ses ouvriers de couper les branches de son arbre qui pendaient dans le champ du voisin. Le lendemain, l’homme se présenta devant lui pour le jugement. [Rabbi Hanina] dit à la partie adverse : Tu es tenu de couper tes branches. Celui-ci rétorque : Pourquoi les branches de ton arbre pénètrent dans le champ du voisin? Va donc constater, répond-il. Fais à ton arbre comme il a été fait au mien. Aussitôt il s’en fut exécuter [la décision]. C’est pourquoi le texte prescrit : «Tu institueras des juges et des magistrats» afin que le juge soit sans défaut.»
Ce midrache établit de manière non équivoque la définition du juge. Il est irréprochable, sans défaut moral ni délit qui le rendrait inapte à rendre la justice. Un juge ne remplit pleinement sa mission, n’impose de respect à ses justiciables que si lui-même se plie à la loi et la respecte. Il ne saurait parler à la conscience des autres que si, lui-même, n’a rien à se reprocher.
Citant l’exemple de Mochè et Chémouèl, le midrache entend surtout souligner leur perfection morale et leur souci d’éviter, même quand le droit le permet, de tomber sous le coup des reproches et des remontrances des autres.
Ainsi pour Mochè, partant pour délivrer les Bénè Yisraèl, il était légalement possible d’utiliser les finances publiques pour payer l’achat ou la location de l’âne qui devait le transporter en Égypte. Il l’a évité pour préserver son indépendance afin que ses jugements soient acceptés.
C’est aussi le cas de Chémouèl. Le Talmoud(23) enseigne qu’il n’a jamais tiré un profit quelconque des Bénè Yisraèl. Et, dans ses déplacements pour juger Israël, il transportait toujours sa tente afin de ne point profiter de l’hébergement des Bénè Yisraèl.
Le cas de Rabbi Hanina Bèn Èl’âzar, bien que différent, contribue à nous tracer le portrait du juge parfait. Rabbi Hanina ne décide, il est vrai, de réparer le tort causé à son voisin qu’une fois un cas similaire se soit présenté devant lui. Que ne le répare-t-il pas de lui-même!
Sans doute, le voisin n’y voit aucun inconvénient. Il supporte cet état de chose qui ne le dérange pas outre mesure. Mais lorsqu’il eut à statuer sur un cas similaire au sien, Rabbi Hanina préfère ne donner prise à quiconque de le mettre en défaut. Il procède à la coupe de toutes les branches qui pendaient de son arbre dans le champ du voisin avant de prononcer la sentence. Voilà donc le sens du verset «Tu institueras des juges pour toi avant de juger le peuple.»
Ainsi donc la garantie d’un jugement correct et juste c’est d’être soi-même prêt à l’appliquer.
Cependant, la juxtaposition de la fin de Réè et le début de Chofétim, inspire à Chaâr Bat Rabbim un enseignement conforme aux paroles de Rambam et du Choul’hane Âroukh(24) qui stipulent :
«Bèt Dine, , le tribunal, se doit de nommer des agents d’autorité pour veiller à la bonne conduite morale de tous, principalement pendant les jours de fête et mi-fêtes.»
Maharcha(25) ainsi que Baâl ha-Tourim(26) invoquent comme motif essentiel à cette prescription le fait que ces jours de fête sont des jours de réjouissance pendant lesquels il est de rigueur de bien manger et boire et de s’abstenir de tout ouvrage. Toutes les conditions sont réunies pour que hommes et femmes dévient de la bonne voie et commettent des transgressions, étant appelés à se côtoyer ces jours de fêtes.
Aussi, est-ce la raison pour laquelle les personnes de grande piété ont pris sur elles de jeûner les lundi, jeudi et lundi, trois jours, après Pèssah et Soukkot pour réparer, si besoin en est, les fautes commises pendant ces fêtes.
En fait, tout jour dont la sainteté est plus grande, nécessite une vigilance plus grande. Parce que le Chabbat est plus qadoche, saint, qu’un jour de fête, il est recommandé de l’observer, de veiller sur sa sainteté tel qu’il est dit(27) :
«Gardez donc le Chabbat, car c’est une chose sainte pour vous! Qui le violera sera puni de mort», et il est dit(28) : «Observe le jour du Chabbat pour le sanctifier.»
Les jours de fête nécessitent également une très grande vigilance afin que nul ne soit tenté de se conduire de manière non conforme aux règles de sainteté et de perfection morale.
Après avoir donc prescrit(29) :
«Et tu te réjouiras pendant la fête et, avec toi, ton fils et ta fille, ton serviteur et ta servante, et le Léwi, l’étranger, l’orphelin, la veuve qui seront dans tes murs»,
le texte recommande, pour que cette mitswa ne soit point la cause d’une âvèra, transgression, de désigner des «juges et magistrats dans toutes les villes» autrement dit, les juges ont le devoir de désigner des agents d’autorité pendant les jours de fêtes pour veiller à la perfection morale de tous.
Le Midrache(30) dit à propos :
«Tu institueras des juges et des magistrats» : lorsqu’il y a justice, il n’y a point de jugement. Qu’est-ce à dire? Rabbi Èliêzèr dit : Si justice est faite ici-bas, le jugement ne sera pas rendu en haut. Mais si justice n’est pas faite ici-bas, le jugement sera rendu en haut.»
Par ailleurs, le midrache(31) rapporte également les propos de Rabbi Èliêzèr qui précise :
«Quand justice n’est pas faite sur terre, le jugement est rendu au ciel. Le Saint béni soit-Il s’installe pour le jugement et châtie. Mais lorsque la justice est faite sur terre, le Saint béni soit-Il ne juge pas. Il dit : vous vous êtes approprié Mon occupation, que puis-je faire? [La justice] était Mon ouvrage, tel qu’il est dit(32) :
«L’Et’ernel est un D’ieu de justice.» Il dit en outre(33) :
«Si vous observez mes décrets…» Comme vous avez pris Mon occupation, J’irai en chercher une autre,
«Je donnerai vos pluies en leur temps.»
Aussi pour cette raison le midrache dit(34) :
«Le pain et le bâton sont descendus entrelacés du ciel. Le Saint béni soit-Il dit : Si vous observez ce qui est écrit dans ce livre, le pain sera là pour votre nourriture. Sinon, le bâton est là pour vous punir.»
Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l’Ét’ernel, ton D’ieu, te donnera, dans chacune de tes tribus; et ils devront juger le peuple selon la justice.
Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes,
Ti-tène lékha, Tu institueras
Notène lékha, te donnera
Pourquoi reprendre lékha, quand le texte l’énonce déjà dans les expressions bé-khol chéârèkha, dans toutes tes villes, et li-chevatèkha, à tes tribus?
Pour Hatam Sofèr, Hochèâ décrit ainsi le contrat de l’Alliance établie entre D’ieu et Israël(35) : «Alors, je te fiancerai à moi pour l’éternité; tu seras ma fiancée par la droiture et la justice, par la bonté et la bienveillance.»
Ce contrat définit le rôle de chacun. D’ieu apporte à Israël bonté et bienveillance tout en leur donnant la terre d’Israël et les y maintenant, à condition qu’Israël contribue par la pratique de la droiture et la justice.
L’auteur de Sèfèr ha-bérite souligne que le texte s’adresse à la fois au peuple d’Israël et aux juges. Le monde tient sur l’exercice de la justice. Et, bien que la justice appartienne à D’ieu, il n’en demeure pas moins que les chefs et dirigeants du peuple ont le pouvoir soit de choisir de bons juges, s’ils tiennent eux-mêmes à la justice, soit, dans le cas contraire, de nommer de mauvais juges. Aussi nos maîtres affirment-ils(36) : «Yif’tah dans sa génération équivaut à Chémouèl dans sa génération.» En vérité, si la génération de Yif’tah était convenable et voulait pratiquer la justice, il suffisait de prier pour que D’ieu leur donne un juge comme Chémouèl.
Le choix du juge dépend principalement du degré de perfection de ceux qui le désignent. Aussi s’adressant au peuple d’Israël, Mochè recommande-t-il de nommer des juges et magistrats, droits et justes, dans toutes tes villes que l’Ét’ernel te donne, autrement dit, l’Ét’ernel veut bien te donner des juges bons et corrects, mais il te revient le droit de les nommer. Il faut alors faire de telle sorte que ton choix coïncide avec celui de l’Ét’ernel!
Trois critères interviennent dans le choix des juges.
Être intéressé à voir régner la justice à tout prix.
Rechercher des juges convenables prêts à appliquer justice et droiture.
Accepter l’autorité des juges et obtempérer à leurs décisions.
La Tora souligne, pour cette raison, que ceux qui détiennent le pouvoir de procéder à la désignation des juges, doivent accepter, en premier lieu, l’autorité du juge. Pour ce faire, il est impératif non seulement de ne point le contester, étant à l’origine de cette nomination, mais surtout d’appliquer scrupuleusement ses décisions. Agissant ainsi, tu [Israël] auras désigné, en vérité, les juges que l’Ét’ernel, ton D’ieu avait désignés et réservés pour toi, pour chacune de tes tribus.
Wé-chafétou, ils jugeront
Il eût été plus exact de formuler ainsi le verset : Wéyi-chepétou otékha michepat tsèdèq, et ils te jugeront selon la justice! Pourquoi donc avoir dit ète ha-âm, le peuple.
Les juges, étant incontestés par ceux-là mêmes qui les ont désignés, n’auront pas de difficulté à juger le peuple avec justice, le reste du peuple, autrement dit, ceux qui n’ont pas procédé à leur nomination.
Les conséquences d’une nomination bien pesée et pensée, nomination n’ayant d’autre critère que l’intégrité morale du juge et sa capacité d’imposer son autorité à ceux qui l’ont nommé, seront bénéfiques pour le reste du peuple.
Selon la justice et la droiture.
En disant michepat tsèdèq, jugement de justice, autrement dit, un jugement juste et non michepat bé-tsèdèq, un jugement avec justice, la Tora met l’accent, selon Or ha-Hayim, sur la nécessité pour le juge de détacher le jugement qu’il a à rendre de la personne qui se trouve devant lui.
Pour parvenir à la vraie justice, dit-il, il ne faut considérer que le cas lui-même sans le lier à l’individu concerné. Cette démarche qui ne consent qu’à examiner le cas spécifique présente l’avantage de ne point tomber sous l’influence de la personne jugée. Ce principe sera d’une grande utilité lorsque le cas examiné dépend davantage de la logique beaucoup plus que de la jurisprudence ou du code.
Ne fais pas fléchir le droit, n’aie pas égard à la personne, et n’accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes.
Parlant des juges, le texte use de la troisième personne du pluriel : ils jugeront, mais, par la suite, il emploie la deuxième personne du singulier :
Ne fais pas fléchir le droit,
Pour que la justice puisse s’exercer pleinement, il est nécessaire d’avoir une séparation de pouvoirs, le judiciaire séparé du législatif, ainsi que du pouvoir politique.
Le pouvoir politique s’arrête et se limite à la nomination. En acceptant cette règle, il assure du coup l’exercice de la justice à tout le peuple.
Les conséquences sont positives : justice, droiture, ne pas faire fléchir le droit, ne pas avoir d’égard, ne pas accepter de don corrupteur.
Par ailleurs en condamnant le coupable et innocentant l’innocent, le juge fait correspondre son jugement à celui que l’Ét’ernel avait jugé.
Le texte se lira donc ainsi : «ils jugeront le peuple par un jugement qui est celui-là même de la justice divine».
C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Ét’ernel, ton D’ieu, te destine.
C’est la justice, c’est la justice seule que tu dois rechercher.
Pourquoi la répétition de tsèdèq ?
Selon Rav Alchèkh, la répétition de tsèdèq énonce, en plus de l’obligation, enseignée par Rachi, de chercher à confier notre cas à juger au meilleur tribunal, Bèt Dine, la recommandation de ne point évaluer un Bèt Dine par rapport à un autre. S’il faut évaluer, ce ne saurait être que par rapport à la justice elle-même. L’appréciation ne consiste nullement à déterminer si tel Bèt Dine juge mieux que tel autre, mais plutôt tel Bèt Dine est juste. En agissant ainsi, il existe la possibilité de tomber sur le Bèt Dine dont le critère n’est pas d’être plus juste que l’autre mais d’être simplement juste car le principe est de rechercher justice par rapport à justice.
Afin que tu vives,
La vie d’Israël dépend, selon le texte, de la pratique de la justice par les juges. Et si les juges fautent, pourquoi Israël serait-il en faute au point qu’il ne lui sera pas possible de vivre?
Rachi dit : «La nomination de juges droits et convenables est suffisante pour faire vivre Israël et les maintenir sur leur terre.»
Il suffit effectivement que la démarche de désigner des juges soit conforme aux critères de justice, de droiture et de vérité pour que Âm Yisraèl soit considéré méritant de vivre bien établi dans son pays. C’est pourquoi Rachi ne parle pas de l’exercice de la justice qui dépend des seuls juges mais de la nomination des juges qui, elle, dépend d’Israël.
Et que tu hérites le pays que l’Ét’ernel, ton D’ieu, te donne.
Ce verset parle à la fois d’héritage et donation tous deux de nature différente. L’héritage ne peut être interrompu, ni prendre fin puisqu’il va de succession en succession. En revanche, la donation peut être envisagée pour un temps limité. Pourquoi donc fait-il appel à ces deux notions contradictoires?
Héritage et donation, bien que deux notions présentant un aspect antinomique, sont employés pour bien souligner que la pratique de la justice transformera la donation du pays qui, étant en principe limitée dans le temps, en un héritage qui aura l’avantage d’être transmis de père en fils jusqu’à la fin des temps.
Ainsi l’existence d’Israël et son maintien sur sa terre tiennent à l’exercice de la justice. Autant dire que l’exil ou la délivrance de Âm Yisraèl dépendent de la pratique de la justice telle que l’exprime le prophète(37) : «Sion sera sauvée par la justice et ses rapatriés par la droiture [charité].»
1. Dévarim 16, 1820.
2. Avot 1, 18.
3. Zékharya 8, 16.
4. Avot 3, 2.
5. Âvoda Zara 3b et 4a.
6. Habaqouq 1, 1314.
7. Michelè 29, 4.
8. Sanhèdrine 32a.
9. Yalqout Chimôni sur Chofétim paragr. 907.
10. Dévarim 16, 18.
11. Hochèâ 11, 1.
12. Yéchâya 61, 8.
13. id. 5, 16.
14. ibid. 5, 16.
15. Yéchâya 56, 1.
16. Téhillim 99, 4.
17. Yirmiya 31, 21.
18. Chabbat 10a.
19. Tanhouma sur Chofétim paragr. 3.
20. Chémot 18, 25.
21. Bé-midbar 16, 15.
22. Chémouèl 1. 12, 3.
23. Bérakhot 10b.
24. Orah Hayim 529, 4.
25. in. Qiddouchine 81a.
26. cf. Dévarim 16, 18.
27. Chémot 31, 14.
28. Dévarim 5, 12.
29. id. 16, 14.
30. Dévarim Rabba chap. 5, paragr. 4.
31. Midrache Téhillim Psaume 72.
32. Yéchâya 30, 18.
33. Wayi-qra 26, 4.
34. Wayi-qra Rabba chap. 35, paragr. 5.
35. Hochèâ 2, 21.
36. Roche ha-Chana 25b.
37. Yéchâya 1, 27.