Les conditions de la conquête de Kénaâne
«L’Ét’ernel parla ainsi à Mochè dans les plaines de Moab, près du Yardène vers Yériho : «Parle aux enfants d’Israël en ces termes : Comme vous allez passer le Yardène pour atteindre le pays de Kénaâne, quand vous aurez chassé devant vous tous les habitants de ce pays, vous anéantirez tous leurs symboles, toutes leurs idoles de métal, et ruinerez tous leurs hauts-lieux. Vous conquerrez ainsi le pays et vous vous y établirez; car c’est à vous que je le donne à titre de possession(1).»
Après l’énumération des diverses stations traversées durant leur séjour dans le désert, résumant les principaux événements vécus par les Bénè Yisraèl, la Tora adresse ses recommandations à Israël concernant la conquête de Kénaâne.
Celle-ci ne se ferait que si les Bénè Yisraèl entreprennent, aussitôt le pays conquis, la démolition des lieux d’idolâtrie et l’extermination de toutes les divinités. Cette condition est impérative et nécessaire pour l’établissement d’Israël en Kénaâne.
Ainsi dit le Talmoud(2) cité par Rachi :
«Comme vous allez passer le Yardène pour atteindre le pays de Kénaâne(3). N’ont-ils pas eu cet avertissement déjà à plusieurs reprises?» Mais Mochè leur dit : Si vous voulez passer le Yardène à sec, vous le passerez, mais à la condition [de chasser les habitants de ce pays], sinon, les eaux vous engloutiront. Ainsi s’exprime Yéhochouâ pendant qu’ils se trouvaient encore dans le Yardène(4) :
«Or, les prêtres portant l’arche étaient restés au milieu du Yardène, jusqu’à ce que fut accompli tout ce que l’Ét’ernel avait fait dire au peuple par Yéhochouâ, et selon ce que Mochè avait recommandé à Yéhochouâ; le peuple passa rapidement.»
Ainsi, le pays de Kénaâne rejette naturellement l’idolâtrie et les idolâtres. L’existence du peuple d’Israël en Kénaâne ne saurait se maintenir sans le respect absolu de cette condition. La nature du pays est divine. Et, y maintenir des divinités et leurs idoles revient à contester D’ieu et à chasser la Chékhina, la Présence divine, qui doit y résider en permanence.
Cependant établir un lien entre le passage du Yardène et le respect rigoureux de cette condition soulève plus d’une difficulté. De toute évidence, il eût été plus logique de faire dépendre plutôt le maintien d’Israël en Kénaâne de la destruction des lieux d’idolâtrie. En quoi les eaux du Yardène peuvent-elles éprouver les intentions futures d’Israël si bien qu’elles l’engloutiront en cas de non engagement sincère?
En outre, Yéhochouâ demande à Israël de choisir douze hommes, un homme par tribu, pour emporter douze pierres devant servir à ériger un monument dans le Yardène à l’endroit même où se posent les pieds des Kohanim portant l’arche sainte. Est-il destiné à attester seulement, pour les générations à venir, du prodige divin permettant à Israël de traverser le Yardène à pied sec? Constitue-t-il, au contraire, le signe de l’alliance que D’ieu contracte avec les Bénè Yisraèl, juste avant leur entrée en Kénaâne?
Que deviennent les lieux d’idolâtrie se trouvant dans les territoires conquis de Sihone et Ôg? Pour quelle raison ne sont-ils pas l’objet de recommandation de la part de Mochè? Si l’ordre divin d’anéantir ces lieux et d’en chasser les habitants les concerne également, à quel moment prend-il effet? Bien plus, toute référence à cet ordre est absente!
En vérité, l’exigence de chasser les habitants de Kénaâne ne va pas sans la destruction des lieux d’idolâtrie. Car D’ieu se soucie davantage de l’influence néfaste qu’exerceraient ces peuples sur Israël. Mochè engage Israël à appliquer scrupuleusement cet ordre. Il ne peut faire autrement que d’insister auprès d’Israël car il n’aurait point le privilège de le conduire en Kénaâne, ce qui le prive d’accomplir par lui-même cet ordre divin.
Pourtant, il ne fait rien pour détruire lui-même les lieux d’idolâtrie des territoires de Sihone et Ôg. Sans doute, est-ce parce que la responsabilité d’Israël d’anéantir ces lieux ne court qu’après avoir fini la conquête de tout le pays de Kénaâne.
Cependant, D’ieu prend en compte les intentions d’Israël à partir de la traversée du Yardène. C’est là que D’ieu finalise l’Alliance qu’Il traite avec Israël. Aussi est-ce la raison pour laquelle Mochè ne se sentait pas concerné par la destruction des lieux païens se trouvant dans les territoires à l’est du Yardène.
En fait, à peine dans le Yardène, les Bénè Yisraèl se trouvent liés par l’Alliance avec D’ieu non seulement pour les choses révélées, mais même pour les choses cachées appartenant au Seigneur(5), .
Lors de la traversée du Yardène, Yéhochouâ ordonne aux Kohanim portant l’arche sainte de rester au milieu du fleuve jusqu’au passage de tout le peuple à pied sec. À ce moment, l’arche et les douze pierres érigées en monument scellant le pacte entre D’ieu et les Bénè Yisraèl se portent garants de la sincérité de leur engagement. De toute évidence, si leur intention et leur projet contredisaient l’ordre de D’ieu, les eaux du Yardène n’avaient d’autre choix que de les engloutir.
L’Ét’ernel parla ainsi à Mochè dans les plaines de Moab, près du Yardène vers Yériho : Parle aux enfants d’Israël en ces termes : Comme vous allez passer le Yardène pour atteindre le pays de Kénaâne.
Parle aux enfants d’Israël en ces termes.
La formule est pléonastique. En disant parle aux enfants d’Israël, point n’est nécessaire de reprendre et dis-leur.
Cette répétition se justifie pour Maharcha(6). En effet, l’expression dis-leur est une indication pour l’avenir. Yéhochouâ est appelé, selon ce verset, à adresser de nouveau cet avertissement aux Bénè Yisraèl, peu avant de s’engager dans la traversée du Yardène. Le temps futur de wé-amarta, tu diras, est donc bien employé.
Comme vous allez passer le Yardène pour atteindre le pays de Kénaâne.
Chaâr Bat Rabbim remarque, à juste raison, que Mochè s’exclut de la traverse du Yardène. En effet, comme vous allez passer le Yardène, dit-il, vous et non moi. Le devoir de chasser et exterminer les peuples idolâtres incombe donc aux Bénè Yisraèl. Il est évident que si Mochè devait traverser le Yardène, il n’aurait pas hésité un seul instant de l’accomplir. Mochè sert, une fois de plus, cet avertissement parce que, lui, est interdit d’entrer en Kénaâne.
Haâmèq Davar déduit de ce texte que les Bénè Yisraèl n’ont reçu l’ordre d’anéantir les idoles des territoires situés du côté du Yardène, qu’une fois entrés en Èrèts Yisraèl. Cet ordre ne prend effet qu’après la conquête du pays, conquête qui finit par le sanctifier. Débarrasser les territoires du Yardène de ses idoles et détruire les lieux d’idolâtrie ne fut exigible qu’après la purification du pays de Kénaâne.
Quand vous aurez chassé devant vous tous les habitants de ce pays, vous anéantirez tous leurs symboles, toutes leurs idoles de métal, et ruinerez tous leurs hauts-lieux.
Quand vous aurez chassé devant vous tous les habitants de ce pays,
Or ha-Hayim se demande, en fait, quels sont les habitants du pays qu’Israël doit chasser si déjà à propos des sept peuples résidant en Kénaâne, il a été dit(7) «de ne pas laisser âme qui vive.»
Il s’agit, dit-il, de chasser les habitants de ce pays, autrement dit les sujets ne faisant pas partie de ces sept peuples qui demeurent en Kénaâne. Israël n’est pas tenu de les exterminer. Il se doit de les chasser.
En outre, parlant des sept peuples, la Tora enjoint, si jamais Israël ne pouvait pas les exterminer, de les chasser.
Vous anéantirez tous leurs symboles, toutes leurs idoles de métal, et ruinerez tous leurs hauts-lieux.
Dans la réalisation de la mitswa d’anéantir l’idolâtrie, il y a lieu de distinguer, avec Haâmèq Davar, entre les lieux d’idolâtrie qui, une fois détruits, sont permis à la jouissance et au profit, et les idoles elles-mêmes qui, bien que détruites, demeureront toujours interdites à la jouissance et au profit.
Vous conquerrez ainsi le pays et vous vous y établirez; car c’est à vous que je le donne à titre de possession.
Vous conquerrez ainsi le pays et vous vous y établirez.
Rachi souligne que la mitswa principale est de chasser l’occupant pour qu’Israël mérite de s’établir en Kénaâne.
«Vous en chasserez les habitants, dit-il, et alors vous vous y établirez : vous pourrez vous y maintenir; sinon, vous ne le pourrez pas.»
Pour Rambane, en revanche, la mitswa essentielle est l’établissement en Israël ainsi que l’appréciation de l’héritage que donne l’Ét’ernel aux Bénè Yisraèl.
Ainsi l’établissement d’Israël en Èrèts Yisraèl n’est possible que si les conquérants consentent à se débarrasser en premier de tous les occupants et détruire ensuite tous les lieux d’idolâtrie.
1. Bé-Midbar 33, 50-53.
2. Sota 34a.
3. Bé-midbar 33, 51.
4. Yéhochouâ 4, 10.
5. Dévarim 29, 28.
6. cf. Sota 34a.
7. Dévarim 20, 16.