Mochè contemple Èrèts Yisraèl
«J’implorais l’Ét’ernel à cette époque, en disant : Seigneur Ét’ernel, déjà tu as rendu ton serviteur témoin de ta grandeur et de la force de ton bras; et quelle est la puissance, dans le ciel ou sur la terre, qui pourrait imiter Tes oeuvres et Tes merveilles? Ah! laisse-moi traverser, que je voie cet heureux pays qui est au delà du Yardène, cette belle montagne, et le Liban! Mais l’Ét’ernel, irrité contre moi à cause de vous, ne m’exauça point, et l’Ét’ernel me dit : Assez! ne me parle pas davantage à ce sujet. Monte au sommet du Pisga, porte ta vue au couchant et au nord, au midi et à l’orient et regarde de tes yeux, car tu ne passeras point ce Yardène. Donne tes instructions à Yéhochouâ, exhorte-le au courage et à la résolution; car c’est lui qui marchera à la tête de ce peuple, lui qui les mettra en possession du pays que tu vas contempler(1).»
La sidra Wa-èthanane traite tout au début de la prière de Mochè, prière pathétique, faite, peu avant sa mort, pour pouvoir entrer en Kénaâne et avoir le bonheur de mener sa mission à terme. Le but de la sortie d’Égypte était, en plus de la Révélation divine sur le Sinaï et le don de la Tora, l’entrée en Èrèts Kénaâne. Et Mochè, ayant déjà réalisé les deux premiers objectifs, voulait conduire le peuple vers Kénaâne.
Cette prière de Mochè est unique en son genre. Le Talmoud(2), devant l’insistance de Mochè à réclamer la permission de pénétrer en Èrèts Yisraèl, s’interroge sur le motif réel de cette prière.
«Rabbi Samlaï enseigne : pour quelle raison Mochè, notre Maître, désire-t-il entrer en Èrèts Yisraèl? Souhaite-t-il manger de ses fruits ou jouir de ses biens? Mochè se dit plutôt : plusieurs mitswot de la Tora dépendent de la terre d’Israël. Je voudrais entrer dans ce pays pour que ces mitswot soient appliquées par moi.»
Pour Rabbi Samlaï, l’insistance de Mochè serait condamnable si le motif n’était pas vraiment celui de l’application des prescriptions de la Tora reliées à la terre d’Israël. Mais Rabbi Samlaï va plus loin. Mochè n’a pas rattaché sa requête au mérite même qu’il aurait à pratiquer toutes les mitswotdépendant d’Èrèts Yisraèl.
Nos maîtres enseignent que Mochè avait adressé 515 prières, 515 étant la valeur numérique de wa-èthanane, téfilla, prière, et chira, cantique. L’intention de Mochè fut d’invoquer autant de prières, sous toutes les formes, pour amener D’ieu à exaucer sa prière. Et, n’était l’intervention divine qui l’avait arrêté en lui disant : «c’est assez!», Mochè aurait pu être entendu si seulement il avait adressé une prière de plus.
Le Midrache(3) rapporte :
«J’implorais l’Ét’ernel à cette époque(4).» Le texte dit(5) :
«Le pauvre parle en suppliant, le riche répond avec dureté.» Rabbi Tanhouma dit : Le pauvre parle en suppliant, il s’agit de Mochè qui s’adresse à son Créateur en suppliant. Le riche répond avec dureté, l’unique riche au monde est le Saint béni soit-Il qui lui répond avec dureté, tel qu’il est dit(6) :
«Assez! ne me parle pas davantage à ce sujet.»
Autre explication.
Rabbi Yohanane dit : Le pauvre parle en suppliant, ce sont les prophètes d’Israël. Le riche répond avec dureté, ce sont les prophètes des Nations du monde.
Rabbi Yohanane souligne : parmi les peuples de la terre, il n’existe pas d’aussi juste qu’Iyob. Pourtant, il n’adresse [à D’ieu] que des reproches tel qu’il est dit(7) :
«J’exposerai ma cause devant Lui, ayant la bouche pleine d’arguments.» Il n’existe pas d’aussi grand, parmi les prophètes, que Mochè et Yéchâya. Les deux ne s’adressent [à D’ieu] qu’en suppliant. Yéchâya dit(8) :
«Seigneur, aie pitié de nous! Nous espérons en toi.» Mochè, quant à lui, dit :
«J’implorais l’Ét’ernel.» À quoi cela fait-il penser? À une princesse qui donne naissance à un enfant. Tout le temps que son fils était vivant, elle entrait au palais, de plein droit. Après la mort de son fils, elle suppliait pour entrer. Ainsi, tout le temps qu’Israël vivait au désert, Mochè forçait la porte pour pénétrer auprès du Saint béni soit-Il, tel qu’il est dit(9) :
«Pourquoi, Seigneur, Ton courroux menace-t-il Ton peuple?» Par ailleurs(10) :
«Pardonne le crime de ce peuple selon Ta clémence infinie.» Mais comme Israël avait péri dans le désert, Mochè se fit implorant et suppliant pour entrer en Èrèts Israël.»
Le midrache donne tout d’abord une définition de l’attitude à prendre dans la prière. Le pauvre parle en suppliant. Pauvre et suppliant constituent deux termes clé dans cette phrase.
La prière, pour être exaucée, doit emprunter le langage et le comportement du pauvre. Le pauvre est humble. Son humilité le met dans un état de dépendance. Il ne saurait réclamer, mais il sollicite, supplie. C’est l’attitude de Mochè.
Il est conscient du décret divin qui le frappe d’interdiction formelle de pénétrer en Kénaâne. Et pourtant, Mochè prie. Il prie tellement, 515 prières, valeur numérique de Téfilla, Chira, et Wa-èthanane, que la réaction divine se fait brutale, incisive et cassante «Assez!».
Le midrache dit à ce propos : le riche, le Saint béni soit-Il, répond avec dureté.
Sans doute, est-il légitime de s’interroger sur l’insistance de Mochè à vouloir pénétrer en Èrèts Yisraèl!
Rabbi Yaâqov Abouhatsèra explique dans son commentaire Pittouhè Hotam que Mochè Rabbènou vise surtout à empêcher les Bénè Yisraèl de conclure à l’inutilité de la téchouva, du repentir. En effet, devant le rejet du repentir de Mochè qui savait mieux que quiconque la valeur du repentir, les Bénè Yisraèl n’auraient pas manqué de remettre en cause le principe même de la téchouva! Mieux, quiconque, frappé d’un décret divin de subir un châtiment, se découragera bien vite s’il sait que le décret ne sera jamais annulé! L’exemple de Mochè sera cité à l’appui d’une telle théorie. D’où la nécessité pour Mochè de montrer, par son insistance, que tout demeure assujetti à la volonté divine qui, elle, pourrait changer si seulement l’homme était prêt lui-même à faire une conversion sur lui-même. Le décret divin n’est pas définitif. Il peut être annulé.
Cependant, les 515 prières de Mochè n’ont pas annulé l’interdiction qui le frappait. De là, les sages, hakhamim, disent que si Mochè avait dépassé d’une seule prière ce nombre de 515, la prière de Mochè aurait été exaucée. Mais D’ieu l’avait arrêté brutalement car le décret prononcé contre Mochè avait été assorti d’un serment. Le serment divin n’avait aucune chance d’être annulé. Mais tout compte fait, l’explication de Rabbi Yaâqov Abouhatsèra suggère l’idée suivante : Mochè insiste uniquement pour sauver le principe de la téchouva. Il prie pour que nul ne puisse remettre en cause ce principe qui fonde toute la vie morale du peuple juif. Mochè demande donc au Créateur de ne point ruiner ce pilier sur lequel repose également l’existence du monde.
Cependant, si l’argument de Mochè semble à priori justifié, D’ieu n’en considère pas moins grave sa désobéissance dont l’effet fut de ne pas sanctifier Son Nom. Et comme D’ieu avait juré de ne point laisser Mochè pénétrer au pays de Kénaâne, tout le monde saura que le serment divin fut la cause du rejet de la téchouva de Mochè. La dureté de la réponse divine fait référence à ce serment.
Néanmoins, l’autre explication du midrache, retient l’humilité comme qualité essentielle à la prière et, plus encore, comme qualité nécessaire à la prophétie. Ce fut le cas de tous les prophètes d’Israël. En revanche, pour les prophètes des Nations, cette qualité fait défaut. Bien au contraire, leur arrogance les conduit à prendre pour acquis la prophétie et ils se permettent parfois de contester D’ieu, de s’insurger et d’argumenter si bien qu’ils commettent des erreurs de jugement.
Iyob, riche et arrogant, est le pendant de Mochè pour les peuples de la terre. Ah! Combien Iyob avait souffert par la faute de Satan qui le met à l’épreuve! Mais plutôt que d’assumer avec dignité ses souffrances, Iyob crie à l’injustice, à l’absence de Providence puisque le juste est frappé comme l’impie. Cette révolte ne peut surgir que d’un manque de connaissance. La pauvreté ou la richesse affectent également le niveau de la connaissance.
Le prophète d’Israël se considère pauvre en sagesse. Son humilité l’aide à capter le message prophétique de manière parfaite. La soumission est donc le support véritable de la prophétie. Mochè et Yéchâya parlent d’une manière suppliante. Elle permet de déboucher sur l’espoir.
Mochè sollicite d’entrer et de voir le pays de Kénaâne. D’ieu se résout seulement à le lui montrer. Yéchâya reçoit l’assurance de la délivrance.
Quant à Iyob, D’ieu se charge de lui prouver que la Providence est certes effective mais toujours présente. Son erreur est de n’avoir pu imaginer que les souffrances, destinées à l’éprouver, lui procurent, en fait, une récompense plus grande.
Enfin, le troisième volet du midrache est de montrer le changement radical qui s’opère dans l’attitude de Mochè à la fin de sa vie. Au début, Mochè est exigeant, toujours prêt, pour l’amour et la défense d’Israël, à parler durement à D’ieu. Mais, à la fin, après la disparition de la génération du désert, Mochè perd de son assurance. Son attitude exigeante cède la place à un langage plus doux et suppliant. Toute sa force, Mochè la puise dans sa mission de conduire Israël.
Chaâr Bat Rabbim tente d’expliquer l’insistance de Mochè à vouloir entrer en Èrèts Yisraèl par la hâte des tribus de Réoubène et Gad à s’installer dans les territoires de Sihone et Ôg plutôt que de s’établir en Èrèts Yisraèl. Mochè comprend donc que l’objectif de ces tribus consiste à jouir des produits du pays et non pas de s’imprégner de l’atmosphère de pureté et sainteté que dégage le pays. C’est pourquoi, dès qu’ils ont vu la richesse de ce pays qui s’apprêtait à l’élevage de troupeaux, ils ont préféré s’y établir. Le facteur pureté et sainteté du pays n’avait pas été pris en compte puisque ces territoires étaient impurs(11).
Voyant cet état d’esprit, Mochè s’est mis à prier tellement pour rendre plus chère la terre d’Israël aux yeux de tout le peuple et, par la même occasion, préciser l’objectif à atteindre en entrant en Èrèts Yisraèl, la pureté et la sainteté. Car Mochè, étant déjà âgé de 120 ans, et ayant affiné son âme, ne recherche rien d’autre en voulant entrer en Èrèts Yisraèl que d’accéder à une perfection plus élevée. Israël, voyant le grand nombre de prières faites par Mochè n’aura d’autre choix que d’aspirer également à cette perfection. Aussi le texte souligne-t-il(12) :
«Maintenant donc, ô Israël! écoute les lois et les règles que je t’enseigne pour les pratiquer, afin que vous viviez et que vous arriviez à posséder le pays que l’Ét’ernel D’ieu de vos pères vous donne.»
Le but visé, en venant prendre possession d’Èrèts Yisraèl, est de pratiquer les lois et les prescriptions divines qui permettent à l’homme d’accéder à la pureté et à la perfection.
J’implorais l’Ét’ernel à cette époque, en disant : Seigneur Ét’ernel, déjà tu as rendu ton serviteur témoin de ta grandeur et de la force de ton bras; et quelle est la puissance, dans le ciel ou sur la terre, qui pourrait imiter tes oeuvres et tes merveilles?
J’implorais l’Ét’ernel,
Pour quelle raison le texte emploie wa-èthanane, au lieu de wa-ètpallèl, j’implorais?
Pour Don Yitshaq Abrabanèl, Mochè, constatant que le serment divin le frappant d’interdit d’entrer en Israël était ainsi formulé(13) : «C’est pourquoi vous ne conduirez pas cette assemblée dans le pays que je leur ai donné», s’était laissé dire que le serment consiste à ne pas conduire mais entrer sans être le dirigeant, comme un simple sujet, serait possible. Pour cette raison, il s’est mis à prier.
Mais l’Ét’ernel interrompt sa prière en lui disant : rav lakh!, assez pour toi, autrement dit, une plus grande récompense t’est réservée, ou alors Rav lakh? acceptes- tu d’avoir un maître pour toi? Selon une telle lecture, il est impossible de voir Mochè aux ordres de Yéhochouâ qui d’élève devient le maître.
Mais la prière de Mochè s’est faite par le terme wa-èthanane pour dire qu’il n’invoque nullement ses mérites mais plutôt un don gratuit. Wa-èthanane, dérive de, hannoune, prendre en grâce, fait référence à une, donation gratuite.
À cette époque,
La Tora fait allusion à une époque bien précise. Laquelle est-ce?
Pour Rachi, après que D’ieu l’eut laissé conquérir une partie du pays, les territoires de Sihone et Ôg, Mochè avait pensé que le voeu et le serment divins ont été annulés. Car un serment annulé en partie est annulé en totalité. De ce fait, D’ieu laisserait Mochè entrer en Israël.
Pour Or ha-Hayim, Mochè choisit d’implorer l’Ét’ernel au moment même où Il avait décrété de laisser mourir, dans le désert, toute la génération des explorateurs, incluant Mochè également.
Mais pour ne pas tomber sous le reproche des Bénè Yisraèl d’avoir prié juste pour lui et non pour eux, Mochè précise que les prières avaient été faites, en ce moment, pour eux comme pour lui.
Tu as commencé par montrer à Ton serviteur Ta grandeur…
Pourquoi ce préambule? Si déjà la requête est de traverser le Yardène et entrer en Èrèts Yisraèl, autant y aller tout droit sans ce préambule!
Atta hahilota, Tu as commencé.
Selon le Sifrè, supporte trois significations commencement, prière et désengagement de voeu ou de serment.
Or ha-Hayim y voit la conjonction nécessaire des trois sens dans cette prière où ce préambule est important comme dit le Talmoud(14), selon Rav Samlaï, «avant de prier, l’homme se doit d’adresser des louanges à D’ieu.»
En effet, Tu as commencé, par la conquête des pays de Sihone et Ôg, à me montrer Ta grandeur, autrement dit Ta bonté, je suis en droit de penser que Tu m’as pardonné pour le reste.
Atta hahilota, Tu as commencé
Cet emploi plutôt que atta hit’halta, nécessite une explication.
S’adressant à D’ieu, Mochè dit : Tu m’as ouvert la voie à la prière après la faute du veau d’or. En me disant lâche-Moi alors que je ne Te tenais pas, j’avais compris qu’il fallait prier. Aussi est-il dit Way-hal Mochè, , Mochè se mit à prier.
Mochè rappelle également que lorsqu’il avait invoqué le serment fait à Yitro pour ne pas avoir à remplir la mission divine, «Tu m’as délivré de mon voeu.»
Pour ces raisons, faisant appel aux trois significations de, D’ieu se devait d’exaucer la prière de Mochè.
Ah! laisse-moi traverser, que je voie cet heureux pays qui est au delà du Yardène, cette belle montagne, et le Liban!
Laisse-moi traverser, que je voie.
N’est-il pas vrai qu’en le laissant traverser, Mochè sera en mesure de le voir? Il aurait pu donc se suffire de laisse-moi traverser!
La prière de Mochè se compose en fait de deux demandes : traverser et voir. Elles viennent répondre à deux réticences de D’ieu.
La première est que le régne de Mochè ne doit pas déborder sur celui de Yéhochouâ. La deuxième, D’ieu veut éviter que Mochè, en entrant en Israël, construise le Bèt ha-Miqdache. Car construit par Mochè, D’ieu ne pourra plus le détruire et, par conséquent, le Bèt ha-Miqdache ne se portera plus garant de la bonne conduite d’Israël. En cas de désobéissance des Bénè Yisraèl, D’ieu, plutôt que de détruire son Bèt ha-Miqdache, sera forcé de retourner sa colère sur Israël lui-même.
Aussi Mochè dit-il «laisse-moi passer», non conduire en chef le peuple d’Israël.
Na, , s’il te plaît.
Pour quelle raison Na est-il placé entre traverser et voir plutôt qu’après le verbe voir ou le répéter pour chaque verbe c’est-à-dire laisse-moi traverser, s’il te plaît et que je voie s’il te plaît?
Na signifie également maintenant. Mochè insiste auprès de D’ieu pour qu’Il l’autorise, avant qu’il ne soit trop tard, à traverser afin qu’il puisse voir, non pour construire le Bèt ha-Miqdache.
Mais l’Ét’ernel, irrité contre moi à cause de vous, ne m’exauça point, et l’Ét’ernel me dit : Assez! ne me parle pas davantage à ce sujet.
L’Ét’ernel s’est mis en colère contre moi à cause de vous.
Est-ce réellement à cause du peuple d’Israël ou à cause de sa propre faute que D’ieu s’est mis en colère?
Mochè précise que si D’ieu se met en colère contre lui, c’est surtout lé-maân’khèm, en vue du bien d’Israël, car Il entend préserver son existence en tant que peuple, en détournant toute Sa colère contre le Bèt ha-Miqdache.
Ah! Laisse-moi traverser, que je voie cet heureux pays.
Le Midrache rapporte(15) :
«Èrèts Yisraèl est précieux et cher parce que le Saint béni soit-Il l’a choisi. Après avoir créé le monde, [D’ieu] le partage entre les princes des Nations et Il se réserve Èrèts Yisraèl. Le Saint béni soit-Il dit : que ceux qui M’appartiennent héritent la terre qui est Ma part. Abraham aspirait [habiter ce pays], et Yaâqov également. Mochè aspire à son tour tel qu’il est dit :
«J’implorais l’Ét’ernel… laisse-moi traverser.» David désire également y demeurer tel qu’il est dit(16) :
«Assurément, un jour dans Tes parvis vaut mieux que mille (autres). Je préfère me tenir au seuil de la maison de mon D’ieu plutôt que de séjourner dans les tentes de l’impiété.»
Que signifie me tenir au seuil? Rabbi Tanhoum, fils de Rabbi Hanilaï et Rav discutent à ce propos.
Pour l’un, David dit au Saint béni soit-Il : Maître du monde! Même si je possédais des palais et châteaux à l’extérieur d’Israël, et que je ne dispose que d’un seuil en Èrèts Yisraèl, je préfère m’y tenir.
L’autre dit : Même si je ne disposais, pour toute nourriture en Èrèts Yisraèl que des fins de caroube, je les préfèrerais [à toute autre aliment ailleurs].»
Mochè, selon le midrache, ne cherche rien d’autre que de s’établir en Èrèts Yisraèl pour accéder à sa sainteté. Il était prêt pour cela à tous les sacrifices : entrer comme disciple de Yéhochouâ ou encore subir un défaut corporel qui le rendrait inapte à la royauté telle la cécité(17).
Mais D’ieu tint bon dans son refus. Quant à la perfection, Mochè a toujours à sa disposition celle que la Tora lui procure. En effet, est-il jamais possible pour un Juif d’accomplir toutes les prescriptions de la Tora? Toutefois, l’étude peut pallier ce manque. De plus, Mochè équivaut à tout Israël. Et à travers tout Israël, Mochè peut prétendre à l’excellence dans la perfection morale. Car Israël, dans sa totalité, accomplit toute la Tora.
Monte au sommet du Pisga, porte ta vue au couchant et au nord, au midi et à l’orient et regarde de tes yeux, car tu ne passeras point ce Yardène. Donne tes instructions à Yéhochouâ, exhorte-le au courage et à la résolution; car c’est lui qui marchera à la tête de ce peuple, lui qui les mettra en possession du pays que tu vas contempler.
Monte au sommet de Pisga et porte ta vue.
Il lui a permis de voir et non de traverser! Pourquoi?
Sforno écrit à propos de «Laisse-moi traverser que je voie cet heureux pays» qu’en fait Mochè demande à D’ieu de voir le pays pour que sa bénédiction s’accomplisse pour le bonheur d’Israël. C’est pourquoi D’ieu lui permet de voir du Mont Âvarim le pays de Kénaâne afin, dit Sforno, d’y adresser sa bénédiction. Ainsi, de même qu’il est impossible de jeter un regard négatif, âyine ha-râ, sans le support du regard, ainsi pour la bénédiction, faudrait-il le support du regard positif, âyine tova. Aussi pour Mochè Rabbènou, pour bénir Israël et afin que le bonheur d’Israël soit durable, fallait-il embrasser du regard tout le pays, surtout d’un bon oeil. Ainsi, dit le Talmoud(18): «On ne donne le verre de bénédiction après le repas qu’à celui qui possède un bon oeil.»
La Psiqta de Rav Kahana(19) rapporte :
«Bil’âm, l’impie, s’apprêtait à bénir les Bénè Yisraèl. Ce sont sept bénédictions qu’il devait leur adresser correspondant aux sept autels qu’il avait érigés dans l’espoir de pouvoir les maudire. Mais il reçut l’ordre de les bénir. Cependant il ne leur adresse pas plus de trois bénédictions. Le Saint béni soit-Il lui dit : Impie! Tu vois d’un mauvais oeil les bénédictions d’Israël. Que Mochè, au bon oeil, vienne bénir Israël. À son sujet, Chélomo dit(20) :
«Celui qui a bon oeil sera béni.» Il ne faut point lire yé-vorakh, sera béni, mais yé-varèkh, il bénira. Il s’agit de Mochè qui, ayant bon oeil, adresse quatre bénédictions à Israël.»
Aussi D’ieu lui montre-t-il toute la terre d’Israël afin que, par sa vue, il sanctifie l’atmosphère d’Èrèts Yisraèl. Cette sainteté et cette pureté ne disparaîtront jamais(21).
Le Talmoud affirme(22) : «L’atmosphère d’Èrèts Yisraèl rend sage.»
Mais si «traverser» fut refusé et interdit, D’ieu permit, en revanche, à Mochè «de voir», par une vue miraculeuse et prodigieuse, tout le pays. La prière bien faite si elle n’est pas exaucée en totalité disent nos Maîtres, le sera tout de même à moitié. Comme la demande de Mochè était de «traverser et voir», il lui fut accordé la moitié, voir tout le pays déroulé à ses pieds dans toutes ses frontières.
Et si jamais Yéhochouâ était découragé en voyant le châtiment infligé à Mochè, D’ieu demande de le raffermir dans sa résolution afin d’être le chef et conducteur du peuple vers le pays d’Israël. Yéhochouâ part donc avec l’assurance que jamais il ne subira un tel châtiment puisque ce sera lui le conducteur d’Israël.
1. Dévarim 3, 23-28.
2. Sota 14a.
3. Dévarim Rabba Wa-èthanane, paragr. 3.
4. Dévarim 3, 23.
5. Michelè 18, 23.
6. Dévarim 3, 26.
7. Iyob 23, 4.
8. Yéchâya 33, 12.
9. Chémot 32, 11.
10. Bé-midbar 14, 19.
11. cf. Yéhochouâ chap. 22.
12. Dévarim 4, 1.
13. Bé-midbar 20, 12.
14. Bérakhot 32a.
15. Tanhouma sur la sidra Réè paragr. 8.
16. Téhillim 84, 11.
17. N.B. voir à ce propos le midrache cité par Hatam Sofèr, in Torat Mochè.
18. Sota 38b.
19. Pisqa 32 page 299b.
20. Michelè 22, 9.
21. cf. Sota 9a.
22. Baba Batra 158b.