Décadence et grandeur d’Israël
Mochè, au crépuscule de sa vie, demeure le chef incontesté d’Israël. Il attribue les territoires de Sihone et Ôq à Réoubène et à Gad. Israël campe sur la rive orientale du Yardène dans les steppes de Moab. Mochè livre ses reproches et critiques sur les événements saillants de leur séjour dans le désert. Il s’agit de son testament moral.
À travers ses reproches, Israël ne voit qu’une preuve de l’amour que Mochè lui témoigne. Il s’est interdit, en effet, de les exprimer au fil des événements. C’est à la veille de sa mort qu’il rappelle leur conduite indigne et hostile afin de les exhorter à mieux s’attacher à D’ieu.
Loin de se tourner aux problèmes que soulève sa fin prochaine – nous sommes à un mois avant sa mort – Mochè se préoccupe de l’avenir de son peuple. La répétition de la Tora lui procure l’occasion d’en souligner l’importance et la nécessité d’appliquer scrupuleusement ses prescriptions afin de se maintenir en terre d’Israël qu’il doit incessamment conquérir et occuper.
Israël assume un destin particulier. Son existence et son histoire sont régies par la Tora. L’attachement à la Tora demeure son unique raison d’être. S’en détacher entraîne à coup sûr l’exil d’Israël et l’éloignement de D’ieu, éloignement mais non-abandon de D’ieu.
Israël ne saurait également abandonner D’ieu. Tout le rattache, malgré l’exil, à D’ieu. Lors de la traversée du désert, D’ieu veille sur le bien-être d’Israël. Ainsi, dans l’avenir, D’ieu entourera-t-Il Israël de toute Sa sollicitude et veillera à son bien-être.
Le Midrache(1) rapporte :
“Ce sont là les paroles que Mochè adressa à tout Israël en deçà du Yardène, dans le désert(2)…“. Que le Nom du Roi des Rois, le Saint béni soit-Il, soit béni et Son attribut magnifié, car tous les miracles réalisés en faveur d’Israël dans le désert, Il est appelé à les rééditer pour Tsion. À propos du désert, il est écrit :
“Ce sont là les paroles“, et à propos de Tsion, il est écrit(3) :
“Je convertirai pour eux les ténèbres en lumière et les aspérités en terrain uni… Ces choses-là, Je les accomplis sans en rien omettre.” Du désert, il est dit(4) :
“Or, tout le peuple fut témoin des [voix] de ces tonnerres…” Pour Tsion, il est écrit(5) :
“[On entendra] des accents d’allégresse, des cris de joie…” Du désert, il est dit(6) :
“La terre trembla, les cieux aussi se fondirent à la vue de D’ieu.” À propos de Tsion, il est écrit(7) :
“Encore un court délai, et Je mettrai en mouvement le ciel et la terre…” Dans le désert(8) :
“L’Ét’ernel les guidait, le jour…” Concernant Tsion(9) :
“Mais l’Ét’ernel sera votre avant-garde, votre arrière-garde le D’ieu d’Israël.” À propos du désert(10) :
“Car Il se plaira de nouveau, le Seigneur, à te faire du bien, comme Il s’y est plu pour tes ancêtres…” Concernant Tsion(11) :
“Et Moi-même, Je me réjouirai de Yérouchalayim et J’aurai du plaisir de Mon peuple.” Et il est dit(12) :
“Que le désert et le sol brûlé se réjouissent!” Pourquoi Yéchâya s’est-il exprimé ainsi? Après qu’Israël eut désobéi à la Tora, Hochèâ proclame(13) :
“Et Je la ferai semblable à un désert, Je la rendrai comme un sol aride, et Je la ferai périr de soif.” Yéchâya lui réplique :
“Que le désert et le sol brûlé se réjouissent.” Toutes les consolations que Yéchâya prononce sont doubles, désert et sol brûlé, parce qu’Israël(14)
“a reçu de la main du Seigneur double peine pour toutes ses fautes.” Aussi, ses consolations sont-elles doubles(15) :
“Consolez, consolez mon peuple…“, et il est écrit(16) :
“C’est Moi, c’est Moi qui vous console!“, et plus loin(17) :
“Réveille-toi, réveille-toi.” Par ailleurs(18) :
“[Me réjouir], je veux me réjouir pleinement de l’Ét’ernel” et(19)
“Fleurir, que la plaine fleurisse.”
Autre explication.
Pourquoi est-il dit “Que le désert et le sol brûlé se réjouissent?” Pour t’enseigner que lorsque le Saint béni soit-Il révèle Sa présence à Israël, Il ne la révèle pas tout à coup. En révélant tout d’un coup Son bien, Israël en mourrait. Vois donc ce qui est écrit(20) :
“En aucun temps, on n’avait appris ni ouï dire pareille chose; jamais un être humain n’avait vu un autre dieu que toi agir de la sorte en faveur de ses fidèles.” Voulant se faire connaître à ses frères, après plusieurs années, Yossèf leur dit(21) :
“Je suis Yossèf, votre frère. Tous s’évanouirent et ne purent lui répondre.”, a fortiori le Saint béni soit-Il. Que fait le Saint béni soit-Il? Il se révèle peu à peu. Au début, Il fait réjouir le désert tel qu’il est dit :
“Que le désert et le sol brûlé se réjouissent!” Après quoi,
“Que la plaine aride exulte et fleurisse comme la rose!” Ce n’est qu’ensuite,
“Qu’ils se couvrent de fleurs… que la gloire du Liban lui soit prêtée.” Enfin,
“Ils vont voir la gloire de l’Ét’ernel, la splendeur de notre D’ieu.” Aussi David s’exprime-t-il ainsi(22) :
“Car l’Ét’ernel rebâtit Tsion. Il s’y manifeste dans Sa majesté.” Et il est dit(23) :
“Car ils voient, de leurs propres yeux, l’Ét’ernel rentrer dans Tsion.” Et il est écrit(24) :
“On dira en ce jour : “Voici notre D’ieu en qui nous avons mis notre confiance pour être secourus, voici l’Ét’ernel en qui nous espérions…“
Midrache surprenant! Prenant prétexte de la mention du désert dans les reproches de Mochè, il tend à établir un parallèle entre les miracles et les prodiges survenus au désert avec ceux qui, dans l’avenir, illumineront l’existence d’Israël.
Le désert est le lieu géographique où se forge le destin d’Israël. Mochè entend rappeler à Israël les moments les plus difficiles du désert. Tout ne fut pas bonheur. Les révoltes d’Israël attirent la colère de D’ieu. Mais c’est là où D’ieu put apprécier la fidélité et la confiance d’Israël. En sortant d’Égypte, Israël ne s’inquiète à aucun moment des conditions du désert. Il suit Mochè. Il est normal qu’éclatent parfois des dissensions et tiraillements provoquant des discordes et querelles.
Mochè reproche à Israël ses écarts de conduite. S’il comprend que les conditions du désert sont à l’origine, il n’est pas prêt à les accepter si jamais ces écarts avaient, pour théâtre, le pays de Kénaâne. Là, tout doit se conformer aux principes de la Tora, à l’enseignement de Mochè. Ces reproches adressés, en fait, à une autre génération, servent de base au message ultime, final de Mochè qui vise l’excellence et la perfection d’Israël afin qu’il puisse se maintenir sur sa terre.
Mais si, comme le prévoit Mochè, la conduite d’Israël oblige D’ieu à l’éloigner et à l’exiler de son pays, le désert est là pour rappeler qu’en situation d’exil et d’absence de Chékhina, présence divine, des prodiges se produiront pour le délivrer et le réhabiliter.
L’égarement d’Israël conduira D’ieu à agir de telle sorte que les ténèbres qui l’enveloppent et lui cachent la vérité se transforment en lumière, et les chemins tortueux en ligne droite. Auparavant, Israël, parce qu’il se comporte en aveugle, ne cherchant nullement à découvrir la vérité, suivra des chemins inconnus. Il est vrai qu’en premier lieu Israël se doit, avant de reprendre contact et rétablir une communication correcte avec D’ieu, d’ouvrir les yeux et redécouvrir la vérité. C’est là le début de la réhabilitation.
Le désert, dans son dénuement et son immensité, invite l’homme à reconsidérer sa conduite morale et à retrouver D’ieu. Le reste découle de cette prise de conscience. Le désert, témoin des tonnerres qui accompagnent la révélation divine sur le Mont Sinaï, fit trembler le ciel et la terre. Le bonheur de reconnaître D’ieu est ineffable. Il s’accompagne de cris d’allégresse et de joie car D’ieu devient le guide d’Israël comme Il le fut dans le désert.
Hochèâ, devant l’abandon de la Tora, fustige Israël en le rendant semblable à un désert et à un sol aride et brûlé. Le désert saisit par le silence pesant et par sa désolation. Yéchâya, lui, lui adresse des propos d’encouragement et de consolation. Là où Hochèâ châtie Israël en le rendant semblable au désert, Yéchâya n’y voit que joie et allégresse. Israël transformera son désert en jardin fleuri, exultant de cris de joie et de bonheur.
La joie est celle de D’ieu retrouvant son peuple, et le bonheur est celui d’Israël, satisfait, renouant des relations privilégiées avec D’ieu. Les sentiments de bonheur et de joie trouvent leur plus parfaite expression dans le langage double et répété de Yéchâya. Parce qu’Israël fut doublement châtié, privé de D’ieu, et rendu semblable au désert, Yéchâya double également ses termes et propos consolateurs.
Privé d’Israël, D’ieu a besoin de consolation. Le pacte divin avec Israël n’est parfait que si D’ieu et Israël s’entendent. Yéchâya appelle à la réconciliation. Il eût été préférable qu’Israël fasse le premier pas. Son repentir serait plus retentissant. Mais devant son indifférence, D’ieu ramènera, grâce à Ses miracles, Israël à Lui.
Selon l’autre explication, le midrache décrit l’évolution du processus de la délivrance. La délivrance ne consiste, en fait, qu’en la révélation de D’ieu. L’exil de la Chékhina prenant fin, Israël atteindra sa rédemption. Mais la révélation suivra une lente ascension. Il n’est point difficile pour D’ieu de réaliser une révélation immédiate. Mais Israël est dans l’incapacité de l’accueillir. Il lui faudrait une lente maturation, une préparation morale. Israël ne peut sans danger passer des ténèbres à la lumière éclatante.
L’exemple de Yossèf est à méditer. Séparé de ses frères pendant vingt-deux ans, il leur annonce, heureux de le faire, qu’il est Yossèf. Ils ont failli mourir de stupeur. Surpris, ils perdent l’usage de la parole. Ils ne savent que répondre.
Israël, pendant ce long exil, perd contact avec D’ieu. S’Il se révélait subitement à lui, Il risque de mettre en danger Israël. Tout indique, dans l’intérêt d’Israël, que le processus de la révélation observe une escalation.
Chaque niveau est en soi important car il permet l’acquisition et l’assimilation de valeurs nécessaires pour le passage au niveau supérieur.
Ainsi le désert ne subit-il pas une transformation rapide. Le désert, apte à se transformer en plaine fleurie, se réjouit. Peu à peu, il accède à la gloire du Liban, autrement dit à la gloire du Bèt ha-Miqdache, appelé Lébanone, dérivant de Labane, blanc, puisqu’il blanchit et expie les fautes d’Israël. Ce n’est qu’ensuite qu’apparaît la majesté divine dans toute sa splendeur au Bèt ha-Miqdache.
La rencontre de D’ieu et d’Israël connaît son point culminant lors du retour de D’ieu dans Bèt ha-Miqdache. La présence de la Chékhina, dans toute sa splendeur, à Tsion, assurera de nouveau à Israël une existence éclatante de lumière et de bonheur.
L’enseignement du midrache connaît une importance exceptionnelle puisque cette sidra est lue à Chabbat Hazone, Chabbat précédant le jour du 9 Ab, anniversaire de la destruction du Bèt ha-Miqdache. Le message de délivrance qu’il livre, illumine d’espoir le cœur d’Israël.
1. Tanhouma sur la sidra paragr. 1.
2. Dévarim 1, 1.
3. Yéchâya 42, 16.
4. Chémot 20, 15.
5. Yirmiya 35, 11.
6. Téhillim 68, 9.
7. Haggaï 8, 6.
8. Chémot 13, 21.
9. Yéchâya 52, 12.
10. Dévarim 30, 9.
11. Yéchâya 65, 19.
12. id. 35, 1.
13. Hochèâ 2, 5.
14. Yéchâya 40, 2.
15. id. 40, 1.
16. ibid. 51, 13.
17. Yéchâya 51, 17.
18. id 61, 10.
19. ibid. 35, 2.
20. Yéchâya 64, 3.
21. Bérèchit 45, 3.
22. Téhillim 102, 17.
23. Yéchâya 52, 8.
24. id. 25, 9.