L’action bienfaisante des reproches
«En deçà du Yardène, dans le pays de Moab, Mochè se mit en devoir d’exposer cette doctrine, et il dit : «L’Ét’ernel notre D’ieu nous avait parlé au Horèv en ces termes : «Assez longtemps vous avez demeuré dans cette montagne. Partez, poursuivez votre marche, dirigez-vous vers les monts amoréens et les contrées voisines, vers la Plaine, la Montagne, la Vallée, la région méridionale, les côtes de la mer, le pays des Cananéens et le Liban, jusqu’au grand fleuve, le fleuve d’Euphrate. Voyez, je vous livre ce pays! Allez prendre possession du pays que l’Ét’ernel a juré à vos pères, Abraham, Yitshaq et Yaâqov, de donner à eux et à leur postérité après eux. Dans ce temps-là, je vous parlai ainsi : «Je ne puis assumer, moi seul, votre charge. L’Ét’ernel, votre D’ieu, vous a fait multiplier, et vous voilà, aujourd’hui, nombreux comme les étoiles du ciel. Veuille l’Ét’ernel, D’ieu de vos pères, vous rendre mille fois plus nombreux encore et vous bénir comme Il vous l’a promis(1)!»
Mochè reprend dans Dévarim, l’enseignement des principales prescriptions de la Tora. Il profite cependant de donner libre cours aux reproches, aux admonestations qu’il adresse à Israël. Des événements graves et troublants avaient affecté les relations d’Israël avec D’ieu. Toutes les révoltes des Bénè Yisraèl sont passées en revue. Certes, certaines sont rappelées sous forme d’allusion. Mais pour d’autres, telle la faute du veau d’or et celle des Explorateurs, Mochè se fait plus prolixe et mordant.
Ces reproches, bien loin d’exprimer haine ou ressentiment, s’inspirent de l’amour profond que Mochè témoigne à Israël. Il ne demande qu’à redresser les torts des dernières années et faire ses recommandations qui, dites au crépuscule de sa vie, seront prises en considération par tout Israël. Israël ne saurait l’accuser justement de parti pris ou de poursuivre un intérêt personnel si ce n’est que de viser l’amélioration de sa conduite. Mochè gagnerait ainsi la bienveillance de tous.
Cependant, il est évident que cet exercice expose son auteur à beaucoup de désagréments. Quand bien même Israël serait enclin à faire cas de ces réprimandes, Mochè n’échappe pas, malgré tout, à la colère divine pour l’avoir tancé de manière vigoureuse et hardie. Israël, en tant que descendant d’Abraham, Yitshaq et Yaâqov, mérite bien des égards. Quiconque les moleste ou les peine s’attire la colère divine.
Le Midrache(2) rapporte :
«Rabbi Simoune dit : Comme le Saint béni soit-Il lui avait ordonné de reprendre la Tora, Mochè n’a point voulu reprocher [à Israël] tout ce qu’il avait fait. Rabbi Simoune dit : Ceci fait penser à un disciple qui, accompagnant son maître, voit une braise jetée. Pensant que c’est une pierre précieuse, il la prend et se brûle. Quelques jours après, en compagnie de son maître, il vit une pierre précieuse. Pensant que c’est une braise, il craint d’y toucher. Son maître lui dit alors : Prends-la, c’est une pierre précieuse. Ainsi Mochè s’était-il dit : parce que je leur avais dit(3) :
«Or, écoutez ô rebelles!», j’ai recueilli un châtiment à cause d’eux. Comment vais-je leur adresser maintenant des reproches! Le Saint béni soit-Il dit à Mochè : n’aie crainte!»
Autre explication.
«Ce sont là les paroles de Mochè(4).» Nos maîtres rapportent : Le Saint béni soit-Il dit à Mochè : «Comme [les Bénè Yisraèl] ont bien reçu tes reproches, tu dois les bénir». Aussitôt il les bénit tel qu’il est dit(5) :
«L’Ét’ernel, votre D’ieu, vous a fait multiplier…» Et comment savons-nous que tout celui qui admet les reproches mérite une bénédiction? Ainsi que Chélomo l’explique(6) :
«Mais on est bienveillant pour ceux qui [le] répriment, et il leur vient des souhaits de bonheur.» Le Saint béni soit-Il dit à Israël : Dans ce monde, vous étiez bénis par d’autres. Dans le futur, c’est Moi qui vous bénirai, tel qu’il est dit(7) :
«Que D’ieu me prenne en grâce et me bénisse!»
Ce midrache pose les limites entre lesquelles se joue le destin de l’homme dont l’autorité et le prestige le condamnent à adresser des reproches à son environnement. Reprocher ne va pas sans s’attirer des déplaisirs ou des contrariétés de ceux qui font l’objet de ses critiques, remarques et reproches.
Bien souvent, même mérités, les reproches attirent à son auteur un châtiment divin. Le reproche est juste, bien à propos. Mais servi avec véhémence et fougue, il provoque un châtiment car D’ieu souhaite que l’on ménage la susceptibilité de la personne que l’on désire reprendre. C’est une braise qui a toute l’apparence de la pierre précieuse.
Le reproche est une mitswa qu’il faut accomplir sous peine d’être déclaré coupable ou complice d’un mal qui se fait sous nos yeux. La mitswa de la solidarité agissante entre tous les membres du peuple d’Israël fait que chacun doit se sentir responsable des agissements de l’autre.
Mais le reproche peut être l’occasion de blesser et froisser la sensibilité de l’autre quand, en réalité, on ne cherche pas tout simplement l’occasion de l’humilier ou de montrer sa supériorité. Quelle était belle l’occasion de faire cette mitswa. Toutefois de pierre précieuse, elle se transforme en braise ardente.
Mochè eut à souffrir de cet aspect du reproche. Ce qui lui importe, c’est avant tout l’honneur et la gloire de D’ieu. Les Bénè Yisraèl cherchant, en revanche, à mettre à l’épreuve une fois de plus D’ieu, contraignent Mochè à réagir. Il ne peut supporter qu’Israël oublie, dès la première difficulté, les prodiges de D’ieu.
Cependant, il suffit qu’il les traite de rebelles pour se brûler. Ils sont les fils d’Abraham, Yitshaq et Yaâqov et, à ce titre, méritent plus de considération et de respect, quand bien même serait-il nécessaire de les molester et de les fustiger.
Il faut manipuler le reproche avec délicatesse, car la frontière entre le reproche et la vengeance est très étroite. Un reproche véhément prend des allures de vengeance, d’outrage. La Tora attire l’attention sur ce fait(8) : «Ne hais point ton frère en ton coeur : reprends ton prochain et tu n’assumeras pas de péché à cause de lui.» Le reproche ne doit pas s’inspirer de la haine. Aussitôt après, la Tora recommande : «Ne te venge pas ni ne garde rancune…»
Le midrache souligne donc la gravité de la faute de Mochè. Toutefois, malgré le risque de se voir châtié pour avoir repris véhémentement les Bénè Yisraèl, Mochè ne doit pas s’abstenir de les reprendre quand l’occasion se présente. C’est pourquoi, devant les hésitations de Mochè, de peur de se brûler de nouveau, D’ieu lui recommande d’adresser ses reproches. Il est vrai que cela peut avoir toutes les apparences de la braise mais, en réalité, c’est une pierre précieuse.
L’emploi judicieux du reproche fera de lui une pierre précieuse désirée et appréciée par tous. Mochè est proche de la mort. Ses reproches n’ont d’autre but que d’amener le peuple à une prise de conscience du mal pour l’extirper à sa racine.
La deuxième explication, proposée par le midrache, complète en fait la première leçon. Le reproche bien placé vise le bien de l’autre. Reprocher, c’est vouloir redresser les torts non les signaler dans le but d’humilier. Le reproche entraîne le rétablissement de l’équilibre moral et de l’harmonie autant au niveau individuel qu’au niveau de toute la société.
En vérité, un reproche bien formulé est accepté et assumé. C’est le reproche injustifié qui révolte tout comme la flatterie finit par être rejetée. Ainsi est-il dit(9) :
«Celui qui prononce sur le coupable en disant : «Tu es acquitté!», les peuples le maudissent, les gens l’exècrent. Mais on est bienveillant pour ceux qui [le] répriment et il leur vient des souhaits de bonheur»
Le Yalqout(10) considère que le bonheur rejaillit aussi bien sur l’auteur du reproche que sur celui qui en est l’objet. Ce dernier reconnaît le bien fondé du reproche si bien qu’il en arrive à apprécier et à aimer celui qui le reprend. Des liens d’amitié s’établissent entre eux et débouchent sur le bonheur et l’harmonie.
Toutefois, le reproche n’est accepté que par le sage. D’ailleurs, le roi Chélomo affirme(11) : «Le persifleur n’aime pas qu’on le réprimande; il ne fréquente pas les sages.» En revanche, il enseigne(12) : «Prêter une oreille attentive aux reproches salutaires, c’est mériter de vivre parmi les Sages.» Le Yalqout applique ce verset à la génération de Mochè qui, parce qu’elle a prêté une oreille attentive aux reproches de Mochè, avait mérité ses bénédictions. Bien plus, D’ieu lui-même consent à prodiguer toute sa bénédiction à tout le peuple d’Israël.
Ainsi donc le reproche est-il une mitswa s’appliquant à chacun. Néanmoins il est recommandé de reprendre son prochain avec tact et délicatesse pour s’assurer de son efficacité. L’objectif serait de retrouver le bonheur et l’harmonie au sein de la société. Cette harmonie, une fois atteinte, ne peut que susciter l’intérêt de D’ieu si bien qu’Il l’appuie de sa bénédiction.
En deçà du Yardène, dans le pays de Moab, Mochè se mit en devoir d’exposer cette doctrine, et il dit : «L’Ét’ernel notre D’ieu nous avait parlé au Horèv en ces termes : «Assez longtemps vous avez demeuré dans cette montagne.
En deçà du Yardène, dans le pays de Moab, Mochè se mit en devoir d’exposer cette doctrine, et il dit :
Sforno tente de trouver la relation qui pourrait exister entre leur présence au pays de Moab et le devoir d’exposer la Tora à Israël.
Moab est l’étape finale avant la conquête de Kénaâne. Mochè, voyant qu’il n’a plus de chance de pénétrer un jour en Kénaâne, puisque toutes ses prières furent repoussées, se mit à expliquer de nouveau la Tora aux Bénè Yisraèl. Il savait qu’après sa mort, plusieurs doutes s’empareront d’Israël.
En outre, il voulait tenter cette explication afin que les enfants entendent de sa propre bouche ce que les pères avaient auparavant entendu de la bouche de D’ieu(13).
Lèmor, et il dit.
Chaque fois que est employé, il indique soit la nécessité de transmettre à d’autres, soit de donner une précision à propos de ce qui se dit.
Pour Sforno avant de commencer son exposé sur les prescriptions de la Tora, Mochè précise à Israël qu’il a jugé nécessaire de reprendre l’enseignement de la Tora parce que le peuple traverse sans lui le Yardène. Il ne sera plus là pour éclaircir tout doute qui s’emparera de leur esprit.
Mochè leur reproche leur conduite qui lui interdit d’être à la tête d’Israël pour la conquête de Kénaâne. Ce faisant, Mochè leur demande de veiller à ne pas commettre la même erreur avec ses successeurs.
Rabbènou Béhayè tire un enseignement de la mention :
Dans le pays de Moab.
En précisant qu’il se situe en deçà du Yardène, il était clair que cela ne pouvait être qu’au pays de Moab puisque l’on parle de la dernière étape de leur voyage avant la conquête.
Moab a pour valeur numérique 49. Mochè leur transmet la Tora avec la possibilité de l’interpréter de 49 manières. Ce n’est pas seulement les 49 aspects d’impureté, mais même les 49 aspects de pureté. En effet, la Tora peut supporter les deux interprétations contradictoires. Ainsi trouvons-nous parmi nos Maîtres ceux qui proclament pour tel enseignement la pureté, et d’autres proclamant l’impureté.
Le texte dit(14) : «Mon amant est blanc et vermeil, distingué entre dix mille.» Dodi, mon amant, a pour valeur numérique 24, allusion aux 24 livres de la Bible et Tsah, blanc, a pour valeur numérique 98, autrement dit 2 fois 49, faisant allusion aux deux aspects de pureté et d’impureté pour les 49 interprétations.
Le Talmoud(15) rapporte :
«Mochè, avant sa mort, dit à Yéhochouâ : Pose-moi toutes les questions à propos de doutes qui assaillent ton esprit car, après mon départ de ce monde, tu n’auras pas à qui adresser tes questions. Yéhochouâ lui répond : T’ai-je quitté une seule fois pour aller ailleurs? N’as-tu point affirmé à mon propos(16) :
«Mais Yéhochouâ, fils de Noun, son jeune serviteur, ne quittait pas l’intérieur de la Tente.» À la mort de Mochè, trois cents enseignements échappent à Yéhochouâ qui fut assailli de sept cents doutes… Certains disent qu’il s’agit de trois mille enseignements et d’autres parlent de mille sept cents raisonnements qaline wa-hamourine, à fortiori, analogies, et casuistiques, qui furent oubliés. Pendant le deuil de Mochè, Israël demanda à Yéhochouâ de s’adresser au Saint béni soit-Il pour obtenir la réponse. Il répond(17) :
«[La Tora] n’est pas dans le ciel.» Ils firent la même demande à Pinhas qui leur apprend qu’aucun prophète n’est autorisé à énoncer une nouvelle loi après que tout fut transmis à Mochè. À ce moment, Yéhochouâ subit une grande pression d’Israël qui voulut le tuer en lui disant : Tu n’as pas assez servi Mochè car, si tu avais investi ton coeur et ton esprit dans l’étude, tu n’aurais rien oublié. Yéhochouâ s’adressa alors au Saint béni soit-Il qui lui dit : Mochè mon serviteur est mort et la Tora est désignée par son nom tel qu’il est dit(18) :
«Souvenez-vous de la Loi de Mochè, Mon serviteur…»; à présent, Je ne peux rien te dire puisqu’il est dit : «Elle n’est pas dans le ciel.» Cependant, Je te conseille de les occuper dans des guerres afin que leur esprit ne soit point libre pour t’adresser chaque jour des questions sur les enseignements de la Tora.»
Le Talmoud tente ainsi à fermer la porte à tous les éventuels faux prophètes qui voudraient donner une nouvelle interprétation de la Loi. Après la mort de Mochè, il y a lieu de retrouver, par la force des règles du raisonnement et de la logique transmises par Mochè, la vérité absolue de la Tora. Ainsi fit Ôt’nièl, fils de Qènaz, qui a élucidé toutes les lois oubliées après la mort de Mochè.
Mochè se mit en devoir d’exposer cette doctrine,
Pour Rachi, Mochè se mit à exposer la Tora, signifie que Mochè se mit à expliquer la Tora en soixante-dix langues. L’explication de Rachi vise non seulement Israël qui reçut, peu avant la mort de Mochè, un enseignement précis, mais tous les peuples également. Chacun peut retrouver la vérité de la Tora dans sa langue. Il s’agit seulement de vouloir découvrir cette vérité.
Rav Alchèkh s’interroge également sur la reprise de la Tora par Mochè peu avant la conquête du pays de Kénaâne. Pour lui, Mochè attire aussi l’attention d’Israël sur le fait que l’établissement au pays de Kénaâne n’intervient pas dans le seul but de jouir des fruits et des biens matériels de ce pays. Il lui rappelle l’essentiel de cette conquête : accomplir les principes de la Tora. Aussi est-ce la raison pour laquelle Mochè supplie D’ieu de le laisser entrer en Kénaâne.
Assez longtemps vous avez demeuré dans cette montagne.
Pour Kéli Yaqar, Mochè reproche à Israël le peu d’amour qu’il témoigne au pays de Kénaâne. Israël s’installe à Horèb. Il ne veut plus bouger. Il faut attendre que D’ieu, par la bouche de Mochè, leur demande de quitter la montagne pour se diriger vers Israël.
Le reproche est justifié car si D’ieu leur ordonne : «Partez, poursuivez votre marche, dirigez-vous vers les monts émoréens…» Les Bénè Yisraèl, en revanche, tournent le dos et quittent définitivement cette montagne précieuse et importante car c’est là qu’il y eut la révélation divine et le don de la Tora. C’est ainsi que le texte rapporte plus loin(19) : «Nous quittâmes Horèb, nous traversâmes tout ce long et redoutable désert…» ce qui indique le peu d’amour témoigné à Èrèts Yisraèl, car le but du don de la Tora était de la mettre en application en Èrèts Yisraèl.
Chacun se dirige, au contraire, vers le désert et non vers Èrèts Yisraèl. La faute des explorateurs le condamne à y rester pendant quarante ans.
Kéli Yaqar rapporte que leur départ de Horèb fut comparable à celui d’un élève qui fuit l’école. Le séjour à Horèb semblait, à leurs yeux, pénible et long car si les Bénè Yisraèl l’appréciaient, ce séjour aurait paru court.
Rachi, citant le Sifrè, donne au terme le sens de quantité, de nombre. Il dit :
«Il a multiplié pour vous, grandeur et récompense pour votre séjour sur cette montagne : vous avez fait le Michekane, le chandelier, les ustensiles; vous avez reçu la Tora; vous vous êtes nommé un Sanhèdrine, des chefs de mille et des chefs de cent…»
Voyez, je vous livre ce pays! Allez prendre possession du pays que l’Ét’ernel a juré à vos pères, Abraham, Yitshaq et Yaâqov, de donner à eux et à leur postérité après eux.
Voyez, je vous livre ce pays!.
Or ha-Hayim relève le singulier de Réè, vois, qui ne s’accorde pas avec le pluriel de devant vous, lifnèkhèm. Il précise qu’Israël, dans son ensemble, peut avoir la même vision du pays. Mais au niveau de la perception, celle-ci, n’étant jamais égale, chacun percevait d’une manière différente. La perception, appliquée au pays d’Israël, dépend du niveau de perfection et de la valeur de chacun.
Allez prendre possession du pays.
Le texte reprend la mention, ète ha-arèts, dans l’expression prendre possession du pays, au lieu de dire simplement allez en prendre possession pour signifier, selon Or ha-Hayim, que seul le pays partagé entre les neuf tribus et demie est désigné pour être la terre promise aux pères et non le territoire occupé par Réoubène, Gad et la moitié de la tribu de Ménachè.
Ha-Âmèq Davar, s’interrogeant sur l’emploi de nattati, je vous livre, dit que D’ieu n’a pas voulu infliger à Israël l’obligation d’aller prendre possession de chaque lieu conquis et débarrassé de ses habitants. En lui faisant un acte de donation, D’ieu permet à Israël, en prenant possession d’un endroit, de prendre possession de tout le pays(20).
Rachi rappelle les graves conséquences de la faute des Explorateurs. En disant allez prendre possession, le texte souligne :
«Personne ne vous le contestera et vous n’avez pas besoin de faire la guerre. S’ils n’avaient pas envoyé d’explorateurs, ils n’auraient pas eu besoin de prendre des armes.»
Dans ce temps-là, je vous parlai ainsi : «Je ne puis assumer, moi seul, votre charge. L’Ét’ernel, votre D’ieu, vous a fait multiplier, et vous voilà, aujourd’hui, nombreux comme les étoiles du ciel.
Je vous parlais ainsi, lèmor,
Lèmor, pose un problème à Or ha-Hayim.
En vérité, dit-il, Mochè n’a pas exprimé ces paroles. Il a simplement laissé comprendre qu’il ne pouvait assumer à lui seul leur charge.
Pour Ha-Âmèq Davar, il est certes aisé pour un dirigeant de prendre sur lui le poids de tout le peuple lorsqu’il y a un but commun et des visées communes. Mais dès que le peuple a des objectifs différents de ceux du dirigeant, il devient pénible et impossible d’en diriger les destinées. C’est bien ce que reproche Mochè au peuple qui, déjà dès Horèb, s’était fixé ses propres objectifs. Cette attitude avait rendu possible l’envoi des Explorateurs. Tout ceci aurait pu être évité s’il existait une communauté de vues ou si Israël faisait confiance à Mochè.
Et Rachi s’étonne à juste raison :
«Serait-ce possible que Mochè ne puisse juger Israël? L’homme qui les a fait sortir d’Égypte, qui a fendu pour eux la mer, qui a fait tomber la manne et suscité les cailles, n’était-il pas capable de les juger? Mais il leur a parlé ainsi :
«Le Seigneur, votre D’ieu, vous a multipliés : Il vous a grandis et élevés au-dessus de vos juges. Il vous a retiré le châtiment et l’a imposé aux juges.»
Et vous voilà, aujourd’hui, nombreux comme les étoiles du ciel.
La difficulté également de juger le peuple d’Israël est qu’il est comparé aux étoiles du ciel tant au niveau du nombre qu’au niveau de la qualité. La valeur d’Israël était à ce point grande que même un seul parmi eux était capable, comme un astre, d’éclairer et de rayonner sur une multitude.
Or ha-Hayim, citant le Talmoud(21), dit que les impies, réchaîm, ne tombent pas sous la loi du nombre. S’ils sont une multitude, leur nombre est insignifiant. En revanche, les tsaddiqim, les justes, même peu nombreux, sont considérés comme les étoiles par le nombre et la qualité.
Mochè, malgré les reproches, invoque la bénédiction pour les Bénè Yisraèl :
Veuille l’Ét’ernel, D’ieu de vos pères, vous rendre mille fois plus nombreux encore et vous bénir comme Il vous l’a promis!
Comme il a mentionné leur valeur et leur quantité, Mochè invoque le Nom de l’Ét’ernel afin qu’ils ne soient pas atteints par le mal et l’ange destructeur(22).
Rachi s’interroge sur la nécessité de cette précision :
Qu’Il vous bénisse comme Il vous l’a promis,
Il dit :
«[Les Bénè Yisraèl] disent à Mochè : «Tu mets une limite à notre bénédiction! Le Saint béni soit-Il a déjà promis à Abraham(23) :
«Si on peut compter…la poussière de la terre, alors on pourra aussi compter ta postérité». Mochè leur a répondu : «Ceci venait de moi, mais Lui vous bénira comme Il vous l’avait dit.»
Pour Hatam Sofèr, en disant ceci venait de moi, Mochè souhaite en fait à Israël d’être mille fois plus nombreux. Ce souhait, Mochè pouvait bien le formuler. D’ieu avait béni Mochè à deux reprises, lors du veau d’or et à l’occasion des Explorateurs. La récompense est cinq cents fois plus importante que le châtiment. Aussi Mochè pouvait-il assurer à Israël une double récompense, autrement dit, d’être mille fois plus nombreux. Cette bénédiction appartient parfaitement à Mochè.
Par ailleurs, dans cette bénédiction, il n’est pas mentionné d’être aussi nombreux que la poussière, parce que l’homme ne peut faire don, sous peine d’être invalide, d’un objet ou d’un article qui n’a pas de limite. En revanche, D’ieu peut le faire étant Tout Puissant.
En outre, la poussière, quoique désignant le nombre, évoque également, pour bien des commentateurs, les persécutions et les mauvais traitements subis par Israël. Mais bien qu’écrasé, il ne sera jamais exterminé.
Cependant en disant D’ieu de vos pères, le texte fait allusion également à cette forme de bénédiction, pour le nombre. Ce qui importe ici est de faire appel aux étoiles dont la qualité et la valeur sont leur caractéristique.
Ainsi, le but de tous les reproches de Mochè est d’amener les Bénè Yisraèl à développer des relations harmonieuses avec D’ieu qui lui assureront bonheur et bénédiction.
1. Dévarim 1, 5-11.
2. Dévarim Rabba chap.1, paragr. 6.
3. Bé-midbar 20, 10.
4. Dévarim 1, 1.
5. id. 1, 10.
6. Michelè 24, 25.
7. Téhillim 67, 2.
8. Wayi-qra 19, 17.
9. Michelè 24, 24-25.
10. Yalqout sur Dévarim, paragr. 793.
11. Michelè 15, 12.
12. id. 15, 31.
13. cf. Rabbènou Béhayè.
14. Chir ha-Chirim 5, 10.
15. Témoura 16a.
16. Chémot 33, 11.
17. Dévarim 30, 12.
18. Mal’akhi 3, 22.
19. Dévarim 1, 19.
20. cf. Qiddouchine 27a et b.
21. Sanhèdrine 26a.
22. cf. Zohar III 211, cité par Or ha-Hayim.
23. Bérèchit 13, 16.