Mochè face à sa responsabilité
«L’Ét’ernel parla ainsi à Mochè : «Envoie toi-même des hommes pour explorer le pays de Kénaâne que je destine aux enfants d’Israël; vous enverrez un homme respectivement par tribu paternelle – tous éminents parmi eux.» Et Mochè les envoya du désert de Parane, selon la parole de l’Ét’ernel c’étaient tous des personnages considérables entre les enfants d’Israël(1)…»
La sidra s’ouvre sur l’envoi des méraguélim, explorateurs, dont la mission est de relever, en vue de la conquête imminente de Kénaâne, les points vulnérables de ce pays.
Cette mission, autorisée par Mochè, tourne mal puisque les explorateurs, bien loin de constater partout où ils vont la Providence divine qui les protège et facilite leur projet, trouvent le moyen de médire du pays et de se révolter contre D’ieu.
Il s’agit de hète ha-méraguélim, la faute des explorateurs, qui se situe à l’origine de tant de désastres au cours de l’histoire d’Israël. En effet, le Talmoud(2) y voit la cause de la destruction du Temple et de ce long exil.
De retour le 8 Ab au soir, toute l’assemblée, découragée par les propos malveillants des méraguélim, s’est mise à pleurer. Parce que les Bénè Yisraèl ont pleuré sans raison, D’ieu décrète que cette nuit sera un deuil pour les générations futures. Tous les ans, à pareille date, des pleurs versés pour la destruction du Temple. L’acte des explorateurs connaît ainsi des prolongements dans l’avenir car il infléchit tragiquement le cours de l’histoire d’Israël.
Le midrache Tanhouma(3) rapporte(4) :
«Envoie toi-même des hommes. Qu’est-il dit plus haut(5)?
«Myriam et Aharone médirent de Mochè. Il enchaîne aussitôt par «envoie toi-même des hommes.»
C’est ce qu’exprime le texte(6) :
«Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas! Non, leur oeil est trop obtus pour voir, leur coeur pour comprendre.»
Cependant pour quelle raison relie-t-on le cas de Miryam celui de l’envoi des hommes? En vérité, il était évident pour le Saint béni soit-Il que [les explorateurs] médiront de la terre [de Kénaâne] à leur retour. Le Saint béni soit-Il dit : il faut éviter qu’ils puissent invoquer leur ignorance quant au châtiment de la médisance! Le Saint béni soit-Il juxtapose ainsi les deux cas afin que tous sachent quel serait le châtiment de la médisance. Et si jamais leur intention est de médire, il suffit de constater [le châtiment] réservé à Miryam. Malgré tout, ils ne se décident pas à en tirer une leçon. Aussi est-il dit : «Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas!»
À cet effet, le Saint béni soit-Il relie l’envoi des explorateurs à [la médisance] de Miryam. Pourtant, «Ils ne savent pas, ils ne comprennent pas! Non leur oeil est trop obtus pour voir, leur coeur pour comprendre.»
Ce midrache tente, avant tout, d’établir la relation logique entre la médisance de Miryam et l’envoi des explorateurs. Néanmoins, faut-il y voir surtout l’intention divine de servir un avertissement sévère aux explorateurs dont l’objectif essentiel consiste à dénigrer le choix de la terre de Kénaâne comme pays. Ce sont des nostalgiques d’Égypte et, toute occasion est bonne pour amorcer un mouvement de retour au pays d’esclavage.
Le Créateur n’a certes pas manqué de sonder leurs intentions. Mais l’être humain, étant libre, entend orienter ses actes à son gré. Un acte n’est libre que si au préalable il y avait connaissance de toutes les conséquences. Désobéir au point de médire de la terre que D’ieu promet de donner à Abraham, Yitshaq et Yaâqov ne va pas sans s’exposer à un châtiment. Il s’agit du châtiment servi à Miryam pour avoir médit de son frère. Miryam, elle-même, aurait dû se rappeler du châtiment infligé à Mochè. D’ieu le frappe de lèpre pour avoir émis un doute sur la foi des Bénè Yisraèldisant(7) : «Mais certes, ils ne me croiront pas, et ils n’écouteront pas ma voix, parce qu’ils diront : l’Ét’ernel ne t’est point apparu.»
Le châtiment de la médisance est la lèpre. Pourtant les explorateurs demeurent sourds aux avertissements divins. Aussi engagent-ils leur entière responsabilité surtout quand le châtiment ne se limite pas uniquement à leur génération. Leur acte déclenche, en fait, une série de châtiments dont les effets se font sentir jusqu’à nos jours. Leur refus de voir et de comprendre eut pour effet de provoquer un châtiment général qui concerne tout l’ensemble d’Israël.
Le Tanhouma poursuit :
«Envoie toi-même des hommes.» En disant à Mochè «envoie toi-même des hommes», le Saint béni soit-Il n’en exprime pas moins Son désaccord. La raison est qu’Il fit l’éloge du pays d’Israël tel qu’il est dit(8) :
«Car l’Ét’ernel, ton D’ieu, te conduit dans un pays fortuné, un pays plein de cours d’eau. Étant encore en Égypte, Il leur dit(9) :
«Je suis donc intervenu pour le délivrer de la puissance Égyptienne, et pour le faire passer de cette contrée là dans une contrée fertile et spacieuse, dans une terre ruisselante de lait et de miel…
De plus, le texte dit(10) :
«L’Ét’ernel les guidait, le jour, par une colonne de nuée qui leur indiquait le chemin, la nuit, par une colonne de feu destinée à les éclairer, afin qu’ils puissent marcher jour et nuit.» Et si, malgré tout, Il dit : «envoie toi-même des hommes!», c’est en réponse à la demande d’Israël. En effet, à l’approche des frontières du pays, le Saint béni soit-Il dit(11) :
«Regarde! L’Ét’ernel ton D’ieu t’a livré ce pays; va prends-en possession, comme te l’a dit l’Ét’ernel, D’ieu de tes pères… À ce moment, [les Bénè Yisraèl] demandent à Mochè(12) :
«Mais vous vîntes vers moi tous, en disant : «Nous voudrions envoyer quelques hommes en avant, qui exploreraient pour nous ce pays.»
C’est ce que Êzra dit(13) :
«Ils refusèrent d’obéir à Tes ordres. Oui, ils refusèrent d’obéir, oublieux de Tes merveilles…
Il dit également(14) :
«L’arche d’alliance de l’Ét’ernel marcha à leur tête l’espace de trois journées, pour leur choisir une halte.» Et pourtant, ils réclament(15) :
«Nous voudrions envoyer quelques hommes en avant qui exploreraient pour nous ce pays…» Ils n’ont donc pas cru [en l’Ét’ernel]. C’est ce que David affirme(16) :
«Ils ont répudié l’alliance de D’ieu et refusé de suivre Sa Loi.»
Sans doute, pour le midrache, D’ieu n’avait-Il à aucun moment consenti à envoyer les explorateurs. D’ieu donne toutes les assurances à propos du pays d’Israël tant pour sa qualité et sa beauté que pour la facilité de sa conquête. D’ieu n’exige rien d’autre des Bénè Yisraèl que de placer leur confiance en Lui.
Mais aux yeux de D’ieu, les Bénè Yisraèl cherchent plutôt un prétexte pour éviter de s’installer en Israël. Rabbi Yéhochouâ affirme(17), en effet, que cela rappelle le cas de ce roi qui, voulant choisir une épouse à son fils, remarque une jeune femme belle et riche, n’ayant pas sa pareille de par le monde. Le fils du roi, ne croyant pas son père, demande à la voir. Cette attitude déplaît carrément au père qui, pour punir ce manque de confiance, consent à la lui montrer. Cependant, il jure de la donner comme épouse non à son fils mais au fils de ce dernier. Ainsi le Saint béni soit-Il mécontent de la conduite incorrecte d’Israël fait serment, après lui avoir montré la terre, de ne la donner qu’à la seconde génération.
Voilà un midrache surprenant car D’ieu, sachant bien que les Bénè Yisraèl manqueraient de confiance en Sa promesse devait s’opposer à leur dessein. De toute évidence, liberté est laissée à tout homme de choisir la voie qu’il entend suivre. Par ailleurs, le choix, étant arrêté, sera alors celui que le Ciel lui fera suivre. C’est dire qu’une fois que l’homme détermine son choix, D’ieu consent également à le laisser suivre cette voie. Aussi est-ce, pour cette raison, que dès le départ la terre est destinée non à la génération des explorateurs mais à celle de leurs enfants. Partant, il est naturel que D’ieu ne consente jamais à l’envoi des explorateurs. Il en laisse toute latitude à Mochè.
L’Ét’ernel parla à Mochè en ces termes.
L’emploi de lèmor, pour dire, signifie de transmettre ces propos à une tierce personne. Mais la parole divine n’étant adressée qu’à Mochè, à qui d’autre doit-il la transmettre?
Or ha-Hayim, s’appuyant sur le Talmoud(18), souligne que sans lèmor, Mochè ne saurait transmettre cette parole. Mais l’emploi de lèmor permet à Mochè de faire part aux Bénè Yisraèlde l’ordre divin et ce, dans le but de bien leur signifier que D’ieu n’est point d’accord avec leur projet.
En outre, afin qu’Israël ne pense que Mochè approuve leur projet, D’ieu lui prescrit de transmettre fidèlement Ses propos. Ainsi, Israël saura-t-il que l’envoi des explorateurs obéit à un protocole précis établi par D’ieu. Israël ne peut que s’y conformer.
Par ailleurs, le Talmoud(19) conclut de l’emploi de lékha, , pour toi, dans l’expression envoie pour toi, que D’ieu ne partage pas l’avis des Bénè Yisraèl. L’envoi des explorateurs ne sera, si jamais il devait se faire, que sur l’avis de Mochè. En rapportant cela aux Bénè Yisraèl, Mochè s’attend en fait au renoncement de leur projet.
Envoie toi-même des hommes pour explorer le pays de Kénaâne que je destine aux enfants d’Israël; vous enverrez un homme respectivement par tribu paternelle – tous éminents parmi eux.
Envoie toi-même des hommes pour explorer le pays de Kénaâne.
Lékha, pour toi. Selon l’explication de Rachi : «Envoie toi-même, c’est-à-dire, je ne te l’ordonne pas; mais si tu veux, tu peux les envoyer», comment D’ieu peut-Il laisser faire Mochè sachant bien que, par leur faute, le peuple d’Israël subira une traversée dans le désert pendant 40 années jusqu’à la disparition de tous ceux qui, à la sortie d’Égypte, étaient âgés de 20 ans, retardant ainsi la réalisation de la promesse faite à Abraham, Yitshaq et Yaâqov?
Et si D’ieu n’est point d’accord, pourquoi Mochè n’empêche-t-il pas une telle mission?
Quel mal y aurait-il à envoyer des explorateurs par Mochè lorsque rien n’est venu contredire un pareil envoi par Yéhochouâ pour la conquête de Yériho?
Bien plus, le choix des hommes est des plus surprenants. Généralement ne sont envoyés pour explorer ou pour espionner que des hommes simples capables d’agir en toute discrétion et non des personnalités comme ce fut le cas ici «tous étaient des chefs» distingués et respectés!
Comment comprendre dès lors que des «tsaddiqim», justes et droits avant leur départ, se soient transformés à ce point que le texte les qualifie d’assemblée impie! Et pourtant ce sont ces «hommes» qui furent choisis et désignés par D’ieu Lui-même tel qu’il est dit : «Mochè les envoya du désert de Parane, selon la parole de l’Ét’ernel…!»
Sforno établit un parallèle entre ce texte et celui qui relate le même événement dans Dévarim(20). Les Bénè Yisraèl disent à Mochè : «Envoyons des hommes en-avant.» Ici, D’ieu dit à Mochè : «Envoie toi-même.»
Pour Sforno, D’ieu demande à Mochè de ne point laisser les Bénè Yisraèl prendre l’initiative d’envoyer des explorateurs car, ce faisant, ils médiront du pays de Kénaâne si bien qu’ils finiront par se détourner définitivement de D’ieu en allégant que Sa promesse était vaine et trompeuse.
Bien que ne l’agréant pas, D’ieu autorise une telle exploration pour contraindre les Bénè Yisraèl à reconnaître, en grande partie, les qualités extraordinaires du pays.
Le texte souligne, en effet(21) :
«Nous sommes entrés dans le pays où tu nous avais envoyés; oui vraiment, il ruisselle de lait et de miel et voici de ses fruits.»
Leur témoignage, bien que mettant en cause leur capacité de conquérir ce pays réduisant ainsi a néant leur foi et confiance en D’ieu, leur permit de faire un repentir puisqu’ils se sont écriés(22) :
«Nous avons péché contre le Seigneur; nous voulons monter et combattre, comme nous l’a ordonné le Seigneur, notre D’ieu.»
Cependant malgré cette téchouva, , repentir, D’ieu n’est pas prêt à pardonner à cause de la profanation de Son Nom en public.
Pour Sforno, malgré son opposition, D’ieu permet à Mochè d’envoyer les explorateurs pour leur laisser une opportunité à la téchouva.
Pour Rambane, si les explorateurs, comme l’enseigne Rachi, ont failli, Mochè serait autant coupable qu’eux puisqu’il affirme(23) : «La proposition me plût.» De plus, Mochè leur demande précisément de s’assurer si le pays(24) : «est bon ou mauvais» malgré la promesse de D’ieu de leur donner un pays bon et vaste! Voici donc les propos de Mochè(25) : «Vous observerez l’aspect de ce pays et le peuple qui l’occupe : s’il est robuste ou faible, peu nombreux ou considérable.» N’étaient-ils pas obligés de lui faire rapport sur tous les points? Quelle est donc leur faute?
Rambane comprend donc que Mochè acquiesce à la demande des Bénè Yisraèl dans le seul but de conforter en eux la confiance et la foi en D’ieu et Ses promesses. Aussi, pour cette raison, leur demande-t-il de rapporter des échantillons de fruits du pays pour que tous soient convaincus des bienfaits de D’ieu à leur égard.
La faute de Mochè réside dans le fait qu’avant de donner son accord il n’ait pas consulté la chékhina. Mais D’ieu lui permet tout de même de les envoyer afin que soit sauf son prestige.
Cependant aux Bénè Yisraèl qui demandent d’explorer le pays, ils emploient le terme hafor, rechercher les chemins par lesquels il faut entreprendre la conquête, D’ieu répond :
«Wé-yatourou, qu’ils fassent un tri, un choix comme les tarim, touristes ou les marchands afin de les convaincre de la beauté et des qualités exceptionnelles du pays.»
Ce texte rapporte l’événement de manière générale. Mais, lorsque Mochè leur en fait le reproche, il le reprend en détail, signalant la gravité de leur faute, le manque de confiance en D’ieu.
Kéli Yaqar établit une différence entre trois termes clefs employés à propos de cet événement signifiant tous explorer.
Wé-yatourou,
D’ieu l’emploie afin de leur prescrire, si déjà les Bénè Yisraèl expriment le désir de visiter le pays, l’examen attentif de ses qualités exceptionnelles. Wé-yatourou dérive de yètèr, et yitarone, l’exceptionnel et le positif que ce pays possède.
Mais les Bénè Yisraèl expriment ce désir par le verbe wé-yahpérou, qui dérive de hèrpa, la honte et le négatif, signalant ainsi, dès le départ, leurs mauvaises intentions dans cette expédition. Ce qu’ils recherchent, avant tout, ce sont les côtés négatifs et mauvais de ce pays.
En revanche, le texte(26) emploie, quant à lui, le terme wa-yéraguélou, médire. Les explorateurs cherchent à relever des points qui, ne correspondant pas à la réalité, soulignent le côté négatif et mauvais du pays.
Cependant Or ha-Hayim tente d’expliquer la faute des méraguélim et, par suite, celle de Mochè.
Il cite à ce propos le Yalqout Chimôni(27) :
«Les Bénè Yisraèl dirent à Mochè(28) : «envoyons des hommes au devant de nous.» il leur dit : Pour quelle raison?
Ils lui répondirent : le Saint béni soit-Il nous a promis de nous faire entrer en Kénaâne et de nous donner en héritage leurs biens. Seulement voilà; apprenant l’imminence de notre avance, les habitants cacheront leurs biens de manière qu’après la conquête ils soient introuvables. La promesse de D’ieu sera donc vaine et nulle. Aussi devrions-nous envoyer des explorateurs [pour nous indiquer la cachette des biens]. Mochè, ayant entendu cela, fut pris à leur piège tel qu’il est dit(29) :
«La proposition me plut…»
Mochè entre dans le jeu des explorateurs. S’il s’agit d’éviter à tout prix la profanation du Nom divin, Mochè n’a d’autre solution que d’accepter leur proposition.
Rav Desler, analysant ce midrache(30), s’étonne qu’il puisse parler de piège à propos de Mochè. Est-il possible que Mochè se soit laissé berner, lui, qui parvient aisément à capter les facultés de chacun et cerner les traits de caractères les plus cachés!
L’attitude des Bénè Yisraèl montre, en fait, combien un homme, dans la poursuite d’un objectif précis qu’il désire atteindre ardemment au point de lui subordonner toutes les forces de sa volonté, cache son jeu et trouve toutes les parades nécessaires pour jeter la confusion dans l’esprit de l’interlocuteur.
Mochè s’est laissé piéger par les explorateurs si bien qu’il ne prête point une attention suffisante à l’avertissement divin «Envoie toi même, si tu veux!»
Or ha-Hayim distingue, quant à lui, deux niveaux dans l’exploration. Le premier vise à établir la nécessité, pour la conquête du pays de Kénaâne, de déranger tout le peuple d’Israël ou de se limiter à un nombre réduit de combattants. Pour la conquête de Âï, les explorateurs conseillent, en effet, à Yéhochouâ de n’envoyer que 2000 à 3000 combattants. Ce qui est à la rigueur acceptable.
Le deuxième niveau intéresse la nature même de l’exploration. Faut-il procéder cas par cas, ville par ville, ou décider l’exploration générale de tout le pays. Envisager cette dernière possibilité dénote déjà d’un manque de confiance et de foi en D’ieu qui ne cesse de réaliser tant de miracles pour les Bénè Yisraèl.
Cependant l’attitude des Bénè Yisraèl semble offensante tant à l’égard de D’ieu qu’à l’égard de Mochè. Jusqu’à présent, ils firent preuve de confiance en Mochè. Pourquoi ce changement subit dès qu’il s’agit de conquérir Kénaâne?
Ce changement dans l’attitude des Bénè Yisraèl envers D’ieu et Mochè s’explique, pour Hatam Sofèr, par le contenu du message prophétique de Èldad et Médad qui(31) affirme : «Mochè va mourir et Yéhochouâ conduit Israël.»
N’ayant pas Mochè à sa tête pour la conquête de Kénaâne, Israël conclut à la perte de l’intervention miraculeuse et providentielle dont il a toujours profité grâce au mérite de Mochè. Pour pallier à l’absence de la conduite miraculeuse, Israël tente de se doter, par l’exploration, des moyens les plus efficaces pour réaliser cette conquête.
Ce n’est certes pas ce que D’ieu attend des Bénè Yisraèl. Quand bien même cette prophétie serait vraie, la décision divine d’interdire à Mochè l’accès au pays de Kénaâne, n’étant pas encore prise de manière définitive, peut être annulée si seulement le peuple d’Israël consent à intercéder pour Mochè. Au lieu de chercher à envoyer des explorateurs, Israël devait se préoccuper davantage du sort de Mochè.
Bien que saisissant les intentions d’Israël, Mochè ne s’oppose pas à cet envoi. Pour Or ha-Hayim, Mochè, voyant que D’ieu ne le lui interdit pas clairement, n’a d’autre choix que d’accepter. D’ieu devient, dans cette perspective, complice puisqu’il désigne les personnalités qui allaient participer à cette mission. En fait, les intentions des Bénè Yisraèl étant à l’origine plus néfastes, D’ieu n’interdit pas à Mochè cet envoi afin d’en limiter les dégâts qui, autrement, auraient été beaucoup plus graves.
Kéli Yaqar, Rabbènou Béhayè ainsi que Or ha-Hayim, trouvent que cet envoi eut un résultat positif pour Mochè : il demeure ainsi à la tête des Bénè Yisraèl quarante années durant. Car n’était la faute des méraguélim les Bénè Yisraèl seraient entrés en Èrèts Yisraèl aussitôt, sans Mochè, puisque D’ieu l’écarte de la conquête des 31 rois de Kénaâne.
Aussi, D’ieu lui dit «Envoie pour toi : pour ton bien et ton profit.»
Et Mochè les envoya du désert de Parane, selon la parole de l’Ét’ernel c’étaient tous des personnages considérables entre les enfants d’Israël.
C’étaient tous des personnages considérables entre les enfants d’Israël.
Les explorateurs étaient tous tsaddiqim, justes et droits, tant qu’ils se trouvaient en présence de Mochè. Mais aussitôt qu’ils se mettent en route pour leur mission, ils sont impies, réchaîm.
Or ha-Hayim s’appuie sur l’emploi de lékha anachim, pour bien signifier qu’ils sont anachim, justes tant qu’ils sont à toi, lékha, autrement dit, devant toi.
Par ailleurs, ce changement dans le comportement de ces hommes, justes au départ et impies à leur retour, ne saurait s’expliquer, pour Or ha-Hayim, que par les intentions du peuple d’Israël qui les délègue. En effet, un délégué est soumis, même inconsciemment, à l’influence de celui qui le délègue.
Mais le Zohar(32), sur la sidra, enseigne en substance qu’au début «ils étaient tsaddiqim» mais à la fin «ils furent réchaîm» parce qu’ils savent que, durant tout le séjour des Bénè Yisraèl au désert, ils demeureront à la tête du peuple, princes et chefs des tribus. Mais aussitôt entrés en Israël, ils perdraient leur fonction et leur privilège. Pour garder titres et fonctions, ils étaient prêts à tout faire pour contrecarrer leur établissement en Israël.
Le Talmoud(33) rapporte justement que le roi Chaoul, avant d’être roi, fuyait les honneurs mais une fois nommé, il était prêt à tuer David qui devait régner à sa place. Voilà donc la raison de leur changement.
Et si Mochè se laisse piéger par leurs paroles, croit à leurs mobiles, c’est uniquement parce qu’il n’est pas de leur trempe. Mochè fut toujours disposé, grâce à sa grande modestie, à laisser d’autres diriger le peuple d’Israël à sa place.
La faute des méraguélim est, en fait, un péché d’orgueil. Au nom de cet orgueil, ils veulent à tout prix conserver un pouvoir même au risque d’entraîner, dans leur chute, tout le peuple d’Israël.
Baâl ha-Tourim voit dans le terme chélah, , l’allusion à l’année de la destruction du premier Bèt ha-Miqdache et le début de l’exil. En effet, chélah a pour valeur numérique 338. Ce fut en l’année 3338.
Ainsi les gestes posés par les méraguélim, quoique répondant à des considérations personnelles, n’en concernent pas moins tout Israël. Leur attitude exprime, en fait, la volonté de tout un peuple qui s’insurge contre la volonté divine. Elle infléchit le cours de l’histoire. Il ne suffit donc pas que leur mission échoue. Les explorateurs entraînent, par leur faute, la destruction des deux Temples et les deux exils.
1. Bé-midbar 13, 1-3.
2. Taânit 29a et Sota 35a.
3. Chélah paragr. 5.
4. Bé-midbar 13, 2.
5. id. 12, 1.
6. Yéchâya 44, 18.
7. Chémot 4, 1.
8. Dévarim 8, 7.
9. Chémot 3, 8.
10. id. 13, 21.
11. Dévarim 1, 21.
12. id. 22.
13. Néhèmya 9, 16-17.
14. Bé-midbar 10, 33.
15. Dévarim 1, 22.
16. Téhillim 78, 10.
17. Tanhouma, Chélah paragr. 5.
18. Yoma 4b.
19. Sota 34b.
20. Chap. 1, 22 et suivants.
21. Bé-midbar 13, 27.
22. Dévarim 1, 41.
23. Dévarim 1, 23.
24. Bé-midbar 13, 19.
25. Bé-midbar 13, 18.
26. Dévarim 1, 24.
27. Début de/la sidra Chélah.
28. Dévarim 1, 22.
29. id. 1, 23.
30. 0 Mikhtav Mè-Èliyahou, page 62.
31. Sifrè chap. 11, paragr. 27 sur Bé-midbar 11, 27.
32. Zohar III 158a.
33. Ménahote 109b.