La dignité d’Aharone

Après l’érection définitive du Michekane, les princes des tribus, mus par la même volonté de marquer, par leurs offrandes, l’inauguration de l’autel, obtinrent l’accord divin de fêter, chacun son jour, cet événement.

Sans doute, conviennent-ils tous du rôle important que joue le Michekane dans les destinées d’Israël. C’est là que D’ieu réside. Par Sa Chékhina, Sa Présence, D’ieu signifie Son pardon à Israël pour la faute du veau d’or. D’ailleurs, tout Israël participe, par ses donations, à réparer cette faute.

Mochè eut le privilège de monter le Michekane, chose que nul ne pouvait réaliser. Et son intervention permet au Michekane d’occuper cette place particulière dans l’existence d’Israël.

Si les princes célèbrent douze jours de fête, ils entendent surtout signifier leur joie de voir la Chékhina s’installer au sein d’Israël.

Mais un seul homme ne représente par sa tribu dans toutes ces festivités. Est-il encore banni par D’ieu pour avoir participé à la confection du veau d’Or? Quand bien même serait-il responsable de cette faute, pourquoi sa tribu, qui n’y a nullement participé, doit-elle être tenue à l’écart des offrandes de l’inauguration?

Le Midrache, s’interrogeant à ce propos, constate la frustration d’Aharone moins pour lui que pour sa tribu qui se voit, par sa faute, privée de ce privilège.

Ainsi s’exprime-t-il(1) :

“Qu’est-il écrit plus haut(2)? :

Or, le jour où Mochè eut achevé de dresser le Michekane… les phylarques d’Israël, chefs de leurs familles paternelles, firent des offrandes…“. Après quoi [il est dit](3) :

Parle à Aharone et dis-lui : Quand tu disposeras les lampes…” C’est ce qu’exprime le texte(4) :

Révérez l’Ét’ernel, vous Ses saints, car rien ne fait défaut à Ses adorateurs.” Onze tribus, à l’exception du chef de la tribu de Léwi, offrent des sacrifices. Qui est donc le chef de la tribu de Léwi? Aharone, selon le verset(5) :

Et le nom d’Aharone, tu l’écriras sur la verge de Léwi.” Aharone, n’ayant pas participé à l’offrande des chefs, disait : Hélas! Sans doute, suis-je la cause de la disgrâce de la tribu de Léwi! Le Saint béni soit-Il dit à Mochè : dis à Aharone, ne crains rien, une plus grande dignité t’est réservée! Aussi est-il dit :

Parle à Aharone et dis-lui : quand tu disposeras les lampes…” Si les sacrifices nécessitent l’existence de Bèt ha-Miqdache, les lampes, en revanche, éclairent à jamais vis-à-vis de la face du candélabre. Toutes les bénédictions que Je t’ai confiées pour bénir Mes enfants ne cesseront point à jamais.

Autre explication :

Le texte dit :

C’est vis-à-vis de la face du candélabre que les sept lampes doivent projeter la lumière.” Ne méprisez point le candélabre car il est dit(6) :

Car qui mépriserait le jour de ces humbles commencements? Plutôt se réjouiront-ils de voir la pierre du niveau dans la main de Zéroubabèl. Ces sept-là sont les yeux de l’Ét’ernel qui parcourent toute la terre.” Ces, il s’agit de la Ménora, du Candélabre. Sept, ce sont les sept lampes correspondant aux sept astres qui parcourent toute la terre. Ils sont donc si chers que vous ne devez point les mépriser. Aussi, pour cette raison est-il dit :

C’est vis-à-vis de la face du candélabre que les sept lampes doivent projeter la lumière.” Ne pense pas que [D’ieu] a besoin de lumière! Vois ce qui est écrit à propos des fenêtres(7) :

Il y avait des fenêtres grillagées aux loges de service et aux pilastres de l’intérieur de la porte, tout autour; de même, le vestibule avait des fenêtres à l’intérieur, tout autour…” Le texte n’écrit pas kahalonotcomme ces fenêtres, mais kéhahalonotces fenêtres [sombres](8) pour indiquer que les fenêtres étaient larges à l’extérieur et étroites à l’intérieur, afin de diffuser la lumière vers l’extérieur.

Rabbi Bérakhiya ha-Kohène, fils de Rabbi, dit : l’éclair est issu du feu céleste. En apparaissant, il illumine le monde entier tel qu’il est dit(9) :

Quant à l’aspect des Hayote[êtres mystérieux], elles apparaissaient comme des charbons en feu, incandescents comme des flambeaux…” Du feu part un éclair qui illumine le monde entier. Ai-Je besoin, Moi, de votre lumière? Pourquoi te l’ai-Je demandée? Afin de t’élever!”

Le midrache voit, dans la juxtaposition du texte traitant de l’inauguration du Michekane par les douze princes de tribus, d’une part et, de celui de l’allumage du candélabre, d’autre part, l’occasion, pour D’ieu, de calmer l’inquiétude et la frustration  d’Aharone pour sa non-participation à l’inauguration. Son inquiétude devient plus lancinante quand il constate que la tribu de Léwi, elle-même, était privée de ce privilège.

Cependant, l’attitude de Aharone est surprenante. Pourquoi se met-il dans un tel état? De toute évidence, la décision de désigner les tribus, d’indiquer l’ordre à respecter pour les offrandes émane de D’ieu! Aharone n’a nullement raison de se sentir démuni!

Certes, Aharone est-il disposé à assumer sa part dans la faute du veau d’or. Mais sa responsabilité ne doit nullement avoir d’incidence sur sa tribu. S’il ne mérite point de représenter Léwi, D’ieu avait la possibilité de faire appel à un autre chef.

En outre, Aharone ne parvient pas à comprendre que, désigné Kohène Gadol et assuré du pardon de D’ieu, lors de son investiture, il soit indigne aujourd’hui de représenter sa tribu lors de l’inauguration.

L’apparition de la Chékhina confirme à Aharone qu’il est de nouveau agréé par D’ieu et réintégré dans Son intimité. La mort de ses deux fils, Nadav et Abihou, met par ailleurs un terme à la responsabilité d’Aharone. Aussi son désarroi est-il si grand de constater la rigueur divine qui le tient toujours à l’écart.

La souffrance morale d’Aharone est d’autant plus vive dès lors que le midrache souligne le mérite d’Èfrayim d’apporter sa contribution à l’inauguration du Michekane. En effet, Ménachè représente la tribu de Yossèf. En revanche, si Èfrayim participe, ce n’est qu’en remplacement de Léwi. Ainsi, la substitution de Léwi par une branche de Yossèf, Èfrayim, constitue pour Aharone la preuve de son rejet.

La réponse divine ne se fait pas attendre. Elle se veut apaisante et rassurante. “Révérez l’Ét’ernel, vous Ses saints, car rien ne fait défaut à Ses adorateurs.” S’adressant à Aharone et à ses descendants, le texte les qualifie de Saints. Ils sont Saints parce que leur respect de D’ieu et de la Tora est sans faille, sans limites. Ils sont Saints parce qu’ils sont au service de D’ieu, service exigeant beaucoup de sacrifices. Mais les qualifiant de Saints, le texte écarte d’emblée toute trace de faute attribuée à Aharone. D’ieu ne lui tient aucunement rigueur puisque Son pardon lui fut définitivement accordé. Quant à sa non-participation à l’inauguration, D’ieu n’entend pas priver Aharone de ce privilège. “Rien ne fait défaut à ses adorateurs.” On ne saurait être plus clair. Aharone et ses descendants sont les adorateurs de D’ieu. Ils L’aiment et s’attachent à Ses préceptes. Parce qu’ils sont Ses adorateurs, D’ieu ne les privera pas de Son appui.

Par l’intermédiaire de Mochè, D’ieu répond à Aharone : “Ne crains rien, tu es destiné à une plus grande dignité”. Ce préambule à la réponse divine est en soi une reconnaissance du rôle important du Kohène. Il ne se contente pas de lui annoncer qu’il l’investit de la mission de procéder tous les jours à l’allumage du candélabre qui, en soi, constitue un insigne honneur. En effet, éclairer le Bèt ha-Miqdache et le faire tous les jours confère au Kohène une élévation spirituelle. Aussi est-ce la raison pour laquelle la Tora emploie “Bé-ha-âlotékha”, quand tu disposeras, dont le sens étymologique est “Quand tu t’élèveras“. C’est par l’éclairage des lampes du candélabre qu’Aharone accède à une dignité telle qu’il atteint une perfection d’un haut niveau.

La Ménora, le candélabre, est le symbole de la Tora qui guide l’homme dans son existence. En allumant la Ménora, l’âme du Kohène s’enflamme, s’illumine et se purifie. C’est alors que l’esprit s’ouvre à la connaissance divine. Dans Michelè, le roi Chélomo compare justement l’âme à une flamme, à une lumière, et la Tora également à la clarté. Ainsi s’exprime-t-il(10) : “Car le devoir, la mitswa, est un flambeau, la Tora une lumière…”. Il est dit par ailleurs(11) : “L’âme de l’homme est un flambeau divin qui promène ses lueurs dans les replis du cœur.” C’est dire que le niveau de perfection atteint, par l’allumage de la Ménora, est plus élevé que celui atteint par les sacrifices et les offrandes des chefs des tribus. Ceux-ci n’agissent que durant l’existence du Bèt ha-Miqdache. Mais le candélabre illumine même après la destruction du Temple.

Rabbènou Néssim Gaone rapporte dans Méguilat Sétarim qu’allusion est faite à la victoire que remporteront les Hachemonayim sur les Gréco-Syriens. Lors de l’inauguration de l’autel, souillé par des sacrifices offerts à des divinités grecques et restauré par les Hachemonayim, un miracle se produisit. L’huile pure retrouvée et dont la quantité suffisait à peine pour une nuit avait suffi pour éclairer pendant huit nuits, le temps nécessaire pour préparer une nouvelle huile pure pour l’allumage du candélabre. Ce miracle est en effet célébré tous les ans. Il s’agit du miracle de Hanoukka qui est célébré même en l’absence du Temple.

Par ailleurs, les Kohanim ont pour mission de bénir les Bénè Yisraèl. Les bénédictions des Kohanim sont permanentes, lors même que le Bèt ha-Miqdache est détruit. Une fois de plus, le rôle des Kohanim, D’ieu le veut plus important et plus exaltant que celui des chefs de tribus. Leurs offrandes, bien que très appréciées par D’ieu, puisqu’elles viennent glorifier Son Nom pour Son attachement à Israël, ne peuvent nullement éclipser la valeur du Kohène qui, chaque fois qu’il allume la Ménora, s’élève à un niveau spirituel toujours plus haut.

Les bénédictions attestent également de cette perfection morale à laquelle accèdent les Kohanim. En effet, pour bénir faut-il être en mesure de combler et satisfaire les besoins tant matériels que spirituels d’Israël. D’ieu ne se contente pas d’ordonner aux Kohanim de procéder à ces bénédictions, Il les assure également de Son appui et de Sa sollicitude. En confirmant les bénédictions des Kohanim, D’ieu confirme également les Kohanim dans leur position morale qui se situe au-dessus de celles des chefs des Tribus.

La deuxième explication proposée par le midrache révèle l’importance considérable qu’attache le Créateur à l’allumage du candélabre dans le Sanctuaire. Il est vrai que la résidence divine peut se passer de l’éclairage puisque D’ieu est Lui-même Lumière. Mais le candélabre est le témoignage de la présence divine dans le Bèt ha-Miqdache. Le Kohène, mettant la même quantité d’huile dans toutes les lampes, commence par allumer la Ménora à partir de la lampe centrale. Celle-ci brûlait jusqu’au lendemain et les autres, une fois allumées, sont dirigées vers elle. C’est dire que les lampes éclairent non l’intérieur du Bèt ha-Miqdache mais plutôt le corps du candélabre lui-même.

De plus, le Bèt ha-Miqdache ne nécessite pas un effet de lumière puisque la présence divine, à elle seule, suffit. Mais s’il y a éclairage, c’est bien pour le monde extérieur. Les fenêtres du Bèt ha-Miqdache sont faites de telle sorte qu’elles diffusent la lumière vers le monde et non pour capter les rayons lumineux de l’extérieur. L’éclat de lumière dont le monde a besoin, c’est avant tout de celui de la Tora que le Kohène, chaque jour, allume et renouvelle afin que le monde entier soit imprégné de la connaissance divine. C’est là où réside la grande dignité du Kohène. Chaque jour, il prend part à ce ressourcement dynamique de la perfection de tout Israël.

Rabbi Bérakhiya, pour sa part, administre la preuve que D’ieu n’a nullement besoin de la lumière du candélabre dans le Bèt ha-Miqdache. L’éclair, issu du feu céleste, illumine de tous ses éclats le monde. Par conséquent, D’ieu aurait pu faire l’économie de demander aux Bénè Yisraèl de veiller à l’exécution de son ordonnance de procéder à l’allumage du candélabre. Mais, dit-il, si D’ieu le demande, c’est uniquement dans le but d’élever le Kohène à un niveau de perfection toujours plus haut.

Pour Rabbi Bérakhiya, la prescription divine constitue, en soi, le prétexte idéal à Aharone et, plus tard, à ses descendants, pour s’illustrer et accéder à la perfection morale qui, elle, n’a de sens que dans l’accomplissement de la volonté divine.

Les princes avaient exprimé, à travers leur élan généreux et enthousiaste, un acte appréciable certes, mais qui fut instantané. Aharone a, lui, chaque jour, le devoir de lutter contre ses propres tendances, briser sa nature, son orgueil, pour servir D’ieu dans le seul but, non de concevoir une quelconque fierté, mais de se soumettre à Lui et d’être à Son service exclusif. Voilà donc l’ultime dignité d’Aharone.

1. Bé-midbar Rabba chap.15, paragr. 5.

2. Bé-midbar 7, 1 et 2.

3. id. 8, 2.

4. Téhillim 34, 10.

5. Bé-midbar 17, 18.

6. Zékharya 4, 10.

7. Yéhèzqèl 40, 16.

8. N.B. Il est possible de décomposer en deux mots kéha halonot, fenêtres sombres.

9. id. 1, 13.

10. Michelè 6, 23.

11. id. 20, 21.

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