La téchouva, le repentir

«Or, quand te seront survenus tous ces événements, la bénédiction ou la malédiction que j’offre à ton choix; si tu les prends à coeur au milieu de tous ces peuples où t’aura relégué l’Ét’ernel, ton D’ieu, que tu retournes à l’Ét’ernel, ton D’ieu, et que tu obéisses à Sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui, – toi et tes enfants,- de tout ton coeur et de toute ton âme, l’Ét’ernel, ton D’ieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil, et Il te rassemblera du sein des peuples parmi lesquels Il t’aura dispersé. Tes proscrits, fussent-ils à l’extrémité des cieux, l’Ét’ernel, ton D’ieu, te rappellerait de là, et là même Il irait te reprendre. Et Il te ramènera, l’Ét’ernel, ton D’ieu, dans le pays qu’auront possédé tes pères, et tu le possèderas à ton tour; et Il te rendra florissant et nombreux, plus que tes pères. Et l’Ét’ernel, ton D’ieu, circoncira ton coeur et celui de ta postérité, pour que tu aimes l’Ét’ernel, ton D’ieu, de tout ton coeur et de toute ton âme, et assures ton existence(1).»
Après le pacte intervenu entre D’ieu et Israël à propos de la Tora, le peuple devient, dans sa totalité, solidaire de sa mise en application. De toute évidence, les 613 mitswot de la Tora ne sauraient être réalisées dans leur ensemble que par tout Israël.

En effet, certaines mitswot ne sont obligatoires que pour les personnes concernées. N’est point coupable d’enfreindre la prescription de la mila, la circoncision, quiconque n’a jamais eu de garçon. De même, le Kohène ou le Roi sont tenus de faire face à des devoirs supplémentaires qui leur sont spécifiques.

La perfection de la Tora n’est possible que si tout le peuple conjugue ses efforts pour la réaliser. L’alliance de solidarité fait que tout le peuple d’Israël partage une responsabilité collective. La bonne oeuvre de l’un apporte le bonheur à tous comme une action mauvaise engage la responsabilité morale de tous. Aussi, l’homme est-il tenu, chaque fois qu’il agit, de prendre conscience de toutes les implications de sa conduite sur toute la société.

De même, ce pacte oblige l’homme de reprendre son prochain sinon il s’expose à partager avec lui la responsabilité du mal qu’il fait quand il n’assume pas toute la responsabilité.

Reprendre son prochain, c’est l’interpeller pour réaliser un retour sur lui-même, se corriger et se réhabiliter. Cette réhabilitation n’intervient que s’il prend conscience de son devoir. Cela est d’autant plus difficile que son ignorance en Tora est grande.

L’étude de la Tora est le premier jalon à franchir pour obtenir une téchouva, repentir, efficiente.

Le Yalqout(2) rapporte le Midrache cité par Tana Débè Èliyahou Zota(3) :

«Une fois, [dit Èliyahou], je marchais quand je fus abordé par un homme qui critiquait et ridiculisait mes paroles. Je lui dis :

que répondras-tu [pour ta défense] au Créateur le jour du jugement?

La sagesse et l’intelligence ne me furent point octroyées pour lire [la Bible] et étudier [la Michna].

Mon enfant, quel est ton métier?

Pécheur!

Qui t’a enseigné de prendre le lin pour tisser un filet, le jeter à la mer pour pécher des poissons?

Les cieux m’ont donné le savoir et l’intelligence!

Alors [pour la pèche], les cieux t’ont accordé sagesse et intelligence, mais non pour les paroles de la Tora à propos desquelles il est écrit(4) :

«Non, la chose est tout près de toi : tu l’as dans la bouche et dans le coeur pour pouvoir l’observer.» Ayant réfléchi, il éclata en pleurs. Mais je lui dis : n’aie crainte, les êtres du monde se servent toujours de cette réponse mais leurs actes les condamnent ainsi qu’il est dit :

«Ils sont couverts de confusion ceux qui travaillent le chanvre peigné, comme ceux qui tissent le lin blanc.»

Midrache intéressant et significatif. Souvent l’homme passe à côté de ses responsabilités. Mais, ignorant la vérité, son attitude exprime l’équivoque et l’ambiguïté. Pour apaiser sa conscience, il s’ingénie à trouver des raisons et des justifications à son comportement moral scandaleux.

L’ignorance n’est ni une excuse ni un regret. Lorsque l’homme l’invoque, c’est bien pour cacher le plus souvent un comportement provocateur.

Voilà un homme qui eut le grand mérite de croiser sur son chemin Èliyahou. Bien des Maîtres du Talmoud souhaitaient et désiraient une telle rencontre ou visite. Mieux, au lieu de marquer sa grande satisfaction de profiter de l’enseignement d’Èliyahou, celui-là se permet de critiquer et ridiculiser ses propos. Que de fois certains Sages ont-ils regretté d’être privés de la visite d’Èliyahou parce qu’ils se sont rendu coupables de fautes un tant soit peu légères.

Mais la vérité de la Tora, pour quiconque s’éloigne de son enseignement, devient un poison. Tout est interprété de travers, tout est sujet à la contestation. L’homme est prêt à remettre tout en question sauf lui-même. Sa logique est toujours bonne, excellente, inattaquable.

Cet homme craque devant Èliyahou. Il est vrai que, face aux hommes, l’individu oppose tous les systèmes de défense, tous les arguments et, bien souvent, l’ironie et les railleries. C’est bien l’attitude de notre individu face à Èliyahou.

À la question «que répondras-tu à ton Créateur?», l’homme ne se démonte pas. Il dit tout simplement que, pour étudier la Tora, il eût fallu être pourvu de sagesse et d’intelligence. Il arrive que l’on s’accuse de ce manque pour arrêter toute discussion mettant en cause le refus d’étudier la Tora.

Néanmoins, l’homme se doit d’être conséquent avec lui-même. Si dans ses occupations professionnelles, par exemple, il fait preuve d’intelligence et de sagesse, il serait bien ennuyé d’invoquer leur absence dans l’unique but de poursuivre un tel système de défense devant le Créateur.

Dans le midrache, cet individu est pécheur de métier, capable de tisser des filets et pécher des poissons à la mer. Dans l’étude, le Sage agit comme le pécheur. Des informations enregistrées dans sa mémoire, il analyse, tisse et tire la conclusion qui servira de nouvelle base à la conclusion suivante. La vérité est cachée, couverte par des voiles qu’il s’agit d’écarter afin de parvenir à sa découverte. Ce pécheur peut tout aussi bien utiliser ses talents pour pécher la vérité dans la Tora.

Ainsi Èliyahou ne peut comprendre que l’homme fuie ses responsabilités face à l’étude de la Tora et à la réalisation des mitswot. La Tora est plus accessible encore à l’homme. Il suffit d’un engagement sincère pour entreprendre son étude. Le reste suit aisément. Mais encore faut-il que l’étude de la Tora soit entreprise en vue de son exécution et de sa mise en pratique. L’étude sèche, théorique, ne saurait déboucher sur la réalité de la Tora. Il lui faut absolument la pratique des mitswot. Un pécheur ne saurait se contenter d’une pèche imaginaire, théorique.

Ce qui frappe dans l’attitude de l’interlocuteur d’Èliyahou est bien le fait qu’il est prêt à croire à son propre jeu. Il sait qu’il triche mais il est loin de se l’avouer. Il faut bien lui rappeller le jugement divin. Que dira-t-il en effet à son Créateur si ce n’est de reconnaître qu’il eut le grand tort de gaspiller ses facultés et ses connaissances. Au lieu d’investir ses efforts à servir et à aimer D’ieu, l’homme se laisse vivre.

Cependant, la conscience de l’homme veille toujours. Elle rappelle à l’ordre. Mieux encore lorsqu’un directeur de conscience de la classe d’Èliyahou est là pour inspirer un repentir sincère. Bien souvent, la vie elle-même se charge d’obtenir de l’homme une réhabilitation morale. Les peines et les souffrances rétablissent l’équilibre moral de l’homme. L’homme joue sa liberté.

Mais dès qu’il réalise que son comportement ne saurait demeurer sans châtiment, la seule alternative qui lui reste est de faire un retour à D’ieu. Le repentir n’est possible que lorsque l’homme prend conscience de son incapacité de cacher ses intentions à D’ieu. En éclatant en larmes, cet homme fit preuve de son retour sincère.

Or, quand te seront survenus tous ces événements, la bénédiction ou la malédiction que j’offre à ton choix; si tu les prends à coeur au milieu de tous ces peuples où t’aura relégué l’Ét’ernel, ton D’ieu.

Or, quand te seront survenus tous ces événements, la bénédiction ou la malédiction que j’offre à ton choix;

Rambane écrit que tout ce texte concerne uniquement l’avenir. En effet, tous ces propos ne font nullement référence à des événements passés mais plutôt à des prédictions devant se produire dans le futur.

Certes, le texte est au futur et annonce que le peuple d’Israël, affecté par la malédiction et les souffrances, sera contraint d’envisager le retour à D’ieu. Il est, d’autre part, vrai que Mochè, avant sa mort, attire l’attention des Bénè Yisraèl sur les conséquences de leur comportement.

Par ailleurs, le texte souligne l’ordre naturel des événements. En premier, les Bénè Yisraèl baigneront dans le bonheur et l’abondance. Toutes les bénédictions les atteindront. Mais le bonheur matériel incite parfois l’homme à perdre la tête et, l’orgueil aidant, il ira jusqu’à se révolter contre D’ieu.

Le texte dit(6) :

«Yéchouroune engraissé, regimbe – tu étais trop gras, trop replet, trop bien nourri – et il abandonne le D’ieu qui l’a créé, et il méprise son Rocher tutélaire!»

Cette révolte entraîne la malédiction parce qu’il n’a pas su apprécier la bénédiction.

La bénédiction ou la malédiction que j’offre à ton choix;

Il est paradoxal que surviennent à la fois bénédiction et malédiction car l’une est tout le contraire de l’autre.

En outre, la téchouva est l’effet de la malédiction. Pour quelle raison la Tora parle-t-elle de la bénédiction?

En vérité, dit Mèâm Loêz, Israël, en exil, connaîtra également le bien-être et le bonheur. Mais aussitôt frappé de malédiction, il saura qu’un tel retournement de situation n’est pas accidentel et l’attribuera, au contraire, à la Providence divine. Ce qui contribue à la téchouva.

Si tu les prends à coeur au milieu de tous ces peuples où t’aura relégué l’Ét’ernel, ton D’ieu.

Une manière de prendre conscience de la nécessité de téchouva est de constater que de la richesse et de la gloire, Israël tombera au plus bas niveau de la déchéance. Sans doute, cette bénédiction se transforme-t-elle en malédiction! Mais c’est un bienfait divin puisque, grâce à un tel renversement de situation, Israël serait en mesure de réaliser une véritable conversion et de revenir à D’ieu.

Par ailleurs, malgré l’abondance et la gloire assurées par la bénédiction, la malédiction réside tout de même car Israël ressent cruellement l’éloignement de la Chéhkina. La solution consiste alors, au lieu de tourner le dos à D’ieu et s’éloigner davantage de Lui, à se rapprocher du Créateur pour Le servir.

Or ha-Hayim remarque que le texte ne se contente pas de mentionner la bénédiction et la malédiction, il ajoute «tous ces événements».

Peut-être, dit-il, qu’il entend souligner l’enseignement du Talmoud(7) : «L’homme a le devoir de bénir [D’ieu] à propos d’un malheur comme il Le bénit à propos d’un bonheur.» L’enseignement(8) poursuit : «L’homme doit assumer avec autant de joie le malheur comme le bonheur.»

Aussi est-ce là la raison de l’emploi de Wé-haya, indiquant la joie et la satisfaction. Ainsi est-on appelé à assumer avec une joie égale la bénédiction et la malédiction.

En outre, il établit une différence entre la bénédiction qui échoit au peuple d’Israël puisqu’il dit : âlèkha, sur toi, alors que la malédiction est proposée au choix d’Israël puisqu’il dit : nattati léfanèkha, que j’offre devant toi.

Cette nuance étant, tous ces événements se réfèrent à la bénédiction qui, elle, comporte plusieurs aspects de bonheur. Bien mieux, le texte annonce que non seulement le retour à D’ieu est apprécié dès lors que l’homme prend conscience de son mauvais comportement à partir d’une situation de bonheur, mais même lorsqu’il se trouve dans le malheur. Il est vrai qu’une situation de châtiment agit encore mieux en faveur du repentir puisque le texte souligne aussitôt :

Si tu les prends à coeur,

au point de revenir à D’ieu. C’est en effet le choix entre la récompense, la bénédiction, d’une part et, de l’autre, le châtiment, la malédiction, qui peut aider l’homme à se résoudre au repentir.

Et dans le but de soustraire Israël à une comparaison simple avec d’autres peuples qui furent exilés, le texte l’avertit en disant que l’exil d’Israël est différent des autres exils puisqu’il se trouve relégué parmi tous les peuples de la terre. Ceci constitue une raison de plus pour que Âm YisraèI revienne à D’ieu.

Kéli Yaqar établit, quant à lui, une nuance importante entre hiddihakha, où t’aura relégué l’Ét’ernel, et hèfitsékha, parmi les peuples où il t’aura dispersé.

Pour lui, hèfits, désigne l’exil physique et hiddiah, l’exil moral car Israël sera dans l’impossibilité de réaliser des mitswot. L’exil moral peut entraîner une situation de désespoir. Le peuple sent qu’il perd tout contact avec D’ieu. Étant jeté parmi des peuples qui l’empêchent de réaliser par les mitswot le lien avec D’ieu, Israël conclut au refus de D’ieu de le sauver d’un tel exil.

Pour parer à une telle situation, D’ieu attire l’attention d’Israël pour lui signifier qu’Il désire, bien au contraire, la réalisation des mitswot. Aussi, pour cette raison, lui recommande-t-Il :

Que tu retournes à l’Ét’ernel, ton D’ieu, et que tu obéisses à Sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui – toi et tes enfants – de tout ton coeur et de toute ton âme.

Que tu retournes à l’Ét’ernel, ton D’ieu, et que tu obéisses à Sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui.

Aussitôt qu’Israël prend la résolution de faire une téchouva parfaite, avant même de passer à l’acte, D’ieu fera en sorte de le délivrer afin de lui procurer la possibilité de réaliser les mitswot. Il suffit que l’obéissance à D’ieu soit de tout coeur pour que D’ieu facilite le rassemblement d’Israël de tous les pays où il fut dispersé.

Sforno donne une définition de la nature du repentir à partir du texte. Il explique, en effet, que le repentir consiste à réaliser exclusivement la volonté de D’ieu tel que le Talmoud(9) le précise : «grand est le repentir qui atteint le trône céleste.»

Par ailleurs, observer Sa voix, non par habitude mais obéir à Ses commandements parce qu’ils émanent de D’ieu.

Le repentir n’intéresse pas seulement l’individu mais toutes les générations à venir, tel qu’il est dit «toi et tes enfants».

Enfin, il faut viser le repentir de tout ton coeur et de toute ton âme afin de ne point laisser s’installer le doute dans l’esprit.

Ce n’est qu’en réalisant un tel repentir que D’ieu mettra un terme à l’exil puisqu’Il rassemblera Israël de toutes les directions et le rétablira dans le pays de ses pères pour le rendre florissant et nombreux.

C’est bien ce que le texte précise :

L’Ét’ernel, ton D’ieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil, et Il te rassemblera du sein des peuples parmi lesquels Il t’aura dispersé.

L’Ét’ernel, ton D’ieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil,

Le retour d’Israël à D’ieu favorise le retour de D’ieu à Israël. Le retour divin s’accompagne de tous les bienfaits, surtout celui de circoncire le coeur d’Israël pour extirper le doute et les erreurs de jugement qui empêchent l’attachement d’Israël à D’ieu et ce, afin de t’assurer l’existence à jamais.

Or ha-Hayim trace les trois conditions du repentir.

Tout d’abord, revenir à D’ieu ne saurait se réaliser que grâce à l’étude de la Tora. Aussi, le texte précise-t-il aussitôt que tu obéisses à Sa voix pour souligner l’importance de l’étude de la Tora qui pourrait favoriser le retour au pays d’Israël.

Ensuite, observer les interdits. À ce propos, le texte annonce que D’ieu fera circoncire le coeur d’Israël pour l’inciter à plus d’amour et de crainte de D’ieu.

Enfin, l’observance des prescriptions, des devoirs, tel qu’il est dit(10) :

«Tandis que toi, revenu au bien, tu seras docile à la voix du Seigneur, accomplissant tous Ses commandements que je te prescris aujourd’hui.»

  1. Dévarim 30, 1-6.
  2. Nitsabim paragr. 30.
  3. cf. Chap. 14.
  4. Dévarim 30, 14.
  5. Yéchâya 19, 9.
  6. Dévarim 32, 15.
  7. Bérakhot 54a.
  8. id. 60b.
  9. Yoma 86a.
  10. Dévarim 30, 8.

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