Sens de l’alliance

Le séjour d’Israël dans le désert tire à sa fin. Mochè dresse devant Israël le bilan de son règne. Les moments importants sont passés en revue. Certains méritent d’être cités afin d’en tirer un enseignement pour l’avenir. S’il stigmatise les instants de révolte, il exalte ceux qui se signalent par l’amour et la fidélité témoignés à D’ieu.

Mochè garde cependant toute sa lucidité. Il sait combien Israël avait par le passé fait preuve de versatilité. À peine eut-il le privilège d’assister aux prodiges divins, qu’il tourne le dos à D’ieu. Il rappelle le bonheur que l’on retire de l’obéissance aux prescriptions divines, de la soumission à Sa volonté. Mais il décrit les malheurs, les souffrances et les misères qui les frapperont en cas de désobéissance et d’insoumission.

La description exhaustive de tous les malheurs qui affecteront Israël est si précise que l’on à peine à croire que Mochè puisse annoncer avec autant de férocité, de cruauté, les événements tragiques qui affecteront le peuple d’Israël durant son histoire.

Ce faisant, Mochè laisse transparaître l’ardeur de son amour pour le peuple d’Israël. Il tient beaucoup à son bonheur pour l’abandonner à ses désirs et assister indifférent à ses débordements. Pour lui, les efforts qu’il a investis dans son peuple, il ne veut point les voir réduits à néant.

Mochè se préoccupe du devenir du peuple, de sa perfection morale dans l’avenir. Les malédictions et les châtiments qu’il prononce assurent en fait la survie et la stabilité d’Israël.

Pour mieux s’attacher encore la coopération du peuple d’Israël, Mochè entend contracter une alliance dont les termes, mis en pratique, contribueront à la réussite de toutes Ses œuvres. Cette alliance, Mochè la veut au moment où Israël allait changer de chef. Ainsi s’exprime Rachi à propos du texte(1) :

Vous vous tenez aujourd’hui.” Il les fait mettre en rangs, dit-il, pour exciter leur zèle au moment où Israël passe aux mains de Yéhochouâ. Celui-ci agit de même(2) et Chémouèl aussi(3) :

Maintenant dressez-vous, je veux contester avec vous“, lorsqu’ils sont passés de son autorité à celle de Chaoul.”

Cette alliance est d’extrême importance. Mochè s’assure de la coopération d’Israël avec Yéhochouâ son successeur. Mochè se préoccupe, en effet, de la soumission du peuple à Yéhochouâ, car tant qu’Israël est dirigé par Yéhochouâ, Mochè se considère comme étant encore vivant. Rachi souligne à propos du texte(4) :

Car je sais qu’après ma mort vous irez dégénérant et que vous dévierez du chemin que je vous ai prescrit.” Durant la vie de Yéhochouâ, ils ne se sont pas pervertis, car il est dit(5) :

Le peuple servit le Seigneur durant tout le temps de Yéhochouâ.” On déduit de là que l’élève est aussi cher à son maître que lui-même. Aussi longtemps que Yéhochouâ vivrait, Mochè s’imaginerait que lui-même était encore vivant.”

Le Midrache(6) citant(7) :

Afin d’entrer dans l’alliance de l’Ét’ernel, ton D’ieu, et dans Son pacte solennel, par lesquels Il traite avec toi en ce jour“, rapporte : Le Saint béni soit-Il contracte avec [Israël], à la sortie d’Égypte, une alliance au Mont Sinaï, une autre à Horèb, et enfin cette dernlère. Pourquoi le Saint béni soit-Il contracte-t-Il ici [cette alliance]? Parce que l’alliance du Sinaï fut dénoncée lorsque [les bénè Yisraèl] proclamèrent : “Voici ton dieu“. Aussi contracte-t-Il de nouveau [à Horèb](8) assortie de malédiction à celui qui renie son engagement. Le terme lé-ôbrèkha, afin d’entrer dans l’Alliance, s’emploie lorsqu’un homme s’adresse ainsi à son prochain : que la malédiction pénètre en toi si tu renies ton engagement à mon égard.

Ainsi Israël, irritant [le Saint béni soit-Il], fut exilé. Danièl dit(9) :

Tout Israël a transgressé Ta Loi et s’est détourné pour ne pas entendre Ta voix; aussi avons-nous vu fondre sur nous la malédiction et l’imprécation consignées dans la Loi de Mochè, serviteur de D’ieu, parce que nous avons péché contre Lui.” Ala, signifie surtout malédiction tel qu’il est dit(10) :

Et cette femme deviendra un sujet d’imprécation, ala, parmi son peuple.” Ceci enseigne que le Saint béni soit-Il adjure Israël comme on adjure la femme infidèle. On pourrait se demander pour quelle raison tant d’efforts? Ce n’est point que J’ai besoin de vous [dit le Saint béni soit-Il]. Mais que puis-Je faire? J’ai déjà juré à vos ancêtres que Je ne vous changerai pas, ni vous ni vos enfants, pour l’éternité. C’est pourquoi il est dit(11) :

Voulant te constituer aujourd’hui pour son peuple, et lui-même être ton D’ieu, comme Il te l’a déclaré et comme Il l’avait juré à tes pères Abraham, Yitshaq et Yaâqov.” Et il est dit(12) :

Un roi serait enchaîné par ces boucles!”. Assour, enchaîné, n’est autre que serment, tel qu’il est dit(13) :

On s’est interdit quelque chose par serment.” C’est pourquoi Il ne peut renier Son serment. Ainsi, voulant rejeter le poids de leur serment au temps de Yéhèzqèl, il est écrit(14) :

Certains d’entre les anciens d’Israël vinrent consulter le Seigneur et ils s’assirent en face de moi.” Ils dirent : un Kohène qui fait l’acquisition d’un serviteur, peut-il lui servir à manger la térouma, prélèvement? Il répond : il peut en manger. Ils reprirent : si son maître le revend à un Israélite, n’est-il pas dégagé de son autorité? Oui, réplique-t-il! Alors, dirent-ils, nous aussi sommes déjà dégagés de l’autorité [de D’ieu]. Qu’il nous soit permis d’être comme tous les peuples. Yéhèzqèl s’adresse ainsi à Israël(15) :

Ce qui vous monte en l’esprit ne se réalisera pas lorsque vous dites : “Devenons comme les Nations, comme les familles des [autres] pays pour adorer le bois et la pierre!” Par ma vie, dit le Seigneur D’ieu, Je jure que d’une main puissante et d’un bras étendu et d’un courroux débordant, Je me comporterai en roi à votre égard.” Il leur affirme : tant qu’il n’a pas vendu, le serviteur est sa propriété. Et vous, vous n’avez pas été vendus contre de l’argent tel qu’il est dit(16) :

Gratuitement vous avez été vendus.” Voulant te constituer aujourd’hui pour son peuple, afin que je ne revienne pas sur mon serment fait à vos ancêtres…”

Pour le Midrache, il est important de justifier la nécessité des trois Alliances. Concernant l’Alliance du Sinaï, rien n’est plus naturel que, pour donner la Tora à Israël, D’ieu ait recours à l’Alliance avec Israël afin de s’assurer de sa fidélité.

On ne saurait envisager la possibilité de confier la Tora, fille unique du Créateur, à Israël si D’ieu n’avait pas l’engagement effectif de tout le peuple pour la mise en pratique de toutes les prescriptions.

Cependant Israël a vite fait de dénoncer cet engagement. Moins de quarante jours après, le peuple d’Israël se rend coupable de la faute du veau d’or. L’interdit de l’idolâtrie étant transgressé, c’est toute son adhésion à la Tora qui est remise en question.

Israël répare l’irréparable. D’ieu veut bien lui accorder une seconde chance. Son repentir est pris en considération. Mais D’ieu ne consent à remettre sa Chékhina parmi Israël qu’une fois le Michekane érigé.

De nouvelles tables de la Loi sont octroyées à Israël. La Tora prenant place parmi Israël nécessite une nouvelle Alliance. Elle eut lieu à Horèb. Celle-ci remplace la première. Israël sent que cet engagement est sérieux. Il ne s’agit point de le remettre en cause. L’expérience du veau d’or qui avait provoqué l’exil de la Chékhina n’est plus à refaire.

Dans une telle perspective, rien ne justifierait l’Alliance de Ârbot Moab. Le Midrache s’interroge en fait sur la signification de cette troisième Alliance.

Sans doute, Israël invoquera-t-il pour les deux Alliances précédentes d’avoir consenti sous la pression. Ne fut-il pas l’objet d’une violence lorsque D’ieu avait renversé le mont Sinaï comme une coupole en disant à Israël(17) : “Si vous acceptez [la Tora], c’est bon. Sinon c’est là que vous serez ensevelis.” Israël a donc l’excuse de cette violence.

L’alliance de Horèb remplace la première. Mais elle présente le désavantage d’avoir été contractée dans le désert, lieu considéré par Israël comme un élément forçant son engagement, ne présentant ni attrait ni divertissement qui l’éloigneraient de l’étude de la Tora.

Mais, arrivés à Ârbot Moab, terre habitée, D’ieu réactive de nouveau l’Alliance afin qu’Israël ne soit pas tenté d’invoquer l’argument de violence ou de pression exercée sur lui tant par la forme, renversant la montagne comme une coupole, que par le séjour dans le désert dont la nature compatible avec la Tora.

Israël accepte. Il s’engage non seulement au niveau individuel mais également au niveau collectif. Cette alliance est celle de la solidarité. Israël engage toutes les générations futures à Ârbot Moab.

L’Alliance de Ârbot Moab est assortie de malédiction en cas de renoncement. C’est la première fois que D’ieu use d’un tel procédé. Pourquoi? Israël avait montré par le passé une tendance au reniement. Ici, D’ieu le fait jurer. Or un serment non respecté entraîne un châtiment.

La possibilité de s’exposer au châtiment exerce son effet coercitif sur Israël qui, de ce fait, sera mieux porté au respect de l’Alliance.

Mais l’Alliance se conjugue à deux. Le partenaire d’Israël est D’ieu. D’ieu sait d’un côté qu’Israël est enclin à la désobéissance. Assortissant l’alliance de châtiment, Il expose Israël à un anéantissement certain.

Or, Dieu avait juré, promis aux Ancêtres de maintenir avec leurs descendants non seulement des relations privilégiées, mais aussi de ne jamais leur substituer un autre peuple.

L’alliance présente donc un aspect tout à fait nouveau et capital. D’ieu s’engage lui aussi à ne jamais renoncer au serment fait aux Ancêtres. Il se lie, par cette Alliance, à ne jamais abandonner Âm Yisraèl fut-il coupable lui-même d’avoir abandonné D’ieu.

En fait, quand D’ieu traite avec Israël, Son but est de se forcer à “le constituer pour Son peuple et Lui-même être son D’ieu.” Sans ce serment, à la première faute grave, D’ieu aurait pu remettre en question ses relations privilégiées avec Israël.

Le Midrache se plaît à rappeler l’occasion où Israël avait exprimé sa volonté de renoncer à son engagement à l’égard de D’ieu. Consultant Yéhèzqèl, les Anciens d’Israël se demandent si, en réalité, D’ieu ne s’était pas débarrassé de Son peuple simplement en l’exilant en Babylonie.

Ainsi, tel l’esclave du Kohène qui, par acte de vente, passant aux mains d’un autre maître, n’a plus le droit de consommer la Térouma, ainsi Israël, passant des mains de D’ieu à celles du roi de Babylonie, réclame d’être libéré de son allégeance à D’ieu et à la Tora.

Mais le prophète défend avec ardeur et colère à Israël de penser à cette éventualité car c’est d’une main puissante que D’ieu régnera sur Israël.

L’argument est tout simple. D’ieu n’a jamais renoncé à Âm Yisraèl en tant que peuple. Quand bien même D’ieu l’aurait vendu aux Babyloniens, la vente s’est faite sans argent, autant dire qu’elle ne s’est point faite.

Pour cette raison, Israël ne peut se prévaloir de son droit à la libération du joug divin.

Sans doute, Âm Yisraèl mérite-t-il à ce moment que D’ieu se désintéresse de lui au point de lui contester sa qualité de peuple de D’ieu. Mais le serment divin fait que D’ieu ne peut reprendre Sa parole.

Dans cette Alliance, D’ieu et Israël s’engagent. Pour la dénoncer, les deux parties contractantes sont tenues à exprimer leur accord. Le serment de D’ieu est, par définition, éternel et permanent. Ne pouvant le renier, Israël demeurera à jamais le peuple de D’ieu.

1. Dévarim 29, 9.

2. Yéhochouâ 24, 1.

3. Chémouèl 1. 12, 7.

4. Dévarim 31, 29.

5. Chofétim 2, 7.

6. Tanhouma, Nitsabim, paragr. 3.

7. Dévarim 29, 11.

8. N.B. Horèb doit être supprimé.

9. Danièl 9, 11.

10. Bé-midbar 5, 27.

11. Dévarim 29, 12.

12. Chir ha-Chirim 7, 6.

13. Bé-midbar 30, 11.

14. Yéhèzqèl 20, 1.

15. Yéhèzqèl 20, 32-33.

16. Yéchâya 52, 3.

17. Chabbat 88a.

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