L’amour de la Tora

Mochè constate avec bonheur qu’Israël éprouve un amour véritable pour la Tora. Durant le séjour du désert, il n’a cessé de reprendre, de corriger les écarts de conduite d’Israël. La Tora vise surtout à affermir par ses prescriptions l’âme, lui fournissant les armes pour affronter les tentations de la vie matérielle et pour s’élever à la perfection.

Tel un remède qui soigne le mal physique sans que le malade se rende compte de son action bénéfique sur le corps, ainsi les mitswot de la Tora agissent sur l’âme, la modelant et la préparant à atteindre son épanouissement. Mochè voit dans cette évolution le couronnement de tous les efforts de quarante années.

Ainsi s’exprime Rachi à propos du texte(1) :

D’ieu ne vous a pas donné un cœur pour connaître jusqu’à ce jour.” J’ai entendu dire, souligne-t-il, qu’il s’agit du jour où Mochè avait donné le livre de la Tora aux enfants de Léwi, ainsi qu’il est dit(2) :

Il la donna aux Prêtres, enfants de Léwi.” Tout Israël vint trouver Mochè et lui dit : Mochè, notre Maître, nous aussi étions au Sinaï; nous avons accepté la Tora, D’ieu nous l’a donnée. Pourquoi confères-tu le monopole aux fils de ta tribu? Demain ils pourront nous dire : Ce n’est pas à vous qu’elle a été donnée, mais à nous. Mochè se réjouit de ce langage et c’est pourquoi il leur dit(3) :

Aujourd’hui, tu es devenu le peuple…“, aujourd’hui, je réalise que vous êtes attachés à D’ieu et avez le désir de Sa Présence.”

Mochè réalise, selon ce commentaire, que le peuple d’Israël, en définitive, a compris ce que la Tora signifie pour lui. Ce n’est plus un ensemble de lois restrictives ou de lois contraignantes, mais un code de vie qui le conduit vers le véritable amour de D’ieu.

La Tora fait partie intégrante de l’essence d’Israël qui est désormais prêt à contester à la tribu de Léwi le monopole de la Tora. D’ieu, dans Sa bonté, s’est révélé à tout Israël. Sa parole ne s’est pas adressée uniquement à la tribu de Léwi. Elle le fut pour tout Israël. À ce titre, Israël en réclame le droit à la propriété. Ressentir l’appréhension d’être un jour exclu de la Tora, ou tout au moins lui en contester le droit à son appartenance, voilà qui fait l’émerveillement de Mochè.

L’amour de la Tora qui, en réalité, revient à dire l’amour et l’attachement à D’ieu, inspire au Midrache ces propos.

Citant(4) :

Mochè, assisté des Kohanim descendants de Léwi, parla ainsi à tout Israël : “Fais silence et écoute, ô Israël! En ce jour, tu es devenu le peuple de l’Ét’ernel, ton D’ieu“, il rapporte(5) : Que signifie haskètfais silenceou-chémâet écouteHassilence et, après cela, katètbroie(6). Mochè dit à Israël : Formez des groupes et préparez votre cœur à écouter les paroles de la Tora.

Autre explication.

[Mochè] leur dit : brisez votre coeur et votre âme pour comprendre les paroles de la Tora. De tout votre cœur, Rabbi Èl’âzar Bèn Yaâqov dit : le texte attire l’attention des Kohanim sur le fait de ne point avoir, au moment de leur service, deux coeurs [partagés] : un voué au Saint béni soit-Il, et le deuxième voué à autre chose. De toute votre âme, [Le servir] même au prix de la vie. Une fois l’autorité grecque(7) avait menacé [Israël] d’extermination s’il s’adonnait à l’étude de la Tora. Rabbi Âqiba et ses compagnons se sont mis à l’étude de la Tora. Papous Bèn Yéhouda vint trouver [Rabbi Âqiba] et lui dit : tu te mets en danger car tu transgresses le décret royal. Rabbi Âqiba répond : Permets que je te rappelle cette parabole. Un renard s’en allant au bord du fleuve vit des poissons courir se cacher. Il leur dit : venez à moi et je vous cacherai dans les fentes des rochers afin que vous n’ayez plus d’appréhension. Ils répondent : est-il vrai que l’on dise de toi le plus intelligent des bêtes, tu n’es qu’un sot. Toute notre vie ne tient que sur l’eau. Tu nous proposes pourtant de monter à terre. Si déjà dans notre élément vital nous avons peur, que serait-ce dans un élément entraînant la mort?

Ainsi pour nous, lui dit-il, toute notre vie n’existe que par la Tora, tel qu’il est dit(8) :

C’est là la condition de la vie et de ta longévité“, et tu prétends que je mets ma vie en danger! Peu après, tous les deux furent arrêtés. Papous, s’adressant à Rabbi Âqiba, dit : Sois heureux, Rabbi Âqiba, car tu fus arrêté pour la Tora. Malheur à Papous qui fut incarcéré pour des choses futiles. Quand Rabbi Âqiba fut entraîné pour l’exécution, c’était le temps de la lecture du Chémâ. [Les bourreaux] lui brossaient la chair avec des peignes en fer pendant qu’il lisait le Chémâ. C’est à son propos que David dit(9) :

Par Ta main, ô Ét’ernel, [sauve-moi] de ces gens, de ces gens esclaves du monde qui jouissent largement de la vie.”

Rabbi Hanina Bèn Papa dit : ne lis pas mimétimdes gens, mais plutôt mimètimceux qui se sacrifient pour la Tora qui fut donnée par Ta main. Les hommes, les voyant, disent d’eux : ils sont pleins de rouille, autrement dit, ils sont chargés de péchés, motivant leur mort et leur disparition du monde. Mais ils ignorent que la vie éternelle et tout le bonheur constituent la part qui leur est réservée, tel qu’il est dit(10) :

Ils jouissent largement de la vie [des biens que Tu leur réserves], Tu bourres leur ventre.” De plus, leurs mérites passent à leur descendance après eux “dont les enfants ont tout en abondance et laissent leur superflu à leur progéniture.”

Le midrache cherche, à travers son analyse, à montrer les difficultés et les obstacles que l’homme rencontre avant d’atteindre l’expression parfaite de l’amour de la Tora.

L’homme doit agir tel un moulin qui broie les grains de blé pour obtenir, après un tamisage appliqué, une farine pure et de première qualité. Le raisonnement, les catégories de la logique et de la raison constituent le moyen sûr de déboucher sur la vérité de la Tora.

L’effort individuel crée les conditions idéales pour entretenir avec la Tora des relations privilégiées. Mais ces relations aboutissent à leur parfaite expression dans l’étude entreprise en groupe. Rien n’est comparable à l’étude collective. C’est à travers le choc des idées, la confrontation des opinions que l’analyse des textes de la Tora débouche sur la vérité.

Bien plus, ce qui fut, avant tout, une discussion dont l’intention avouée, sans doute, de faire passer sa position se transforme peu à peu en un échange de connaissances dont l’objectif vise à découvrir l’aspect véritable de la Tora.

L’étude collective révèle l’autre et enseigne la tolérance et le respect de l’opinion d’autrui. C’est là que l’étude s’épanouit et s’accomplit.

Pour que l’amour de la Tora soit parfait, il est absolument nécessaire de l’exprimer de tout son cœur. Avoir le cœur divisé, partagé entre l’amour de D’ieu, de Sa Tora, et voué à autre chose, ne peut que nuire à la connaissance de la Tora. Aimer la Tora exige un amour exclusif qui ne supporte aucun partage. Cela n’est possible que si l’on entreprend l’étude en groupe et surtout une étude qui ne tient aucun compte de la vie matérielle et des bonheurs furtifs du monde présent.

Cet amour nécessite, si le besoin se fait sentir, du don de soi, du sacrifice suprême. Même s’Il ôte la vie, il faut continuer à exprimer l’amour pour D’ieu, pour la Tora.

Ces deux principes justifient la position de Rabbi Âqiba. Les lois grecques [romaines] interdisant l’étude de la Tora ne sauraient mettre un frein à l’amour qu’éprouvent Rabbi Âqiba et ses compagnons pour son étude. Les avertissements de Papous Bèn Yéhouda restent sans effet. Papous est riche. Il protège sa richesse. Il a peur d’attiser la colère des conquérants. La vie mérite que l’on prenne soin d’elle.

Mais Rabbi Âqiba reproche à Papous son amour exagéré pour des biens qu’il ne saurait garder éternellement. L’homme, Israël surtout, n’a de vie que grâce à la Tora. L’élément vital d’Israël, le principe qui lui assure l’existence, n’est autre que la Tora. Tel le poisson qui cesse de vivre privé de son eau, ainsi Israël cesse d’exister privé de Tora.

Les Romains l’ont d’ailleurs compris. Éloigner Israël de la Tora revient simplement à décréter son extermination. Ou il cesse de vivre en tant qu’homme de la Tora, ou il mérite la mort.

Papous conçoit bien que Rabbi Âqiba ne se résoudrait à aucun moment d’abandonner l’étude de la Tora. Il lui demande seulement de ne point attirer l’attention des Romains, de ne point provoquer leur colère. N’est-il pas possible d’étudier discrètement?

Rabbi Âqiba comprend l’esprit des Romains. Leur but est de créer un réflexe d’autocensure. Rabbi Âqiba, par son attitude provocante, amène les Romains à faire le constat de leur échec. Rabbi Âqiba est certes arrêté. Mais il l’aurait été de toutes les manières. Car la politique des Conquérants est de décapiter le peuple et le priver de ses chefs tant spirituels que temporels.

La rencontre en prison de Rabbi Âqiba et de Papous est édifiante. Papous est au regret de reconnaître qu’il s’est trompé. Pour les Romains, la richesse de Papous est aussi dangereuse que la sagesse de Rabbi Âqiba. Mais Papous félicite Rabbi Âqiba pour la fermeté de sa position et pour son amour exclusif de la Tora.

L’amour de Rabbi Âqiba pour la Tora est tel qu’au moment où on arrachait sa chair en lambeaux, il ne sentait absolument rien. Il récitait le Chémâ, faisant profession de foi, témoignant son amour à D’ieu Un qu’il faut aimer même si on lui ôte la vie. Rabbi Âqiba est heureux de l’occasion qui lui est offerte, qu’il a toujours désirée, afin d’exprimer son amour à D’ieu alors qu’on lui enlevait la vie.

Rabbi Hanina Bèn Papa, pour sa part, écarte les critiques que soulèvent des ignorants en voyant dans la mort de Rabbi Âqiba et ses compagnons la preuve de leur imperfection morale. Pour eux, une mort pareille n’est possible que parce qu’ils sont pleins de péchés, chargés de rouille et d’oxydation. Mais ils ne savent point que la récompense et le bonheur ne sont pas de ce monde. Leur amour de la Tora ne s’arrête pas à la poursuite d’un bonheur matériel.

Israël doit témoigner son amour pour la Tora malgré l’absence de bonheur. Les privations et les sacrifices, bien loin de ternir l’éclat de son amour pour la Tora, lui assurent une vie éternelle dont les prolongements font que toute sa descendance en jouira à jamais. Aimer D’ieu, aimer la Tora, c’est s’attacher à la vie et au bonheur éternel.

1. Dévarim 29, 3.

2. id. 31, 9.

3. Ibid. 27, 9.

4. Dévarim 27, 9.

5. Tanhouma sur Ki Tavo, paragr. 2.

6. N.B. Fais silence pendant longtemps, écoute tes Maîtres même si l’enseignement est difficile. Après quoi, tu peux t’employer à le broyer, autrement dit l’analyser pour mieux l’assimiler.

7. N.B. Ne s’agit-il pas de Romains plutôt?

8. Dévarim 30, 28.

9. Téhillim 17, 14.

10. Téhillim 17, 14.

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