Après la mort de Yossèf
Voici les noms des fils d’Israël, venus en Égypte; ils y accompagnèrent Yaâqov, chacun avec sa famille : Réoubène, Chimône, Léwi, et Yéhouda. Yissakhar, Zébouloune et Binyamine. Dane et Naftali, Gad et Achèr.Toutes les personnes composant la lignée de Yaâqov étaient au nombre de soixante-dix. Pour Yossèf, il était déjà en Égypte. Yossèf mourut ainsi que tous ses frères, ainsi que toute cette génération. Or, les enfants d’Israël avaient augmenté, pullulé, étaient devenus prodigieusement nombreux, et ils remplissaient la contrée.
Un roi nouveau s’éleva sur l’Égypte, lequel n’avait point connu Yossèf. Il dit à son peuple :Voyez, la population des enfants d’Israël surpasse et domine la nôtre. Eh bien! usons d’expédients contre elle; autrement, elle s’accroîtra encore et alors survienne une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la province. Et l’on imposa à ce peuple des officiers de corvée pour l’accabler de labeurs; et il bâtit pour Parô des villes d’approvisionnement, Pitom et Raâméssès. Mais plus on l’opprimait, plus sa population grossissait et débordait et ils conçurent de l’aversion pour les enfants d’Israël Chémot 1, 1-12..
La sidra Chémot, , relate le début de l’esclavage des Bénè Yisraèl en Égypte. Certes se sont-ils tellement multipliés en terre d’Égypte que Parô fut saisi de panique au point de vouloir réduire leur nombre par des travaux, des persécutions et des mesures aussi cruelles que criminelles : tuer à la naissance les garçons, les jeter dans le Nil. Ce n’est que la cause apparente de cet esclavage.
La réalité est que le temps était venu pour les descendants d’Abraham, conformément au décret divin, d’être asservis.
Le midrache Tanhouma Chémot 1, 1. en guise d’introduction à cette sidra rapporte :
Voici les noms des fils d’Israël… c’est bien ce que dit le verset Téhillim 48, 11. :
Comme Ton Nom, O D’ieu, ainsi sont tes louanges…
Il arrive à un roi, être de chair et de sang, qu’on le loue, lors de son passage dans une cité, pour sa puissance alors qu’il est faible, pour sa clémence alors qu’il est cruel, pour sa beauté alors qu’il est laid. Mais il n’en est pas ainsi pour le Saint-béni soit-Il. Il dépasse toutes les louanges qu’on peut Lui faire. On Le loue pour Sa puissance et Il est en fait puissant tel qu’il est dit Dévarim 10, 17. :
Car l’Ét’ernel… D’ieu souverain, puissant et redoutable.
Ainsi donc est-Il redoutable de louanges autrement dit, Il est redoutable parce qu’Il est au-dessus de toute Sa louange. Ainsi s’exprime David Divrè ha-Yamim I 29, 11. :
A toi, Ét’ernel, appartiennent la grandeur, la puissance, la gloire, l’autorité et la majesté…
Ton Nom domine et dépasse toute louange et grandeur que nous pouvons T’attribuer. Ainsi Le louent les membres de la Grande Assemblée Néhèmya 9, 5. :
Oui, qu’on bénisse Ton Nom glorieux, qui est élevé au-dessus de toute bénédiction et de toute louange!
Aussi ton Nom est-Il à la mesure de Ta louange. Mais les êtres humains ne sauraient être ainsi. Il en est qui portent de beaux noms et leurs actes sont mauvais. En revanche, d’autres portent de beaux noms et leurs actes sont bons. Il s’agit des tribus Réoubène, Chimône…
Le midrache fait l’éloge des tribus qui sont comparées aux étoiles que D’ieu compte à leur sortie et à leur entrée pour attester de leur valeur. Ainsi dénombre-t-il les Bénè Yisraèl à leur entrée en Égypte comme il les compte à leur sortie pour souligner l’affection que D’ieu leur témoigne.
En outre, faisant ressortir leurs noms dont la beauté est aussi égale aux actes, le midrachelaisse entendre que d’autres existent cependant dont la beauté des noms tels Yichemaêl et Êssaw ne coïncide nullement avec leurs actes.
Le Yalqout Chémot 1, 1. dit à propos du verset :
Voici les noms des fils d’Israël venus en Égypte : Yichemaêl et Yitshaq n’étaient-ils pas frères? Êssaw et Yaâqov étaient aussi frères. Pourquoi ni Yichemaêl ni Êssaw ne sont-ils pas descendus [en Égypte]?
Pour Rabbi Èl’âzar, cela fait penser à quelqu’un qui avait emprunté de l’argent au Roi. Peu de temps après, il mourut laissant deux enfants. L’un était au service du roi et l’autre prit la fuite. Le roi dit à celui qui le servait :
Je te réclame toute la dette de ton père.
Dois-je payer parce que je vous sers?
Par ta vie, je te réserve une grande récompense! Quand ton frère sera repris, je te le livrerai, il sera ton serviteur.
Ainsi à la fin des temps, il est dit Ôbadya 1, 19. :
Les habitants du Nèguèv hériteront la montagne de Êssaw.
Rien d’étonnant que les Bénè Yisraèl dont le comportement irréprochable, servant D’ieu et L’aimant, soient les véritables et les dignes successeurs d’Abraham. La dette de 400 ans ne saurait être payée que par les tribus, enfants d’Israël, dont les noms et dont la conduite sont parfaits et dignes de louanges.
Voici les noms des fils d’Israël, venus en Égypte; ils y accompagnèrent Yaâqov, chacun avec sa famille : Réoubène, Chimône, Léwi, et Yéhouda. Yissakhar, Zébouloune et Binyamine. Dane et Naftali, Gad et Achèr.
Voici les noms des fils d’Israël,
Le texte commence par Et voici, laissant supposer qu’il est coordonné au précédent alors qu’il s’agit d’un nouveau chapitre! De même après avoir nommé les Bénè Yisraèl dans la sidra Wayi-gache, il est inutile de les citer de nouveau.
Le texte nomme les enfants d’Israël une seconde fois car, pour le midrache, les Bénè Yisraèln’ont pu sortir d’Égypte que grâce à quatre mérites. Fidèles à leur nom et à leur langue, ils se tiennent à l’écart des ârayot, impudicités, ainsi que de la délation.
Par ailleurs, le midrache ajoute également leur fidélité à la manière de se vêtir.
L’accent porte sur l’identité du peuple hébreu qui, durant tout l’exil d’Égypte, n’avait jamais consenti, malgré les persécutions et les mauvais traitements, de se laisser assimiler.
Le Yalqout sur cette sidra précise que les noms des tribus ont été attribué en fonction de la délivrance, Réoubène, car le texte affirme Chémot 3, 7. : L’Ét’ernel poursuivit : J’ai vu, rao, raïti, j’ai vu l’humiliation de mon peuple qui est en Égypte. Chimône, parce qu’il est dit Chémot 2, 24. : L’Ét’ernel entendit, wayi-chemâ, leurs soupirs. Mais adoptant d’autres noms, n’ayant aucun rapport avec la délivrance, ils perdraient tout espoir d’être délivrés. De même, le changement de langue revient à abandonner l’espoir en la délivrance, car Réoubène y faisant référence n’a de sens qu’en préservant la langue sacrée.
Et voici .
L’emploi du waw conjonctif souligne, selon Or ha-Hayim, que les douze enfants de Yaâqov étaient tsaddiqim, parfaits, autant qu’Abraham, Yitshaq et Yaâqov.
L’intention est de bien préciser que l’exil avait déjà commencé, selon les Pirqè de Rabbi Èliêzèr, à partir d’Abraham.
Enfin, le texte signale que, à l’exemple des pères Abraham, Yitshaq et Yaâqov, les Bénè Yisraèl assument l’esclavage et engagent également leur descendance à l’assumer. Aussi est-ce ainsi la lecture du texte :
Voici les noms des fils d’Israël venus en Égypte : leur descente en Égypte répond au décret divin de les y asservir. Malgré cela ils sont venus prêts à payer leur dette et non la refuser comme Êssaw. C’est pourquoi ils sont venus accompagnés de leurs familles pour s’installer en Égypte et y être asservis.
Venus en Égypte, .
Du temps présent , viennent, le texte glisse au temps passé , étaient venus.
Ce changement de temps se justifie aux dires de Baâlè ha-Tosséfot par les mesures draconiennes que les Égyptiens ont imposées aux enfants d’Israël après la mort de Yossèf. Leur impression fut qu’ils venaient à peine de s’installer en Égypte.
Reliant ce verset commençant par le waw conjonctif au dernier verset de Way-hi, relatant la mort de Yossèf, Kéli Yaqar souligne, en effet, qu’après la mort de Yossèf, les Bénè Yisraèleurent le sentiment d’être indésirables en Égypte.
Ha-bayim, et baou, .
La première fois, les enfants de Yaâqov sont venus en compagnie de leur père. Et, partis au pays de Kénaâne pour y ensevelir Yaâqov, ils pouvaient bien y rester, car rien ne les obligeait à redescendre en Égypte. Pourtant en acceptant délibérément à venir, ils le font dans le but d’y être asservis et accomplir le décret divin cf. Or ha-Hayim..
Toutes les personnes composant la lignée de Yaâqov étaient au nombre de soixante-dix. Pour Yossèf, il était déjà en Égypte.
Ce fut,
Way-hi, est une expression de douleur et de souffrance. N’indique-t-elle pas des regrets?
L’emploi de way-hi se justifie, pour Or ha-Hayim, par le fait que Yossèf était en Égypte. En effet, n’était sa présence en Égypte où il eut à affronter les tentatives de la femme de Potifarpour l’obliger à commettre l’adultère, il aurait eu douze enfants comme Yaâqov cf. T.B. Sota 36b.. Yossèf fut, en effet, sur le point de succomber aux charmes de sa maîtresse. Mais le portrait de son père, lui ayant apparu, l’en empêche en dernière minute non sans avoir perdu dix gouttes de semence de ses doigts. Les descendants de Yaâqov auraient dû être dans ce cas au nombre de quatre vingts et non soixante-dix.
Toutes les âmes
Nèfèche, , âme, est un singulier pour signaler l’amour, l’unité et la paix unissant tous les fils d’Israël. Bien que Yossèf ait été vendu en Égypte, cette unité les liait tous, Yossèf y compris.
Le verset reprend cette information, Yossèf était en Égypte. Pourquoi?
Rachi signale que Yossèf était resté égal à lui-même. Yossèf était déjà en Égypte, Yossèf que nous avons connu en tant que berger des troupeaux de son père, saint et tsaddiq est demeuré dans toute sa vertu en Égypte alors qu’il était roi.
Yossèf mourut ainsi que tous ses frères, ainsi que toute cette génération. Or, les enfants d’Israël avaient augmenté, pullulé, étaient devenus prodigieusement nombreux, et ils remplissaient la contrée.
Yossèf mourut ainsi que tous ses frères.
Faut-il que la Tora reprenne l’information sur la mort de Yossèf? L’annonce de la mort de ses frères et de cette génération était-elle nécessaire? Quel lien existe-t-il entre ces deux informations et celle de la multiplication des enfants d’Israël?
En réalité le texte tente de préciser les motifs des Égyptiens pour asservir le peuple d’Israël. Tant que Yossèf ainsi que ses frères vivaient, les Egyptiens n’avaient pas osé asservir les BénèYisraèl.
Pour Or ha-Hayim, quatre causes essentielles avaient conduit les Égyptiens à asservir les BénèYisraèl. La mort de Yossèf; la mort des frères; la mort de la génération venue avec Yaâqov en Égypte qui était respectée par les Égyptiens autant que Yossèf et ses frères; la multiplication des Bénè Yisraèl dont ils se sont subitement rendus compte.
Le seul fait qu’un roi nouveau s’éleva en Égypte, lequel n’avait point connu Yossèf n’eût pu conduire à cet asservissement si les quatre causes mentionnées n’avaient pas été réunies.
Tant que le dernier de la génération venue avec Yaâqov n’a pas disparu, l’exil égyptien ne devait pas effectivement commencer. Comment comprendre que le texte fasse mention et de la mort de Yossèf et de celle de ses frères?
Pour Or ha-Hayim, une progression dans cet asservissement est à remarquer. Avec la mort de Yossèf, les Bénè Yisraèl perdent de leur prestige, devenant en fait les égaux des Égyptiens. Après la mort des frères, les Bénè Yisraèl perdent toute considération aux yeux des Égyptiens mais pas au point d’être asservis. Mais après la mort de toute cette génération, les Égyptiens commencèrent à imposer des restrictions par peur de voir les Bénè Yisraèl se multiplier et remplir le pays d’Égypte.
Les enfants d’Israël avaient augmenté, pullulé…
Rachi dit que chaque femme donnait naissance à des sextuplés. Les Baâlè ha-Tosséfot ajoutent que parou wayi-chrétsou, s’étaient multipliés et pullulés, ont la même valeur numérique que chicha bé-kérès èhad, , six dans un même ventre, en y ajoutant le nombre 2 manquant et que représentent les deux termes bimod méod, nombreux et prodigieux.
En outre parou, , ils augmentèrent, Wayi-chrétsou, ils se reproduisaient comme les chératsim, , reptiles, par sextuplés. Étaient-ils condamnés pour autant à mourir à la naissance? Il est précisé : Wayi-rbou, ils se multiplièrent. Devaient-ils être faibles? Il est écrit way-aâtsmou bimod méod, ils furent très puissants.
Un roi nouveau s’éleva sur l’Égypte, lequel n’avait point connu Yossèf.
Un nouveau roi s’éleva sur l’Égypte.
Le texte n’utilise jamais le verbe way-aqom, s’éleva, à propos d’un roi. L’emploi de wayi-mlokh, il régna, aurait été plus adéquat.
Le texte souligne cependant, selon Kéli Yaqar, l’iniquité d’un tel roi qui, malgré les prodiges et les miracles que D’ieu faisait pour le peuple d’Israël, n’a pas reculé devant les mauvais desseins qu’il projetait contre Israël.
Lequel n’avait point connu Yossèf
Parô aurait dû tirer une leçon de l’expérience de Yossèf avec ses frères. Plus s’acharnaient-ils contre lui, plus D’ieu le protégeait et lui assurait prestige, honneur et gloire. Comme le précise Rav Alchèkh, Yossèf fut, de la prison, appelé à régner. Et si donc Parô avait médité cet exemple, il n’eût point tenté de persécuter Israël.
Il dit à son peuple :Voyez, la population des enfants d’Israël surpasse et domine la nôtre.
Voyez, la population des enfants d’Israël.
Parô est conscient du danger que représente Israël pour l’Égypte. Rav Alchèkh relève quatre raisons pour qu’un peuple remporte la victoire sur un autre, lors d’une guerre : uni, aidé par la Providence, sage et intelligent, enfin plus puissant que son adversaire. C’est bien ce que dit le verset :
Voyez, la population, ce peuple est uni; des enfants d’Israël, assistés par la Providence divine comme leur père Yaâqov, nombreux. Rav, pleins de sagesse et d’intelligence et c’est là leur grandeur, âtsoum, puissants pleins de force et de bravoure.
Pour tous ces qualificatifs, le texte emploie le singulier pour préciser que chacun avait ces qualités.
Eh bien! Usons d’expédients contre elle; autrement, elle s’accroîtra encore et alors survienne une guerre, ils pourraient se joindre à nos ennemis, nous combattre et sortir de la province.
Usons d’expédients contre lui, .
Rambane rappelle que Parô aurait tant voulu procéder à la liquidation des Bénè Yisraèl. Mais sachant qu’il s’expose à l’opposition et à la réprobation de son peuple, il use de ruse et d’expédients afin également que les Bénè Yisraèl ne se rendent pas compte de ses véritables intentions.
Lo, , à lui.
Pour Rachi, lo, à lui, se rapporte à leur sauveur. Et s’agissant de Mochè, appelé à subir son châtiment à propos des eaux de Mériba, Parô cherche à frapper les enfants d’Israël, nouveaux-nés, en les jetant au Nil.
Mais selon Kéli Yaqar, lo se rapporte à D’ieu. Parô voulait avant tout mettre Israël en faute face à D’ieu. C’est ce que dit le midrache à propos du verset Chémot 1, 14. : Ils leur rendirent la vie amère par des travaux pénibles…, âvoda qacha, autrement dit âvoda zara, idolâtrie. Parô tente donc de séparer Israël de D’ieu afin qu’il ne puisse plus jouir de la protection divine.
Et l’on imposa à ce peuple des officiers de corvée pour l’accabler de labeurs; et il bâtit pour Parô des villes d’approvisionnement, Pitom et Raâmsès.
Le premier geste de Parô fut d’imposer à ce peuple des officiers de corvée. Or ha-Hayims’étonne que Parô, au début de l’asservissement, ait placé des officiers d’imposition pour taxer les Bénè Yisraèl!
En réalité Parô procède par paliers. Au début les Bénè Yisraèl sont soumis à payer des taxes en signe de reconnaissance aux Égyptiens pour les avoir hébergés et nourris pendant les années de famine. Une fois les taxes acceptées, les Bénè Yisraèl n’ont plus d’autre choix que de les payer. En cas de refus ou d’incapacité de s’acquitter de leurs impôts, ils devaient compenser par leurs travaux. Aussi le texte fournit-il la raison : afin de l’accabler de labeurs.
Une autre explication avance que Parô fait appel à tout son peuple pour entreprendre des travaux de construction. Pour échapper à ce travail forcé, le seul recours fut de payer un remplaçant.
Les Bénè Yisraèl, ayant épuisé leur argent, durent se soumettre aux travaux. Nos maîtres affirment : au début l’asservissement fut bé-fè rakh, langage doux mais à la fin bé-farèkh, durement.
Mais plus on l’opprimait, plus sa population grossissait et débordait et ils conçurent de l’aversion pour les enfants d’Israël.
Ils conçurent de l’aversion pour les enfants d’Israël.
Mais voyant que leurs intentions ne se sont point accomplies, leur objectif n’étant point atteint, les Égyptiens commencèrent à concevoir de l’aversion pour les Bénè Yisraèl.
Pour Rav Alchèkh, way-aqoutsou, , ils conçurent de l’aversion, rend compte de la hargne des Égyptiens qui, voyant les Bénè Yisraèl bénéficier toujours de la protection divine, se sont mis à avoir à charge leur vie.
L’exil en Égypte ne fut pas décrété pour que les Égyptiens tirent un quelconque profit. Il répondait au souci de D’ieu de former son peuple à partir de travaux durs et pénibles. Les persécutions et les souffrances servent plus à le préparer pour recevoir la Tora et accepter le joug divin.