Les décrets de Parô
«Les Mitsryim accablèrent les Bénè Yisraèl de rudes besognes. Ils leur rendirent la vie amère par des travaux pénibles sur l’argile et la brique, par des corvées rurales, outre les autres labeurs qu’ils leur imposèrent tyranniquement. Le roi d’Égypte s’adressa aux sages-femmes hébreues, qui se nommaient, l’une Chifra, l’autre Pouâ; et il dit : «Lorsque vous accoucherez les femmes hébreues, vous examinerez les attributs du sexe : si c’est un garçon, faites-le périr; une fille, qu’elle vive». Mais les sages-femmes craignaient D’ieu : elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte, elles laissèrent vivre les garçons. Le roi d’Égypte manda les sages-femmes et leur dit : «Pourquoi avez-vous agi ainsi, avez-vous laissé vivre les garçons?» Les sages-femmes répondirent à Parô : «C’est que les femmes des Hébreux ne sont pas comme celles des Égyptiens : elles sont vigoureuses, et avant que la sage-femme soit arrivée près d’elles, elles sont délivrées». Le Seigneur bénit les sages-femmes; et le peuple multiplia et s’accrut considérablement. Or, comme les sages-femmes avaient craint le Seigneur et qu’il avait augmenté leurs familles. Parô donna l’ordre suivant à tout son peuple : «Tout mâle nouveau-né, jetez-le dans le fleuve, et toute fille laissez-la vivre(1).»
Le pays d’Égypte, ayant été pour un temps une terre d’asile pour les Bénè Yisraèl, n’a pas tardé à devenir une terre d’exil où oppressions et persécutions se succédaient à un rythme vertigineux faisant oublier aux enfants d’Israël qu’ils y vécurent jadis heureux, à l’abri de toutes les misères.
Les tracasseries administratives font place aux privilèges dont Bénè Yisraèl jouissaient du temps de Yossèf. Brimades et marques d’hostilité se multiplient. Ils sont certes indésirables, mais les Égyptiens ne sauraient consentir à les laisser partir. Les impôts et les taxes n’ont d’autre but que d’appauvrir Israël. Ne pouvant plus faire face aux lourds impôts, Israël subit donc l’esclavage.
C’est d’une manière insidieuse que, petit à petit, Israël fut amené à connaître l’esclavage en Égypte. Phénomène extraordinaire, car c’est tout un peuple que les Égyptiens réduisent à cet état. Tout d’abord, ils sont identifiés comme un peuple de classe inférieure. Tolérés au début, ils sont par la suite méprisés, humiliés. Les mesures hostiles prises contre Israël, les oppressions, aboutissent au résultat contraire : «Plus on l’opprimait et plus sa population grossissait». Tout n’eut pour autre effet que l’accroissement prodigieux des Bénè Yisraèl. Saper leur moral, détruire leur identité, menacer leur existence, les anéantir, tel fut le projet de Parô. La méthode utilisée montre combien Parô use d’astuce et de ruse pour parvenir justement à asservir tout un peuple.
Le midrache(2) rapporte :
«Lorsque [Parô] dit(3) : «Eh bien! Usons d’expédients contre [le peuple hébreu]…», Parô rassembla tout Israël et leur dit :
«Rendez-moi, je vous prie, en ce jour, un service tel qu’il est écrit(4) :
«Les Égyptiens accablèrent les enfants d’Israël de rudes besognes, bé-farèkh, se décompose en bé-fè rakh, un langage doux. [Parô] prit un panier et une pelle. Quiconque voit Parô prenant un panier et fabriquant des briques, se met à en fabriquer aussi. Les Bénè Yisraèl s’acquittent de leur tâche toute la journée. Étant forts et puissants, ils y investissent tous leurs efforts. À la tombée de la nuit, il désigne des commissaires leur enjoignant de compter les briques. Après les avoir comptées, [Parô] leur dit : c’est ce nombre que vous devez me produire chaque jour. Il désigne donc des commissaires égyptiens pour contrôler les surveillants d’Israël. Les commissaires trouvant moins de briques que prévu, châtient avec sévérité les surveillants plus que le reste du peuple, car ils ne consentent pas à livrer [leurs frères] aux mains des commissaires. Ils disaient : mieux vaut nous exposer au châtiment plutôt que de livrer le peuple.
C’est pourquoi, lorsque D’ieu dit(5) :
«Assemble-moi soixante-dix hommes entre les anciens d’Israël», Mochè dit : Maître du monde! J’ignore lequel est convenable et lequel ne l’est pas. Il lui répond :
«[Ceux] que tu connaisses pour être des anciens du peuple et ses magistrats.
Ceux qui se sont sacrifiés pour subir des châtiments à la place du peuple en Égypte, sont ceux-là qui méritent cette haute fonction. De là, tu apprends que tout celui qui se sacrifie pour Israël accède à la grandeur et à la gloire.»
«Par des corvées de champs». Travaillent-ils vraiment dans leschamps et non en ville? [Les Égyptiens] décrètent que les hommes passent la nuit dans les champs et les femmes en ville afin de limiter les naissances. Mais les femmes, faisant bouillir de l’eau et apportant toutes sortes de nourritures et boissons, les consolent en disant : «cet esclavage ne durera pas. À la fin, le Saint béni soit-Il nous délivrera». Ainsi étaient-ils encouragés à procréer. Quelle est donc la récompense [des femmes]? Elles eurent le mérite de prendre part au butin d’Égypte et celui de la mer [Rouge] tel qu’il est dit(6) :
«Resterez-vous immobiles entre les parcs de troupeaux, ô vous, ailes de la colombe, plaquées d’argent, dont les pennes ont la couleur éclatante de l’or fin?». Il est écrit(7) :
«C’est un jardin clos que ma soeur», il s’agit des femmes qui se barricadent comme un jardin sans ouverture, «une source fermée», il s’agit des mâles qui sont comme des vagues sur le champ.»
Le midrache, à son début, décrit les ruses de Parô pour forcer les Bénè Yisraèl à l’esclavage. Il n’est pas facile de réduire tout un peuple à l’état d’esclaves. Parô fait appel à la reconnaissance des Bénè Yisraèl. Ils ont une dette vis-à-vis des Égyptiens. Ce qu’il leur demande, il est prêt d’ailleurs lui-même à le faire. Tous les Égyptiens se sont joints à lui. Quiconque refuse est simplement un traître.
Aussi vise-t-il avant tout à les faire travailler avec ardeur et enthousiasme afin d’exiger, le moment venu, la production du même nombre de briques. Sachant leur incapacité de l’atteindre, Parô ne recule pas à leur infliger châtiments et humiliations. Dès lors, ils développent, leur besogne et la peur aidant, le complexe de l’esclave. Produire et servir afin d’échapper aux châtiments, plaire au maître.
Les surveillants hébreux, par leur conduite exemplaire, par leur sacrifice, permettent à leurs frères de faire face à cette situation cruelle et garder une lueur d’espoir pour une délivrance future. Ce sacrifice n’est pas vain. En épargnant des humiliations au reste du peuple, les surveillants contribuent à préserver leur dignité. Un esclave renonce aisément à la liberté dès qu’on l’abrutit et qu’on l’accable de rudes travaux, le privant de la possibilité de penser à sa liberté.
Parô cherche également, en limitant les naissances du peuple hébreu, à le déshumaniser, à lui extraire les sentiments le rattachant à la cellule familiale, afin de l’obliger à se prêter à toutes les exigences de cet esclavage. Comment, en effet, penser à procréer si, pour tout horizon, il n’a à offrir à sa progéniture que l’esclavage. Parô arrive ainsi à saper le moral de tous en bouchant tous les horizons, en tuant tout espoir.
Le rôle de la femme est capital. Elle ne saurait baisser les bras devant ce roi inhumain et cruel. Si les hommes n’ont pas le droit de venir en ville, les femmes iront aux champs pour aider leurs époux à oublier un instant l’esclavage et tourner leurs regards vers un avenir radieux, vers la délivrance. Donner naissance c’est éveiller, en plus de l’espoir, la certitude que D’ieu délivrera Israël. Le comportement courageux des femmes finit par sauver le peuple hébreu de l’anéantissement tant physique que moral.
Pour anéantir un peuple, il suffit de lui assombrir l’avenir. L’avenir consiste à préserver la procréation des enfants que Parô entend interdire. Plus tard, se rendant à l’évidence qu’il ne peut empêcher des femmes résolues, coûte que coûte, à remplir leur mission de contribuer à la formation d’une nation, Parô aura recours aux sages-femmes. Il leur enjoint de faire mourir, à la naissance, les enfants mâles afin d’obliger les filles à s’assimiler complètement en épousant forcément des Égyptiens. Parô essuie un échec cuisant, les sages-femmes refusant d’obéir à un tel ordre. L’objectif de Parô fut donc, dès le début, en imposant un esclavage rude et impitoyable, à éliminer purement et simplement le peuple d’Israël de la famille des Nations.
Certes, Parô est-il un instrument entre les mains de la Providence pour appliquer la promesse faite par D’ieu à Abraham. Mais, tout compte fait, il a dépassé toutes les limites acceptables. Les persécutions qu’il inflige aux Bénè Yisraèl furent plus graves et plus sévères que celles prévues par D’ieu. Peut-être est-ce mieux ainsi! Car la sévérité des mauvais traitements égyptiens écourte le temps de l’esclavage et celui de leur séjour en Égypte.
Les Mitsryim accablèrent les Bénè Yisraèl de rudes besognes. Ils leur rendirent la vie amère par des travaux pénibles sur l’argile et la brique, par des corvées rurales, outre les autres labeurs qu’ils leur imposèrent tyranniquement.
Les Mitsryim accablèrent les enfants d’Israël de rudes besognes.
Selon Ibn Êzra, Parô avait tenté, par différentes manières, de briser la personnalité d’Israël. N’ayant pu l’atteindre par ses nombreux décrets, il donne ordre, afin de réduire leur nombre, de les asservir plus que la normale. Ainsi, ils devaient les accabler de travaux plus que tout autre esclave.
Mais le Haâmèq Davar remarque l’emploi des enfants d’Israël pour signifier que Parô s’est attaqué aux plus importants parmi eux, ceux de classe sociale supérieure, pour les réduire à l’état d’esclave. Brisant leur personnalité, Parô les contraint, du jour au lendemain, à réaliser des travaux qu’ils n’étaient point habitués à faire. Bien entendu, le fait même de s’attaquer à cette classe lui ouvrait la voie à tous les autres.
Bé-farèkh, rudes besognes.
Parô entend saper le moral d’Israël. Le midrache souligne la méthode préconisée par Parô : les travaux des hommes exécutés par les femmes et ceux des femmes par les hommes. Le labour et les travaux des champs furent confiés aux femmes, les travaux domestiques et de ménage confiés aux hommes.
Ils leur rendirent la vie amère par des travaux pénibles sur l’argile et la brique.
Pour Or ha-Hayim, les travaux d’argile et de brique sont, par définition, des travaux pénibles et durs. Même le peu qu’ils exécutent est à considérer comme un travail pénible. Les Égyptiens imposèrent des corvées rurales et d’autres labeurs en plus des travaux quotidiens. Chaque jour, ces travaux deviennent pénibles afin de les obliger à réduire leur démographie.
Selon Haâmèq Davar, après avoir asservi les plus importants parmi Israël, les Égyptiens rendirent davantage leur vie amère par des travaux ruraux qu’ils n’avaient jamais essayé d’entreprendre, outre tout autre labeur qu’ils leur imposèrent tyranniquement. Ces travaux étaient tellement durs et pénibles qu’un homme habitué à les exécuter aurait croulé sous leur poids.
Rabbènou Béhayè définit la vie amère imposée aux Bénè Yisraèl comme la souffrance morale. Parô les prive de cette vie de l’âme, du service divin. Cette souffrance est ressentie autant par D’ieu que par Israël. Ainsi s’expriment nos Sages(8) : «Quiconque contraint [les Bénè Yisraèl] à l’esclavage ici-bas est considéré comme s’il les avait asservis en-haut». Yéchâya dit(9) : «Dans toutes leurs souffrances, [D’ieu] a souffert avec eux.»
Cependant, Mèâm Loêz rapporte le midrache : en plus des travaux pénibles, les Bénè Yisraèl devaient rester dans les champs. La nuit, ils étaient tenus de préparer les briques pour le lendemain. Le retour à la maison était interdit afin de ne point leur donner l’occasion de procréer. Mais les femmes vertueuses, déterminées à maintenir et à développer la population d’Israël, ne se sont pas laissées abattre. Elles allaient voir leurs maris en pleine campagne et donnaient ainsi naissance à de nombreux enfants.
Chaâr Bat Rabbim rapporte qu’en principe un maître, voulant faire travailler durement son esclave, lui prodigue des encouragements et des remerciements, ce qui allège souvent son fardeau. Les Égyptiens, loin d’agir ainsi, empoisonnaient la vie des Bénè Yisraèl en leur annonçant les durs labeurs qu’ils leur préparaient. Ainsi l’esclavage était à la fois physique et moral.
Le roi d’Égypte s’adressa aux sages-femmes hébreues, qui se nommaient, l’une Chifra, l’autre Pouâ; et il dit : «Lorsque vous accoucherez les femmes hébreues, vous examinerez les attributs du sexe : si c’est un garçon, faites-le périr; une fille, qu’elle vive.»
Le roi d’Égypte s’adressa aux sages-femmes hébreues…et il dit:
Le texte emploie à deux reprises le terme way-omèr, il dit. Le premier ne rapporte pas les paroles de Parô aux sages-femmes. Que leur a-t-il dit? La construction logique du premier verset eût été plus correcte si, au lieu de, il avait dit wayi-qra, il appela!
Or ha-Hayim constate que partout le texte emploie le pluriel pour souligner que les Égyptiens, dans leur totalité, prenaient ces décrets contre Israël. Mais l’emploi du singulier précise bien que Parô, voulant la garder secrète, prend, seul, une telle initiative. En effet, Parô se verrait condamné par son peuple pour sa décision de tuer des enfants à leur naissance. Il était prêt à le faire mais à l’insu de son peuple. Pour cette raison, il ne convoque pas les sages-femmes avant de leur parler. Il est possible d’imaginer, en effet, que profitant de leur visite au palais, il leur recommande de tuer les enfants hébreux.
Toutefois, le texte les nomme Chifra et Pouâ, , pour indiquer sans doute qu’elles furent promues comme sages-femmes en chef. Le terme dérive en effet de amor, signifiant également placer à la tête. Parô a donc, selon Or ha-Hayim, profité de cette promotion pour les obliger à tuer les enfants hébreux. Mais en fait, c’est en désobéissant à Parô qu’elles obtinrent la récompense divine : «Il leur fit des maisons, autrement dit familles de Prêtres, de Léwiim et de royauté(10)».
Chifra et Pouâ.
Chifra est Yokhèbèd, appelée ainsi parce qu’elle donne des soins à l’enfant pour le rendre beau. Pouâ est Miryam, appelée ainsi parce qu’elle parle à l’enfant pour le calmer quand il pleure.
Il est néanmoins impossible à deux sages-femmes d’accoucher, à elles deux, toutes les femmes hébreues. Il s’agit donc des deux principales dont le rôle était de s’assurer de l’exécution de l’ordre de Parô(11).
Kéli Yaqar apporte une preuve que Chifra est Yokhèbèd et Pouâ est Miryam. En effet, Miryam prophétisait que son père donnerait naissance au libérateur, Pouâ, dérivant de paô, s’exprimer, se définit par la parole comme le Navi, prophète. En revanche, Yokhèbèd est Chifra, dérivant de, embellir, car bien qu’âgée de 130 ans, elle retrouve sa jeunesse et devient aussi belle qu’une jeune femme.
Ceci suffirait pour convaincre Parô de renoncer à son projet de tuer les enfants mâles à leur naissance car il était contraire à l’idéal et au message qu’elles portent en elles. Naturellement Parô entend ignorer ces deux éléments importants.
Rav Alchèkh, pour expliquer la répétition de, avance qu’en ne mentionnant pas les propos de Parô, le texte fait allusion à sa tentative d’attenter à la pudeur des sages-femmes. Ceci est d’ailleurs confirmé par le texte quand il précise : «Mais les sages-femmes craignaient D’ieu, elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte».
Par ailleurs, Parô et tous les Égyptiens projetaient de s’approprier les femmes hébreues afin d’assimiler le peuple. Mais le texte souligne, comme le Zohar aime à le répéter : «Fils d’Israël, ils sont descendus en Égypte et fils d’Israël ils en sont sortis.»
Lorsque vous accoucherez les femmes hébreues, vous examinerez les attributs du sexe : si c’est un garçon, faites-le périr; une fille, qu’elle vive.
si c’est un garçon, faites-le périr.
N’eût-il pas été plus simple d’exiger qu’elles fassent périr tout nouveau-né?
Parô, sachant qu’aucune femme ne réclamerait l’assistance d’une sage-femme dont elle est sûre qu’elle mettrait en danger la vie de son enfant, leur demande d’agir de manière discrète et imperceptible pour la femme en couches, autrement dit tuer l’enfant avant qu’il ne soit complètement sorti.
Selon le midrache(12), Parô leur enseigne comment distinguer le mâle de la fille. S’il se présente le front tourné vers le bas, vers le sol, c’est un garçon. Car l’homme fut tiré de la terre lors de sa création. La fille, en revanche, dirige son front vers le haut. Donc dès l’examen, la sage-femme saura comment agir avant qu’il ne donne un signe de vie(13).
Si c’est une fille qu’elle vive.
Parô leur demande, si jamais elle avait besoin de soins, de ne rien entreprendre pour la faire vivre. Qu’elle vive par ses propres moyens.
Mais les sages-femmes craignaient D’ieu : elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte, elles laissèrent vivre les garçons.
Mais les sages-femmes craignaient D’ieu…
Il s’agit de toutes les sages-femmes. Par crainte de châtiment divin, elles ne pouvaient consentir à commettre un meurtre. C’est pourquoi le texte emploie la crainte de D’ieu, ‘, crainte de châtiment.
Elles ne firent point ce que leur avait dit le roi d’Égypte
Non seulement elles ne provoquent point la mort des enfants comme Parô le demande, elles entreprennent, en revanche, tout pour que les enfants vivent, garçons ou filles. Les sages-femmes neutralisent donc les projets de Parô de réduire le nombre de naissances et surtout de tuer les garçons visés par le décret parce qu’il craint, selon les dires de ses astrologues, qu’un garçon hébreu ne soit le libérateur des Hébreux.
Les sages-femmes, en plus d’apporter des vivres et des soins aux enfants qui naissent, prient pour qu’ils sortent vivants. Et si l’enfant présente un défaut physique à la naissance, elles adressent des prières à D’ieu pour qu’il retrouve sa santé afin qu’on ne leur impute une négligence ou un manque de conscience professionnelle(14).
Or ha-Hayim ajoute qu’en principe l’homme craint tout nouveau décret d’un roi auquel il obéit scrupuleusement, mais avec le temps, il se relâche. Mais la Tora témoigne en fait que les sages-femmes avaient décidé de désobéir au décret du roi dès son émission.
Le roi d’Égypte manda les sages-femmes et leur dit : «Pourquoi avez-vous agi ainsi, avez-vous laissé vivre les garçons?»
Pourquoi avez-vous agi ainsi, avez-vous laissé vivre les garçons?
L’interrogation de Parô aurait dû être : pourquoi n’aviez-vous pas agi tel que je vous l’avais recommandé?
Parô s’attend que les sages-femmes rappellent tout simplement l’interdiction stricte de verser le sang d’un être humain que l’on ne saurait transgresser même au sacrifice de sa vie. Mais la question de Parô est : pour quelle raison avez-vous pris le risque de laisser vivre ou d’aider les garçons à vivre? Car le risque pris est incompréhensible pour lui : on ne peut risquer sa vie pour sauver une autre(15).
Les sages-femmes répondirent à Parô : «C’est que les femmes des Hébreux ne sont pas comme celles des Égyptiens : elles sont vigoureuses, et avant que la sage-femme soit arrivée près d’elles, elles sont délivrées».
C’est que les femmes des Hébreux ne sont pas comme celles des Égyptiens.
La réponse des sages-femmes à Parô souligne combien les femmes hébreues ne ressentaient nullement le besoin de leur assistance. Toutefois pour gagner leur confiance et être en mesure d’accomplir la volonté de Parô, elles s’efforçaient de dispenser particulièrement leur aide et leurs soins aux nouveaux-nés de santé fragile.
La Tora atteste, en revanche, que le véritable motif des sages-femmes fut la crainte de D’ieu(16).
Avant que la sage-femme soit arrivée près d’elles, elles sont délivrées.
Pour Sforno, les femmes hébreues sont compétentes pour accoucher sans l’aide d’une sage-femme. Et, devinant les mauvaises intentions des sages-femmes, elles cesseraient de faire appel à leur concours.
Haâmèq Davar souligne que les sages-femmes n’intervenaient qu’en cas d’exception.
Le Seigneur bénit les sages-femmes; et le peuple multiplia et s’accrut considérablement. Or, comme les sages-femmes avaient craint le Seigneur et qu’il avait augmenté leurs familles.
Le Seigneur bénit les sages-femmes.
La bénédiction est le fait que Parô ait accepté leur argument et ne les a plus inquiétées. C’est ainsi qu’elles ont pu aider à ce que le peuple se multiplie et s’accroisse considérablement(17).
Pour Rachi, le bien que fit D’ieu aux sages-femmes, ce sont les maisons de Kohanim et de Léwiim issues de Yokhèbèd et la maison de royauté de Miryam.
Parô, n’ayant pu atteindre son objectif de réduire la population hébreue, au moyen de travaux pénibles et durs, de décrets inhumains consistant à tuer des enfants à la naissance, dut se résoudre à mettre sous surveillance les Bénè Yisraèl.
Il fit des maisons.
Pour Rabbènou Béhayè, Parô fit de telle sorte que les maisons hébreues soient encadrées par des maisons égyptiennes et ce, dans le but de veiller à l’application du dernier décret : «Tout mâle nouveau-né, jetez-le dans le fleuve, et toute fille laissez-la vivre».
Nos maîtres disent(18) :
«Le jour où Mochè est né, ses astrologues lui ont dit : aujourd’hui est né celui qui les délivrera. Mais nous ne savons pas s’il est né chez les Égyptiens ou chez les Hébreux. Mais nous voyons aussi qu’il sera puni par l’eau. C’est pourquoi Parô donne ordre à tout son peuple, les Égyptiens y compris.»
Or ha-Hayim précise que les Égyptiens veillaient à l’application de ce nouveau décret de Parô obligeant les Hébreux à jeter leur enfant dans le fleuve. Ainsi Yokhèbèd devait-elle se conformer à ce décret et jeter Mochè au bord du Nil.
De tels décrets ont de quoi révolter toute conscience humaine. Mais Parô, agissant avec autant de cruauté, permet la libération des Bénè Yisraèl avant le terme de 400 années d’esclavage. La rigueur des persécutions eut pour effet de remplacer la durée.
1. Chémot 1, 13-21.
2. Yalqout Chimôni paragr. 163.
3. Chémot 1, 10.
4. id, 13.
5. Bémidbar 11, 16.
6. Téhillim 68, 14.
7. Chir ha-Chirim 4, 12.
8. Torat Kohanim sur la Sidra Bé-har 9, 4.
9. Chap, 63, 9.
10. Cf Rachi sur Chémot 1, 20.
11. Haâmèq Davar.
12. Chémot Rabba 1.14.
13. Or ha-hayim.
14. Rav Alchikh.
15. Haâmèq Davar.
16. Chaâr Bat Rabbim.
17. Or ha-Hayim et Haâmèq Davar.
18. Sota 12a.