Deux fils, deux voies

Le midrache citant le texte :

Les enfants s’entre-poussaient dans son sein…

rapporte : “Au moment où elle passait près des maisons de prières et d’étude, Yaâqov [courait], heurtait pour sortir tel qu’il est dit :

Avant que je t’eusse formé dans le sein de ta mère, je te connaissais…

Lorsqu’elle passait, près des maisons d’idolâtrie, Êssaw courait heurtant pour sortir. Tel qu’il est dit :

Dès le sein de leur mère, les méchants sont fourvoyés.

Depuis la conception, Rivqa entrevoit la possibilité que ses enfants soient amenés à se partager le monde. Leur conception de la vie, étant différente, voire opposée, Rivqa ne pouvait que marquer sa surprise et son désarroi. Comment expliquer en effet qu’un enfant ait tendance à vouloir suivre à la fois l’étude de la Tora et l’idolâtrie ? La Tora est incompatible avec l’idolâtrie.

L’étude de la Tora conduit l’homme à considérer le monde comme un ensemble où toutes les parties contribuent à chanter l’harmonie et à célébrer l’unité, révélant le Créateur.

L’idolâtrie s’oppose à la Tora car elle se veut, par définition, division et morcellement. L’unité du monde fait place à la pluralité des principes qui, loin de viser la perfection s’entendent pour affirmer leur opposition et leur différence. La Tora vise la vie spirituelle alors que l’idolâtrie s’adresse à la matière. La vie du monde futur, ôlam ha-ba, devient le souci constant de l’homme qui s’attache à la Tora. En revanche, la vie de ce monde, ôlam ha-zè, intéresse l’idolâtre.

Ainsi donc, Rivqa ne saurait comprendre qu’elle soit, par l’intermédiaire de son enfant, l’objet de la sollicitation à la fois de la Tora et de l’idolâtrie. Mais tout s’explique à partir du moment où D’ieu lui apprend “deux peuples sont dans ton sein, deux nations se ramifieront de ton sein.” Rivqa doit assumer, quant à elle, le fait de donner naissance à deux enfants qui se disputeront le monde par leur conduite morale.

Néanmoins Rivqa aurait raison de réclamer de D’ieu les motifs qui font d’elle la seule parmi les épouses des ancêtres à donner naissance à un impie. Pourquoi Yitshaq, à l’exemple d’Abraham qui eut Yichemaêl de Hagar, n’a-t-il pas eu Êssaw d’une autre femme ? Abraham évacue l’impureté héritée de Tèrah à travers Yichemaêl, Yitshaq se purifie également de ses scories à travers Êssaw. Mais celui-ci aurait dû être l’enfant d’une concubine.

Les commentateurs sont unanimes à dire qu’il ne convenait pas à Yitshaq dont le mérite fut d’être sacrifié et, par suite, consacré à D’ieu de se profaner en prenant une concubine. Rivqa était donc condamnée à donner naissance à Êssaw dont l’impiété se rattache à la fois au résidu d’impureté de Yitshaq et à celle de Bétouèl et de Labane, respectivement père et frère de Rivqa.

Êssaw et Yaâqov se partagent les mondes. Êssaw choisit ce monde, ôlam ha-zè, et Yaâqov accorde sa préférence à ôlam ha-ba, le monde futur. Rejetant les valeurs matérielles, Yaâqov s’intéresse davantage à l’étude de la Tora et aux valeurs spirituelles. Yaâqov parfait et intègre, vécut dans la tente de la Tora. Êssaw, habile chasseur, aimait la vie des champs.

Néanmoins selon ce partage Yaâqov ne peut prétendre à la vie dans ce monde qui appartient, lui, à Êssaw. Comment comprendre dès lors que Yaâqov puisse avoir des maisons et des biens dans ce monde ?

En réalité, pour Rav Hida, Êssaw reste redevable à Yaâqov pour son rôle dans le maintien de l’existence du monde. En effet, la création du monde n’a été faite que pour la Tora et Israël. C’est donc à la condition qu’Israël accepte d’étudier et d’observer la Tora que le monde existe. Autrement le monde sera dans le chaos total. L’étude de la Tora de Yaâqov permet donc à Êssaw, lui-même, de vivre dans ce monde. Sans Yaâqov, le monde de Êssaw aurait été un chaos.

Le clivage Yaâqov – Êssaw est ainsi artificiel. Car Êssaw a besoin de Yaâqov pour mener une vie matérielle. Yaâqov, quant à lui, pour viser la vie spirituelle, la vie dans le monde future, a besoin de ce monde. C’est à partir de là qu’il oeuvre pour mériter le monde futur. Toutes les prescriptions de la Tora n’ont de signification qu’une fois réalisées dans ce monde. La Tora a besoin de son support matériel pour s’accomplir. En définitive, Yaâqov a plus besoin de la vie de ce monde que Êssaw.

Rivqa retrouve sa perfection en s’opposant à la vie idolâtre et dissolue de sa famille, de son entourage. Elle met à profit toutes ces valeurs spirituelles pour l’éducation de ses enfants, Yaâqov est sa réussite parfaite. Comme elle, Yaâqov s’empare de toutes les valeurs matérielles pour les hisser au niveau du spirituel.

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