Iniquité de Sédome

Le Talmoud fait le procès de Sédome :

“Raba enseigne : que signifie le verset :

Jusqu’à quand vous ruerez-vous contre un homme, lui porterez-vous tous des coups mortels, tels un mur penché, une cloison qui s’écroule ?“. [Les Sédomim], jetant leur dévolu sur les gens possédant de l’argent, les installaient près d’un mur penché qu’ils faisaient écrouler sur eux pour venir après et prendre leurs biens.

Que signifie le texte :

À la faveur de l’obscurité, il entre par effraction dans les maisons ; le jour, il se tient claquemuré…” Ceci enseigne qu’ayant jeté leur dévolu sur les gens possédant des biens, [les Sédomim] déposaient chez eux du parfum balsamique qu’ils gardaient dans leur cachette. Le soir, suivant l’odeur du parfum qu’ils reniflaient comme des chiens, ils pénétraient et s’accaparaient de leurs biens”.

Ces deux exemples illustrent le raffinement des méthodes des sédomim pour dépouiller les gens de leurs biens. Et pourtant, ils n’avaient nullement besoin de s’accaparer de l’argent d’autrui pour s’enrichir. Le Talmoud insiste sur la richesse de Sédome. Il applique à son propos le texte :

“La terre d’où sort le pain, ses entrailles sont bouleversées comme par le feu. Ses pierres sont des nids de saphirs et là s’offre au regard la poudre d’or”.

Quelle richesse ! Pour la sécurité et la tranquillité, le pays était à l’abri de tout. Ainsi : “[On y arrive] par un chemin que l’oiseau de proie ne connaît pas, que l’œil du vautour ne distingue point”. Tant de richesse et de bonheur les ont poussés à se révolter contre D’ieu.

Le Talmoud souligne :

“Les habitants de Sédome se sont dit : “Puisque nous avons la sécurité et le bonheur, la nourriture fournie par notre terre, l’argent et l’or extraits de notre sol, les pierres précieuses et les perles tirées également de notre terre, qu’avons-nous besoin de visiteurs ? Ils ne viennent que pour prendre [nos biens]. Faisons disparaître toute trace de visiteurs de notre pays, ainsi qu’il est dit :

“Ignoré du pied des passants, il est suspendu et ballotté loin des hommes”. D’ieu leur dit : par les biens que Je vous ai donnés, vous cherchez à effacer le pied des passants parmi vous, Je vous effacerai donc du monde”.

Pour le TalmoudSédome a fauté par orgueil et égoïsme. Non contente d’être riche, elle décide de décourager les visiteurs qui pourraient, en s’établissant à Sédome, la priver des richesses qu’elle entend garder. Le bonheur et la sécurité dont elle jouit ne sont pas à partager. C’est cet égoïsme qui la mène à la destruction.

Ne faut-il pas voir en effet que l’iniquité pratiquée au niveau de l’étranger, pour défendre son bien-être, pourrait par la suite s’appliquer aux habitants du pays eux-mêmes ? Sédome est loin d’être une terre d’accueil. Le monde ne saurait subsister que sur la pratique de la bienfaisance. Au début, la bienfaisance fait défaut pour les étrangers mais après, elle le sera pour les indigents de Sédome.

Ainsi rapporte le Yalqout Chimôni :

“Deux jeunes filles descendirent puiser de l’eau de la source. S’adressant à son amie, l’une dit : Pourquoi ton visage paraît-il souffrant ? Elle répondit : nous n’avons plus de vivres et nous sommes sur le point de mourir. Que fit l’autre ? Elle remplit sa cruche de farine et elles firent l’échange : celle-ci prit la cruche de l’autre et celle-là emporta la cruche de la première. Les habitants de Sédome s’en étant rendus compte, la saisirent et la brûlèrent”.

Ainsi leur principe s’étend-il à leurs propres concitoyens. L’indigence n’est pas permise. Nul ne saurait partager ses biens avec les nécessiteux. Quiconque aurait pitié d’un pauvre, paierait de sa vie. Nul ne saurait s’ériger en objecteur de conscience.

Le raffinement des lois édictées contre les étrangers ou les habitants épris de justice et de droit est tel que nul n’oserait se présenter devant le juge pour obtenir réparation.

Le Talmoud rapporte quelques mésaventures que connaît Èliêzèr, serviteur d’Abraham à Sédome. Il est vrai qu’il faut une grande dose de courage pour qu’Èliêzèr puisse affronter avec succès les gens de Sédome.

Le Talmoud dit :

“Èliêzèr, serviteur d’Abraham, se trouvait à [Sédome]. On le blessa et il se plaignit au juge qui lui dit : Paie-lui [à ton agresseur] son salaire puisqu’il t’a fait une saignée. Èliêzèr prit alors une pierre et blessa le juge. Il lui dit : Le salaire que tu me dois donne-le à celui qui m’a blessé. Que mon argent demeure en ma possession !”

En principe, l’injustice renferme en elle le germe de sa propre destruction. Tel le mensonge qui ne saurait tenir, l’injustice est vouée à l’échec. Elle frappe toujours ses auteurs. Èliêzèr, victime d’injustice, appliquera à son juge son propre verdict. Par ailleurs, Èliêzèr sera appelé à agir de la sorte vis-à-vis des Sédomim pour leur signifier à la fois leur méchanceté et la stupidité de leurs principes.

“Ainsi ont convenu les habitants de Sédome : Quiconque invite un homme à un festin sera dépouillé de son vêtement. Èliêzèr se trouvait dans un festin sans y être invité. Lorsqu’il voulut se restaurer, il alla s’installer derrière tous les invités. On lui dit : Qui t’a invité ? Il dit à celui qui était près de lui : tu m’as invité. Celui-ci s’est dit : Peut-être entendront-ils que je l’ai invité et me prendront-ils mon habit. Il s’en empara et s’en fut dehors. Ainsi fit Èliêzèr à tous qui s’enfuirent un par un. Il mangea son repas.

Ils avaient un lit qu’ils proposaient aux invités. Pour une personne de grande taille, ils le raccourcissaient. Pour une autre de petite taille, ils l’allongeaient. Èliêzèr s’y trouvait. On lui dit : Monte t’étendre sur le lit. Il leur répondit : depuis la mort de ma mère, j’ai fait le voeu de ne point dormir dans un lit.”

La justice est vraie quand elle s’applique à tous en tous temps. Son caractère absolu la rend inviolable. Mais l’injustice se retourne souvent contre ceux qui la pratiquent. Il suffit de se montrer plus puissant que ceux qui, dans sa pratique, font appel à la force. Èliêzèr n’a même pas eu besoin de force pour agir contre les principes de Sédome. L’astuce et l’intelligence avaient réduit à néant de tels principes de “justice”.

L’homme, dans sa vie morale, se trouve toujours en relation avec D’ieu ou avec les hommes. D’ieu arrive à pardonner les écarts ou les révoltes que l’homme exprime contre Lui. Mais Il ne saurait être indifférent au mal fait à l’homme. Les relations de coexistence et d’harmonie entre les hommes sont si importantes aux yeux de D’ieu que leur défaut remet en cause non seulement l’existence de l’homme mais aussi celle du monde.

D’ieu décide de détruire Sédome parce qu’elle est irrécupérable. Il en avertit Abraham. Mais on pourrait reprocher à D’ieu de vouloir frapper Sédome par surprise. N’est-il pas normal que des avertissements soient servis à Sédome ?

Le Midrache répond :

“Rabbi Yirmiyahou, fils d’Èliêzèr, dit : le bonheur de Sédome n’était que de cinquante-deux ans. Pendant vingt-cinq ans, le Saint béni soit-Il faisait trembler des montagnes et frappait de tonnerre afin qu’ils se repentent. Mais ils n’en ont pas tenu compte. C’est bien ce que dit le texte :

“Il déplace les montagnes à l’improviste, pour qu’à la fin les bouleverse dans Sa colère.”

Rabbi Yirmiyahou plaide la cause de D’ieu. On ne pourrait accuser D’ieu de prendre la décision de détruire Sédome sans avoir au préalable averti ses habitants. D’ieu n’a jamais voulu la mort de l’impie. Il ne demande qu’à lui pardonner si seulement il fait tout pour réparer sa mauvaise conduite.

Pendant vingt-cinq ans, D’ieu sert des avertissements sérieux aux habitants de Sédome.

Le Talmoud enseigne : “les tonnerres n’ont été créés que pour rendre droit le coeur des impies”. En effet, les tonnerres et les tremblements de terre rappellent à l’homme l’instabilité du monde. L’homme se doit de remettre à tout moment son destin aux mains de D’ieu. Il arrive à se révolter dès qu’il croit être en toute sécurité dans le monde.

Le tremblement des montagnes est le symptôme du mécontentement de D’ieu. Sédome ne veut point comprendre. La décision divine est alors irrévocable.

Il est certain qu’Abraham avait tout fait pour sauver Sédome. D’ieu avait attendu qu’Abraham épuise tous les arguments en faveur du sauvetage de Sédome. Le texte souligne en effet : “Le Seigneur disparut lorsqu’Il eut achevé de parler à Abraham…”

Le Yalqout Chimôni précise à ce propos :

“Le juge prête attention à la plaidoirie du défenseur. Aussitôt le défenseur se tait, le juge s’en va et l’accusateur se met en devoir de remplir sa mission. Ainsi est-il dit : “Le Seigneur disparut lorsqu’il eut achevé de parler”.

Cependant, D’ieu ne désespère jamais de la possibilité de voir Sédome revenir à de meilleurs sentiments et se repentir. Jusqu’à la dernière minute, D’ieu accorde un répit, une chance à Sédome. Aussi est-il dit : “L’Ét’ernel fit pleuvoir sur Sédome et sur Âmora du soufre et du feu”. Rachi explique, au début, ce fut une pluie pour laisser le temps aux habitants de se repentir, mais après elle est devenue soufre et feu.

Ainsi le mal porte en lui le germe de la destruction. L’iniquité et l’injustice ne peuvent que conduire la société à sa fin. Seule la pratique de la justice sauve le monde de la destruction.

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