Plaidoyer d’Abraham
Le Midrache, citant le texte :
“Abraham s’avança et dit… Celui qui juge toute la terre serait-Il un juge inique ?”, rapporte :
“Rabbi Léwi dit : Si tu veux le monde – point de justice. Et si tu exiges la justice – point de monde. Tu saisis la corde par ses deux extrémités : tu veux et le monde et la justice ? Choisis l’un des deux. Sans un peu [d’indulgence] le monde ne pourrait tenir. Alors le Saint béni soit-Il dit à Abraham :
“Tu aimes la justice, tu hais l’iniquité”. Parce que tu recherches l’innocence de mes créatures, et tu hais l’iniquité, autrement dit, tu ne désires point leur culpabilité ;
“voilà pourquoi D’ieu – ton D’ieu – t’a consacré par une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons”. Que signifie “de préférence à tes compagnons ?”. De Noah jusqu’à toi [Abraham] il y a dix générations, et d’entre toutes, je n’ai choisi de m’adresser qu’à toi”.
Ce Midrache jette un éclairage nouveau sur la mission du Juste dans le monde. Il est évident que le Juste a le devoir d’instruire, d’éduquer sa génération. Son souci est d’être à l’écoute des besoins spirituels de la société. Bien plus, il doit consentir certains sacrifices, bien-être et confort matériels, quiétude et tranquillité afin d’aller lutter contre les tendances laxistes des hommes, montrer la voie de la justice et rappeler les exigences de la morale.
Abraham, en tant que père de l’humanité, après les turpitudes de la société idolâtre qui l’ont conduite à se révolter contre D’ieu, avait investi des efforts pour rappeler aux hommes l’existence du Créateur du monde ainsi que l’obéissance à Ses lois et à Sa volonté. Abraham et Sara connaissent dans ce domaine des succès énormes. Des rois, des princes et des seigneurs reviennent à D’ieu.
Sans doute, est-ce la raison qui motive l’attachement que D’ieu témoigne à Abraham ! Sa mobilisation pour tout ce qui a trait à la propagation de la foi en D’ieu est aussi exemplaire qu’exceptionnelle ! Mais le Midrache semble mettre l’accent sur un autre aspect.
Abraham se mobilise cette fois pour défendre l’humanité même au risque de déplaire à D’ieu. Ses remarques à propos des intentions divines de détruire Sédome sont percutantes mais elles peuvent paraître dures et insolentes.
Néanmoins, il agit au nom de la vertu principale de D’ieu. Il est D’ieu de vérité, D’ieu de justice. Ce sont les fondements mêmes du monde puisqu’il ne peut tenir que sur la justice.
Certes, il est surprenant qu’Abraham ait pu un seul instant douter de la justice divine ! En réalité, Abraham entend laver D’ieu de toute accusation d’injustice. Sa démarche vise essentiellement à apporter une preuve éclatante de l’iniquité de Sédome.
Le texte de la Tora fait le constat de l’immoralité des habitants de Sédome. Société nantie, riche, établie dans une plaine verdoyante et fertile, mais société égoïste qui, bien que disposant de richesses énormes, se ferme sur elle-même. Elle ne partage rien. Elle oblige, au contraire, tout visiteur à quitter la ville. Nul ne peut s’installer sans courir le risque d’y laisser sa vie.
Abraham a-t-il l’intention de demander à D’ieu de laisser une dernière chance à Sédome qui pourrait se régénérer grâce aux Justes qui s’y trouvent ? En effet ! D’ieu accepte la proposition d’Abraham, sachant d’avance que l’iniquité de Sédome avait atteint un tel degré que la destruction demeure la seule solution.
Voilà Abraham qui, grâce à cette mission impossible, gagne plus encore l’estime de D’ieu qui justifie encore l’attachement qu’Il a pour Abraham par son souci de maintenir la justice et de bannir l’iniquité.
D’ieu l’élève et le choisit entre tous depuis la génération de Noah comme interlocuteur. Il ose dire à D’ieu son fait. Le monde ne peut tenir si la justice est appliquée dans toute sa rigueur. Ainsi enseigne Rachi :
“D’ieu créa. Il est dit Èl’okim et non Ha-Chèm“. L’intention première avait été de créer le monde selon les lois de la justice. Mais D’ieu considéra que le monde ne mériterait pas alors de subsister. Aussi, dans la suite, D’ieu fera-t-Il passer au premier plan la miséricorde et l’associera-t-Il à la justice. Il est écrit en effet :
“Le jour où Ha-Chèm, Èl’okim, Ét’ernel, D’ieu fit la terre et les cieux.”
Fort de cet enseignement, Abraham demande à D’ieu de faire un choix entre le monde et la justice car les deux ne sauraient coexister.
Toutefois, il arrive que l’iniquité d’une province dépasse les limites pour que l’intervention rigoureuse de D’ieu soit nécessaire.