La mort de Sara
La vie de Sara fut de cent vingt-sept ans; telle fut la durée de sa vie. Sara mourut à Qiryat Arbâ qui est Hèbrone, dans le pays de Kénaâne; Abraham y vint pour dire sur Sara les paroles funèbres et pour la pleurer. Abraham, ayant rendu ce devoir à son mort, alla parler aux enfants de Hète en ces termes : Je ne suis qu’un étranger domicilié parmi vous: accordez-moi la propriété d’une sépulture au milieu de vous que j’ensevelisse ce mort qui est devant moi. Les enfants de Hète répondirent à Abraham en lui disant : Écoute-nous, Seigneur! tu es un dignitaire de D’ieu au milieu de nous; dans la meilleure de nos tombes ensevelis ton mort. Nul d’entre nous ne te refusera sa tombe pour inhumer ton mort. Abraham s’avança et se prosterna devant le peuple du pays, devant les enfants de Hète Bérèchit 24, 1-7..
La sidra Hayè Sara, fait suite au récit du sacrifice de Yitshaq. Cet enfant naît après que D’ieu ait réalisé un miracle tant pour Sara que pour toutes les femmes. Ce miracle laisse une forte impression de joie et d’allégresse générales. Le texte Bérèchit 21, 6 et 7. dit :
Sara dit : D’ieu m’a donné une félicité, et quiconque l’apprendra me félicitera. Elle dit encore : Qui eût dit à Abraham que Sara allaiterait des enfants? Eh bien, j’ai donné un fils à sa vieillesse!
Et le Midrache Yalqout Bérèchit paragr. 93. rapporte :
Rabbi Bérakhiya fils de Rabbi Yéhouda fils de Rabbi Chimône dit au nom de Rabbi Chémouèl fils de Rabbi Yitshaq : Si Réoubène est joyeux, qu’importe à Chimône? Si Sara eut un enfant qu’importe aux autres femmes? Mais lorsque Sara notre mère avait conçu, plusieurs femmes stériles, conçurent en même temps qu’elle, plusieurs malades furent aussi guéris, plusieurs sourds recouvrèrent leur ouïe, les aveugles leur vue, et les fous leur raison.
Ce midrache tente de satisfaire la curiosité et la surprise de l’entourage d’Abraham qui, sans doute, ne manquerait pas de se poser des questions quant à la provenance de cet enfant. À propos de Sara allaiterait des enfants, Rachi affirme que toutes les princesses invitées au festin donné par Abraham à l’occasion du sevrage de Yitshaq avaient amené avec elles des bébés sans nourrice dans l’intention de vérifier si Yitshaq est bien l’enfant de Sara et non un enfant trouvé. Aussi lui ont-elles demandé de bien vouloir remplacer leur nourrice. Voilà donc un deuxième miracle réalisé afin que tous soient convaincus qu’Abraham et Sara eurent un fils dans leur vieillesse.
Cependant ces miracles faits dans le but d’accomplir les promesses divines à Abraham et Sara allaient s’avérer inutiles puisque D’ieu demande aussitôt à Abraham de sacrifier son fils.
Imaginons l’état d’âme d’un père qui de la joie et le bonheur d’avoir eu un fils se voit dans l’obligation de le sacrifier. Pourtant il ne se pose pas de question. D’ieu demande, il faut obéir. Voilà pour Abraham! Qu’en est-il de Sara? Tout se passe comme si Sara est tenue à l’écart de cette épreuve! Peut-être ne sera-t-elle pas à la hauteur de l’épreuve? Elle est en tout cas absente tout au long du récit de la âqèda.
Ce silence est bien comblé par le midrache. Satane, instigateur de cette épreuve ne se résout pas à s’avouer vaincu. N’ayant pas réussi à empêcher Abraham et Yitshaq d’obéir à la volonté divine, Satane se présenta à Sara.
Le Yalqout Bérèchit 23, 2. rapporte :
Abraham revient du Mont Moriya en paix. Satane, constatant l’échec de sa tentative d’entraver le Sacrifice d’Abraham, se met en colère. Que fait-il? Il dit à Sara :
Es-tu au courant de ce qui se passe dans le monde?
Non.
Abraham a sacrifié Yitshaq ton fils et l’a offert en holocauste sur le bûcher.
Sara pleure et gémit. Trois pleurs correspondent à trois sonneries [simples du chofar,, corne du bélier] et trois gémissements à trois sons prolongés [du chofar]. Son âme s’étant envolée, Sara mourut.
Bien entendu, le midrache relie donc la mort de Sara au Sacrifice de Yitshaq. Mais il laisse entendre que Sara n’a pas pu surmonter la douleur de voir son fils sacrifié. Peut-être est-ce la raison de l’absence de Sara dans le récit du texte de la âqèda!
Toutefois le midrache compare les gémissements de Sara aux sons du Chofar faisant ainsi allusion à l’appel au repentir et à la perfection morale. La mort de Sara, inattendue et fulgurante, surprend et invite à la réflexion sur l’inanité de l’être humain. Elle agit comme la sonnerie stridente du chofar qui réveille les consciences. La mort du juste ne doit, à aucun moment, passer inaperçue.
La vie de Sara fut de cent vingt-sept ans; telle fut la durée de sa vie.
Le texte donne l’âge de Sara contrairement à son habitude de taire l’âge des Immahot, , Matriarches. Pourquoi?
C’est la première fois en effet que la Tora nous donne l’âge d’une femme au moment de sa disparition. Pour Rachebam, l’âge de Sara est indiqué parce qu’il situe de manière précise la date à laquelle fut acheté le caveau à Hèbrone. Autrement dit l’acquisition de Méârate ha-Makhpèla, constitue le premier acte d’achat d’un lieu en Kénaâne. Il fut réalisé également de manière à éviter toute contestation éventuelle.
Wayi-hyou : La vie de Sara fut de...
Wayi-hyou semble de trop. Quelle est la raison de son emploi?
Baâl ha-Tourim et Baâlè ha-Tosséfot disent que l’âge de Sara est donné pour indiquer que le nombre d’années de vie véritable de Sara était de 37 ans. Le terme wayi-hyou, a pour valeur numérique 37. Sara n’a commencé à jouir de la vie que lorsqu’elle eut son fils Yitshaq.
Le verset se lirait aussi la vie de Sara était de 37 ans. Mais si le verset précise le nombre des années de vie de Sara, c’est bien pour signifier que toute sa vie s’était écoulée dans le bonheur total et le bien-être. Ce sont donc les dernières années qui décident de la qualité de la vie d’un être. Si ces années sont bonnes, toute la vie sera considérée heureuse. Dans le cas contraire, quand bien même les premières années couleraient dans le bonheur parfait, la fin étant malheureuse, toute la vie est alors malheureuse. Aussi le verset souligne-t-il après la mention de l’âge de Sara telle fut la durée de sa vie, et Rachi d’expliquer toutes ces années furent d’un égal bonheur.
Le texte reprend le terme chana, année, à propos de la centaine, des dizaines et des unités alors qu’une seule fois suffirait. Il reprend également chénè hayè Sara,, les années de vie de Sara. Pourquoi?
Le texte répète le terme année parce que chaque tranche d’âge avait sa particularité. Rachi s’exprime ainsi :
Sara à l’âge de 100 ans était aussi innocente et sans fautes qu’à l’âge de vingt ans puisque non passible de châtiment. A l’âge de vingt ans elle était aussi belle qu’à l’âge de 7 ans.
Mais Kéli Yaqar, constatant le singulier de chana, année, appliqué à la centaine et aux dizaines alors que le pluriel chanim, est appliqué aux unités, pense que la perfection du juste à la fin de sa vie est beaucoup plus grande et plus importante que celle des années de jeunesse.
Aussi Sara à l’approche de la mort a-t-elle atteint une perfection plus grande que suggère le pluriel de chanim parce qu’elle se rapprochait davantage de la lumière éternelle.
Sara mourut à Qiryat Arbâ qui est Hèbrone, dans le pays de Kénaâne; Abraham y vint pour dire sur Sara les paroles funèbres et pour la pleurer.
Sara est morte.
Pourquoi le texte attribue-t-il le terme wata-mote, à une tsaddèqète, une femme parfaite? Pour les tsaddiqim, le texte emploie surtout wayi-gwaâ waya-mote, !
En principe la disparition des tsaddiqim n’est jamais annoncée par le terme waya-mote. Mais le texte cherche à relier la mort de Sara à la âqèda de Yitshaq, . La mort a été subite. Rien ne laissait prévoir une fin aussi rapide. Sans l’annonce de la âqèda, Sara aurait été encore en vie.
Or ha-Hayim remarque que la mort de Sara ne fut qu’au niveau des quatre éléments constitutifs de l’être : feu, air, eau et poussière. Tout se passe comme si Sara s’est détachée de la matière qu’elle animait. C’est pourquoi le texte dit Elle mourut à Qiryat Arbâ, faisant allusion aux quatre éléments, arbâ, quatre. Mais il ne faut point penser que chaque élément s’est séparé des autres pour retrouver son origine! Bien au contraire hi Hèbrone, ils sont restés unis, car Hèbrone dérive de hibour, union. Le texte indique donc que pour Sara, s’il y eut mort, ce fut uniquement au niveau de la matière constitutive de l’être qui, malgré tout, est restée unie.
Kéli Yaqar rapportant le Yalqout dit que qiryat arbâ, porte quatre noms : Èchekol, Mamrè, , qiryat arbâ, et Hèbrone, en raison des quatre causes essentielles de la mort. Il y a mort consécutive à la faute, à la révolte contre D’ieu. C’est pourquoi le lieu, choisi pour sépulture, est appelé Mamrèdont la signification est révolté. La mort d’un tsaddiq est désignée par Èchekol, se décomposant en iche, et kol, l’homme possédant toutes les vertus. Parce que le monde est privé de la présence du tsaddiq, sa mort expie les fautes de la société. La mort naturelle, consistant en la décomposition des quatre éléments constitutifs de l’être, est appelée Qiryat Arbâ. Enfin la mort des tsaddiqim intervient par le désir de s’unir à D’ieu. Cette mort est désignée par Hèbrone. Aussi le texte précise-t-il que la mort de Sara est du niveau de ces deux dernières catégories.
À Qiryat Arbâ .
Abraham habitait Béèr Chèvâ, comment se fait-il que Sara soit morte à Hèbrone ?
Sara se trouvait à Hèbrone au moment de son décès car Abraham, vu son âge, voulait acquérir un terrain qui servirait de caveau familial.
Le midrache raconte qu’Abraham ayant visité cette caverne avait remarqué qu’Adam et Hawa y étaient inhumés. Il charge donc Sara de faire l’acquisition de ce terrain. Mais D’ieu décide autrement puisqu’elle décède aussitôt arrivée à Hèbrone.
Faire l’éloge funèbre de Sara et la pleurer.
Selon Rachi, la mort de Sara est consécutive à l’annonce du sacrifice de Yitshaq. Est-il possible de croire que Sara se soit opposée à l’ordre divin de sacrifier son fils?
L’éloge funèbre de Sara consiste à retracer toutes ses vertus. La plus remarquable consiste à sacrifier sa vie pour son fils. Ayant entendu dire que Yitshaq ne fut pas offert en sacrifice, elle en conçut une grande peine ne sachant pas à quoi attribuer le refus divin. Est-ce un défaut moral ou un défaut physique qui invalide Yitshaq? Une telle attitude permet d’affirmer que Sara était prête à accepter le sacrifice de son fils autant qu’Abraham.
Abraham, ayant rendu ce devoir à son mort, alla parler aux enfants de Hète en ces termes.
Abraham parla aux enfants de Hète.
Était-il nécessaire de s’adresser à tous les enfants de Hète quand la transaction n’intéresse que Êfrone? Pour quelle raison fait-il sa demande en présence de tous les enfants de Hète?
Abraham veut réaliser une transaction échappant à toute contestation aussi bien de la part du propriétaire, Êfrone, que d’un éventuel contestataire qui pourrait se retourner contre Êfrone lui-même afin d’annuler la vente. Aussi pour cette raison s’adresse-t-il à tous les enfants de Hète pour réaliser la vente en leur présence.
Je ne suis qu’un étranger domicilié parmi vous: accordez-moi la propriété d’une sépulture au milieu de vous que j’ensevelisse ce mort qui est devant moi.
Guèr tochav, étranger et résident.
Pourquoi Abraham emploie-t-il ces deux termes apparemment contradictoires car s’il se considère comme étranger il n’est point résident tout comme s’il est résident il n’est point étranger?
Rachi parle des deux possibilités militant en faveur de l’acquisition du terrain. En tant qu’étranger, Abraham aurait droit à une possession pour sépulture. Sinon il fera agir ses droits de tochav, résident auquel cette terre avait été promise par D’ieu.
Donnez-moi.
Il est surprenant qu’Abraham réclame une donation alors que son intention était de faire une acquisition à la suite d’une transaction.
Or ha-Hayim rappelle une halakha, loi codifiée par Rambam Lois d’Acquisition et de Donations, chap. 3, Loi II.. Il est toujours possible de faire une donation à un étranger établi en Israël car nous sommes tenus de le faire vivre. C’est donc en référence à cette loi qu’Abraham réclame ce droit de Hète?
Les enfants de Hète répondirent à Abraham en lui disant : Écoute-nous, Seigneur! tu es un dignitaire de D’ieu au milieu de nous; dans la meilleure de nos tombes ensevelis ton mort. Nul d’entre nous ne te refusera sa tombe pour inhumer ton mort.
Tu es un dignitaire de D’ieu.
Quelle est l’intention des enfants de Hète en mentionnant dignitaire de D’ieu?
Dans sa demande aux fils de Hète, Abraham leur signale que sans la nécessité d’ensevelir Sara, il n’aurait pas procédé à cette acquisition. Et si tout de même il demande une donation, Abraham tient aussi à payer le terrain afin que l’acquisition soit aussi inattaquable comme vente que comme donation. Mais les fils de Hète, dans leur réponse, lui rappellent sa position sociale. En tant que prince il peut s’arroger le droit de retirer à quiconque sa propriété. Il peut, en raison de sa position sociale, faire appel à un droit de réquisition. Mais il comprend leur intention de le priver de ce droit de propriété comme le Talmoud Baba Batra. le stipule à propos de la maison de l’Exilarque cf. Or Ha-Hayim z.l..
Abraham s’avança et se prosterna devant le peuple du pays, devant les enfants de Hète.
Il se prosterna devant le peuple du pays.
Quelle est donc la signification de ce détail?
Abraham se lève et se prosterne devant eux pour leur signifier qu’ils sont à ses yeux plus importants et plus dignes que lui. Aussi ne demande-t-il rien de plus qu’Êfroneconsente à procéder à la vente.
Toutefois ce texte sert de base à plusieurs énoncés de lois concernant les transactions. Mais il rend compte de la foi et la confiance absolues d’Abraham en D’ieu qui, malgré la promesse divine de lui donner la terre de Kénaâne en propriété, ne remet point en question la parole divine lors même qu’il se voit obligé d’acheter un terrain pour inhumer Sara.