La descendance de Yaâqov

Le midrache, citant le texte, dit à ce propos :

Il prit des pierres de l’endroit…

Rabbi Yéhouda et Rabbi Néhèmya et nos Maîtres enseignent.

Rabbi Yéhouda dit : il prit douze pierres. [Yaâqov] s’est dit : ainsi en a décidé le Saint béni soit-Il, je suis appelé à engendrer douze tribus. Car Abraham ne les a pas eues, Yitshaq non plus. Mais si les douze pierres s’unissent entre elles, je saurais que j’engendrerai les douze tribus. Comme les douze pierres se sont unies, il sut qu’il donnera naissance aux douze tribus.

Rabbi Néhèmya dit : [Yaâqov] prit trois pierres. Il dit : le Saint béni soit-Il unit son nom à Abraham ; le Saint béni soit-Il l’unit également à Yitshaq. Si ces trois pierres se soudent en une, je saurais que le Saint béni soit-Il unira Son nom à moi.

Nos Maîtres disent : le minimum [du pluriel] de pierres c’est deux. Abraham évacue son impureté à travers Yichemaêl et les fils de Qétoura. De Yitshaq est sorti Êssaw et tous ses descendants. Et moi, si ces deux pierres s’unissent entre elles, je sais qu’il n’émanera de moi aucune impureté.”

La préoccupation première de Yaâqov s’applique à ses enfants. A peine en dehors de Béèr Chèvâ, Yaâqov se voit déjà investi de la mission d’engendrer des enfants dont le rôle serait de continuer la voie tracée par Abraham et Yitshaq.

Selon Rabbi Yéhouda, il prend douze pierres car, semble-t-il, Abraham et Yitshaq devaient donner naissance aux douze tribus. Êts Yossèf précise dans son commentaire que les Ancêtres savaient qu’ils étaient appelés à avoir douze enfants correspondant aux douze signes du Zodiaque. L’unité et l’harmonie du monde commandent de retrouver des correspondances dans tous les éléments de la création. Comme les douze astres illuminent et influent sur la marche du temps et du monde, les douze tribus sont appelées à éclairer et à diriger le monde. Abraham est le premier homme à propager la connaissance de D’ieu. C’est lui qui mérite d’avoir ces douze enfants. Il ne les a pas eus. Yitshaq était-il, lui, en mesure de les avoir ? Certes, mais il ne les a pas engendrés.

Reste Yaâqov. Mais pour être sûr qu’il est l’homme du destin, il prend douze pierres. Leur union révèlera la réalisation de sa mission. Les Pirqè de Rabbi Èliêzèr rapportent : les douze pierres se sont fondues en une seule pour bien signifier que les douze tribus s’uniront pour former un peuple.

Yaâqov était toujours habité par le souci de voir ses fils réaliser leur unité. La force pour combattre Êssaw réside dans l’unité de ses enfants. Êssaw avait six enfants mais ils étaient divisés. Rachi rapporte dans son commentaire le midrache Wayi-qra Rabba :

“Êssaw comptait six âmes et le texte les nomme “les âmes de son foyer“, au pluriel, parce qu’elles adoraient des dieux multiples. Yaâqov en compte soixante-dix et la Tora les appelle “âme”, au singulier, parce qu’elles adoraient un seul D’ieu.”

Ce qui importe, pour Yaâqov, est que ses enfants soient unis dans leur adoration de D’ieu Un. C’est la condition pour qu’ils puissent réaliser un peuple. Abraham n’a pu le faire, ayant eu Yichemaêl ; Yitshaq non plus parce qu’il a eu Êssaw. Yichemaêl et Êssaw n’épousaient pas l’idéal d’Abraham. Aussi l’espoir de Yaâqov fut-il de conduire tous ses enfants vers cet idéal.

Pour Rabbi Néhèmya, le souci de Yaâqov est de se réaliser lui-même, de s’accomplir au point de mériter que D’ieu unisse Son Nom à lui. Il est dit “D’ieu d’Abraham, D’ieu de Yitshaq”, autrement dit, leur conduite morale avait atteint un degré de perfection telle que D’ieu unit Son Nom à eux. Yaâqov aura-t-il le même mérite ?

C’est en fuyant Êssaw et Béèr Chèvâ que Yaâqov eut à faire une telle réflexion. En effet, Yaâqov avait la sécurité morale auprès de son père. Sa perfection n’était pas menacée. Mais dès qu’il se met en route, Yaâqov se voit déjà assailli par Labane et son entourage. Il risque gros au niveau de sa perfection morale.

Les perspectives d’être l’héritier d’Abraham et de Yitshaq sont nulles. Pour se préparer à lutter contre l’influence de Labane, il a besoin de se consacrer à l’étude de la Tora. Son stage de 14 années dans l’académie de Chèm et Êvèr ne lui garantit pas de demeurer parfait. Aussi est-ce là le moment de ressentir avec plus d’acuité sa quête d’absolu. De plus, il devait se prouver à lui-même dans un environnement hostile à D’ieu et à ses prescriptions. C’est l’environnement de Labane. Yaâqov fera preuve de beaucoup de vigilance aussi bien pour lui que pour tous ses enfants. Il gagne ainsi sa place parmi les ancêtres auxquels D’ieu avait uni Son Nom. Les trois pierres se fondant en une sont la confirmation que Yaâqov n’a rien à craindre de son séjour chez Labane.

Pour nos Maîtres, le souci majeur de Yaâqov est de ne pas faire l’expérience d’un échec au niveau de ses enfants. Abraham eut Yichemaêl. Toute l’impureté d’Abraham héritée de Tèrah est évacuée à travers Yichemaêl. Yitshaq est le digne fils d’Abraham. Le résidu d’impureté de Yitshaq sera évacué à travers Êssaw. Yaâqov s’inquiète de savoir si tous ses enfants seront d’un haut niveau de perfection morale. La peur de l’échec est si présente qu’il prend deux pierres, symbolisant Abraham et Yitshaq, dont l’union signifierait que ses descendants rappelleront les Ancêtres par leur perfection.

Cependant il est surprenant que, pour les besoins de l’épreuve, il ait pris deux pierres. Rabbi Néhèmya n’a-t-il pas raison de parler de trois pierres symbolisant l’union des trois ancêtres ? Êts Yossèf explique que l’union des deux pierres indique la réussite morale de ses enfants, réussite qui dépasserait celle d’Abraham et Yitshaq. Car tous ses enfants seront des tsaddiqim.

Yéfat Toar pense que l’union des deux pierres est le signe qu’aucune division, au niveau du comportement moral, n’affectera la descendance de Yaâqov. Au contraire, ses fils exprimeront une identité de vue avec Yaâqov. Ni division ni divergence ne viendront ternir les rapports père et fils. Le nombre deux exprime la dualité et la division existant au niveau des enfants d’Abraham et Yitshaq. Elles seront absentes dans le foyer de Yaâqov.

Ainsi, les trois opinions sont complémentaires. Rabbi Yéhouda, mettant l’accent sur la perfection morale des fils et leur unité, rejoint en quelque sorte nos Maîtres. En revanche, lorsque Rabbi Néhèmya parle de la perfection de Yaâqov avec la possibilité d’être le partenaire et l’héritier moral d’Abraham et de Yitshaq, il ne néglige en rien la réussite morale des enfants. Car la réussite du père passe nécessairement par celle des enfants.

Ainsi, pour nos Maîtres, Yaâqov est l’élu des Ancêtres qui, grâce à son mérite personnel, a pu faire la synthèse des vertus, des valeurs d’Abraham et de Yitshaq. Si Abraham représente le Hèssèd, la bonté, et Yitshaq la Guévoura, la rigueur, Yaâqov représente la Tif’èrète, la beauté, la gloire.

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