La recommandation de Yaâqov à Yossèf

Yaâqov vécut dans le pays d’Égypte, dix-sept ans; la durée de la vie de Yaâqov fut donc de cent quarante-sept années. Les jours d’Yisraèl s’approchant de leur terme, il manda son fils Yossèf et lui dit: Si tu as quelque affection pour moi, mets, je te prie, ta main sous ma hanche, pour attester que tu agiras envers moi avec bonté et fidélité, en ne m’ensevelissant point en Égypte. Quand je dormirai avec mes pères, tu me transporteras hors de l’Égypte et tu m’enseveliras dans leur sépulcre. Il répondit : Je ferai selon ta parole. Il reprit : Jure-le moi, et il le lui jura; et Yisraèl s’inclina sur le chevet du lit Bérèchit 47, 28-31..

La sidra est appelée paracha sétouma, section fermée. Bien qu’étant une sidra détachée et séparée de celle de Wayi-gache, elle fait suite à celle-ci sans même respecter l’intervalle de 9 lettres exigé pour une paracha sétoumaWay-hi, serait donc une sidra parfaitement fermée.

Le Bérèchit Rabba ainsi que le Yalqout s’interrogeant sur la structure particulière de cette paracha, section, avancent l’explication suivante :

Après la disparition de Yaâqov, notre père, les yeux et le coeur d’Yisraèl commencèrent à se fermer en raison des souffrances de l’asservissement que [les Égyptiens] avaient commencé à leur faire subir. Selon une autre opinion, [Yaâqov] voulut dévoiler la fin de la servitude mais celle-ci lui échappe.

Le midrache donne une première explication qui semble à tout le moins surprenante car entre la mort de Yaâqov et celle de Yossèf, il s’est écoulé une période de 54 ans pendant laquelle Yossèf régnait et l’esclavage effectif n’a commencé qu’après la mort de toute la génération de Yossèf cf. Chémot 1, 6.!

En vérité, selon Don Yitshaq Abrabanèl, l’intention de Yaâqov, en descendant en Égypte, était de voir Yossèf et de retourner aussitôt en Kénaâne. Mais en chemin, D’ieu laisse entendre à Yaâqov que l’exil allait commencer. Ainsi Bérèchit 46, 3. lui annonce-t-Il :

Je suis l’Ét’ernel, D’ieu de ton père: n’hésite point à descendre en Égypte, car je t’y ferai devenir une grande nation. Moi-même, je descendrai avec toi en Égypte; Moi-même aussi je t’en ferai remonter, et c’est Yossèf qui te fermera les yeux.

Après cette annonce, une fois Yisraèl établi à Gochène, la Tora souligne Bérèchit 47, 27. :

Yisraèl s’établit donc dans le pays d’Égypte, dans la province de Gochène; ils en demeurèrent possesseurs, y crûrent et y multiplièrent prodigieusement.

La juxtaposition de ce dernier verset de Wayi-gache avec le début de Way-hi montre que la raison du début de l’exil est le fait même qu’Yisraèl se soit établi en Égypte cherchant à s’y multiplier et à posséder des biens. Agissant ainsi, Yisraèl exprime une perte d’espoir de retourner un jour en Kénaâne.

Mais pour Kéli Yaqar, cette juxtaposition montre la différence entre la situation d’Israël du vivant de Yaâqov, situation brillante et heureuse, et celle qu’il connaît après la mort de Yaâqov. Les Égyptiens tendent à limiter l’accroissement des Bénè Yisraèl. Aussi est-ce la raison pour laquelle Yaâqov n’avait pas vécu autant que ses père et grand-père pour ne pas connaître personnellement la situation d’exil et de servitude.

Quant à la deuxième explication du midrache, rien de surprenant que Yaâqov puisse révéler la fin de cet exil. Il eut la vision de tous les exils ainsi que de leur fin dans le rêve de l’échelle. Mais D’ieu l’avait empêché de la révéler, car comme dit Rabbi Yitshaq Ârama, auteur de Sèfèr ha-Âqèda, qu’en agissant ainsi Yaâqov aurait incité les Bénè Yisraèl à s’abstenir de prier et invoquer D’ieu pour hâter la fin de l’exil. Connaissant la date de la délivrance, ils s’installeraient de manière permanente dans leur pays d’exil, construiraient de belles maisons, n’ayant plus d’espoir de retourner à leur pays. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé pour l’exil d’Égypte dont la fin avait été révélée à l’avance : les Bénè Yisraèl, se considérant éloignés de la date de la délivrance, ne se sont jamais sentis concernés à telle enseigne qu’ils n’implorent jamais D’ieu pour les délivrer. Il a fallu que Parô les persécute plus que prévu pour qu’ils invoquent D’ieu dans leurs prières.

Il est donc intéressant de trouver dans le midrache des indications claires relatives à l’exil et à la délivrance. Cet enseignement est achevé dans les recommandations finales que Yaâqov adresse à ses enfants.

Plutôt que leur révéler la date de la délivrance qu’il n’arrivait plus à transmettre, il leur dit Bérèchit 49, 1. : Rassemblez-vous, je veux vous révéler ce qui vous arrivera dans la fin des jours. Le remède pour la délivrance est le rassemblement, l’unité et l’union de tout le peuple d’Israël. La délivrance ne sera que lorsqu’Israël sera uni.

Yaâqov vécut dans le pays d’Égypte, dix-sept ans; la durée de la vie de Yaâqov fut donc de cent quarante sept années.

Yaâqov vécut, dans le pays d’Égypte, dix-sept ans.

Pour quelle raison la Tora nous précise-t-elle que Yaâqov avait vécu en Égypte 17 ans, car, sachant que Yaâqov vécut 147 ans et vint en Égypte à l’âge de 130 ans, une simple soustraction aurait suffi pour déduire qu’il était resté 17 ans en Égypte?

En vérité, l’accent est porté sur les 17 ans que Yaâqov passe en Égypte entouré de tous ses enfants, et surtout, de Yossèf qui subvenait à tous ses besoins. Yaâqov avait élevé et nourri Yossèf pendant 17 années. En compensation Yossèf nourrit également son père pendant 17 années. Ce qui fera dire au Baâl ha-Tourim que la vie de Yaâqov, une vie heureuse et illuminée par l’amour qu’il portait à Yossèf était de 34 ans. Ce sont les 17 premières années de la jeunesse de Yossèf et les 17 dernières années de Yaâqov. La valeur numérique de Way-hi, est de 34. Yaâqov vécut donc dans le bonheur 34 ans.

Le texte a cependant mentionné le nombre d’années vécues en Égypte pour souligner que la fin heureuse de Yaâqov fait oublier toutes les souffrances passées dans son existence, les poursuites de Êssaw et de Labane, la mort de Rahèl, la prise de Dina par Chékhèm et la vente de Yossèf.

Pour Or ha-Hayim, toute la vie de Yaâqov est considérée heureuse parce que ses dernières années d’existence furent parfaitement heureuses.

Le texte emploie justement le nom de Yaâqov au lieu de celui d’Yisraèl parce qu’en descendant en Égypte, pays dont la toum’al’impureté, dépasse celle de tous les pays, Yaâqov ne pouvait plus prétendre au titre de noblesse que D’ieu lui avait accordé en l’appelant Yisraèl. Ce titre fait surtout référence à sa droiture et à ses vertus. Mais avant sa mort, il est appelé Yisraèl car à ce moment précis Yaâqov avait atteint la perfection morale et spirituelle qui s’apparente à son essence même.

La durée de la vie de Yaâqov fut donc de cent quarante-sept années.

Pour quelle raison le texte donne-t-il le nombre d’années de vie de Yaâqov dans un ordre différent de celui employé pour désigner la vie des autres tsaddiqim, tels Abraham et Yitshaq à propos desquels il mentionne la centaine puis les dizaines et ensuite les unités alors qu’ici l’ordre suivi est : unités, dizaines et la centaine?

Or ha-Hayim dit à ce propos qu’en vérité le nombre d’années de bonheur de Yaâqov est de 47 ans. Elles se décomposent ainsi : 6 premières années, années d’insouciance totale et 41 années passées avec Rahèl et Yossèf. C’est pourquoi l’accent est mis sur les premières 47 années.

Les jours d’Yisraèl s’approchant de leur terme, il manda son fils Yossèf et lui dit: Si tu as quelque affection pour moi, mets, je te prie, ta main sous ma hanche, pour attester que tu agiras envers moi avec bonté et fidélité, en ne m’ensevelissant point en Égypte.

Les jours d’Yisraèl approchant de leur terme.

Comment Yaâqov peut-il savoir que sa mort approchait?

Pour Rambane, Yaâqov s’était rendu compte par l’abandon de ses forces. Celles-ci commençaient à faiblir alors qu’il n’était point malade.

Mais Or ha-Hayim penche plutôt vers la perfection morale et spirituelle qui grandit peu avant la mort. Cette perfection, seule l’âme parvient à la ressentir. Le midrache fait ressortir, s’appuyant sur la formule employée par le texte, que ce sont les jours qui meurent et non les tsaddiqim, les justes qui, eux, demeurent vivants. Leur présence dans le monde assure sérénité et paix dans le monde. Aussi avec la disparition de Yaâqov commencent déjà l’exil et les persécutions.

En règle générale, aiment à répéter nos maîtres, chaque fois qu’il est dit wayi-qréboulamoutles jours approchèrent de la mort, c’est pour signaler que le personnage en question n’a pas atteint l’âge de son père. Ainsi Yaâqov n’a pas atteint l’âge de Yitshaq, n’ayant vécu que 147 ans pendant que son père vécut 180 ans. David était âgé de 70 ans alors Ychaï son père avait atteint l’âge de 400 ans. Pour David, il a été effectivement dit Mélakhim 1, 3-1. : Les jours de David approchèrent de la mort…

Il manda son fils, Yossèf

Pour quelle raison le texte dit livnoà son fils?

Il est vrai que Yaâqov fit appel à Yossèf car en tant que gouverneur d’Égypte il était seul à pouvoir réaliser sa volonté. Mais en disant livno lé-Yossèfà son fils Yossèf, le texte tente de répondre à la difficulté de voir un homme commun se permettre de convoquer un roi chez lui. Mais même en s’adressant livnoà son fils, Yaâqov ne pouvait pas en toute quiétude appeler et convoquer Yossèf à venir le voir, parce que le respect que l’on doit au roi dépasse celui que l’on doit à son maître. Mais en disant lé-Yossèf, le texte souligne la vertu de Yossèf qui bien que roi était prêt à renoncer au respect qui lui revient pour accomplir la volonté de son père. Aussi est-ce la raison de l’emploi de livno, et lé-Yossèf.

Si tu as quelque affection pour moi.

Yaâqov demande à Yossèf de faire preuve cette fois-ci d’affection vis-à-vis de lui pour montrer que dans le passé il avait toujours agi par affection vis-à-vis de son père. En effet ne connaissant pas le contenu de sa sollicitation, son empressement à vouloir la réaliser constituerait cette preuve.

Mets, je te prie, ta main sous ma hanche.

Yaâqov fait prêter serment à Yossèf avant même de lui dire l’objet de sa demande dans l’intention de lui faire prêter serment avant le serment et ce, afin qu’il ne cherche point à annuler par les moyens de la hattaraprocédé d’annulation, son serment. Le midrache rapporte que si jamais Yossèf n’avait pas juré, Yaâqov, de peine, aurait cessé de vivre.

Tu agiras envers moi avec bonté et fidélité

Rachi, rapportant le midrache, dit que le bien fait avec les morts est le bien absolu et vrai parce que désintéressé. Mais pourtant dans ce cas, Yossèf reçoit une récompense de son père cf. Rachi sur Bérèchit 48, 22.. Il lui accorde une part supplémentaire pour s’être occupé de son enterrement en Èrèts Kénaâne.

Or ha-Hayim distingue deux objectifs dans la demande de Yaâqov : Ne pas être enseveli en Égypte et Yossèf, en personne, s’occupera de l’ensevelissement.

Le fait même de ne pas l’enterrer en Égypte est un acte de bonté absolue et vraie. Celui-ci était tout à fait désintéressé.

Yaâqov entendait ne pas être enterré en Égypte pour de multiples raisons : le sable d’Égypte, étant appelé plus tard à se transformer en vermine, il ne tient pas à ce que cette vermine se meut sous son corps. En outre les morts enterrés en dehors d’Israël ne ressuscitent qu’après beaucoup de souffrances. Yaâqov ne tient pas surtout à ce que les Égyptiens l’adorent comme un dieu parce qu’avec son passage, les crues du Nil sont montées irriguer l’Égypte et la famine avait cessé.

Ne m’enterre pas en Égypte.

Yaâqov demande à Yossèf de ne pas tarder à le faire monter en Kénaâne. Aussitôt après la mort, Yossèf devait le faire monter sans même l’enterrer provisoirement en Égypte.

Quand je dormirai avec mes pères, tu me transporteras hors de l’Égypte et tu m’enseveliras dans leur sépulcre. Il répondit : Je ferai selon ta parole. Il reprit : Jure-le moi, et il le lui jura; et Yisraèl s’inclina sur le chevet du lit.

Quand je dormirai avec mes pères, tu me transporteras hors d’Égypte,

Yaâqov insiste pour que Yossèf s’occupe en personne de son enterrement et non attendre, comme le recommandera Yossèf, le temps de la sortie d’Égypte pour le faire.

Je ferai selon ta parole.

Pour le midrache, Yossèf s’est engagé non seulement à accomplir la volonté de son père mais aussi à suivre également son exemple en demandant à faire monter sa dépouille d’Égypte pour l’enterrer en Kénaâne.

Jure-le moi,.

Kéli Yaqar souligne que Yossèf n’était point suspect aux yeux de son père et, à aucun moment, il n’a douté de sa volonté de lui obéir. S’il le fait jurer c’est uniquement dans le but de donner à Yossèf la possibilité de justifier la demande qu’il fera à Parô pour l’autoriser à accompagner la dépouille de son père. N’était le serment de Yaâqov, Parô aurait refusé. En effet, Yossèf avait juré à Parô de ne point dévoiler aux Égyptiens qu’il connaissait une langue de plus, l’hébreu. Sans ce serment, Yossèf aurait pu régner à la place de Parô. Aussi celui-ci n’ose-t-il refuser à Yossèf et lui ordonne Bérèchit 50, 6. : Pars, et ensevelis ton père ainsi qu’il t’a adjuré.

En signe de reconnaissance Yaâqov s’incline sur le chevet du lit.

Sans doute est-il permis de dire que le fait même, que Yaâqov ait demandé à transporter son corps en Kénaâne est important en soi pour imprimer dans le coeur de tous ses descendants l’amour de leur pays et l’espoir d’un retour. Cette recommandation de Yaâqov coïncide d’ailleurs avec la promesse de D’ieu faite à Yaâqov Bérèchit 56, 4. : Moi-même [D’ieu], je descendrai avec toi en Égypte; moi-même aussi je t’en ferai remonter…

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