La violence entraîne le déluge
Ceci est la descendance de Noah – Noah fut un homme juste, irréprochable, entre ses contemporains, il se conduisit selon D’ieu. Noah engendra trois fils : Chèm, Ham et Yèfèt. Or, la terre s’était corrompue devant D’ieu, et elle s’était remplie d’iniquité. D’ieu considéra que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre. Et D’ieu dit à Noah : Le terme de toutes les créatures est arrivé à mes yeux, parce que la terre, à cause d’elles, est remplie d’iniquité; et je vais les détruire avec la terre. Fais-toi une arche en cellules, et tu l’enduiras, en dedans et en dehors, de poix. Bérèchit 6, 8-14….
Cette sidra traite principalement du déluge, mabboul, qui avait fait périr le monde n’épargnant que Noah, ses trois enfants et leur femme.
Déjà Adam, par sa faute, avait amené la malédiction sur le monde. La terre fut de nouveau maudite pour avoir recueilli le sang de Hèvèl, tué par Qayine. Mais à partir de la génération d’Ènoche, commençait la dégradation au niveau de la croyance en l’unicité de D’ieu. Ce fut le début de l’idolâtrie comme le dit le texte Bérèchit 4, 26. : Alors on commença à profaner le nom de l’Ét’ernel.
La michena Avot 5, 2. , dit : Dix générations se sont succédées depuis Adam jusqu’à Noah : cela prouve la longanimité de D’ieu; car toutes ces générations avaient excité sa colère, et cependant ce n’est que la dixième qui périt par le déluge.
La michena insiste sur cet aspect de dégradation des générations de Adam à Noah qui ne cessaient d’exciter la colère de D’ieu. Bien plus, la génération d’Ènocheavait été durement châtiée. Rachi Bérèchit 6, 4. rapportant le Midrache Rabba sur la sidra dit :
Bien qu’ils aient assisté à l’extermination de la génération d’Ènoche quand l’océan avait englouti le tiers du monde, la génération du déluge n’avait point tiré de leçon et ne s’est point soumise [à D’ieu].
Il serait intéressant de remarquer que cette dégradation de l’homme suit un mouvement binaire qui oscille entre les relations de l’homme avec D’ieu et celles de l’homme avec son prochain.
Ainsi la faute d’Adam place-t-elle l’homme dans une situation de révolte vis-à-vis de D’ieu. Celle de Qayine est avant tout une faute vis-à-vis de l’autre, de son frère. La génération d’Ènoche, avec l’idolâtrie, remet de nouveau en question l’autorité de D’ieu sur le monde. La génération du déluge avec la débauche, le non respect des espèces et le non respect de la propriété, passe au niveau des relations humaines. Toute créature avait perverti sa voie sur la terreest l’affirmation que même les bêtes et les oiseaux avaient corrompu leur voie en s’accouplant à des espèces différentes cf. Bérèchit Rabba et Rachi sur Bérèchit 6, 2.. Cette dépravation des moeurs fut couronnée par la violence et la rapine. Seul un homme gardait sa foi intacte dans cette génération, c’était Noah.
Voici ce que dit le Yalqout Yalqout, Noah paragr. 48. :
Voici la descendance de Noah, Noah… N’est-ce point surprenant? Le texte ne devait-il pas commencer par énoncer la descendance de Noah : Chèm, Ham, et Yèfèt, ! Mais avec Noah ce fut un soulagement pour lui et pour le monde, pour les pères et pour les fils, pour les êtres célestes et pour les créatures terrestres, un repos pour ce monde et pour le monde à venir.
Le Yalqout insiste donc sur le fait même que le nom de Noah, dont le sens dérive à la fois de ménouha, repos et noah, facile, docile et nahèm, consoler, pour faire ressortir le bien que pouvait apporter au monde un tel tsaddiq. À sa naissance il a été appelé Noah pour dire Bérèchit 5, 29. : Puisse-t-il nous soulager de notre tâche et du labeur de nos mains, causé par cette terre qu’a maudite l’Ét’ernel. Le midracheaffirme que la première intervention de Noah en vue de soulager l’humanité fut l’invention de la charrue, ce qui permit à l’homme de travailler plus aisément la terre.
Ceci est la descendance de Noah – Noah fut un homme juste, irréprochable, entre ses contemporains, il se conduisit selon D’ieu.
Tout d’abord pour quelle raison le texte commence-t-il par Èllè, Ceci, qui laisse entendre une exclusion de tout ce qui a précédé au lieu de commencer par Wé-èllè, qui signifie Et voici laissant entendre que l’histoire de Noah est la suite logique de ce qui a précédé.
Étant donné la dégradation morale que connut l’humanité depuis Adam jusqu’à Noah tel que le stipule le texte Bérèchit 6, 5. :
L’Ét’ernel vit que les méfaits de l’homme se multipliaient sur la terre, et que le produit des pensées de son coeur était uniquement, constamment mauvais,
D’ieu avait décidé donc de ne plus tenir compte de ces générations. Seul Noah et ses enfants comptaient à ses yeux! Aussi pour cette raison le texte emploie-t-il Èllèexcluant toutes les précédentes générations. Il y a lieu de souligner également que même la génération de Noah était elle-même exclue puisque D’ieu avait décidé de l’exterminer.
En disant Voici la descendance de Noah, nous nous serions attendus à ce qu’il nomme les trois fils. Au lieu de cela il répète le mot Noah comme si Noahlui-même avait été engendré par Noah!
Rachi et Or ha-Hayim expliquent, tous deux, Èllèpar Îqar, l’essentiel, ce qui revient à dire que l’essentiel et le principal pour un tsaddiq ne sont pas les enfants qu’il engendre mais plutôt ses bonnes actions. Aussi pour cette raison le texte précise-t-il aussitôt : Noahfut un homme juste, irréprochable, entre ses contemporains.
Mais Or ha-Hayim, s’appuyant sur le Midrache RabbaDévarim 33., dit que Noah, à la différence de Mochè, était capable de sauver toute sa génération grâce à ses vertus et bonnes actions. N’ayant pu sauver que lui-même et ses enfants, Noah a en quelque sorte engendré Noah et non toute sa génération. Ainsi faut-il lire le texte : La descendance de Noah est Noah.
Dans un tout autre ordre d’idée Noah a engendré Noah signifie que Noah a réussi sur le plan personnel. Il s’est travaillé sur le plan moral et spirituel de telle sorte qu’il a pu être lui-même. C’est au fond ce que réclame D’ieu de l’homme de s’assumer véritablement, retrouver son identité et sa personnalité véritables et non point vouloir être quelqu’un d’autre. La réussite de Noahc’est de parvenir à être lui-même, Noah.
Un homme juste, irréprochable.
Plus loin Bérèchit 7, 1. le texte dira seulement tsaddiq. Pour quelle raison ne répète-t-il pas tamim, ?
En disant seulement plus loin juste sans le faire accompagner du qualificatif irréprochable, le texte nous enseigne, selon Bérèchit Rabba :
[L’usage est] de ne faire, en présence de la personne concernée, que partiellement sa louange, mais en son absence, il est possible d’exprimer toute sa louange.
Hatam Sofèr suggère, en revanche, l’explication suivante. Au début, Noah était un homme juste irréprochable, tsaddiq tamim, dans le sens de candide et parfait tant qu’il n’avait pas affronté les hommes de sa génération. Mais investi par D’ieu d’être l’objecteur de conscience pour toute sa génération, chose qu’il a fait avec beaucoup de succès, le texte témoigne que Noahavait mérité son titre de juste puisque D’ieu lui-même l’atteste.
Quel est le sens de cette précision : parmi ses contemporains, ?
Se basant sur une leçon du Talmoud Houline 6a. : Noahétait juste dans ses actions et irréprochable dans ses qualités, et sur l’explication de Rachi, modeste et humble, Or ha-Hayim souligne qu’il était toujours modeste et humble même face aux hommes de sa génération qui étaient d’une méchanceté et d’une iniquité singulières.
Rachi, rapportant le Talmoud Sanhèdrine 109a., dit que l’expression parmi ses contemporains laisse entendre, selon une première opinion, que, si déjà un environnement de réchaîm, n’avait pas entamé la perfection morale de Noah, un environnement de tsaddiqim eût davantage renforcé sa piété.
Une deuxième opinion enseigne que Noah n’était tsaddiq que par rapport à sa génération, mais non pas par rapport à celle d’Abraham. Aussi pour cette raison le texte dit-il Il se conduisit ète, avec l’appui de D’ieuà la différence d’Abraham qui se conduisait de lui-même devant D’ieu Bérèchit 24, 40..
Noah engendra trois fils : Chèm, Ham et Yèfèt.
Noah engendra trois fils,
Ce verset est répété puisque plus haut Bérèchit 5, 32. il est dit : Noah étant âgé de cinq cents ans, engendra Chèm, puis Ham et Yafèt. Pourquoi cette répétition?
Par ailleurs, il est étonnant que Noah n’ait eu que trois enfants alors que ses contemporains avaient engendré davantage. Il est d’autant plus étonnant que Noah n’ait pas engendré des filles! Pourquoi?
Cette répétition est nécessaire, selon Or ha-Hayim, car nous aurions pu penser que l’emploi de Èllè excluant toute autre descendance, excluait également ses trois enfants ne gardant en fait comme tsaddiq unique que Noah.
Mais une autre explication suggère que les trois enfants de Noahsont en vérité des normes selon lesquelles il accomplissait les prescriptions divines.
Chèm. toute mitswa était réalisée li-chemah, au nom de D’ieu qui l’a prescrite.
Ham, toute mitswa qu’il réalisait se faisait avec beaucoup de ham[imout], de chaleur et non d’une manière indifférente et froide.
Yèfèt, avec embellissement. Il accomplissait les mitswot de la manière la plus esthétique selon le principe Zè Èli Wéa-nevèhou, C’est mon D’ieu, je l’embellis.
S’il n’a eu que trois enfants, tous mâles, c’est pour souligner la bonté excessive de la Providence divine à l’égard de Noah. En effet, avec beaucoup d’enfants Noahcourrait le risque d’un échec notoire dans leur éducation surtout avec un environnement impie. Mais avec trois enfants, Noahavait la possibilité de veiller et contrôler leur éducation. Il n’a pas eu de filles également pour ne pas les exposer à prendre pour maris des réchaîm qui auraient sans doute exercé une influence néfaste sur elles ainsi que sur toute la famille.
Or, la terre s’était corrompue devant D’ieu, et elle s’était remplie d’iniquité.
La terre s’était remplie d’iniquité. .
Pourquoi la décision divine d’exterminer cette génération fut-elle prise surtout à propos de l’iniquité et de la violence?
La terre s’était corrompue. .
La conduite de la génération du déluge avait atteint un degré élevé d’iniquité. Les hommes n’ont épargné ni les relations avec D’ieu ni les relations avec l’homme. Dans leurs relations avec D’ieu, la terre s’était corrompue devant D’ieu, ils étaient coupables de débauche et de concupiscence. Dans les relations avec l’homme, la terre est remplie d’iniquité, de violence et de rapine. Leur vol était, disent nos Maîtres, de moins d’une pérouta N.B. Il s’agit de l’unité de monnaie la plus petite, de manière à échapper à toute poursuite judiciaire. C’était le vol qualifié légal, le hamas, la violenceinstitutionnalisée, mettant en danger l’existence de toute société et empêchant la coexistence pacifique qui provoque la sévérité de la décision divine. En revanche, la génération de la tour de Babèl, bien que son intention fut de porter atteinte à l’existence divine, D’ieu, au lieu de l’exterminer, se contente de la disperser aux quatre coins de la terre parce qu’elle respectait les principes de coexistence pacifique cf. Sanhèdrine 105..
Fais-toi une arche en cellules, et tu l’enduiras, en dedans et en dehors, de poix…
Fais-toi une arche…
Pour quelle raison D’ieu avait-il demandé de fabriquer une arche quand il dispose d’autres moyens pour sauver Noah et tous ceux qui devaient l’accompagner?
Certes, D’ieu dispose-t-il de moyens plus simples pour sauver Noahet sa famille. Mais D’ieu demande à procéder à la construction de l’arche pour donner une dernière chance de repentir à toute cette génération. Selon le midrache, D’ieu demande à Noah de planter des arbres dont le bois devait servir à la construction de l’arche. Ainsi ces hommes, en voyant Noah procéder à chacun de ces préparatifs devaient-ils s’amender et revenir à de meilleurs sentiments.
La longanimité divine fait qu’il ne souhaite à aucun moment la mort du rachâ, impie, mais sa téchouva, repentir, afin qu’il puisse vivre. Toutefois cette génération pensait sans doute que jamais D’ieu n’irait jusqu’à détruire son monde. Ce fut là sa principale erreur. Mais Noahne pouvait sauver toute sa génération. N’étant en tout que huit tsaddiqim : Noah, ses trois enfants et les quatre femmes, leur mérite était insuffisant. Il eût fallu pour cela qu’ils fussent au nombre de dix tsaddiqim, constituant au moins la cellule minimale d’une société. Sans doute, un repentir sincère aurait-il permis un répit à toute cette génération.