Le Chabbat ou la création achevée

“Ainsi furent terminés les cieux et la terre, avec tout ce qu’ils renferment. D’ieu mit fin, le septième jour, à l’œuvre faite par Lui; et Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’Il avait faite. D’ieu bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour Il se reposa de l’œuvre entière qu’Il avait produite et organisée (1).”

Au terme de l’étude du livre de Dévarim, l’intention première fut de s’en tenir à ses seules sidrot. Mais, l’usage consacré est de reprendre la lecture du premier passage de Bérèchit, aussitôt lu le dernier verset de Dévarim, pour montrer qu’à aucun moment l’on ne doit envisager la fin de l’étude de la Tora. Voilà qui explique la présence de ce chapitre. Le cycle de la Tora, tel un cercle, voit la fin constituer en même temps le début.

La dernière lettre de Dévarim est lamèd, alors que la première de Bérèchit est bèt., Ensemble, elles composent le mot lèb, cœur. Ainsi, tel un cœur, la Tora nourrit tout l’être de sa sève, l’anime et le maintient en vie. De plus, comme le sang, partant du cœur, circule dans tous les organes pour revenir au cœur, ainsi l’étude de la Tora, commençant à Bérèchit, revient à Bérèchit après avoir fait un tour complet. Il s’agit donc d’exprimer le renouveau dans la continuité.

L’étude de la Tora exige également des qualités exceptionnel-les de cœur, par conséquent d’esprit, afin que l’étude soit des plus intéressantes et des plus profitables.

Le début du deuxième chapitre de Bérèchit donne une dimension nouvelle à toute la Création. Pour D’ieu, créer revient à donner l’être au néant. Le monde, tel que D’ieu l’a voulu, répond à un but bien précis. La Tora, servant de plan et de modèle pour la création, en constitue le but final. Mieux, la Tora et le monde présentent des correspondances si bien qu’on ne saurait altérer l’un sans porter atteinte à l’autre.

D’ieu crée le monde en six jours et Il se repose le septième. Le Chabbat, constitue, quant à lui, le point d’orgue de l’acte créateur. Jour saint, jour béni, le Chabbat est, sans conteste, le jour où la création atteint toute sa perfection, son harmonie et son unité. Ainsi, D’ieu, cessant toute intervention dans la création le Chabbat, recommande à l’homme de le sanctifier afin d’attester qu’Il en est bien le Créateur. Aussi quiconque respecte le Chabbat respecte, en fait, toute la Tora (2) .

La sainteté du Chabbat, fait que ce jour se distingue des autres. Il inspire à l’homme la recherche de l’équilibre, de l’harmonie, de l’unité.
Le repos, vise davantage le jaillissement de forces nouvelles, spirituelles surtout, pour affronter, au cours de la semaine, les assauts de la vie matérielle.
La bénédiction, assure, quant à elle, le succès des entreprises de l’homme. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est le Chabbat qui procure aux six jours de semaine abondance et bien-être.

Le Midrache rapporte (3):
“Rabbi demande à Rabbi Yichemaêl fils de Rabbi Yossi :
– As-tu appris de ton père la signification [du texte] (4):
“D’ieu mit fin, le septième jour, à l’œuvre faite par Lui; et Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’Il avait faite”? N’est-ce point surprenant?
– C’est comme qui frappe de son marteau sur l’enclume. L’ayant levé de jour, il l’abaisse la nuit tombée.

Rabbi Chimône Bèn Yohaï dit : l’être humain, ne sachant pas [calculer avec précision] ses moments, ses instants et ses heures, doit ajouter une partie de la semaine à la journée sainte du Chabbat. Mais le Saint béni soit-Il qui sait [calculer avec précision] Ses moments, Ses instants et Ses heures approche du Chabbat comme à la limite d’un fil.

Gniva et nos Maîtres [enseignent] :
Gniva dit : Un roi s’était fait un dais nuptial qu’il décore et peint. Mais il lui fallait une fiancée à conduire sous le dais. Ainsi que manquait-il au monde? Chabbat!
Nos Maîtres disent : On fit pour un roi un anneau auquel il manquait le sceau. Ainsi que manquait au monde? Chabbat!
C’est un des enseignements adressés à Ptolémée : “D’ieu mit fin le sixième jour et se reposa le septième jour.”

Ce midrache jette un éclairage particulier sur le texte qui, dès le départ, pose problème. D’ieu, mettant fin à Son œuvre le septième jour, ne s’y est donc pas reposé! Aussi Rabbi, épousant l’opinion de Rabbi Yichemaêl, admet-il que D’ieu, pour l’acte final de la création, l’amorce à la fin du sixième jour pour l’achever juste au crépuscule.
L’interdit consiste à entreprendre un acte du début à la fin pendant le Chabbat. Ce qui exclut l’acte commencé à un moment où il est permis de le réaliser et l’achever pendant le Chabbat.
L’enseignement de Rabbi Yichemaêl indique que l’œuvre de la création se poursuivait pour ne s’arrêter qu’au moment même où débute le jour du Chabbat.

Pour Rabbi Chimône, il y a lieu d’établir une distinction entre le temps de l’homme et celui de D’ieu. En effet, l’être humain, ne maîtrisant pas son temps, ne saurait arrêter son ouvrage au moment précis où Chabbat entre et, par conséquent, enfreindrait l’interdit de travailler pendant Chabbat. D’où la nécessité, pour l’homme, d’incorporer une partie de la journée du sixième jour au Chabbat.
Mais D’ieu, calculant avec précision Son temps, s’arrête à un moment qui, pour Lui, fait partie du sixième jour et, pour les hommes, appartient déjà au Chabbat.
Le Chabbat se définit donc comme étant le temps intemporel. C’est le temps du Créateur, un temps au-dessus du temps. C’est la raison qui, aux yeux de Rabbi Chimône, justifie l’interruption de l’acte créateur à l’extrême limite, séparant d’un fil ténu le temps de l’ouvrage du temps du repos.

Gniva et nos Maîtres enseignent que la Création ne fut réellement achevée qu’avec la création du Chabbat. Le monde ne saurait atteindre sa perfection sans le Chabbat dont le rôle essentiel consiste justement à fournir à la Création sa véritable raison d’être. Telle une fiancée qui justifie l’érection d’un dais nuptial, le monde, sans le Chabbat, perd toute sa raison d’être.

Toutefois, il est essentiel de porter la réflexion sur le choix de fiancée comme symbole. Si fiancée il y a, c’est donc qu’il doit exister un fiancé. D’ieu prévoit pour la fiancée Chabbat le dais nuptial. L’intention serait donc de lui procurer le fiancé digne de lui tenir compagnie. Gniva pense ainsi à Israël qui, en toute logique, parce qu’il sera chargé de sanctifier et de respecter le Chabbat, constituera l’autre existant essentiel justifiant la création du monde.

Nos Maîtres préfèrent parler d’anneau dont le sceau représente l’élément essentiel. Sans sceau, l’anneau ne peut remplir la fonction pour laquelle il fut ouvragé et réalisé.
D’ieu met un terme à Sa création. Le Chabbat atteste la nouveauté du monde créé et le sceau indique l’authenticité du Créateur. Ainsi grâce au Chabbat, D’ieu signe l’acte final de la Création.

Cependant, tel l’anneau qu’enfile un fiancé pour s’unir à sa fiancée, il représente également l’alliance entre D’ieu et Israël. Le Chabbat constitue la preuve des liens qui unissent d’Israël à D’ieu. Ils cessent aussitôt d’exister dès que le respect du Chabbat est remis en cause.
Dans une telle perspective, le Chabbat est bien l’achèvement de la Création. Sans Chabbat, élément essentiel et aboutissement de toute la Création, le monde se trouverait dans un état d’imper-fection et de déséquilibre. En fait, D’ieu crée le septième jour cet élément tant nécessaire à la Création.

AINSI FURENT TERMINÉS LES CIEUX ET LA TERRE, AVEC TOUT CE QU’ILS RENFERMENT.

Ainsi furent terminés les cieux et la terre,

Or ha-Hayim ne manque pas de s’interroger sur la signifi-cation de ce verset. Il est, en effet, inutile de préciser que les cieux et la terre furent terminés si déjà le texte précédent l’indique clairement.

Pour lui, l’intérêt d’une telle reprise se fonde sur deux affirmations. La première est que le Saint béni soit-Il est appelé (5) “ha-Maqom, le Lieu, car D’ieu est bien le Lieu du monde et non le monde Son lieu.” La seconde est (6): “D’ieu remplit de Sa gloire le monde.”

Ces deux affirmations révèlent ainsi que la clarté divine rayonne tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du monde. Ce rayonnement intérieur et extérieur constitue, en fait, le support fondamental de la Création.

Le monde est sphérique. D’ieu l’a voulu ainsi afin que tous ses éléments, ayant une force égale, puissent se maintenir et exister. Autrement dit, chaque élément de la création aspire avec force à atteindre et à s’attacher à la clarté divine. Tout ce que D’ieu a créé, quel que soit son niveau intellectuel et spirituel, tend à connaître son Créateur. Ainsi, toute créature inanimée, végétale, animale ou humaine, quel que soit son degré d’éléva-tion spirituelle, désire atteindre la proximité de D’ieu.

Le mouvement du monde, quant à lui, n’est que la résultante de la conjugaison de la force attractive qu’exerce la lumière divine sur tous les êtres et de l’aspiration qu’ils expriment pour se hisser à la proximité de D’ieu.

L’homme, voyant les efforts que fournit, sans relâche, le monde à tous ses niveaux de l’être pour s’élever et se rapprocher de la clarté divine, aura à cœur, du fait même qu’il est doué de raison et de capacités intellectuelles, d’agir avec force pour atteindre la proximité souhaitée de D’ieu.

Il est important, dit Or ha-Hayim, de prendre conscience du fait que tous les êtres, ayant un souffle de vie, ne sauraient voir leur âme établie parfaitement en place qu’en vertu de cette aspiration vers le rayonnement de la clarté divine qui anime le monde tant de l’intérieur que de l’extérieur.

Aussi en disant waye-khoulou, ils furent terminés, le texte pense, en fait, à waye-khalou, ils aspirèrent. C’est donc l’aspiration des cieux et de la terre à la clarté divine qui fait que la Création parvient à son achèvement, prétend à l’existence.

Rav Alchèkh, en revanche, parle de deux temps dans l’acte créateur. Le premier consiste à créer le monde au niveau matériel. Ainsi, la relation qu’en fait le premier chapitre de Bérèchit ne concerne que la création du monde physique. Mais le deuxième vise la création au niveau spirituel.
Le monde créé avait besoin d’âme. Avec la création du Chabbat, le monde atteint tant sa perfection physique, matérielle, que morale et spirituelle.

De fait, la Création ne fut achevée et parfaite qu’avec la présence du Chabbat. Aussi, pour cette raison, Rachi (7) dit : “Que manquait-il au monde? Le repos. Le Chabbat est venu, et alors le repos est venu. Alors seulement l’œuvre de la Création a été achevée et menée à bonne fin.”

Avec tout ce qu’ils renferment.

Pour Rambane, les armées de la terre, se composent de tout ce que renferme la terre : la végétation, les reptiles, les animaux et l’homme.
Les armées des cieux, sont surtout les astres, le soleil, la lune et les étoiles. Ce que renferment les cieux comportent également les intellects distincts, autrement dit les anges, tel qu’il est dit (8) : “J’ai vu le Seigneur assis sur son trône, tandis que toute l’armée céleste se tenait près de Lui, à droite et à gauche.” Et il est, par ailleurs, écrit (9) : “En ce jour, l’Ét’ernel châtiera les milices du ciel au ciel…” Il y a là une allusion à la création des anges et des âmes humaines au moment de l’acte créateur.

Le Talmoud rapporte au nom de Rabbi Yéhochouâ Bèn Léwi (10) :

Tout être apparaît dès la création avec sa taille, avec sa raison, avec son aspect il fut créé tel qu’il est dit (11) :
“Ainsi furent terminés les cieux et la terre, avec tout ce qu’ils renferment.” Ne lis point avec tout ce qu’ils renferment, mais leur aspect.”

L’enseignement du Talmoud est capital. Certes, ignorant la répétition, il précise des détails qui, placés dans le contexte des recherches scientifiques actuelles, jetteraient un éclairage nouveau.
Ainsi, pour Rabbi Yéhochouâ Bèn Léwi, toute créature, au moment même de son apparition, se manifeste dans toute sa forme parfaite. Ainsi le premier homme vient au monde non pas à l’état de nourrisson qui doit passer par toutes les phases de son évolution pour atteindre l’âge adulte, mais formé avec sa taille, avec sa raison, avec son aspect.
C’est remettre en cause toutes les démarches scientifiques qui, pour déterminer l’âge du monde, font appel aux données actuelles se fondant sur l’évolution des êtres, à travers les âges.
Ainsi, la terre, comme l’ensemble de la création, apparaît déjà avec plusieurs couches géologiques, pouvant supporter toute la végétation et les arbres qui, dès le premier jour, portaient des fruits. L’homme fut, dès les premières heures, en mesure de se marier et d’avoir des enfants.
Imaginons un scientifique qui vivrait les premiers instants de la création qui appliquerait ses méthodes pour déterminer l’âge de la terre, d’un arbre ou de l’homme. Ses conclusions seraient, sans conteste, surprenantes puisqu’elles lui révéleront l’âge virtuel et non réel.

Rabbi Yéhochouâ Bèn Léwi insiste sur la notion de formation achevée et parfaite de l’ensemble de la Création. C’est là la raison qui justifie l’emploi de waye-khoulou, ils furent terminés, terme qui fait référence à tout, autrement dit, l’achèvement et la perfection.

D’IEU MIT FIN, LE SEPTIÈME JOUR, À L’ŒUVRE FAITE PAR LUI; ET IL SE REPOSA, LE SEPTIÈME JOUR, DE TOUTE L’ŒUVRE QU’IL AVAIT FAITE.

D’ieu mit fin, le septième jour, à l’œuvre faite par Lui;

Ibn Êzra n’est nullement troublé par la précision du texte D’ieu mit fin, le septième jour, à l’œuvre faite par Lui. Bien au contraire, il cite des exemples où l’emploi du _ signifie plutôt avant et non pendant. Il en veut pour preuve le texte (12) : “Ne muselle point le bœuf avant qu’il foule le grain.”
En effet, museler un bœuf ne saurait se faire pendant qu’il foule mais avant de fouler le grain. Aussi faut-il, dans ce cas, traduire ainsi le texte : “D’ieu mit fin, avant le septième jour, à l’œuvre faite par Lui.”

Cependant, malgré son mérite, cette explication soulève une difficulté. Pour quelle raison donc le texte reprend-il, une fois de plus, l’information concernant la fin de l’acte créateur?

Sforno, reprenant l’enseignement du Midrache (13) , souligne que ba-yom ha-chéviî, pendant le septième jour, signifie, en fait, au début du septième jour. Il s’agit de l’instant unique, indivisible qui constitue l’ébauche du futur mais n’en fait point partie.
Pour lui, il s’agit de l’instant privilégié et premier, autrement dit du présent, qui n’est qu’un point géométrique dans la durée. Il ne se définit que par son contenu, en l’occurrence l’instant qui fait la jonction entre la fin du sixième et le début du septième jour.

Pour Or ha-Hayim, en revanche, le texte enseigne d’éviter l’erreur de croire que D’ieu dut œuvrer, plus tard, à d’autres créations qui ne sont point signalées. Le texte précise à cet effet que D’ieu mit fin, le septième jour, à toute l’œuvre faite par Lui. Tout ce que D’ieu avait l’intention de réaliser le fut, si bien que le septième jour, la Création était parfaite et, par conséquent, qu’Il n’eût rien à entreprendre pendant les six jours suivants.

Toutefois, il s’interroge sur l’emploi de l’expression l’œuvre faite par Lui, qui semble en plus, tout comme il remarque la difficulté, malgré l’enseignement de Rabbi Chimône Bèn Yohaï (14) , que soulève le texte lorsqu’il précise D’ieu mit fin, le septième jour alors qu’en réalité il ne peut s’agir que du sixième jour.
De fait, se référant aux propos de nos Sages, il rappelle que le monde était branlant, inconsistant, jusqu’à l’arrivée du Chabbat qui lui confère consistance et fermeté. Le Chabbat constitue donc l’âme du monde.
Ainsi s’exprime le texte (15) : “… et le septième jour, [D’ieu] a mis fi à l’œuvre et s’est reposé.” Le Talmoud (16) décompose wayi-nafache, Il s’est reposé, en way, malheur, et nèfècheâme, livrant l’interprétation suivante : “À la sortie du Chabbat, hélas l’âme l’a quitté.” En admettant que l’âme le quitte à sa sortie, nos Sages affirment que le Chabbat est l’âme véritable de la Création.

Le Zohar (17) , traitant de la raison qui motive la pratique de la circoncision, au huitième jour tout comme l’aptitude pour une bête de ne servir de qorbane, pas avant le huitième jour (18) , affirme également que, pour être capable de supporter l’acte de la circoncision ou le geste du sacrifice, il est absolument nécessaire pour le nouveau-né ou pour la bête de passer un Chabbat car, étant l’âme de la Création, ils y puiseront la force indispensable. Cet élément vital ne leur sera transmis qu’au moyen du Chabbat.

La lecture du verset donne alors, selon l’enseignement du Zohar : D’ieu mit fin, au moyen du septième jour, toute Son œuvre. Autrement dit, l’œuvre faite déjà par Lui avait besoin d’être achevée car elle manquait de force et de consistance et que seul le Chabbat pouvait lui conférer.
Dans une telle perspective, il est clair qu’aucun acte créateur n’a été effectué le septième jour. C’est ce qui explique d’ailleurs l’absence de “Le soir se fit, le matin se fit, – septième jour.”

Waye-khal, Il mit fin.

On accorde également à ce terme le signification de désirer. En effet, signifie à la fois mettre fin et désirer.
Ainsi le Créateur, au moyen du septième jour qui confère l’existence effective au monde, trouve satisfaction dans Son œuvre et témoigne désir et affection à Ses créatures. Ainsi s’exprime Iyob (19) : “Tu témoignerais de l’affection pour l’œuvre de Tes mains.”

Par ailleurs, Baâl ha-Tourim, citant la traduction araméenne dite Targoum Yérouchalmi qui traduit par Il a désiré, conclut que le Chabbat est désigné dans la prière par, Tu l’as appelé le précieux d’entre les jours (20) .

Et Il se reposa, le septième jour, de toute l’œuvre qu’Il avait faite.

Sforno souligne que le repos du septième jour se distingue de celui des six premiers jours. Pour lui, la nature du repos que procure à l’homme le Chabbat est incomparable. Sans doute, fait-il allusion à l’équilibre parfait tant au niveau moral que physique auquel accède l’homme qui respecte le repos du Chabbat.

Toute cette proposition semble, pour Or ha-Hayim, inutile car elle ne fait que répéter sous d’autres termes les propos précédents.
Cependant il rappelle le Midrache (21) :
“Rabbi dit : le Saint béni soit-Il créa les âmes des esprits [ma-lfaisants] et à peine voulait-Il procéder à la formation de leur corps que Chabbat fut sanctifié et ne les a point créés.”
Est-il possible d’affirmer alors que D’ieu n’ait pu, faute de temps, d’achever la création de ces esprits? Pour quelle raison cette création fut-elle inachevée?
D’ieu tient ainsi à enseigner aux hommes, selon Or ha-Hayim, l’importance du Chabbat. Bien que la création de ces esprits sera non seulement inachevée mais également irrécupérable, D’ieu l’abandonne aussitôt Chabbat entré. L’homme apprend donc à laisser en plan tout ouvrage commencé quand vient le Chabbat. Aussi le texte précise-t-il de toute l’œuvre qui, bien que commencée, fut abandonnée dès l’entrée du Chabbat.

D’IEU BÉNIT LE SEPTIÈME JOUR ET LE PROCLAMA SAINT, PARCE QU’EN CE JOUR IL SE REPOSA DE L’ŒUVRE ENTIÈRE QU’IL AVAIT PRODUITE ET ORGANISÉE.

D’ieu bénit le septième jour et le proclama saint,

Rachi, définissant la nature de la bénédiction et de la sanctifi-cation du Chabbat, dit notamment :
Il le bénit par la manne du désert. Les cinq premiers jours de la semaine, il n’en tombait qu’une mesure par homme, le sixième jour il en tombait une mesure double.
“Et Il le sanctifia, toujours par la manne du désert. Le jour du Chabbat il n’en tombait pas du tout. Le texte parle pour l’avenir.” Pour Rachi, la bénédiction est un surcroît, un surplus. Il s’agit de l’abondance que D’ieu accorde le sixième jour pour les besoins du Chabbat.
En revanche, la sanctification est une distinction. En distinguant le Chabbat par l’absence de la manne, D’ieu le sanctifie et le respecte.

Rachebam, quant à lui, trouve que le Chabbat jouit d’une bénédiction car le Saint béni soit-Il avait préparé à toutes Ses créatures leur subsistance et leur nourriture avant que n’arrive le Chabbat.
Il définit donc la bénédiction non pas par l’abondance mais surtout par la présence et la disponibilité.

Ibn Êzra définit la bénédiction comme un surcroît de bonheur et de bien-être. Les forces physiques se renouvellent et les âmes ressentent un affermissement de la conscience et de la raison.
La sanctification réside dans le fait qu’en ce jour D’ieu n’a procédé à aucune création comme ce fut le cas des autres jours.

La position d’Ibn Êzra rappelle sensiblement celle de Rachi. Toutefois, Rambane affirme que ces propos s’adressent davantage aux hommes de foi, à ceux qui croient en la nature singulière du Chabbat, car la bénédiction et la sanctification de ce jour ne sont pas des données expérimentales.

Mais Rambane penche plutôt vers une définition ontologique. Le Chabbat est une bénédiction parce qu’il représente la source des bénédictions. En soi, il constitue les fondements du monde.
Pour la sanctification, le Chabbat la tire de l’origine de la sainteté. Aussi, pour cette raison, le Chabbat est-il singulier en ce sens qu’il ne pouvait avoir d’autre compagnon, pour s’unir à lui, que le peuple d’Israël dont la nature est également singulière.

Pour Sforno, il s’agit plus de la perpétuation de la bénédic-tion. Le septième jour est toujours béni en ce sens qu’il est plus désigné et plus disponible que les autres jours, par la présence du surplus d’âme, à accéder à la clarté divine.

Or ha-Hayim, quant à lui, voit dans cette bénédiction une nécessité. En effet, le monde a besoin, pour son existence matérielle, de boire et de manger et de disposer de tout le nécessaire. Ces besoins ne s’acquièrent qu’au moyen d’efforts et de sacrifices physiques.
D’ieu, voulant sanctifier le septième le jour, le bénit au préalable afin que les biens de ce monde qui, bien que ne relevant pas de la sainteté et de la vie spirituelle mais plutôt de gestes et d’actes appartenant à la vie profane et matérielle, ne viennent à faire défaut.

Le Zohar (22) enseigne que le Chabbat répand abondance et opulence aux six jours de la semaine. La bénédiction dont D’ieu le gratifie est celle qui maintient l’existence de la Création.

Parce qu’en ce jour Il se reposa de l’œuvre entière qu’Il avait produite et organisée.

Pour Rachi, citant le Midrache (23) , l’œuvre que D’ieu avait créée en la faisant, signifie que l’œuvre qui aurait dû être faite le Chabbat, D’ieu l’avait faite le sixième jour, faisant ce jour-là œuvre double.

L’intention du texte serait, sans doute, de préciser que le monde n’a pu accéder à l’existence effective qu’avec l’arrivée du Chabbat.
Cependant, il faut remarquer, avec Or ha-Hayim, la difficulté que soulève l’absence du principe du Chabbat pour fonder l’existence du monde durant les premiers six jours de la Création. Comment se maintenait-il?
En fait, D’ieu avait révélé que Son but fut de créer le monde pour six jour. Ainsi s’exprime, en effet, le texte (24) :

“Car [pour] six jours l’Ét’ernel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils renferment, et Il s’est reposé le septième jour; c’est pourquoi l’Ét’ernel a béni le jour du Chabbat et l’a sanctifié.”

Mais D’ieu donne, au moyen du Chabbat, la force au monde d’exister encore six jours si bien que, de Chabbat en Chabbat, la Création se maintient en existence.

Dans cette perspective, le texte se lit ainsi : En ce jour, au moyen de ce jour, Il se reposa de l’œuvre entière, autrement dit, la Création que D’ieu anime, organise encore pour les six prochains jours. Ce principe, D’ieu le met en place pour que l’œuvre qu’Il avait produite et organisée les premiers six jours continue à exister.
Aussi l’affirmation du Talmoud prend-elle, selon cette interprétation, toute sa valeur. Il rapporte notamment (25) :

Rav Hamnouna dit : quiconque prie la veille du Chabbat et proclame waye-khoulou, ils furent achevés, est considéré par le texte comme s’il était devenu l’associé du Saint béni soit-Il dans l’acte de la Création tel qu’il est dit (26) :
Ainsi furent terminés les cieux et la terre. Ne lis point waye-khoulou, mais waye-khalou, ils ont achevés.”


Ainsi, témoigner de l’intervention divine qui crée le monde à partir du néant suppose également la volonté de respecter le Chabbat, raison d’être et principe de l’existence du monde. Ce respect accorde donc toute sa valeur au Chabbat qui confère à la Création l’existence pour les six jours à venir. En cela, l’homme devient le partenaire de D’ieu dans la Création car, grâce au respect du Chabbat, il aide à maintenir son existence.

De toute évidence, la Création vise un objectif bien précis. Il s’agit de louer, de proclamer surtout, la puissance et la sagesse du Créateur. Le jour où l’homme atteint l’élévation d’esprit nécessaire à cet effet n’est autre que le Chabbat car toute l’œuvre de D’ieu célèbre son Créateur. En ce jour, l’homme s’accomplit et devient l’associé de D’ieu dans l’acte de la Création.


1. Bérèchit 2, 1-3.
2. cf. Zohar 2, 92a.
3. Bérèchit Rabba chap. 10, paragr. 10.
4. Bérèchit 2, 2.
5. Chohèr Tov chap. 90, paragr. 10.
6. Yéchâya 6, 3.
7. Rachi sur Bérèchit 2, 1.
8. Mélakhim 1, 22, 19.
9. Yéchâya 24, 21.
10. Roche ha-Chana 11a.
11. Bérèchit 2, 1.
12. Dévarim 25, 4.
13. Bérèchit Rabba chap. 10, paragr. 10.
14. cf. id.
15. Chémot 31, 17.
16. Bètsa 16a.
17. Zohar 3, 44a.
18. cf. Wayi-qra 22, 27. Il est dit : “Lorsqu’un veau, un agneau ou un chevreau vient de naître, il doit rester sept jours auprès de sa mère; à partir du huitième jour seulement, il sera propre à être offert en sacrifice à l’Ét’ernel.”

19. Iyob 14, 15.
20. N.B. Voir également à ce propos Sèfèr ha-Ora, attribué à Rachi, Vol.2, paragr. 63
21. Bérèchit Rabba chap. 7, paragr. 7.
22. Zohar vol. 2, 88b.
23. Bérèchit Rabba chap. 11, paragr. 9.
24. Chémot 20, 11.
25. Chabbat 119b.
26 . Bérèchit 2, 1.

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