Le rêve de Parô

Après un intervalle de deux années, Parô eut un songe, où il se voyait debout au bord du fleuve. Et voici que du fleuve sortaient sept vaches belles et grasses, qui se mirent à paître dans l’herbage, puis sept autres vaches sortirent du fleuve après elles, celles-là chétives et maigres, et s’arrêtèrent près des premières au bord du fleuve; et les vaches chétives et maigres dévorèrent les sept vaches belles et grasses. Alors Parô s’éveilla. Il se rendormit, et eut un nouveau songe. Voici que sept épis, pleins et beaux, s’élevaient sur une seule tige; puis sept épis maigres et flétris par le vent d’Est s’élevèrent après eux, et ces épis maigres engloutirent les sept épis grenus et pleins. Parô s’éveilla, et c’était un songe. Mais, le matin venu, son esprit en fut troublé, et il manda tous les magiciens de l’Égypte et tous ses savants. Parô leur exposa son rêve, mais nul ne put lui en expliquer le sens Bérèchit 41, 1-8..

La sidra Miqèts, s’ouvrant sur le double songe de Parô, traite de la libération de Yossèf de son emprisonnement. Mais cette libération constitue le point de départ de l’exil d’Israël et de son esclavage en Égypte.

Pourtant le Midrache Bérèchit Rabba 89. introduit ses propos par un message d’espoir d’abord pour le peuple d’Israël et l’humanité pour finir par l’enseignement de la délivrance de Yossèf.

Ainsi dira-t-il Iyob 28, 3. :

Il a posé des limites à l’obscurité, il va chercher jusqu’à l’extrême fin. [D’ieu] fixe un délai au monde. Pendant tant d’années il sera dans l’obscurité! Quelle en est la raison? Il a posé des limites à l’obscurité! Le yètsèr ha-râ venant à disparaître, la clarté et la joie, chassant obscurité et ténèbres, règneront dans le monde.

Autre explication :

il a posé des limites à l’obscurité. Il fixe un délai à Yossèf. Pendant tant d’années il sera en prison! Dès que le délai est arrivé, Parô eut un songe : Après un intervalle de deux ans…

Autre explication :

Après un intervalle de deux ans... il est écrit Michelè 14, 23. :

Tout effort sérieux donne du profit, les vaines paroles ne causent que des pertes.

Tout effort sérieux, il s’agit de l’épreuve morale imposée à Yossèf par la femme de son maître. Ce qui lui donne le profit d’épouser la fille. Les vaines paroles ne causent que des pertes, parce que Yossèf avait dit à l’échanson Bérèchit 40, 14. :

Que si tu te souviens de moi… parle de moi à Parô…,

il vit sa peine augmentée de deux ans. Car il est dit Téhillim 40, 5. :

Heureux l’homme qui cherche sa sécurité en l’Ét’ernel, il s’agit de Yossèf, et ne se tourne pas vers les orgueilleux et les amis du mensonge, il s’agit toujours de Yossèf qui s’était adressé au grand échanson l’ami du mensonge.

Le midrache veut mettre ainsi l’accent sur la durée d’une souffrance. L’exil ne saurait durer. La limite étant décrétée, il dépend de nous de hâter la délivrance si seulement notre espoir est placé en l’Ét’ernel.

Bien entendu cette sidra étant toujours celle de Chabbat de Hanoukka, il importe au midrache de rappeler que l’obscurité fera place à la lumière et à la joie que procure la Tora qui est à la fois lumière et joie.

Les ténèbres dans lesquelles, les Gréco-Syriens voulaient jeter Israël en faisant oublier la Tora Chakhoah, oublier, donne par permutation de lettres hochèkh, obscurité, se sont dissipées grâce au retour sincère à l’étude de la Tora.

La sortie de l’exil se réalisera dès que les tentations du yètsèr ha-râ, auront pris fin. Sans doute, faut-il encore placer toute sa confiance en D’ieu. Il est seul à pouvoir imposer une limite aux souffrances tant individuelles que collectives.

Après un intervalle de deux années, Parô eut un songe, où il se voyait debout au bord du fleuve.

Ce fut.

Il y a lieu de s’interroger sur l’emploi de way-hi, qui annonce selon le Talmoud une souffrance Méguila 10b. au lieu de l’expression de joie qui convient plus à l’annonce de la libération de Yossèf!

Cet emploi se justifie toutefois car la libération de Yossèf allait précipiter les événements qui obligeront les Bénè Yisraèl à venir s’installer en Égypte et payer la dette des 400 ans d’esclavage. De plus, la Tora préfère l’annoncer par un langage de souffrance, car les Égyptiens maltraiteront Israël plus que prévu Or Ha-Hayim z.l..

En outre, ce langage annonce justement une famine exceptionnelle. Pour Or ha-Hayim, D’ieu Lui-même exprime way-hi, malheur, car Il souffre de la souffrance des créatures.

Pour le midrache cité Bérèchit Rabba 89., cette souffrance est celle de deux années supplémentaires que Yossèf passe en prison. Il le mérite cependant pour avoir placé sa confiance en la personne du Grand Échanson pour sa libération.

Après un intervalle de deux ans.

Ces deux années, pour Rabbènou Béhayè, étaient pleines. Ayant cru en l’intervention du Grand Échanson, Yossèf lui dit im zékhartani, que si tu te souviens de moi. Non seulement il ne s’en est pas souvenu, il l’avait aussi oublié. Im zékhartani, , a pour valeur numérique 728 même valeur que ti-chekah, tu oublies, 728. Si nous ajoutons à 728 le nombre 2 représentant le nombre de mots imzékhartani, nous obtenons 730 qui est l’équivalent du nombre de jours de deux années solaires 365×2 = 730.

Or ha-Hayim, après avoir expliqué ainsi la raison de la durée de deux années, suggère que pendant ces deux années Parô n’avait pas cessé de faire le même rêve. En effet l’emploi du présent pour le verbe halom, au lieu du passé indique la répétitivité du rêve pendant deux ans. Parô ne s’est rendu compte de son rêve qu’après les deux années supplémentaires de peine ajoutées à Yossèf.

En outre le waw conjonctif placé devant Parô indique également que Parô avait rêvé en même temps que ses deux ministres se trouvant en prison avec Yossèf.

Parô eut un songe,

Le texte souligne, selon Or ha-Hayim, que Parô, lui même, comprend qu’il ne peut s’agir que d’un songe en raison de la vision extraordinaire qui se déroule devant lui. Il s’agit donc d’un rêve prophétique.

Debout au-dessus du fleuve,

Il y a lieu de remarquer certaines différences apparaissant entre le récit que fait le texte du songe de Parô et celui que fait Parô à Yossèf. Il dit plus loin au bord du fleuve . Pour les vaches maigres le récit du songe rapporte : puis sept autres vaches sortirent du fleuve, alors que dans son récit Parô omet de dire du fleuve.

Dans la relation du rêve le texte rapporte :

elles s’arrêtent près des premières vaches au bord du fleuve, ce qui disparaît dans le récit de Parô.

La relation du songe rapporte à propos des vaches grasses le qualificatif belles, et le récit de Parô donne de belle taille. Pour quelle raison tous ces changements?

Pour Kéli Yaqar, opinion partagée par de nombreux commentateurs, Parô ne veut nullement attribuer au Nil représentant sa divinité, l’origine du mal. Pensant que le Nil ne peut que prodiguer des bienfaits et que si mal il y a, il ne saurait venir que d’une autre divinité comme le croyait le mazdéisme. C’est pourquoi Parô dira plus tard à Mochè Chémot 10, 10. : Voyez, le mal est au-devant de vous. Le prophète reproche à ce propos Chémouèl I, 2-3. : Cessez, cessez vos paroles arrogantes et hautaines faisant allusion à ceux qui prônent deux divinités distinctes, une pour le Bien et l’autre pour le Mal. Aussi souligne-t-il tout juste après Verset 6. : L’Ét’ernel fait mourir et fait vivre. C’est à D’ieu qu’il faut attribuer le Bien et le Mal. Ce fut donc la raison pour laquelle Parô omet dans son récit de dire qu’elles se dressèrent près des premières vaches… et [les] dévorèrent car il veut éviter de reconnaître que sa divinité, en l’occurrence le Nil, n’a pu empêcher les vaches chétives et maigres de dévorer les vaches grasses. Il souligne cependant la bonté des vaches grasses qui, de leur propre gré, apaisent la faim des maigres. Aussi précise-t-il plutôt Bérèchit 41, 21. : Celles-ci donc passèrent de leur propre volonté. dans leur corps…

En revanche, Parô soutient qu’il n’en avait point vu d’aussi misérable dans tout le pays d’Égypte,

pour faire comprendre à Yossèf que c’était bien le produit d’une puissance du mal et l’assurer également que, n’ayant jamais vu de pareilles en Égypte, ce ne pouvait être le fruit de son imagination.

Ayant employé des expressions belles et de belle taille que l’on applique plutôt à l’être humain qu’aux bêtes, c’est pour mieux indiquer, selon Rachi, que son rêve était en relation directe avec les hommes. Mais en réalité, Parô tient absolument à attribuer la beauté des vaches grasses au seul fait qu’elles sont le produit du Nil qui, irriguant les champs, leur permet d’avoir de très bons pâturages afin qu’elles apparaissent belles et saines.

Parô signale dans son récit les vaches dévorèrent, et non les sept vaches dévorèrent, pour bien signifier que les années de famine ne se sont pas succédées puisque la famine cesse avec la visite de Yaâqov, deux ans après, pour ne reprendre qu’à la mort de Yaâqov.

Et voici que du fleuve sortaient sept vaches belles et grasses, qui se mirent à paître dans l’herbage, puis sept autres vaches sortirent du fleuve après elles, celles-là chétives et maigres, et s’arrêtèrent près des premières au bord du fleuve; et les vaches chétives et maigres dévorèrent les sept vaches belles et grasses. Alors Parô s’éveilla.

Et voici que du fleuve sortaient sept vaches belles et grasses,

Pour Or ha-Hayim, le texte aurait dû s’écrire ainsi Sept vaches sortaient du fleuveselon la construction logique de la phrase : sujet, verbe et complément. Le complément étant placé en premier, souligne non pas que les vaches étaient passées par le fleuve mais qu’elles tiraient leur existence du fleuve. Ce fut pour Parô un signe qu’il s’agissait d’un rêve. Yossèf, à partir de ces détails, conclut que l’abondance et la famine étaient attendues et dépendaient du Nil.

Elles se mirent à paître dans l’herbage.

Rachi explique ahou, par marécage. Selon Rambane, ahou désigne l’herbage se trouvant auprès des fleuves et des marécages.

Cependant il n’en demeure pas moins que le choix de ce terme au lieu de êssèv, ou dèchèherbe, est fait dans l’intention de nous préciser, selon Rav Alchèkh, que pendant l’abondance tous les êtres humains se considèrent frères. N’ayant rien à envier aux autres puisque chacun possède ce que l’autre a, il ne saurait s’installer entre eux ni dispute ni tiraillement. Une certaine fraternité s’installe dans le monde. Aussi le terme ahou, dérivant de ah‘wa, fraternité, est-il employé pour montrer que pendant les sept années d’abondance les hommes seront dans l’opulence totale.

Rav Alchèkh s’interroge sur le choix de parotevaches, pour désigner abondance et famine. Israël, souligne-t-il, est désigné par tsonemenu bétail, pour sa perfection morale; du menu bétail, l’homme tire profit à la fois de la viande, de la peau et de la laine. Les autres nations, ne faisant rien pour accomplir la volonté divine, sont comparées au gros bétail qui n’a pas de laine à fournir.

Aussi parlant des vaches chétives et maigres qui sortent du fleuve après les premières, le texte suggère-t-il que D’ieu, voulant témoigner clémence et miséricorde à Israël, enlève son appui aussitôt aux nations. La famine contraint Parô à choisir Yossèf pour diriger l’Égypte. Celui-ci se met en devoir de préparer les conditions honorables et dignes pour que, les Bénè Yisraèl établis en Égypte, puissent supporter l’esclavage décrété par D’ieu à leur propos.

Yossèf met à profit ces années de famine pour contraindre les Égyptiens à se circoncire afin d’affaiblir et diminuer la puissance qu’ils détiennent de la toum’al’impureté, de leur divinité. Yossèf déplace également les Égyptiens pour que ses frères ne soient pas traités d’exilés. Aussi, pour cette raison, le texte souligne-t-il que les sept vaches chétives s’arrêtèrent près des premières au bord du fleuve et non dans le pâturage parce qu’elles ont perdu toute leur force n’étant plus soutenues par D’ieu.

Il se rendormit, et eut un nouveau songe. Voici que sept épis, pleins et beaux, s’élevaient sur une seule tige; puis sept épis maigres et flétris par le vent d’Est s’élevèrent après eux, et ces épis maigres engloutirent les sept épis grenus et pleins. Parô s’éveilla, et c’était un songe.

Parô s’éveilla, se rendormit et eut un nouveau songe.

Remarquons la succession de ces trois actions. A peine éveillé, il se rendort pour se mettre aussitôt à rêver. Cela indique la précipitation. Ce qui fait dire à Yossèf, s’adressant à Parô, que la décision de D’ieu est prise et arrêtée. La réalisation est imminente cf. Bérèchit 41, 32..

Rav Alchèkh trouve nécessaire que les deux rêves de Parô soient entre-coupés par le réveil afin qu’ils aient la même interprétation. Mais ce deuxième songe n’est en réalité que l’explication du premier. Il donne, en effet, une indication claire et précise sur la signification du premier. Les vaches grasses, par leur intervention dans le labour, produisent une bonne récolte.

Sept épis, pleins et beaux, s’élevaient sur une seule tige.

Pourquoi une seule tige? Peut-être est-ce une allusion au concours de Yossèf, une seule tige sauve l’Egypte et le monde de la famine. En effet, qanèune tige et Yossèf, ont tous deux pour valeur numérique 156. Cette tige est assez puissante pour supporter les sept épis pleins et fournis. Yossèf, emmagasinant le blé pendant les sept années d’abondance, arrive à nourrir le monde pendant la famine.

Les épis maigres engloutirent les sept épis grenus et pleins.

Vision extraordinaire car l’épi ne saurait avoir la fonction d’avaler et d’engloutir. Mais le midrache rapporté par Rachi cf. Bérèchit 41, 55. dit que tout le blé engrangé par les Égyptiens avait pourri parce qu’ils n’avaient pas obéi à l’ordre de Yossèf de se faire circoncire. Tout le blé gardé par Yossèf avec pureté et sainteté avait pu servir à alimenter l’Égypte et les pays avoisinants. En outre, les épis pleins avaient avalé les épis chétifs : cela montre que les hommes supporteraient très mal cette famine à telle enseigne que les uns voudront avaler les autres.

À son réveil, Parô constate que c’était un rêve.

Le texte souligne que le deuxième rêve est en réalité l’explication du premier. Toutefois Parô et tous ses mages, pensant bien à deux rêves différents, ne parviennent pas à en expliquer le sens.

Les mages proposent, selon le midrache, des interprétations mais aucune d’elles ne satisfait Parô. Rien n’indique en effet que les rêves aient une relation personnelle avec Parô. Yossèf comprend, quant à lui, que le rêve d’un roi, s’identifiant à tout son peuple, ne concerne en fait que l’ensemble du peuple. Aussi lui donne-t-il une interprétation plus générale. En outre comme le rêve eut lieu la nuit de Roche ha-Chana, Jour de l’an et Jour du jugement, Yossèf établit un rapport avec la récolte, l’abondance et la famine.

Baâlè ha-Tosséfot soulignent la différence existant entre le remède humain et le remède qu’applique D’ieu. Pour l’homme, la blessure à l’aide d’un bistouri exige des pansements et médicaments. Pour D’ieu, s’il blesse l’homme à l’aide d’un bistouri, il emploie pour le remède le bistouri également. Si Yossèf est exilé à cause de ses rêves, D’ieu ne l’élève à la dignité de vice-roi qu’à l’aide de rêves.

L’intervention de la Providence divine est évidente à toutes les étapes que Yossèf traverse. Son histoire nous conforte également dans notre espoir en la délivrance définitive qui ne saurait être que le résultat de l’intervention divine.

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