L’investiture de Mochè
Dès la naissance, Mochè fut, pour tous, le libérateur attendu. Il était beau(1) : “Quand il est né, dira Rachi, la maison tout entière s’est remplie de lumière”. La lumière, l’éclat de la Chékhina assiste l’enfant. Ce filet d’espoir trace son chemin dans les cœurs des Hébreux asservis. Jeté au Nil, Mochè est miraculeusement sauvé par la fille de Parô. Élevé au palais de Parô, Mochè n’oublie pas pour autant ses frères asservis et maltraités. Il souffre de les voir souffrir. Bien souvent il réfléchit à leur situation.
Les événements se précipitant, le mettent au-devant de la scène. Tuant l’Égyptien qui maltraite un de ses frères, Mochè s’enfuit. À Midyane, il devient le berger des troupeaux de Yitro et épouse Tsippora, une de ses filles. Mais le voilà avec son troupeau au pied du Sinaï. Dans la vision du buisson ardent, D’ieu demande à Mochè de libérer Israël d’Egypte. Contraint, Mochè accepte la mission.
L’échec et le désespoir l’attendent au tournant. Parô éconduit Mochè. Il impose, au contraire, des besognes supplémentaires pour décourager toute tentative de libération du peuple. Mochè, contesté à présent par ses frères, s’adresse ainsi à D’ieu(2) : “Depuis que je me suis présenté à Parô pour parler en Ton Nom, le sort de ce peuple a empiré. Bien loin que Tu aies sauvé Ton peuple!”.
Mochè remet en question sa mission. Est-il le bon représentant? Il doute. Les Bénè Yisraèl ne sont pas prêts à le suivre, malgré leur intérêt à secouer le joug égyptien. Comment Parô, dont les dispositions sont à l’encontre des Bénè Yisraèl l’écouterait? Mais D’ieu sait que Parô sera forcé de les laisser partir.
À cet effet, D’ieu investit de nouveau Mochè(3) : “Regarde! Je fais de toi un dieu à l’égard de Parô, et Aharone, ton frère, sera ton prophète“. Mochè accède ainsi à une dignité à laquelle nul autre ne peut prétendre. D’ieu confère à Mochè une dignité qui n’appartient qu’à D’ieu. C’est tellement inattendu que ce titre soit attribué à Mochè que le Midrache(4), s’interrogeant à ce propos, s’exprime ainsi :
“Qui donc est ce roi de gloire(5)?“.
Pourquoi désigne-t-on le Saint béni soit-Il par roi de gloire? Car Il distribue la gloire à ceux qui Le craignent. Comment? S’agissant d’un roi, de chair et de sang, nul ne peut monter son cheval ni s’asseoir sur son trône. Pourtant, le Saint béni soit-Il fit asseoir Chélomo sur son trône, ainsi qu’il est dit(6) :
“Chélomo s’assit donc sur le trône de l’Ét’ernel…“. Il fait monter Èliyahou sur son cheval. Quelle est la monture du Saint béni soit-Il? Tempête et ouragan, ainsi qu’il est dit(7) :
“L’Ét’ernel marque sa route par la tempête et l’ouragan; la nuée est la poussière de ses pieds“.
Et il est écrit(8) :
“Quand l’Ét’ernel fit monter Èliyahou au ciel dans un tourbillon“.
S’agissant d’un roi, de chair et de sang, nul ne peut se servir de son sceptre. Pourtant le Saint béni soit-Il donne son sceptre à Mochè tel qu’il est dit(9) :
“Mochè tenait la verge divine à la main“.
S’agissant d’un roi, de chair et de sang, nul ne peut porter sa couronne. Pourtant le Saint béni soit-Il fera porter sa couronne au roi-Messie. Quelle est la couronne du Saint béni soit-Il? De l’or pur tel qu’il est dit(10) :
“Sa tête est comme l’or pur, les boucles de ses cheveux qui pendent sont noires comme le corbeau“. Il est écrit(11) :
“Tu as posé sur sa tête une couronne d’or fin“.
S’agissant d’un roi, de chair et de sang, nul ne peut porter son habit. Pourtant Israël porte l’habit du Saint béni soit-Il. Quel est l’habit du Saint béni soit-Il? La puissance tel qu’il est dit(12) :
“L’Ét’ernel se revêt, se ceint de puissance“.
Il le donne à Israël tel qu’il est dit(13) :
“Que l’Ét’ernel donne la force à son peuple! Que l’Ét’ernel bénisse son peuple par la paix“.
S’agissant d’un roi, de chair et de sang, nul ne peut porter son nom. Quiconque porte le nom de César, Auguste est condamné à mourir. Pourtant le Saint béni soit-Il donne Son Nom à Mochè tel qu’il est dit :
“Regarde! Je fais de toi un dieu à l’égard de Parô“.L’intention du Midrache est de passer en revue toutes les situations montrant que D’ieu est le roi de gloire. La gloire lui appartient, Il en dispose à Sa guise et l’attribue à qui Il désire. Il est le roi de gloire, autrement dit, la gloire n’est pas un élément extérieur à Son Être. Mais elle fait partie de son essence. Un roi ne veut pas céder sa gloire. S’identifiant à sa gloire, un roi, être humain, perd sa royauté dès qu’il perd la gloire.
Bien que D’ieu accorde Sa gloire à l’homme, Il ne la perd pas pour autant. Elle demeure intacte. Contrairement à l’homme qui, usurpant la gloire de son roi, ce qui équivaut à un acte d’insubordination, mérite la mort, le Saint béni soit-Il l’attribue à l’homme qu’il veut distinguer et élever. Plus D’ieu accorde Sa gloire à l’homme et plus grande sera Sa gloire. Quelles sont donc ces situations?
Le trône représente la justice. Le roi est le juge suprême de son pays. La justice est rendue en son nom. Mais pour juger, il est nécessaire d’avoir recours à des preuves ou à des témoins. Autrement, le jugement sera faussé, n’étant point basé sur des critères objectifs.
En tant que juge, D’ieu n’a nullement besoin de faire appel à des témoins ni à des preuves matérielles. D’ieu est à la fois juge, partie et témoin. Nul ne peut contester Son jugement. Ce privilège, D’ieu l’attribue au roi Chélomo. Cette situation est celle des deux femmes de mauvaise vie, demeurant seules dans la même maison, ayant eu chacune un enfant. Un des deux enfants étant mort, les deux femmes réclament le vivant. Sans témoins et sans preuve, le roi Chélomo rend l’enfant vivant à sa mère qui, émue de pitié pour son fils, s’écria(14) : “De grâce, Seigneur! Qu’on lui donne l’enfant vivant, qu’on ne le fasse pas mourir!”. Tout Israël, saisi de respect pour le roi, comprit que la sagesse divine l’inspirait dans l’exercice de la justice.
Cet exercice nécessite justement de juger en se conformant autant que faire se peut à la volonté de D’ieu. Faire coïncider sa volonté à celle de D’ieu ne fait qu’augmenter davantage la gloire de D’ieu. La monture du roi est interdite à ses sujets car s’en emparer revient à le contester. Le cheval est signe extérieur de force et de mobilité. Ce sont deux éléments nécessaires au roi pour forcer le respect de ses sujets. Toutefois, le cheval ne saurait se mouvoir en tout terrain. Les mers et les airs ne sont pas de son domaine. La mobilité de la tempête convient pour combattre les ennemis de D’ieu.
La tempête et l’ouragan constituent la monture divine. Èliyahou, dont la mission prophétique s’exerçait dans un royaume idolâtre hostile à D’ieu, celui de Ah‘ab et Izèbèl, eut pour monture également la tempête. Car il combat de manière implacable les ennemis de D’ieu. Or Èliyahou s’est illustré dans l’exercice de sa mission par son zèle et par son intransigeance. Ah‘ab le recherchait partout sans jamais pouvoir le saisir. “Il n’est peuple ni royaume où mon maître [Ah‘ab] n’ait envoyé pour te chercher” dit Ôbadya à Èliyahou(15). Sa mobilité permit de surprendre Ah‘ab là où il s’attendait le moins. Le sceptre est symbole du pouvoir et de l’autorité du roi. Le roi gouverne. Il exerce son pouvoir sur ses sujets. Quiconque se sert du sceptre du roi exprime une révolte contre son autorité. D’ieu transmet à Mochè son sceptre, la verge divine, pour infliger à Parô les dix plaies. Mochè devient le bras de D’ieu pour accomplir Sa volonté. Parô conteste D’ieu(16) :
“Quel est cet Ét’ernel dont je dois écouter la parole en laissant partir Israël? Je ne connais point l’Ét’ernel et certes je ne renverrai point Israël”.Sans doute Parô mérite-t-il un châtiment sévère pour avoir nié jusqu’à l’existence de D’ieu. Mais son châtiment sera d’autant plus dur qu’il est infligé non par D’ieu Lui-même, mais par celui qui fut autrefois un de ses sujets et qui exerce sur lui son pouvoir et son autorité. D’ieu confère à Mochè cette dignité pour signifier à Parô que l’autorité émane de Lui. La couronne est le symbole de la royauté. Un roi sans couronne ne règne pas. Il gouverne, dirige et exerce tous les pouvoirs. Mais il ne peut être un roi. Aussi quiconque porte la couronne d’un roi commet un acte d’insubordination et mérite la mort.
La couronne de D’ieu est en or pur. L’or précieux, sans impureté et scorie, est rare. Dans le monde actuel, la pureté est denrée rare. L’homme ne recherche pas la vérité. Il admet les compromis à tous les niveaux. Seul D’ieu détient la vérité absolue. L’idéal humain est de tendre vers cette vérité divine. La Tora, dont les paroles sont plus précieuses que l’or fin et pur, est recherchée par une minorité.
Toutefois à l’époque messianique, la terre sera remplie de connaissance divine. La vérité de la Tora et les valeurs morales seront recherchées avec soif. Ainsi D’ieu fera-t-Il porter au Messie Sa couronne. Car porteur de vérité absolue, tous les hommes suivront ses préceptes et son enseignement. Ainsi dit le prophète(17) :
“Et nombre de peuples iront en disant : “Gravissons la montagne de l’Ét’ernel pour gagner la maison du D’ieu de Yaâqov, afin qu’il nous enseigne Ses voies et que nous puissions suivre Ses sentiers, car c’est de Tsione que sort la doctrine et de Yérouchalayim la parole du Seigneur”.En ce jour, D’ieu déposera Sa couronne sur la tête du Machiah car seul compte pour toute l’humanité la vérité absolue de la Tora. La Tora représente la constitution régissant le monde. Pour un royaume, ce sera l’ensemble de ses lois. Comme un pays ne saurait se passer de lois, l’existence du monde tient aussi sur la Tora. Elle est désignée par le Midrache, par l’habit du roi.
N’est-elle pas au contraire l’être même de D’ieu? En réalité, l’essence de D’ieu est impénétrable et insondable. Seules ses manifestations nous révèlent D’ieu. L’habit constitue l’ensemble de ses manifestations. La Tora aide ainsi l’homme à découvrir l’être de D’ieu.
Quiconque s’attaque aux lois d’un pays s’expose aux châtiments prévus, parce qu’en fait il conteste celui qui a édicté ces lois. S’il confisque une de ces lois, c’est l’ensemble qu’il remet en cause.
En revanche, D’ieu donne à Israël Sa Tora. Elle se compose de 613 prescriptions. La force et la puissance de D’ieu s’expriment à travers l’ensemble des lois de la Tora. Hit’azar, Il se ceint de puissance, a pour valeur numérique 613. Pour Èts Yossèf, D’ieu donne à Israël la Tora, Il se ceint de puissance. En effet, pourquoi avoir recommandé 613 prescriptions si D’ieu voulait justement qu’Israël n’enfreigne pas Sa loi. Quelques prescriptions suffiraient pour que Sa volonté soit faite sans risque de rébellion et de désobéissance. De plus, il est pratiquement impossible à chaque Bèn Yisraèl de réaliser toutes les 613 prescriptions. Mais la puissance de D’ieu est d’avoir envisagé la mise en pratique de la totalité des prescriptions de la Tora par tout le peuple d’Israël. C’est le meilleur moyen d’assurer la paix au peuple d’Israël car, se sentant solidaire et uni autour de la réalisation de la Tora, il finira par y trouver aussi bien sa raison d’être que sa plénitude. En accordant à Israël Sa Tora, D’ieu lui assure la paix et la plénitude. Ba-chalom, par la paix, est l’anagramme de Malbouche, habit. La Tora étant l’habit de D’ieu, confère a Israël la paix et la plénitude. Enfin, D’ieu investit Mochè de cette partie de son Être : le Nom. Le nom est l’identité. Chaque Nom divin révèle une forme de l’essence de D’ieu. L’être de D’ieu apparaît sous différentes manifestations sans toutefois changer d’identité. En accordant un de Ses Noms à Mochè, D’ieu ne renonce nullement à Son identité, mais lui confère une dignité exceptionnelle.
Contrairement à un roi qui punit de mort quiconque ose porter son nom, D’ieu l’attribue à Mochè avec toutes les prérogatives qui l’accompagnent. Mochè est dieu pour Parô. C’est dire que Mochè a toute latitude pour agir à l’égard de Parô en tant que juge et arbitre.
Parô reçoit une punition en rapport avec sa faute. Il s’est érigé en divinité. Le Midrache(18) dit à ce propos :
“Le Saint béni soit-Il dit à Mochè : Parô l’impie s’est fait dieu. Fais-lui savoir qu’il n’est rien. Voici, je te fais dieu à son égard. Et comment sait-on qu’il s’est érigé en divinité? Tel qu’il est dit(19) :
“Mon fleuve est à moi, c’est moi qui me le suis fait.“
C’est pourquoi, dès qu’il te verra, il te proclamera dieu”.Pour Parô, c’est un échec cuisant. Non seulement il est obligé de reconnaître sa faute d’avoir usurpé ce titre, mais il se soumet à Mochè, son juge, qui lui inflige les dix plaies. D’ieu distribue ainsi Sa gloire à ses élus sans jamais entamer la sienne qu’Il garde intacte. Les situations examinées sont celles qui contribuent à assurer la pérennité du peuple d’Israël. La justice de Chélomo est le principe fondamental et premier qui fait de Âm Yisraèl un peuple différent. Son amour de la justice le conduit à l’intransigeance de Èliyahou pour affirmer son irréductibilité face à toutes les valeurs idolâtres. Le sceptre de Mochè et la couronne du Machiah confèreront la dignité nécessaire à Âm Yisraèl pour affirmer son existence et sa différence qui lui sont dans le présent exil contestées. Toutefois cela n’est possible que si Israël assume toutes les exigences de la Tora afin de s’identifier à D’ieu et mériter en définitive de porter Son Nom.
1. Chémot 2, 2.
2. Chémot 5, 23.
3. Chémot 7, 1.
4. Chémot Rabba 8, 2.
5. Téhillim 24, 8.
6. 1 Divrè ha-yamim 29, 23.
7. Nahoum 1, 3.
8. 2 Mélakhim 2, 1.
9. Chémot 4, 20.
10. Chir ha-chirim 5, 11.
11. Téhillim 21, 4.
12. Téhillim 93, 1.
13. id. 29, 10.
14. 1 Mélakhim 3, 26.
15. 1 Mélakhim 18,10.
16. Chémot 5, 2.
17. Yéchâya 2, 3.
18. Tanhouma sur la sidra paragr. 9.
19. Yéhèzqèl 29, 3.