Yaâqov envoie des messagers à Êssaw
Yaâqov envoya des messagers en avant vers Êssaw son frère, au pays de Séîr, dans la montagne d’Èdome. Il leur avait donné cet ordre : Vous parlerez ainsi à mon seigneur, à Êssaw : Ainsi parle ton serviteur Yaâqov : J’ai séjourné chez Labane, et prolongé mon séjour jusqu’à présent. J’ai acquis boeufs et ânes, menu bétail, esclaves mâles et femelles; je l’envoie annoncer à mon seigneur pour obtenir faveur à ses yeux. Les messagers revinrent près de Yaâqov en disant : Nous sommes allés trouver ton frère Êssaw, lui-même vient à ta rencontre, et quatre cents hommes l’accompagnent. Yaâqov fut fort effrayé et plein d’anxiété, il distribua son monde, le menu, le gros bétail et les chameaux, en deux bandes se disant: Si Êssaw attaque l’une des bandes et la met en pièces la bande restante deviendra une ressource Bérèchit 32, 4-9.
La sidra s’ouvre sur la rencontre de Yaâqov et Êssaw après une absence de 34 ans. Cette rencontre présage de la rencontre future et ultime d’Israël et Êssaw lors de la venue du Machiah, . Ce fut d’ailleurs l’intention de notre père Yaâqov de poser certains gestes et actes qui seront d’une grande utilité pour l’avenir.
Aussi le midrache s’interroge-t-il sur les mobiles de Yaâqov à vouloir rencontrer Êssaw. Si c’est dans le but de se réconcilier avec lui, ce temps de séparation était-il insuffisant pour apaiser Êssaw? Mieux encore; le midrache condamne la démarche de Yaâqov.
Voici ce que dit à ce propos le Yalqout Bérèchit 32. :
Rabbi Yéhouda fils de Simoune introduisait ainsi cette sidra Michelè 25, 26. :
Une source boueuse, une fontaine aux eaux troubles tel est le juste qui fléchit devant le méchant. dit :
De même qu’il est impossible à une source de devenir boueuse et une fontaine d’être troublée ainsi sera-t-il impossible au juste de fléchir devant le méchant. Le Saint béni Soit-Il lui dit [à Yaâqov] : Pendant qu’il suivait son chemin, tu lui envoies dire : Ainsi parle ton serviteur, Yaâqov. Yaâqov ne doit nullement montrer qu’il craint Êssaw car il est hors d’état de nuire, étant entendu qu’il est impossible au juste de fléchir devant le méchant.
[Le Yalqout] poursuit : Rabbi Houna introduisant la sidra ainsi Michelè 26, 17. :
Saisir un chien par les oreilles, c’est le fait du passant qui se met en rage pour la querelle d’autrui dit :
cela ressemble au chef de bande [de brigands] qui dormait en plein carrefour. Un passant, s’adressant à lui, se mit à le réveiller : quitte cet endroit car un homme méchant s’y trouve. S’étant levé, il commença à l’attaquer lui disant : tu réveilles le méchant qui dort! Ainsi s’exprime le Saint béni Soit-Il : Pendant que [Êssaw] poursuivait son chemin, tu lui envoies dire : Ainsi parle ton serviteur Yaâqov.
Rabbi Houna accuse Yaâqov de s’être attiré inutilement des ennuis en envoyant des messagers à Êssaw. Ces messagers étaient divins, de véritables mal’akhim. Pour quelle raison s’était-il permis de s’en servir? Yaâqov voulait de toute évidence intimider Êssaw.
Cela fait penser dit le midrache :
À celui qui avait invité à un repas son ami dans l’intention de le tuer. Se rendant compte de son intention, il lui dit : Ce mets ressemble à celui que j’ai dégusté chez le roi. L’autre se dit : Sûrement il est l’ami du roi! Prenant peur, il ne le tue point. C’est exactement ce qui se passe ici. Quand [Yaâqov] dit à Êssaw Bérèchit 33, 10. : j’ai regardé ta face comme on regarde la face d’un être divin, Êssaw l’impie s’est dit : Le Saint béni Soit-Il lui a accordé tant de considération, jamais je ne pourrai en venir à bout
Le midrache cherche au contraire à prouver que Yaâqov avait parfaitement raison de provoquer cette rencontre qui est en soi une paix armée puisque Yaâqov arrive à dissuader Êssaw de toute volonté ou intention de l’attaquer.
Yaâqov envoya des messagers en avant vers Êssaw son frère, au pays de Séîr, dans la montagne d’Èdome.
Yaâqov envoya des messagers.
Dans quel but Yaâqov a-t-il envoyé ces messagers? Rien n’indique dans le texte ce que Êssaw aurait répondu aux messagers de Yaâqov.
Yaâqov, constatant la délivrance providentielle lors de la poursuite de Labane qui, lui-même, reconnaît l’intervention divine l’obligeant plutôt à contracter une alliance avec lui, décide de se réconcilier avec Êssaw. Mais plutôt que de compter sur ses mérites et sur la promesse divine, Yaâqov entend faire des démarches personnelles en vue de cette réconciliation et par la même occasion, selon Rambane, enseigner aux générations à venir comment se comporter avec les descendants de Êssaw. Il convient donc, dit-il, d’utiliser les moyens que Yaâqov lui-même avait utilisés à savoir: la prière, l’envoi de présents et se défendre au besoin en luttant légalement ou alors s’enfuir, se réfugier ailleurs.
À Êssaw son frère.
Pourquoi insister sur son frère et souligner un détail déjà connu?
L’objectif de Yaâqov est de poser certains gestes qui seront en fait un enseignement inestimable sur le comportement que doit adopter Israël en exil.
Toutefois, l’intention de Yaâqov est avant tout de solliciter de son frère l’autorisation de comparaître devant lui. Aussi demande-t-il aux messagers d’aller à Séîr, le territoire où s’est établi Êssaw en seigneur et maître pour l’avertir de la situation réelle de Yaâqov. Car craignant qu’il ne soit fâché par la présence d’un frère pauvre et démuni qui lui attirerait honte et mépris dans son royaume, Yaâqov lui annonce qu’il a séjourné durant son absence chez Labane, gouverneur et prince de Harane, et non auprès de personnes sans gloire et honneur, et qu’il a en plus acquis une situation matérielle n’ayant rien à envier. Si Yaâqov sollicite cette rencontre c’est surtout dans l’unique but de l’honorer et rechercher son amitié et sa fraternité.
Au pays de Séîr, montagne d’Édome,
Tant de précisions sont-elles nécessaires quand nous savions déjà que Êssaw s’était emparé du pays de Séîr?
Yaâqov demande aux messagers de prêter attention, si jamais, poursuivant leur route, ils se rendent à Séîr, à la montagne d’Édome, à tout ce qui se raconte sur les intentions de Êssaw pour son frère. Le trouvant à Séîr, ils lui transmettraient textuellement le message de Yaâqov : Ainsi parle ton serviteur Yaâqov qui te considère comme son grand frère et donc son maître. Mais si la rencontre se faisait en chemin, ce serait donc un signe de l’intention belliqueuse de Êssaw. Dans ce cas là, les messagers se garderaient de rapporter les propos de Yaâqov car il est interdit de s’abaisser et de s’humilier devant une personne impie.
Aussi leur réponse fut de bien préciser les intentions belliqueuse de Êssaw :
Êssaw marche au-devant de toi en compagnie de quatre cents hommes,
dans le but de te combattre.
Les messagers n’ont pas eu besoin de poursuivre jusqu’à Séîr, en territoire d’Édome, car ils étaient déjà renseignés sur les intentions de Êssaw. L’ayant rencontré en chemin, ils comprennent que son but est bien de combattre Yaâqov.
À Êssaw son frère.
La mission se résume ainsi : Êssaw garde toujours les mêmes dispositions qu’auparavant, sa haine, sa hargne ne s’est point apaisée; ou bien demeurant son frère, il nourrit des sentiments de fraternité à l’égard de Yaâqov.
Devant lui .
Comment comprendre l’emploi de lé-fanaw, devant lui?
Selon Rachi Yaâqov avait envoyé des messagers divins, mal’akhim.
Yaâqov ne choisit, pour cette mission, comme le dit Or ha-Hayim, que des mal’akhim, seuls capables de deviner les pensées intimes de Êssaw. Poursuivant son explication, il justifie l’emploi de lé-fanaw; étant encore devant lui, n’ayant pas eu à se déplacer, les mal’akhim, , ont répondu à Yaâqov. Aussi le texte dit-il : les messagers revinrent, sans avoir eu à mentionner leur départ.
Maor Wa-Chèmèche s’étonne que Yaâqov ait permis à Êssaw de voir des mal’akhim alors que son impiété le rendait justement inapte. Yaâqov de toutes les mitswot qu’il a réalisées, a créé des mal’akhim, êtres spirituels, qui au moment où il pénétrait en Israël se sont révélés à lui. À propos de ces mal’akhim, Bérèchit 32, 3. :
Yaâqov dit en les voyant : Ceci est la légion de D’ieu. Et il appela cet endroit Mahanayim.
Il décide de s’en servir comme messagers. Mais, pour les envoyer à Êssaw, Yaâqov avait opéré une certaine matérialisation, afin de leur éviter de paraître devant Êssaw dans toute leur pureté spirituelle. Wayi-chelah, il envoie, a pour signification dévêtir dans l’acception michenatique de ce terme. Yaâqov les dessaisit de leur être spirituel, pour qu’ils paraissent comme des êtres physiques et humains.
Or ha-Hayim parle de trois moments essentiels dans nos relations avec Êssaw. Le premier dure de l’établissement d’Israël jusqu’à la destruction du Bèt ha-Miqdache, , le Temple, où Israël et Êssaw seront frères, de là l’expression Êssaw son frère.
Le deuxième va de la destruction du temple jusqu’à la délivrance où Êssaw sera dans une situation de supériorité, c’est ce que désigne la formule Artsa Séîr, au lieu de èl Èrèts Séîr .
Le troisième n’est autre que le jour où Édome sera comme un champ, sédè, labouré indiquant par là sa chute.
Il leur avait donné cet ordre : Vous parlerez ainsi à mon seigneur, à Êssaw : Ainsi parle ton serviteur Yaâqov : J’ai séjourné chez Labane, et prolongé mon séjour jusqu’à présent.
Il leur avait donné cet ordre.
L’expression : Ainsi vous parlerez! signifie également un ordre. Pourquoi cette répétition?
Yaâqov ne s’est pas contenté de dire Ainsi vous direz à Êssaw, pour leur recommander, selon Or ha-Hayim, de signifier à Êssaw que Yaâqov insiste personnellement à ce que cette déclaration soit ainsi faite.
À mon maître Êssaw, ainsi parle ton serviteur.
Pourquoi tant de soumission?
Rambane dit que cette attitude de soumission de Yaâqov sera la cause de la chute d’Israël, au temps de la destruction du second temple, entre les mains d’Édome.
Baâlè ha-Tosséfot relèvent dans le texte ton serviteur Yaâqov employé à huit reprises. Cela eut pour conséquence d’assister au règne de huit rois d’Édome avant qu’Israël n’ait pu nommer un roi cf. Bérèchit 36, 31..
Chez Labane, j’ai séjourné.
Rachi propose en première explication : je ne suis pas devenu un prince mais un simple étranger et en seconde explication : J’ai séjourné chez Labane mais j’ai réalisé les 613 mitswot. Les deux explications sont contradictoires. Comment les concilier?
Kéli Yaqar tente de concilier les deux explications de Rachi. Pour lui, elles ne sont point opposées. Bien au contraire; Yaâqov dit ceci à Êssaw :
Les bénédictions que notre père m’a données s’adressaient en réalité à toi puisque c’est toi qu’il avait à l’esprit. La preuve est que chez Labane je n’ai été qu’un guèr, étranger, je ne suis pas devenu un prince. Mais si tu penses que ces bénédictions m’étaient bien adressées et que si je ne suis pas devenu un prince c’est uniquement parce que je n’ai pas appliqué les mitswot de la Tora, cela est d’autant moins vrai puisque malgré mon séjour chez Labane, j’ai réalisé les 613 mitswot.
J’ai acquis boeufs et ânes, menu bétail, esclaves mâles et femelles; je l’envoie annoncer à mon seigneur pour obtenir faveur à ses yeux.
J’ai acquis boeufs et ânes…,
Le texte emploie le singulier au lieu du pluriel. Pourquoi décrire d’une manière exhaustive toutes les acquisitions?
Selon Rachi, Yaâqov énumère toutes ces acquisitions au singulier pour se conformer à l’usage de désigner un pluriel par un collectif.
Mais Baâl ha-Tourim s’étonne de ce que le texte ne mentionne nullement d’autres acquisitions! Pour lui, le midrache souligne que Yaâqov tient à porter à la connaissance de Êssaw qu’il n’a point failli aux recommandations de son père et qu’en plus il a eu des enfants qui seront dans l’avenir l’antidote d’Édome. Ainsi chor, un boeuf, désigne-t-il Yossèf, l’ennemi de Êssaw, hamor, âne, fait allusion à Yissakhar cf. Yossèf est désigné dans les bénédictions de Mochè par un chor et
Yissakhar dans celles de Yaâqov par hamor, tsone, menu bétail, désigne Israël, êvèd, serviteur, c’est David, et chifha, servante, c’est Avigaïl, la femme de David.
L’intention du midrache est de souligner que Yaâqov n’a rien à craindre de Êssaw puisque les conditions émises par Yitshaq pour lui accorder ses bénédictions ont été toutes remplies. Bien plus, David étant le père du Machiah, sera aussi là pour s’opposer aux desseins de Êssaw. En attendant, Yossèf dont la mission consiste à neutraliser Êssaw et Yissakhar dont l’étude de la Tora vise de venir à bout de l’influence de Êssaw seront toujours là pour protéger Yaâqov.
Les messagers revinrent près de Yaâqov en disant : Nous sommes allés trouver ton frère Êssaw, lui-même vient à ta rencontre, et quatre cents hommes l’accompagnent.
Les messagers revinrent près de Yaâqov.
Pourquoi préciser ce détail? Leur réponse aurait pu suffire pour signaler également leur retour.
Les messagers répondirent à Yaâqov que Êssaw montre des sentiments de fraternité. Cependant cachant bien sa haine, Êssaw vient à sa rencontre à la tête de quatre cents hommes. Les messagers attirent donc l’attention de Yaâqov pour qu’il ne se fie point aux apparences : Êssaw se réclame de ta fraternité, mais en réalité il agit toujours en Êssaw que tu as connu, dans toute sa méchanceté.
Ton frère Êssaw.
Pourquoi préciser de nouveau ton frère?
Le texte suggère la différence d’approche entre les deux frères : Yaâqov avait dit : À Êssaw son frère, car il pense que Êssaw avait évolué; d’ennemi, il est devenu son frère. Mais Êssaw cachait son jeu puisque la Tora dit : Ton frère Êssaw, soulignant que Êssaw est demeuré l’ennemi qu’il avait connu Or ha-Hayim z.l..
Wé-gam, et lui aussi.
Pourquoi l’emploi de aussi? Que vient-il inclure?
Rav Alchèkh pense que wé-gam inclut le mal’akh défenseur de Êssaw, , qui l’accompagne dans le but de l’aider dans sa lutte contre toi. Pour preuve, ce mal’akhreprésentant Êssaw avait combattu Yaâqov toute la nuit précédant la rencontre.
Yaâqov fut fort effrayé et plein d’anxiété, il distribua son monde, le menu, le gros bétail et les chameaux, en deux bandes se disant: Si Êssaw attaque l’une des bandes et la met en pièces la bande restante deviendra une ressource.
Yaâqov fut fort effrayé et plein d’anxiété.
Pour quelle raison Yaâqov fut-il effrayé? Ne devait-il pas placer toute sa confiance en D’ieu qui lui avait promis une entière protection? Pourquoi avoir mentionné également l’anxiété?
Êssaw étant un être humain, libre, peut en faisant jouer sa propre liberté mettre en échec la protection divine. C’est là le sens de l’intervention de Réoubène lorsqu’il demande à ses frères de jeter Yossèf dans un puits. En effet, si tel est le décret de D’ieu, il mourrait tout de même dans ce puits. Il ne faut point que soient impliquées leur liberté et, par suite, leur responsabilité. Il fut plein d’anxiété parce qu’il fut fort effrayé d’être attaqué par Êssaw. Cette frayeur est une preuve de la culpabilité de Yaâqov. Mais en vérité, s’il y avait faute à imputer à Yaâqov c’est seulement le fait d’avoir manqué de confiance en D’ieu!
Il distribua son monde en deux bandes.
Comment Yaâqov peut-il être sûr qu’une bande sur deux deviendra une ressource?
Pour donner la possibilité à l’une des deux à se réfugier. Rambane cite le midrache qui rapporte que Yaâqov avait armé ses hommes et, pour donner le change les avait tout de blanc vêtus. Yaâqov était cependant sûr, selon Rambane, que sa descendance ne serait point entièrement exterminée. Nos maîtres, disaient Bérèchit Rabba sur le texte. :
Si Êssaw attaquait une bande, ce sont nos frères du sud, la bande restante deviendra une ressource, ce sont nos frères d’exil.
Et Rambane de conclure que cette situation sera celle du peuple juif dans l’exil. Mais avec la délivrance et la venue du machiah, ce sera au contraire la disparition de Êssaw ainsi qu’il est dit Ôbadya 21. :
Et des libérateurs monteront sur la montagne de Tsione, pour se faire les justiciers du mont de Êssaw; et la royauté appartiendra à l’Ét’ernel.