Yaâqov rencontre Êssaw

«Yaâqov, levant les yeux, aperçut Êssaw qui venait accompagné de quatre cents hommes. Il répartit les enfants entre Lèa, Rahèl et les deux servantes. Il plaça les servantes avec leurs enfants au premier rang, Lèa et ses enfants derrière, Rahèl et Yossèf les derniers. Pour lui, il prit les devants et se prosterna contre terre, sept fois, avant d’aborder son frère. Êssaw courut à sa rencontre, l’embrassa, se jeta à son cou et le baisa, et ils pleurèrent. En levant les yeux, il vit les femmes et les enfants et dit : «que te sont ceux-là?» Il répondit : «ce sont les enfants dont D’ieu a gratifié ton serviteur». Les servantes s’approchèrent, ainsi que leurs enfants, et se prosternèrent. Lèa aussi s’approcha avec ses enfants, et ils se prosternèrent. Puis Yossèf s’approcha avec Rahèl et ils se prosternèrent. Il reprit : «qu’est-ce que toute cette troupe, venant de ta part, que j’ai rencontrée?» Il répondit : «pour obtenir la bienveillance de mon seigneur». Êssaw dit : «J’en ai amplement; mon frère, garde ce que tu as». Yaâqov répondit : «Oh non! Si toutefois j’ai trouvé grâce à tes yeux, tu accepteras cet hommage de ma main; puisque, aussi bien, j’ai regardé ta face comme on regarde la face d’un puissant, et que tu m’as agréé. Reçois donc le présent que, de ma part, on t’a offert, puisque D’ieu m’a favorisé et que je possède suffisamment». Sur ses instances, Êssaw accepta(1)

Après un long séjour chez Labane, Yaâqov entend renouer des relations fraternelles avec Êssaw. Il lui envoie des présents. Mais les envoyés reviennent aussitôt pour annoncer à Yaâqov que Êssaw nourrit des sentiments hostiles à son égard; sa haine et sa colère ne se sont point apaisées. Yaâqov se prépare donc à trois possibilités : sachant Êssaw sensible aux acquisitions matérielles, Yaâqov pense pouvoir calmer pour un temps la colère de son frère, s’il ne peut obtenir son pardon, par les offrandes. Il se prépare également à lutter, à se défendre. Aussi, distribue-t-il son monde en deux bandes afin de donner la chance à une des deux de se sauver. Enfin, il adresse une prière à D’ieu pour implorer Sa protection et Son secours.

Toute cette nuit, dans l’attente de la rencontre avec Êssaw, Yaâqov aide tout son monde à traverser le fleuve Yaboq . Étant resté seul, «un homme lutta avec lui jusqu’à l’aube». Pour nos Maîtres, il s’agit de l’ange protecteur de Êssaw. Yaâqov ne se laisse point vaincre par lui. Au contraire, c’est l’ange qui implore Yaâqov, le matin venu, de le laisser repartir. Il ne consent qu’après l’avoir béni et changé son nom Yaâqov en celui d’Israël, «car, dit-il, tu as jouté contre des puissances célestes et humaines, et tu es resté fort».

Le Midrache(2) citant(3) :

«Yaâqov, levant les yeux, aperçut Êssaw qui venait, accompagné de quatre cents hommes», rapporte :

«Rabbi Léwi dit : le lion s’était fâché contre les bêtes et les animaux de la forêt. Ceux-ci dirent : qui irait l’attendrir? Le renard dit :

Venez avec moi car je connais trois cents fables par lesquelles je peux l’attendrir!

C’est bon, nous irons.

Il alla un bout de chemin et s’arrêta. Ils demandèrent :

Que t’arrive-t-il?

J’en ai oublié cent.

Avec deux cents, il y a de quoi le calmer!

Il alla encore un bout de chemin et s’arrêta. Ils s’inquiétèrent :

Que se passe-t-il?

J’ai oublié encore cent!

Il y a suffisamment de quoi le calmer avec cent fables.

Quand il arriva à destination, il leur dit : j’ai tout oublié! Que chacun tente de l’attendrir à sa manière.

Ainsi agit Yaâqov notre père. Rabbi Yéhouda, fils de Simoun, dit : «Je suis capable de formuler une prière».

Rabbi Léwi dit : «Je suis capable de mener un combat». Mais, arrivé à destination, «il répartit les enfants entre Lèa, Rahèl et les deux servantes». Il dit : «chacun fera appel à ses mérites pour échapper à Êssaw».

Ce midrache nous présente, de prime abord, Yaâqov à l’exemple du renard, plein d’assurance et d’astuce, pour calmer et apaiser Êssaw. Cependant, chemin faisant, Yaâqov perd sa belle assurance. Il change à chaque étape de tactique ou de stratégie. Si, au début, les trois offrandes envoyées en hommage à Êssaw pour le rasséréner et implorer sa bienveillance sont jugées insuffisantes, Yaâqov se décide à se préparer à combattre et, à la fin, à prier.

Mais il est surprenant de voir Yaâqov perdre son assurance au fur et à mesure qu’il se rapproche de Êssaw. Pourtant, D’ieu avait à deux reprises fait la promesse à Yaâqov de le protéger. Mais, ayant séjourné d’une part chez Labane où il aurait pu facilement être entraîné à fauter sous l’influence de l’environnement impie et hostile, ayant également privé son père pendant une longue période de 22 ans de ses services et, par la suite, failli à son devoir de respecter son père et sa mère, Yaâqov craignait donc que Êssaw ne profite de ces deux handicaps. C’est ce que le Talmoud(4) affirme :

«Yaâqov craignait que, depuis les promesses divines, il n’ait été diminué par le péché et que cela ne lui vaille d’être livré entre les mains de Êssaw.»

Cette pensée effraie tant Yaâqov que son assurance est sévèrement entamée. Au début, Yaâqov pense que la promesse divine, jointe aux présents qu’il offre à Êssaw, suffirait. Mais vite, il se rend compte que Êssaw, tel un lion fâché et irrité, ne sera point sensible aux présents. Yaâqov comprend que son frère, jouissant d’une liberté totale, pourrait un certain moment contrecarrer la volonté divine et tenter, par conséquent, de s’attaquer à lui. Aussi, décide-t-il de prier et invoquer le secours divin. La prière peut agir sur la volonté de Êssaw. Ainsi, d’ennemi, pourra-t-il retrouver le frère. Yaâqov, malgré la prière, demeure agité et préoccupé. Êssaw est resté près de son père en Èrèts Yisraèl. Ce sont deux avantages entre les mains d’Êssaw qui pourraient neutraliser la prière de Yaâqov. Aussi, se prépare-t-il au combat. Lutter ne va pas sans mettre en danger une partie de son camp. C’est pourquoi le midrache insiste sur le fait que «chacun fasse appel à ses mérites».

En vérité, le midrache nous livre un enseignement qui doit nous inspirer, tant sur le plan individuel et personnel que sur le plan général. En effet, nos Maîtres aiment-ils à répéter :

«Les actes et faits des pères sont des indications pour les enfants des générations futures».

Sur le plan individuel, Êssaw représente les forces du mal, le yètsèr ha-râ. Dans sa lutte contre le yètsèr ha-râ, l’homme se gardera de négliger ces trois aspects. Ainsi doit-il, avant tout, sacrifier les biens matériels. L’homme, pour échapper à l’emprise du yètsèr ha-râ, se doit de renoncer à tous les désirs et les appétits physiques et matériels. Car le yètsèr ha-râ s’attache à enfermer l’homme dans un système fait de valeurs matérielles et physiques. Plus l’homme cherche à satisfaire de tels besoins et plus il en sera dépendant. Comme Yaâqov, la première étape est d’offrir, de céder à Êssaw, au yètsèr ha-râ, de telles acquisitions. L’appât de la matière, des besoins physiques, n’aura pas d’effet sur lui.

Ensuite, l’homme doit invoquer l’aide et le secours de D’ieu sans lesquels il ne saurait vaincre le yètsèr ha-râ. Celui-ci a toujours, il est vrai, raison de l’homme. Mais, avec l’aide divine, il arrive à le vaincre.

Cependant, malgré tout, l’homme a le devoir de lutter contre le yètsèr ha-râ. Encore faut-il garder une vigilance rompue à toutes les épreuves et faire appel à ses mérites pour que D’ieu l’assiste dans ce combat.

Sur le plan général, Yaâqov souhaite que sa descendance en exil suive son exemple. S’agissant seulement de Yaâqov, Êssaw ne représente pas un si grand danger. D’ieu ne l’avait-il pas assuré de Sa protection? Cette appréhension provient des soucis que se fait Yaâqov pour ses enfants. Il pense aux diverses possibilités dont ils disposent pour se défendre contre leurs oppresseurs. Ainsi, des décrets menaçant Israël en exil, furent parfois reportés ou tout simplement annulés par l’envoi d’offrandes et présents aux rois ou aux autorités qui les avaient édictés. La première étape serait de commencer par attirer les faveurs des maîtres par les cadeaux et les présents. Ce moyen fut souvent utilisé dans l’histoire. Ce qui n’exclut pas, bien au contraire, le recours à la téfilla, la prière, ou à la lutte pour se défendre contre l’arbitraire des maîtres.

Ainsi donc Yaâqov, selon le midrache, indique aux Bénè Yisraèl le chemin à suivre pour se protéger contre les projets malveillants de leurs maîtres. C’est ce que souligne en fait le midrache en utilisant la parabole du «lion courroucé contre les bêtes et les animaux» et non contre une bête particulière qui aurait pu nous faire penser à Yaâqov seul. Cependant, faut-il insister sur le fait que bien souvent les ennemis d’Israël furent insensibles aux présents et aux biens matériels. La prière ou le combat se sont révélés alors efficaces.

Yaâqov, levant les yeux, aperçut Êssaw qui venait accompagné de quatre cents hommes. Il répartit les enfants entre Lèa, Rahèl et les deux servantes.

Yaâqov, levant les yeux, aperçut Êssaw qui venait.

Le texte met ainsi l’accent sur la cause essentielle provoquant la panique de Yaâqov au point de répartir ses enfants et se préparer au combat. En effet, en apercevant Êssaw, accompagné de quatre cents hommes, se dirigeant vers lui, Yaâqov comprend qu’il n’a d’autre alternative que de se préparer au combat. Car Êssaw aurait pu éviter Yaâqov et se contenter des présents que ce dernier lui avait adressés. Cependant, dans ses préparatifs au combat, Yaâqov ne laisse point paraître son désarroi. Bien au contraire, tout se passe comme s’il avait repris toute sa confiance en lui. En effet, il vient de lutter contre le mal’akhdéfenseur de Êssaw. Celui-ci vaincu, accepte au contraire de bénir Yaâqov. Ce qui laisse supposer l’issue heureuse de la rencontre avec Êssaw.

Mais, comme les réactions humaines sont imprévisibles,

il répartit ses enfants entre Lèa, Rahèl et les deux servantes,

Ce geste signifie tout aussi bien l’ordre à respecter pour se prosterner devant Êssaw pour lui rendre hommage que l’ordre attribué en cas de combat. Lèa et Rahèl seront les dernières pour leur donner la possibilité de se réfugier pendant que le premier camp est aux prises avec les hommes de Êssaw(5).

Il plaça les servantes avec leurs enfants au premier rang, Lèa et ses enfants derrière, Rahèl et Yossèf les derniers.

Cependant,

Yaâqov place les servantes avec leurs enfants au premier rang,

Pour quelle raison la répartition s’est faite en commençant par Lèa et Rahèl?

Rav Alchikh voit deux raisons à cela :

Tout d’abord, l’intention de Yaâqov fut de placer les enfants avec leur mère respective afin que si Êssaw venait à frapper, il frapperait et la mère et les enfants. En cela, il ferait tout le contraire de ce que la Tora prescrit à propos du nid d’oiseaux(6) :

«Si tu rencontres en ton chemin un nid d’oiseaux sur quelque arbre, de jeunes oiseaux ou des oeufs sur lesquels soit posée la mère, tu ne prendras pas la mère avec sa couvée».

Ce faisant, Yaâqov voulait susciter la pitié et la miséricorde divines.

Ensuite l’intention de Yaâqov fut précisément de placer les servantes et leurs enfants au premier rang. En les disposant de la sorte, les servantes ainsi que leurs enfants crieraient à l’injustice puisqu’il les sacrifie. Aussi, avant de les placer, Yaâqov les rassemble chacune avec ses enfants pour bien souligner qu’il veut avant tout susciter les sentiments de compassion pour tous, servantes comme maîtresses. Ainsi, pour la répartition, Yaâqov commence par Lèa et Rahèl et, comme il finit par regrouper les servantes et leurs enfants, il les place au premier rang sans éveiller en eux un sentiment d’injustice ou de frustration. Mais si, malgré toutes ces précautions, on pouvait lui reprocher de les avoir sacrifiés, le texte souligne «Et lui [Yaâqov] passa devant pour les protéger».

Cependant, les faits sont là : les servantes et les enfants étaient placés au premier rang. Pour Mèâm Loêz cette place représente en fait une place première dans les préoccupations de Yaâqov. Celui-ci avait privilégié les servantes et leurs enfants dans sa prière car, n’étant pas assistés comme Rahèl et Lèa par la Chékhina, la présence divine, il a préféré pallier à ce manque par la prière, attirant ainsi sur eux l’assistance divine.

Il plaça les servantes et leurs enfants au premier rang.

Le Gaon de Vilna dit que tout ce texte fait référence à la rencontre de Yaâqov et Êssaw au moment de la délivrance future. S’appuyant sur les paroles du Talmoud(7), le Gaon dit qu’avant la venue du Machiah, les chefs qui se mettront à la tête du peuple d’Israël seront du niveau des enfants des servantes, suivis des gens du peuple, alors que les Maîtres de la Tora seront placés en dernier. C’est donc l’indice de la venue du Machiah lorsqu’on veut à tout prix étouffer la voix de la Tora ou rejeter la vérité.

Pour lui, il prit les devants et se prosterna contre terre, sept fois, avant d’aborder son frère,

Êssaw présentait deux aspects pour Yaâqov. Le premier est le fait qu’il est Êssaw, ennemi juré de Yaâqov. Le deuxième est le fait qu’il est son frère et qu’il agit donc selon les liens de fraternité. Mais Yaâqov ignorait les dispositions de son frère vis-à-vis de lui : était-il Êssaw l’ennemi ou celui qui agit en tant que frère? C’est pourquoi il se prosterna sept fois pour apaiser Êssaw et éveiller en lui les sentiments de fraternité. C’est ce que dit le texte : jusqu’à atteindre son frère,

Cependant, le Zohar s’interroge sur le fait que Yaâqov ait pu se prosterner devant Êssaw, l’impie. Considéré comme une idole, il est par conséquent interdit de se prosterner devant lui. En réalité, répond-il, Yaâqov se prosternait devant la Chékhina représentée dans le texte par «wé-hou», pour lui. Mais les maîtres du Midrache tirent un enseignement de la conduite de Yaâqov. Il est permis d’avoir des égards vis-à-vis des impies lorsqu’ils sont au pouvoir. Le respect qu’on leur témoigne est là pour maintenir uniquement des relations pacifiques.

Le midrache(8), rapporté également par Rachi, souligne que Yaâqov s’est prosterné sept fois, si bien que Êssaw en a été ému de pitié. Dans le langage des maîtres du midrache : il a multiplié les prosternations qu’il a introduit la miséricorde dans la rigueur.

Êssaw courut à sa rencontre, l’embrassa, se jeta à son cou et le baisa, et ils pleurèrent.

Êssaw courut à sa rencontre, l’embrassa,

Ému de le voir se prosterner autant de fois qu’il le serra dans ses bras.

[Êssaw] l’embrassa, Rachi cite le midrache(9) :

«Ce terme est surmonté de points. Ces points indiquent pour certains maîtres que Êssaw ne l’a pas embrassé de tout son coeur. Rabbi Chimône ben Yohaï dit : il est notoire, ainsi qu’on nous l’enseigne, que Êssaw était l’ennemi de Yaâqov, mais à ce moment-là la pitié l’a emporté et il l’a embrassé de tout son coeur. Une autre opinion dit que Êssaw voulait mordre le cou de Yaâqov, mais ses dents se sont allongées et il n’a pu fermer la mâchoire sur le cou de Yaâqov qui s’est transformé en marbre.»

Et les deux pleurèrent.

Êssaw pleurait pour ses dents parce qu’il ne pouvait mordre Yaâqov, et Yaâqov pleurait pour son cou(10). Cet enseignement joue sur le terme wayi-chaqèhouil l’embrassa, qui se transforme par permutation de la lettre «qouf», et kaf, et qui donne wayi-chakhéhouet il le mordit.

En levant les yeux, il vit les femmes et les enfants et dit : «que te sont ceux-là?» Il répondit : «ce sont les enfants dont D’ieu a gratifié ton serviteur».

«Que te sont ceux-là?».

Selon Abrabanèl, Êssaw s’est intéressé aux femmes de Yaâqov pour avoir des précisions quant à leur nombre. Mais Yaâqov, ignorant le sens de sa demande, répond «ce sont les enfants dont D’ieu a gratifié ton serviteur»,

Pour Chaâr Bat Rabbim, Êssaw s’étonne que Yaâqov, homme parfait et juste, n’étant point porté sur la débauche, puisse avoir quatre femmes. Mais il répond : ce sont les enfants! car pour avoir les douze tribus, il a fallu le concours de quatre femmes.

Rabbi Yaâqov Abouhatsira reprend à son compte cette remarque. Êssaw, en disant Mi èllèqui sont-ils, voulait signifier à Yaâqov qu’il ne le considère point comme homme parfait et moral. Épouser quatre femmes suffit pour constituer en soi un indice de son penchant vers la concupiscence. Mi èllè,  sont les lettres qui composent le mot Èl’ohim. En disant mi èllè, Êssaw avance la preuve que Yaâqov a failli à son niveau de perfection car le Nom divin se trouve écrit inversé. Mais Yaâqov lui répond justement : ce sont les enfants dont D’ieuÈl’okima gratifié ton serviteur, rétablissant l’orthographe du Nom divin pour mieux souligner la vertu et la perfection morale de Yaâqov.

Lèa aussi s’approcha avec ses enfants, et ils se prosternèrent. Puis Yossèf s’approcha avec Rahèl et ils se prosternèrent.

Puis, Yossèf s’approcha avec ses enfants, et ils se prosternèrent.

Après que les servantes et leurs enfants se soient prosternés, ce fut le tour de Lèa et ses enfants. Mais pour Rahèl, Yossèf se présente d’abord car il s’est dit : ma mère est très belle, il ne faut point que cet impie puisse jeter ses regards sur elle. Il s’est donc placé devant elle pour l’empêcher de la regarder. L’initiative de Yossèf lui a valu les bénédictions paternelles(11) : «C’est un rameau [un fils] fertile que Yossèf, un rameau fertile au bord d’une fontaine.»

Selon Rachi, «il trouve grâce aux yeux de tout celui qui le voit.»

Cette attitude irréductible face à Êssaw contribue à faire de Yossèf et de ses descendants l’antidote de Âmalèq, descendant de Êssaw. Ainsi pour cette raison, Yéhochouâ, issu d’Èfrayim, fut-il désigné par Mochè pour livrer un combat à Âmalèq.

Il reprit : «qu’est-ce que toute cette troupe, venant de ta part, que j’ai rencontrée?» Il répondit : «pour obtenir la bienveillance de mon seigneur».

Qu’est-ce que toute cette troupe venant de ta part,

Rambane souligne le grand orgueil de Êssaw qui n’a pas daigné accepter les présents des mains des serviteurs de Yaâqov qui, certainement, avaient accompli leur mission telle qu’il leur avait recommandé. Par ailleurs, le sens de son interrogation justifie, pour Rambane, le grand orgueil de Êssaw. Il la lit ainsi : qui donc pourrait être à tes yeux aussi grand et important pour lui avoir offert autant de présents?

Yaâqov répondit :

…ces présents sont destinés à Êssaw afin «d’obtenir la bienveillance de mon seigneur», car tu es grand seigneur à mes yeux.

Êssaw dit : «J’en ai amplement; mon frère, garde ce que tu as».

«J’en ai amplement.

Tous les commentateurs opposent la réponse de Êssaw, qui indique un orgueil exagéré, à celle de Yaâqov qui dira, plus loin, «je possède suffisamment.»,

Pour Kéli Yaqar, les impies, bien que possédant une richesse considérable, ne sont jamais satisfaits. Ils pensent toujours à ce qu’ils ne possèdent pas encore. Il a amplement mais pas suffisamment. Ainsi disent nos Maîtres : quand il possède 100 écus, il en veut 200. Le Juste, lui, possède suffisamment. Le peu qu’il possède est considéré comme un bien entier et parfait. C’est un Kol, tout. L’impie possède des biens mais n’en a pas la maîtrise. L’argent, pour lui, devient un souverain. Le Juste, en revanche, considère les biens matériels comme un serviteur puisque c’est toujours lui qui en a la maîtrise.

«Mon frère, garde ce que tu as»,

Pour Or ha-Hayim, Êssaw dit à Yaâqov si c’est pour moi tout ce dérangement, j’en ai amplement et, par conséquent, ce n’est pas nécessaire. Mais si l’intention est pour que je ressente des sentiments de fraternité, bien au contraire je ne veux point accepter ces cadeaux afin que cette fraternité soit tout à fait sans un intérêt. C’est ainsi qu’il lui dit : je veux te considérer mon frère quand tu auras gardé ce que tu as.

Pour le midrache, Rachi et Rabbènou Béhayè, avec une telle réponse, Êssaw vient de confirmer toutes les bénédictions de Yaâqov. Il ne les lui dispute plus puisqu’il dit : «garde ce que tu as». Ces mots se composent de dix lettres pour dire que Êssaw confirme les dix bénédictions reçues par Yaâqov. Yaâqov reçoit les bénédictions de Yitshaq, de Êssaw et du mal’akh.

Ainsi la délivrance future se déroulera sur l’exemple de cette rencontre entre Yaâqov et Êssaw. Point ne sera besoin d’obtenir la reconnaissance de tous les peuples. La paix et la fraternité régneront. Les peuples reconnaîtront finalement l’élection d’Israël.

1. Bérèchit 33, 1-11.

2. Bérèchit Rabba 78, 10.

3. Bérèchit 33,1.

4. Chabbat 22a, Bérakhot 4a et Bérèchit 9,32.

5. cf. Abrabanèl sur Bérèchit 33,1 et suivants.

6. Dévarim 22,6.

7. Sanhèdrine 97a.

8. Bérèchit Rabba, 78.

9. Id., paragr. 78.

10. cf. Yalqout sur la sidra.

11. cf. Bérèchit 49, 22.

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