Aharone, dépositaire du salut d’Israël
Le premier Nissane, le Michekane est inauguré. Mochè investit Aharone Kohène Gadol, Grand Prêtre, qui accomplit son service avec bonheur. La joie éclate de voir apparaître la gloire divine. Le texte souligne(1) :
“Un feu s’élança de devant le Seigneur et consuma, sur l’autel, l’holocauste et les graisses. À cette vue, tout le peuple jeta des cris de joie et ils tombèrent sur leurs faces.” Mais en dépit de l’éclat de la manifestation divine, un drame assombrit ce tableau.
“Les fils d’Aharone, Nadav et Abihou, prenant chacun leur encensoir, y mirent le feu sur lequel ils jetèrent de l’encens, et apportèrent devant le Seigneur un feu profane sans qu’Il le leur eût commandé(2).” Aharone accepte d’exercer les fonctions de Kohène Gadol. Sait-il qu’une telle mission demeure périlleuse même pour une personne aussi parfaite que lui? Envisage-t-il de la poursuivre quand ses appréhensions se font plus précises avec la disparition de ses fils? D’ieu calme, cependant, ses inquiétudes et angoisses. Servir D’ieu ne va pas, il est vrai, sans danger, sans risque. Mais il suffit de suivre les prescriptions divines pour éviter tout malheur. Le service divin est quotidien. Mais être admis dans le sacro-saint du Sanctuaire n’est permis que le seul jour de Kippour. Y pénétrer sans être invité l’exposerait à la peine de mort. L’interdit est formel, précis. Aharone sait que la proximité de D’ieu, vivre en son intimité, est soumise à des règles strictes. Il apprend à les assumer. Sa confiance et sa foi en D’ieu demeurent entières, intactes. C’est donc cette foi inébranlable qui le guide dans son service.
Le Midrache(3) citant le texte(4) :
“Voici comment Aharone entrera dans le sanctuaire“, rapporte : C’est bien ce que le texte exprime(5) :
“De David. Le Seigneur est ma lumière et mon salut : de qui aurais-je peur? Rabbi Èl’âzar applique ce verset [au passage de] la mer [Rouge]. [Il est] Ma lumière dans la mer, tel qu’il est dit(6) :
“Il éclaira la nuit… [Il est] Mon salut ainsi qu’il est dit(7) :
“Attendez, et vous serez témoins de l’assistance que l’Ét’ernel vous procurera en ce jour!“. De qui aurais-je peur? Ainsi qu’il est écrit :
“Mochè répondit au peuple : “Soyez sans crainte!“
[David poursuit](8) :
“Le Seigneur est le rempart qui protège ma vie“. Ainsi que le texte l’exprime(9) :
“Il est ma force et ma gloire, l’Ét’ernel!“.
“Qui redouterais-je?“, comme le précise le texte(10) :
“Sur eux pèse l’anxiété, l’épouvante“.
[David poursuit](11) :
“Quand les malfaiteurs m’approchent“, il s’agit de Parô(12) :
“Comme Parô approchait“.
“Pour dévorer ma chair” tel qu’il est dit(13) :
“Il disait l’ennemi : “Courons, atteignons, partageons le butin.”
Rabbi Chémouèl, fils de Nahmane, dit : [Parô] l’impie ne disparaîtra pas du monde avant qu’il n’ait exprimé de sa propre bouche son verdict.
“Il disait l’ennemi : “Courons, atteignons… que ma main les hérite.Torichèm, n’est point mentionné mais Tourichèmo, autrement dit que je leur laisse en héritage ma richesse et ma gloire.
[David poursuit](14) :
“Mes adversaires et mes ennemis qui me guettent ce sont eux qui bronchent et tombent” tel qu’il est dit(15) :
“Il précipita Parô et son armée dans les flots.” À partir de là, Israël dit(16) :
“Qu’une armée prenne position contre moi“, il s’agit de l’armée égyptienne.
“Mon coeur n’éprouve aucune crainte, quand bien même la guerre, livrée par les Égyptiens, fasse rage contre moi,
Je garde ma confiance en Ta promesse, tel qu’il est dit(17) :
“L’Ét’ernel combattra pour vous.“ Midrache surprenant! Partant des dispositions permettant à Aharone de pénétrer au Sanctuaire, il débouche sur celles que doit adopter Israël pour vaincre ses ennemis.
Est-ce un lien artificiel qui inspire le midrache? L’emploi de bé-zot, voici comment, se retrouvant dans les paroles de David, bé-zot ani botèah, je garde ma confiance en Ta promesse, lui permet, sans doute, de faire une telle extrapolation.
Serait-ce, au contraire, un lien logique s’appuyant sur l’emploi commun du terme bé-zot? Examinons la similitude de deux situations qui, de prime abord, sont différentes et éloignées l’une de l’autre. Israël, face aux Égyptiens, vit une situation de crainte, d’épouvante. Rejeté vers la mer, il se voit envahi par le doute. Sera-t-il protégé comme il le fut jusqu’à présent par D’ieu, ou livré sans défense à ses ennemis? Ce doute est lancinant car, même dans l’éventualité de la victoire, il demeure vif. Le midrache proclame avec force : l’Ét’ernel est ma lumière. Le fait même qu’Il éclaire la nuit des Bénè Yisraèl est une indication que le doute, présent dans tous les esprits, les incite à remettre en question leur confiance en D’ieu. Mais aussitôt après, ils acquièrent la certitude de la délivrance et du salut, l’assistance divine ne faisant aucunement défaut. Mochè leur inspire une assurance totale face à l’ennemi. “Soyez sans crainte!”, leur dit-il. Comme David qui n’a aucune raison de craindre l’ennemi, l’Ét’ernel étant “le rempart protégeant sa vie”, Israël garde toute sa sérénité et exprime sa confiance en D’ieu. La confiance en D’ieu, voilà le mot-clé. Tout dépend de la manière dont Israël l’exprime. D’ieu agit de telle sorte que l’ennemi lui-même énonce son propre décret. Il plonge tête basse vers le précipice que lui-même se choisit. Car la protection de D’ieu pour Israël est chose acquise. Plus rien ne gêne la gloire d’Israël puisque D’ieu est là pour l’assister. Le glissement de la situation de Aharone vers celle du peuple d’Israël ne saurait se comprendre sans recourir à l’enseignement de nos Maîtres qui voient dans la mission du Kohène Gadol la garantie du bien-être et de la paix pour Âm Yisraèl. Le Kohène Gadol représente, en effet, l’élément sécurisant et stabilisateur du peuple d’Israël. Par sa mission, il est responsable de la paix devant résider parmi Israël. Que l’ennemi soit de l’intérieur ou de l’extérieur, son rôle est de l’éliminer et de prier pour la protection du peuple d’Israël. La Tora enseigne(18) à propos du meurtrier involontaire qu’il est passible d’exil dans une des villes refuge. Il y restera “jusqu’à la mort du Grand Prêtre”. Pourquoi? se demande Rachi.
“Car, dit-il, il fait siéger la majesté divine en Israël et prolonge leur vie : tandis que le meurtrier éloigne la Chékhina d’Israël et raccourcit leur vie; il n’est pas digne de se trouver en présence du Grand-Prêtre. Selon une autre explication, parce que le Grand-Prêtre aurait dû prier pour qu’un tel crime ne se produise pas en Israël pendant sa vie.”
Ainsi le Grand Prêtre est dépositaire de la sécurité et de la vie d’Israël. Cependant, afin de parvenir à assurer la pérennité d’Israël, Aharone se doit de livrer un combat sérieux et important à lui-même. En tant que Grand Prêtre vivant dans la proximité de D’ieu, la tentation est très forte pour qu’il franchisse des barrières lui interdisant l’accès du Sanctuaire. L’homme est toujours porté à vouloir découvrir et connaître davantage. S’agissant de D’ieu, la curiosité est encore plus forte. Surtout quand l’interdit s’en mêle. Les limites et les interdits à l’accès du divin pourraient inciter Aharone à les outrepasser. Mais l’obéissance à la loi, le respect du divin, assure tant au Kohène Gadol qu’au peuple d’Israël, vie, bonheur, paix et prospérité. “Bé-zot, voici comment Aharone entrera dans le sanctuaire”. Bé-zot est apparemment en trop. Mais il fait allusion à un autre zot, désignant la Tora. Le texte dit en effet(19) : “Or, zot, ceci est la Tora que Mochè exposa aux enfants d’Israël”. C’est donc le respect de la Tora qui assure à Aharone l’accès au sanctuaire mais surtout le fait d’en sortir sain et sauf avec l’assurance d’avoir réussi sa mission, celle de procurer, par ses prières, le bien-être et la sécurité au peuple d’Israël. Bé-zot ani botèah, “Grâce à ceci, je garde ma confiance”. Grâce à la Tora, Israël, comme David, n’a rien à craindre des attaques ennemies. Israël, entouré des prières du Kohène Gadol et de sa fidélité à la Tora, saura toujours compter sur l’assistance et le secours divins.
1. Wayi-qra 9, 24.
2. id. 10, 1.
3. Wayi-qra Rabba 21, 5.
4. Wayi-qra 16, 3.
5. Téhillim 27, 1.
6. Chémot 14, 20.
7. id. 14, 13.
8. Téhillim 27, 1.
9. Chémot 15, 2.
10. id. 15, 16.
11. Téhillim 27, 2.
12. Chémot 14, 10.
13. id. 15, 9.
14. Téhillim 27, 2.
15. id. 136, 15.
16. ibid. 27, 3.
17. Chémot 14, 14.
18. Bémidbar 35, 25.
19. Dévarim 4, 44.