Point de sacrifices, hors du Michekane

«L’Ét’ernel parla à Mochè en ces termes : «Parle à Aharone et à ses fils, ainsi qu’à tous les enfants d’Israël, et dis-leur : Voici ce que l’Ét’ernel m’a ordonné de dire : Tout homme de la maison d’Israël qui égorgera une pièce de gros bétail, ou une bête à laine ou une chèvre, dans le camp, ou qui l’égorgera hors du camp, sans l’avoir amenée à l’entrée de la Tente d’assignation pour en faire une offrande à l’Ét’ernel, devant son tabernacle, il sera réputé meurtrier, cet homme, il a répandu le sang; et cet homme-là sera retranché du milieu de son peuple. Afin que les enfants d’Israël amènent leurs victimes, qu’ils sacrifient en plein champ, qu’ils les amènent désormais à l’Ét’ernel, à l’entrée de la Tente d’assignation, au pontife, et qu’ils les égorgent comme victimes rémunératoires en l’honneur de l’Ét’ernel(1)

La Tora consacre le début de Aharè Mote, au service divin du jour de Kippour. Le Kohène Gadol est tenu de se conformer à des prescriptions précises relatives aux différentes offrandes de ce jour afin d’expier ses fautes, celles de ses frères, les Kohanim, ainsi que celles de tout le peuple d’Israël. Parmi ces sacrifices, l’offrande du bouc émissaireSaîr la-âzazèl, est unique dans son genre puisqu’il devait être envoyé vivant dans le désert.

Ce sacrifice, bien qu’étant offert le jour le plus saint de l’année, ne saurait être un précédent ou un exemple pour quiconque voudrait sacrifier hors du Michekane. De plus, pour le Talmoud, durant le séjour dans le désert, les Bénè Yisraèl, désireux de consommer de la viande, devaient égorger les bêtes comme sacrifices rémunératoires. Autrement, serait réputé meurtrier quiconque répand le sang hors du Michekane(2).

Le Midrache(3) s’exprime ainsi :

«Rabbi Pinhas, au nom de Rabbi Léwi, dit : cela fait penser au fils d’un roi qui, trop familier avec son père, avait l’habitude de consommer de la viande de bête morte ou déchirée, nébèla ou-térèfa. Le roi dit : celui-ci mangera toujours à ma table et, de lui-même, il en sera privé. Ainsi, les Bénè Yisraèl attirés par l’idolâtrie en Égypte présentaient leurs offrandes aux démons tel qu’il est dit(4) :

«Et ils n’offriront plus leurs sacrifices aux démons, au culte desquels ils se prostituent».

Ces séîrim, boucs, ne sont que des chèdim, démons, comme il est dit(5) :

«Ils sacrifient à des démons qui ne sont pas D’ieu.» Et les chèdim ne sont que des séîrim tel qu’il est dit(6) :

«Et les boucs(7) y prendront leurs ébats». Ils sacrifiaient leurs victimes malgré l’interdiction des autels [hors du Michekane], attirant ainsi sur eux des châtiments.

Le Saint béni soit-Il dit : qu’ils M’offrent à tout moment leurs sacrifices dans la Tente d’assignation afin que, se détachant de l’idolâtrie, ils soient délivrés [des châtiments]. Aussi est-il dit(8) :

«Tout homme de la maison d’Israël qui égorgera une pièce de gros bétail…»

Ce midrache établit la réglementation des sacrifices. Elle vise deux objectifs : l’interdiction de consommer la viande durant le séjour dans le désert. Quiconque désire en manger n’avait d’autre choix que de présenter des, offrandes rémunératoires.

Par ailleurs, le but essentiel fut d’éduquer les Bénè Yisraèl. En effet, ils tendaient à imiter les Égyptiens qui, pour trouver grâce aux yeux de leurs divinités, offraient des sacrifices ayant pour objectif essentiel de verser le sang des victimes, se réservant la viande pour leur consommation.

Mais en rendant obligatoire, pour consommer la viande, l’offrande de la bête en sacrifice à D’ieu, la Tora atteint ce double objectif.

Toutefois l’enseignement de Rabbi Pinhas est significatif. Pour lui, Israël dans le désert ressemble à ce prince devenu trop familier qu’il consomme tout ce qui heurte et fâche son père. Déjà l’impureté d’une bête morte, nébèla, ou déchirée, térèfa, constitue en soi un handicap sérieux à l’évolution morale de l’homme pour qu’il soit encore nécessaire de l’offrir à l’idolâtrie.

Tout laisse croire qu’Israël se comportait de la sorte dans le désert. D’ieu décide donc de le discipliner. Consommer désormais la viande n’est permis que si la bête était offerte en sacrifice rémunératoire.

C’est là, nous semble-t-il, la signification de, chélamimsacrifices rémunératoires. Dérivant de chalompaix, ils rétablissent la paix et l’harmonie entre D’ieu, les Bénè Yisraèl et les Kohanim. En effet, ce sont des offrandes qui satisfont tous les partenaires.

Cependant, comment comprendre la prescription divine d’offrir pour le service du jour de Kippour un bouc destiné à Âzazèl?

Âzazèl, est le prince céleste régnant sur les déserts et les lieux de désolation. C’est la force qui préside aux destructions, aux guerres, querelles, plaies, blessures, désaccords, désunions et ruines. En principe, il est celui qui anime Mars.

Sur terre, le peuple qui relève de sa tutelle est Êssaw, peuple maniant l’épée et aimant les guerres. Parmi les bêtes, les boucs et les chèvres relèvent de lui. Les démons, les chèdim, malfaisants, s’apparentent à lui : «c’est pourquoi il est appelé lui-même sèîrbouc(9)

Cependant, il ne faut point se hâter de conclure que D’ieu désire qu’on lui offre un sacrifice. Le seul fait d’accomplir la volonté divine est la seule raison d’être d’un tel sacrifice. D’ailleurs, Pirqè Rabbi Èliêzèr(10) rapporte :

«Aussi est-ce la raison justifiant l’offrande au samèkh mèm, ange du mal, d’un présent corrupteur, le jour de Kippour, afin qu’il ne neutralise point [l’effet positif] de leur sacrifice ainsi qu’il est dit(11) :

«Aharone tirera au sort pour les deux boucs : un lot sera pour l’Ét’ernel, un lot pour Âzazèl.» Celui du Saint béni soit-Il pour holocauste, celui destiné à Âzazèl comme bouc expiatoire pour tous les péchés d’Israël tel qu’il est dit(12) :

«Et le bouc emportera sur lui toutes leurs iniquités.» Samèkh Mèm, voyant qu’il n’est coupable d’aucune faute le jour de Kippour, dit devant le Saint béni soit-Il :

«Maître de tous les mondes! Tu possèdes sur terre un peuple semblable aux anges serviteurs du ciel! Comme les anges serviteurs, Israël a les pieds nus le jour de Kippour! Comme eux, le jour de Kippour, Israël ne mange ni ne boit. Comme eux, Israël se tient debout à Kippour. Comme eux, Israël est lavé de tout péché le jour de Kippour.

Le Saint béni soit-Il entendant ce témoignage en faveur d’Israël de la bouche de leur accusateur, pardonne toutes les offenses faites à l’autel et au Miqdache,, Sanctuaire, celles des Kohanim et de toute l’assemblée ainsi qu’il est dit(13) :

«Et il fera propitiation pour le Sanctuaire, propitiation pour la Tente d’Assignation et pour l’autel, en faveur des pontifes et de tout le peuple réuni.»

Ainsi donc, le but de ce qorbanesacrifice, est-il de satisfaire la volonté divine.

Certes, il était courant de servir et de craindre d’autres dieux, surtout les anges célestes auxquels on offrait des sacrifices. Mais la Tora interdit formellement de procéder à de tels sacrifices.

En revanche, le jour de Kippour, l’offrande à Âzazèl n’est agréée que si elle est faite dans le but d’accomplir la volonté divine(14).

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’interdiction de faire des sacrifices hors du Michekane afin que les Bénè Yisraèl ne soient plus tentés de les offrir aux séîrimdémons. Les seuls sacrifices sont ceux destinés uniquement à D’ieu.

L’Ét’ernel parla à Mochè en ces termes : «Parle à Aharone et à ses fils, ainsi qu’à tous les enfants d’Israël, et dis-leur : Voici ce que l’Ét’ernel m’a ordonné de dire.

Parle à Aharone et à ses fils, ainsi qu’à tous les enfants d’Israël.

Le texte n’introduit pas cette interdiction divine par la formule usuelle : «Parle aux enfants d’Israël».

Pour Rav Alchèkh, le texte interdit essentiellement l’abattage de toutes bêtes en dehors du Michekane. Sans doute, pourrait-on penser que cette interdiction vise surtout l’intérêt des Kohanim qui perdraient, au cas où les Bénè Yisraèl abattaient en dehors du Michekane, le bénéfice de toutes les parties provenant du qorbane.

Bien au contraire, l’interdiction concerne également les Kohanim qui, de toute manière, ne subissent pas de préjudice lorsqu’il s’agit de leurs propres offrandes. Aussi le verset commence-t-il par l’interdire en premier aux Kohanim, invoquant la raison : «Afin que les enfants d’Israël amènent leurs victimes… à l’entrée de la Tente d’assignation.» Voyant les Kohanim agir de la sorte pour leurs propres victimes, les Bénè Yisraèl n’auraient d’autre choix que de respecter l’interdit divin.

Pour mieux souligner que l’interdiction s’adresse à tous, les Kohanim et les Bénè Yisraèl, le texte reprend, après avoir dit : «Parle à Aharone…»«dis-leur : Voici ce que l’Ét’ernel m’a ordonné de dire.»

Rambane pense que la prescription intéresse avant tout les Kohanim. Car étant les sacrificateurs, D’ieu leur recommande de ne point offrir un qorbane en dehors du Michekane. Il l’interdit également aux Bénè Yisraèl.

De plus, le texte défend surtout de manger de la viande ne provenant pas d’un sacrifice rémunératoire. Ainsi tout homme, exprimant l’envie ou le désir de manger de la viande, n’a d’autre moyen de l’obtenir qu’en sacrifiant la bête à l’entrée de la Tente d’assignation. S’il enfreint cette défense, il est passible de mort par retranchement(15)karète.

Cette interdiction demeure en vigueur et ne sera levée que lorsque les Bénè Yisraèl prendront possession d’Èrèts Kénaâne. Ainsi trouvons-nous(16), après avoir réitéré l’interdiction de sacrifier en dehors du Bèt ha-Miqdache, l’autorisation de tuer les animaux partout :

«Néanmoins, tu pourras, à ton gré, tuer des animaux et en manger la chair, dans toutes tes villes, selon le bien-être que l’Ét’ernel, ton D’ieu, t’aura accordé.»

Le texte donne, plus loin, la raison(17) :

«Quand l’Ét’ernel, ton D’ieu, aura étendu ton territoire comme Il te l’a promis, et que tu diras : «Je voudrais manger de la viande», désireux que tu seras d’en manger, tu pourras manger de la viande au gré de tes désirs.»

C’est bien ce que le Midrache précise(18) :

«Nos Maîtres disent : plusieurs interdits furent levés par le Saint béni soit-Il. Sache qu’Il avait interdit à Israël de tuer [ces animaux] et manger [leur viande] à moins qu’on ne les sacrifie à l’entrée de la Tente d’assignation.

Il est écrit à ce propos(19) :

«Sans l’avoir amenée [la bête] à l’entrée de la Tente d’assignation.» Mais il l’a, de nouveau, autorisée(20) :

«Tu pourras manger de la viande au gré de tes désirs.» Quelle en est la raison? «Quand l’Ét’ernel, ton D’ieu, aura étendu ton territoire…»

Voici ce que l’Ét’ernel m’a ordonné de dire.

Chaque fois que la Tora rapporte Zè ha-davarvoici la parole, elle veut souligner l’importance de l’enseignement. Il est vrai que cette interdiction pouvait soulever des réticences. Aussi Torat Kohanim(21) précise :

«[Cette interdiction] ne concerne-t-ele qu’Aharone et ses fils. Comment inclure les chefs des Tribus? Il est dit ici Zè ha-davar et plus loin(22) :

«Mochè parla aux chefs des tribus des enfants d’Israël en ces termes : Zè ha-davar, Voici ce qu’a ordonné l’Ét’ernel.» De même que la parole s’adresse ici aux chefs des Tribus, ainsi s’adresse-t-elle également, dans notre cas, aux chefs des Tribus.»

Pour Mèchèkh Hokhma, l’intérêt de cet enseignement réside dans le fait que les chefs des Tribus auront à veiller sur l’application d’une telle interdiction.

Tout homme de la maison d’Israël qui égorgera une pièce de gros bétail, ou une bête à laine ou une chèvre, dans le camp, ou qui l’égorgera hors du camp.

Tout homme de la maison d’Israël qui égorgera.

Or ha-Hayim s’interroge sur le double emploi du terme , un homme. Citant le Talmoud(23), il souligne l’intention du texte de condamner l’homme qui égorge une bête hors du Michekane destinée à la consommation d’un autre homme. Comme si le texte disait «Un homme qui égorgera pour le compte d’un autre homme».

De la maison d’Israël.

Pour Mèchèkh Hokhma, le texte exclut de cette interdiction le guèr, , l’étranger, qui, n’étant pas concerné par le devenir du peuple d’Israël, ne sera pas non plus concerné par l’interdiction de manger de la viande au gré de ses désirs. Cette interdiction, ayant cours dans le désert, ne s’adresse qu’aux Bénè Yisraèl, non aux étrangers.

Sans l’avoir amenée à l’entrée de la Tente d’assignation pour en faire une offrande à l’Ét’ernel, devant son tabernacle, il sera réputé meurtrier, cet homme, il a répandu le sang; et cet homme-là sera retranché du milieu de son peuple.

Il sera réputé meurtrier, cet homme, il a répandu le sang.

Pour Rachi cet homme sera considéré comme ayant versé le sang humain et par suite coupable dans son âme, autrement dit passible de peine de mort.

Rabbènou Béhayè rappelle que, depuis Adam jusqu’après le déluge, il n’était point permis à l’homme de consommer la viande des animaux. Mais grâce au mérite de Noah sauvant l’humanité, il fut permis de consommer de la viande.

C’est pourquoi un homme qui égorge une bête dans le camp, ou hors du camp, sans l’avoir offerte à l’Ét’ernel, est considéré comme ayant versé le sang de l’homme puisque l’interdiction de consommer de la viande redeviendra effective comme au temps d’Adam.

Sforno confirme une telle approche. Cet homme est, en effet, considéré meurtrier parce qu’il n’est pas permis de verser le sang des êtres vivants pour consommer leur viande et ce, comme avant le déluge.

Afin que les enfants d’Israël amènent leurs victimes, qu’ils sacrifient en plein champ, qu’ils les amènent désormais à l’Ét’ernel, à l’entrée de la Tente d’assignation, au pontife, et qu’ils les égorgent comme victimes rémunératoires en l’honneur de l’Ét’ernel.

Rachi précise qu’il s’agit, en fait, de sacrifices que les Bénè Yisraèl sont autorisés de sacrifier.

Mais Rachebam ajoute que, parmi Israël, il y avait ceux qui sacrifiaient ces bêtes aux démonsséîrim, et non à D’ieu.

Pour Rambane, quiconque croit en eux et pense qu’ils ont le pouvoir de faire le bien ou le mal s’éloigne de D’ieu, seul Maître de la destinée de l’homme. Nos Sages disent(24), il est vrai, que ces démons connaissent l’avenir. Cette connaissance leur vient de ce qu’ils peuvent surprendre auprès des anges célestes. Cependant, elle est limitée dans le temps si bien qu’ils n’ont ni pouvoir ni influence sur le cours de la destinée.

Ces croyances étaient fort répandues à cette époque. D’ieu a voulu discipliner les Bénè Yisraèl et les ramener à la véritable foi en exigeant que ces sacrifices se fassent à l’entrée de la Tente d’assignation comme sacrifices rémunératoires en Son honneur.

1. Wayi-qra 17, 1-5.

2. Houline 16b.

3. Wayi-qra Rabba 22, 5.

4. Wayi-qra 17, 7.

5. Dévarim 32, 17.

6. Yéchâya 13, 22.

7. N.B. Il s’agit peut-être des satyres.

8. Wayi-qra 17, 3.

9. cf. Rambane.

10. in Chap. 46.

11. Wayi-qra 16, 8.

12. id. 22.

13. ibid. 33.

14. cf. Rambane.

15. Rem. La mort par retranchement, est un châtiment divin qui prive le coupable de descendance ou de la vie éternelle dans le monde futur.

16. Dévarim 12, 15.

17. id 20.

18. Dévarim Rabba 4, 6.

19. Wayi-qra 17, 7.

20. Dévarim 12, 20.

21. paragr. 6.

22. Bémidbar 30, 12.

23. Zébahim 108a.

24. Haguiga 16a.

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