Balaq fait appel à Bil’âm
«Balaq fils de Tsippor, ayant vu tout ce qu’Israël avait fait à l’Èmori, Moab eut grand peur de ce peuple, parce qu’il était nombreux, et Moab trembla à cause des enfants d’Israël. Moab dit aux anciens de Midyane : Bientôt cette multitude aura fourragé tous nos alentours, comme le boeuf fourrage l’herbe des champs! Or, Balaq, fils de Tsippor, régnait sur Moab à cette époque. Il envoya des messagers à Bil’âm, fils de Béôr, à Pétor qui est sur le Fleuve, dans le pays de ses concitoyens, pour le mander, en ces termes : Un peuple est sorti de Mitsrayim; déjà il couvre la face du pays, et il campe vis-à-vis de moi. Viens donc, je te prie, et maudis-moi ce peuple, car il est plus puissant que moi : peut-être parviendrai-je à le vaincre et le repousserai-je du pays. Car, je le sais, celui que tu bénis est béni, et celui que tu maudis est maudit(1).»
La sidra Balaq, est unique car elle montre le degré élevé des liens affectifs particuliers entre D’ieu et Israël. Ces liens sont mis en exergue de manière que l’humanité dans son ensemble se rende compte du traitement exceptionnel que réserve D’ieu au peuple d’Israël durant toutes les étapes précédant la conquête de Kénaâne.
Deux batailles importantes viennent en effet d’être remportées l’une sur Sione roi de Hèchebone, roi dont la puissance suffit à faire trembler les plus grands guerriers et ce, bien qu’étant dans un pays non fortifié. Défendant une ville aussi fortifiée que Hèchebone, Sihone est assuré de son fait. Malgré tout, Israël annexe Hèchebone.
Par ailleurs, Ôg, en plus de sa force et de sa puissance en tant que roi de Bachane, fut l’allié de Abraham en lui annonçant la captivité de Lote. Avant de l’attaquer, Mochè hésite, craignant que ce mérite, venant à son aide, ne mette Israël en péril. Mais Ôg fut également battu et son territoire conquis. Toutes ces conquêtes surviennent d’une manière prodigieuse et miraculeuse.
Cette avance foudroyante pour la conquête de Kénaâne fait trembler d’appréhension Balaq, roi de Moab.
«Balaq, fils de Tsippor ayant vu…» rapporte le texte(4) :
«[D’ieu] notre rocher, Son oeuvre est parfaite, toutes Ses voies sont la justice même.»
Le Saint béni soit-Il ne permet point aux Nations d’invoquer lors du jugement dernier, l’excuse : Tu nous avais bien éloignés! Que fit le Saint béni soit-Il? Il attribue des rois et des Sages à Israël, Il les attribue également aux Nations. Il fait régner Chélomo sur Israël et sur toute la terre, Il le fait également pour Néboukhad’nétsar. L’un construit Bèt ha-Miqdache et entonne des louanges et des supplications à D’ieu, l’autre le détruit injuriant et invectivant [D’ieu]. Il dit(5) :
«Je monterai sur les hauteurs des nuées, je serai l’égal du Très haut.»
Il accorde à David la richesse, c’est pour acquérir une maison pour Son nom. En revanche, la richesse de Hamane sert pour mener à l’abattoir tout un peuple. Toute considération consentie à Israël l’est aussi aux Nations. Il désigne Mochè [prophète] pour Israël, Bil’âm l’est également pour les Nations. Quelle est la différence entre les prophètes d’Israël et les prophètes des Nations? Les prophètes recommandent à Israël de ne point commettre des transgressions tel qu’il est dit(6) :
«Fils de l’homme, Je t’ai placé en sentinelle sur la maison d’Israël, tu écouteras ce que Ma bouche dira, et tu les admonesteras de Ma part.» En revanche, le prophète des nations creuse une brèche pour faire disparaître des créatures du monde. De plus, tous les prophètes d’Israël invoquent la clémence aussi bien pour Israël que pour les Nations tel qu’il est dit(7) :
«Aussi mon coeur gémit-il au sujet de Moab comme des flûtes funèbres.» Il est par ailleurs dit(8) :
«Toi, fils de l’homme, entonne une complainte sur Tyr.» Cependant [Bil’âm], ce cruel, s’apprête à détruire un peuple entier pour rien. Aussi cet événement est-il relaté pour préciser que le Saint béni soit-Il eut raison de priver les Nations de l’Esprit Saint. Bien qu’étant choisi, Bil’âm ne s’est point abstenu d’agir comme il l’a fait.»
Ce texte rapporté également par le Tanhouma et le Yalqout, rend bien compte du souci de D’ieu d’échapper à l’accusation d’injustice et de traitement de faveur envers les Bénè Yisraèl.
Certes Israël mérite d’être l’élu de D’ieu. Toutes les raisons invoquées justifient cette élection. En premier, l’usage fait des dons divins, usage utile et constructif qui vise surtout l’existence harmonieuse de la société. Le rôle des rois et des prophètes s’inscrit dans la poursuite de cet objectif.
Les nations utilisent, en revanche, les dons de D’ieu pour avilir ou détruire le monde. L’homme a le devoir d’obéir à la volonté de D’ieu. Néboukhad’nétsar la conteste. Il s’érige au contraire en divinité.
Les prophètes reprochent aux Bénè Yisraèl leur mauvaise conduite; ils les admonestent au nom de D’ieu. Ceux des Nations expriment sentiments cruels tant leur objectif est d’anéantir. Ainsi apparaît Bil’âm dont le comportement conforte le Saint béni soit-Il dans le choix du peuple d’Israël.
De toute évidence, la personnalité de Bil’âm laisse transparaître sa cupidité, son ambition démesurée ainsi que son orgueil. Ces défauts augmentés de la haine qu’il voue aux Bénè Yisraèlpoussent Bil’âm à accepter une mission malgré l’opposition et la réprobation des nations quant à l’utilisation des moyens pour la mener à son terme.
«[Balaq] envoya des messagers.»
Le Saint béni soit-Il, réalisant toujours des miracles, dit : Je vous délivre en produisant des miracles et vous désobéissez! Vous ayant délivré à sept reprises, [J’attends] sept louanges pour sept délivrances.
C’est ce que dit le texte(11) :
«Le Seigneur répondit aux enfants d’Israël, «ne vous ai-Je pas sauvés de l’Égypte et de l’Èmori, des enfants d’Ammone et des Philistins? Molestés par les Sidoniens, par Amalèq, par Maône, vous vous êtes plaints à Moi et Je vous ai délivrés de leur main.» En tout sept délivrances! Pourtant, vous désobéissez, adorant sept divinités tel qu’il est dit(12) :
«Or, les enfants d’Israël recommencèrent à faire ce qui déplaît au Seigneur, ils servirent les Béâlim et les Âchetarot, les dieux d’Aram, ceux de Sidone, ceux de Moab, ceux des Âmmonim, ceux des Philistins et ils abandonnèrent l’Ét’ernel au lieu de Le servir.»
Il leur reproche également(13) :
«Ô mon peuple! Que t’ai-Je fait? Comment te suis-Je devenu à charge»? Ai-je exigé de toi de M’offrir des holocaustes des bêtes de montagne?» Trois animaux sont à ta disposition : boeuf agneau et chevreau et sept ne sont point à ta disposition : le cerf, le chevreuil, le daim, le bouquetin, l’antilope, le zèmèr. Peut-être t’ai-Je contraint de M’offrir des animaux qui ne sont pas à ta disposition? Je ne t’ai ordonné que d’apporter ceux qui sont disponibles tel qu’il est dit(14) :
«Lorsqu’un veau, un agneau ou un chevreau viennent de naître.» Aussi est-il recommandé seulement du bétail : gros ou menu. Et lorsque Sihone et Ôg t’ont attaqué pour te combattre, ne les ai-Je pas livrés entre tes mains? Qu’ai-Je demandé en retour? Peut-être ai-Je réclamé l’offrande de sacrifice?
Balaq fils de Tsippor vit tous les prodiges réalisés pour vous : cela ne l’avait pas empêché de payer les services de Bil’âm [pour te maudire] mais J’ai transformé ses malédictions en bénédictions.»
De toute évidence, ce midrache constitue un véritable réquisitoire contre les Bénè Yisraèl qui n’apprécient pas tous les bienfaits de D’ieu en leur faveur et, par conséquent, se montrent réfractaires à la volonté divine!
Aux délivrances, Israël répond par l’infidélité. D’ieu est en droit de s’attendre à des actions de grâce ou, tout au moins, à des louanges. Même pour l’offrande des holocaustes et autres sacrifices, D’ieu n’entend point compliquer la tâche aux Bénè Yisraèl. Il suffit d’offrir des animaux domestiques, menu ou gros bétail, tous à leur portée.
Les conquêtes de Sihone et Ôg constituent des symboles pour l’histoire des peuples tant elles sont parfaitement prodigieuses. Pourtant, D’ieu ne réclame aucune reconnaissance particulière.
Bil’âm dont l’unique but consiste à détruire Israël est un cas d’espèces. Ses bénédictions forcées laissent transparaître toutes les malédictions qu’il réserve aux Bénè Yisraèl. Pourtant toutes les tentatives de Balaq et de Bil’âm sont réduites à néant devant la volonté divine de maintenir ses liens privilégiés avec Israël.
Le midrache invite Israël à se ressaisir et à témoigner en retour un amour particulier à D’ieu. Les liens privilégiés existant entre D’ieu et Son peuple incitent justement Balaq à faire appel à Bil’âm pour rétablir l’équilibre au profit des Nations.
Le Zohar(15) rapporte :
«Balaq vit. Rabbi Chimône s’interroge : Que vit-il? Il constate [à l’aide] de la sagesse comme il est dit(16) :
«Abimèlèkh, roi des Philistins, regardant par la fenêtre vit Yitshaq caresser Rivqa sa femme.» Par la fenêtre, c’est l’ouverture de la sagesse.»
Ainsi faut-il comprendre les textes suivants(17) :
«Balaq lui dit: «Viens, je te prie avec moi dans un autre lieu, d’où tu pourras voir ce peuple, tu n’en verras que les derniers rangs, tu ne le verras pas tout entier. Et maudis-le moi de là.» Il le conduit au plateau de Tsofim(18), sur la crête du Pisga.»
Rachi explique :
«Tsofim est une hauteur où la sentinelle, tsofè, , montait la garde pour le cas où une armée viendrait attaquer la ville. Sur la crête du Pisga, Bil’âm n’était pas si grand devin que Balaq. Celui-ci avait prévu que dans ce lieu une brèche se produirait en Israël, car c’est là que Mochè mourut. Il pensait donc : là, la malédiction tombera sur Israël, c’est la brèche que je vois.»
Balaq était un grand devin. Par sa science, il parvient à mieux voir que Bil’âm. Cette vision engendre un grand malheur pour le monde. Tenter de voir au-delà de ce qui est permis de connaître conduit non seulement à sa propre perte mais également à celle de toute personne épousant son point de vue.
Le midrache(19) rapporte :
«C’eût été mieux pour les impies d’être aveugles car leurs yeux entraînent le malheur pour le monde. A propos de la génération du déluge il est dit(20) :
«Les fils de la race divine virent que les filles de l’homme étaient belles.»
Par ailleurs(21) :
«Ham, père de Kénaâne, vit la nudité de son père». Il est écrit également(22) :
«Puis les officiers de Parô la virent [Sara] et la vantèrent à Parô.»
Là aussi il est dit: «Balaq ayant vu» D’ieu donne de bonnes dispositions à l’homme, mais les impies s’arrangent à transformer le bien en mal. Ainsi, la génération du déluge, les habitants de Sédom ne furent-ils amenés à fauter que parce que D’ieu leur a prodigué ses bienfaits. Ce fut la cause de leur perte(23).»
Le midrache souligne la faculté que les impies ont de transformer le bien que D’ieu met à la disposition de l’homme en mal. La Création est bonne. D’ieu veut le bien de l’homme. Cependant, au lieu de retenir l’aspect positif de toute chose, il n’y voit que mal et négation. La fausse perception qu’a l’homme le condamne à dénigrer et à déprécier tous les bienfaits divins. Tout regard impie porté sur le monde mène droit à la ruine.
Balaq fils de Tsippor, ayant vu tout ce qu’Israël avait fait à l’Èmori, Moab eut grand peur de ce peuple, parce qu’il était nombreux, et Moab trembla à cause des enfants d’Israël.
Balaq fils de Tsippor, ayant vu tout ce qu’Israël avait fait à l’Èmori.
Il est surprenant que Balaq apparaisse d’abord comme le fils de Tsippor et nom comme le roi de Moab. Le texte précise par la suite que «Balaq régnait sur Moab à cette époque.» S’agit-il d’une omission?
Balaq ayant vu,
S’agit-il d’une perception visuelle ou bien de l’annonce des conquêtes d’Israël? La peur, pour agir aussi fortement sur Balaq, est sûrement inspirée par le spectacle de la déconfiture de Sione et Ôg.
Le verbe voir, a souvent le sens d’entendre, tel qu’il est dit(24) : «Yaâqov a vu qu’il y a du blé en Mitsrayim» au lieu de Yaâqov a entendu.
Hatam Sofèr explique que Balaq, ayant des dons de voyance, eut par voyance, par pratiques occultes, ou à l’aide de sortilèges, la vision exacte de ce qu’Israël allait faire à Sione et Ôg. Et comme ses prévisions se sont avérées exactes, Balaq prit grand peur devant la puissance d’Israël.
Cette vision fit une forte impression sur Balaq qui perd aussitôt confiance en ses moyens.
Or ha-Hayim approuve une telle approche car, pour lui, Tsippor, ayant pour signification oiseau, était le médium servant de support à son don de voyance. Ainsi Balaq est-il avant tout fils de Tsippor puisque tous ses faits et gestes se conforment aux indications de l’oiseau. C’est donc par l’intermédiaire du Tsippor que Balaq a vu.
Moab dit aux anciens de Midyane : Bientôt cette multitude aura fourragé tous nos alentours, comme le boeuf fourrage l’herbe des champs! Or, Balaq, fils de Tsippor, régnait sur Moab à cette époque.
Balaq ayant vu la défaite de rois aussi puissants que Sione et Ôg, n’ose pas s’arroger le titre de roi car il est conscient de sa force et de ses limites.
Quelle est en fait la cause de la grande appréhension de Balaq? Que craint-il en somme? Les prodiges de D’ieu «ce qu’Israël avait fait à l’Èmori» ou bien son nombre «parce qu’il était nombreux»?
Moab dit aux anciens de Midyane : Bientôt cette multitude aura fourragé tous nos alentours,
Le midrache(25), soulignant la grande appréhension de Balaq, rapporte que Moab et Midyane furent des ennemis jurés. La peur qu’inspire Israël à ces deux peuples constitue la raison essentielle de l’établissement de la paix entre eux. Elle est à l’origine de la nomination d’un prince de Midyane comme roi. Cela fait penser à deux chiens qui se haïssent. Attaqués par un loup, ils se sont dit : «Tant que nous demeurons ennemis, le loup s’attaquera séparément à chacun de nous pour nous dévorer.» Ils s’unissent donc pour venir à bout du loup.
Or, Balaq, fils de Tsippor, régnait sur Moab à cette époque.
Aussi la Tora précise-t-elle que Balaq régnait «à cette époque» pour indiquer que la peur est la cause de son règne sur Moab, peur qui provoque le rapprochement et l’union entre Moab et Midyane.
Si Balaq fut le premier roi de cette coalition c’est en raison de la connaissance qu’il a, en tant que Midyani, de la puissance de Mochè qui fut élevé justement à Midyane.
Il envoya des messagers à Bil’âm, fils de Béôr, à Pétor qui est sur le Fleuve, dans le pays de ses concitoyens, pour le mander, en ces termes : Un peuple est sorti de Mitsrayim; déjà il couvre la face du pays, et il campe vis-à-vis de moi.
Il envoya des messagers à Bil’âm, fils de Béôr, à Pétor,
Balaq demande l’intervention de Bil’âm. Est-il si sûr, malgré le pouvoir de Bil’âm de bénir ou de maudire, que, pour Israël, elle serait efficace? Il faut que Balaq ait des raisons pour croire à l’efficacité de l’intervention de Bil’âm face à Israël!
Les prodiges et miracles de D’ieu, réalisés lors de ces deux batailles, associés à ses prévisions font que la peur de Balaq se transforme en panique, ce qui oblige Moab et Midyane à faire appel aux services de Bil’âm.
Pourquoi Bil’âm? Parce que, affirme Rachi, Bil’âm prédit la royauté à Balaq.
Le Midrache(26) souligne à ce propos que Moab, saisi de peur devant l’avance fulgurante des Bénè Yisraèl, consulte Midyane où grandit Mochè, leur libérateur, sur la cause de sa puissance. Apprenant donc qu’il tire sa force de sa parole, de ses prières, Moab et Midyane sollicitent l’aide de Bil’âm qui tire sa force également de sa parole, de sa bouche.
Néanmoins l’intervention de Bil’âm qui possède la capacité et le don de prophétie nous étonne. Le Midrache montre justement que D’ieu tente d’établir un équilibre entre Israël et les Nations. De plus, Il entend éviter le reproche d’injustice à l’égard des Nations.
Ainsi s’exprime-t-il(27) :
«Pourquoi le Saint béni soit-Il fait-Il reposer Son Esprit majestueux, , la Chékhina, sur un païen pervers? C’est afin que les Nations n’aient point l’excuse de dire : Avec des prophètes, nous aurions retrouvé le bon chemin. D’ieu leur accorde des prophètes mais ceux-ci s’emploient à briser les barrières morales du monde…»
Balaq, bien que compétent dans les sciences occultes, eut recours à Bil’âm pour maudire Israël car le pouvoir de Bil’âm, selon le Talmoud(28), réside dans le fait qu’il sait déterminer le moment de la colère de D’ieu. Quoique cet instant soit de très courte durée, Bil’âm arrive à faire coïncider sa malédiction à ce moment précis.
Pour le mander,
Balaq cherche, selon Or ha-Hayim, à convaincre Bil’âm de l’intérêt qu’il a d’accepter sa proposition. En effet, lo, pour lui, précise que Balaq vise surtout l’intérêt de Bil’âm qui, de ce fait, ne fera aucune difficulté à remplir la mission qu’il lui assigne.
Un peuple est sorti de Mitsrayim; déjà il couvre la face du pays, et il campe vis-à-vis de moi.
Mais Bil’âm, connaissant les liens d’affection unissant D’ieu à Israël, hésiterait à répondre à l’invitation de Balaq. En effet, étant un des trois conseillers de Parô, a-t-il pu se rendre compte du châtiment infligé aux Égyptiens et à Parô.
Balaq le rassure : «Voici un peuple sorti de Mitsrayim»; ce peuple n’a rien de commun avec ses Ancêtres qui, étant saints, ne sauraient être l’objet de malédiction. Ne dépendant pas des astres comme Abraham qui «était au dessus des astres du ciel», les Ancêtres échappaient aux phénomènes naturels; ils jouissaient d’une protection providentielle.
Ce peuple, en revanche, du fait qu’il est nombreux et cache la face de la terre se trouve détenteur de la sainteté de ses ancêtres en petite parcelle.
En outre, en signalant il campe vis-à-vis de moi, Balaq signifie le désavantage qu’il a d’être hors du pays d’Israël où justement il pourrait prétendre à une sainteté plus grande.
Pour ces trois raisons, Bil’âm, selon Balaq, n’aura pas de difficulté à les maudire.
Or ha-Hayim remarque, à juste raison, le double emploi du terme hinnè, voici, indiquant l’existence d’une situation inattendue et nouvelle. En vérité, il est surprenant que Balaq trouve nécessaire de donner ces deux informations à Bil’âm : Voici un peuple sorti d’Égypte et voici qu’il cache la face de la terre.
Informant Bil’âm de ces deux réalités, Balaq tente de le contraindre à se déplacer et non se contenter de maudire Israël à partir de son pays. Pour ce faire, Balaq lui rappelle qu’Israël est sorti d’Égypte contrairement à sa prédiction et aux assurances qu’il donne à Parô, en tant que conseiller(29).
De plus, Or ha-Hayim souligne, s’appuyant sur l’enseignement du Midrache(30), que Bil’âm fut à l’origine, par ses pratiques occultes, de la fermeture des portes de l’Égypte pour tout esclave. Israël était donc condamné à mener, en Égypte, une existence d’esclave. Mais contre toute attente, le voici libéré de ses chaînes.
Balaq signale, par ailleurs, que tous les conseils prodigués à Parô pour réduire la progression démographique d’Israël, les durs labeurs et la mort des enfants mâles jetés dans le Nil, eurent l’effet contraire. En effet, les Bénè Yisraèl sont si nombreux qu’ils cachent la face de la terre.
Et il campe vis-à-vis de moi.
Balaq insiste sur le danger que représente Israël pour lui. Il constate à longueur de journée, dans l’attitude d’Israël, des intentions belliqueuses. Le Midrache(31) souligne qu’Israël paradait, devant les frontières de Moab, armé et prêt à l’attaque.
Balaq tient donc à rappeler ces faits à Bil’âm pour bien lui indiquer, semble-t-il, qu’il ne dispose pour l’occasion que de son pouvoir de maudire. C’est à cet effet qu’il lui demande de se déplacer et non d’utiliser ses dons et facultés à distance.
Viens donc, je te prie, et maudis-moi ce peuple, car il est plus puissant que moi : peut-être parviendrai-je à le vaincre et le repousserai-je du pays. Car, je le sais, celui que tu bénis est béni, et celui que tu maudis est maudit.
Viens donc, je te prie.
Balaq se fait suppliant. Il implore Bil’âm de le secourir tant le danger est imminent. Lékha, signifie déjà viens s’il te plaît. Na, signifie également s’il te plaît. Pour Or ha-Hayim, ce terme exprime non la supplication mais l’urgence. Il le prie d’intervenir sans attendre.
Et maudis-moi ce peuple,
Balaq, par l’adjonction de li, pour moi, prie Bil’âm de maudire Israël afin que soient sauvegardés son royaume et ses intérêts personnels. Il souhaite une intervention précise consistant à maudire explicitement Israël.
Balaq insiste, cependant, pour que Bil’âm exprime activement son appui et non pas se limiter à la bénédiction qu’il lui avait adressée par le passé. Bil’âm ne saurait demeurer indifférent face à l’appel pressant de Balaq car, dit-il, ce peuple est plus puissant que moi.
La seule bénédiction ne suffirait pas tant qu’elle ne s’accompagne pas de malédiction à Israël. Les deux opérations sont, certes, nécessaires mais à peine suffisantes pour parvenir à vaincre Israël et à le repousser hors du pays.
Mais c’est compter sans la volonté de D’ieu qui justement tient à exprimer d’une manière manifeste à Bil’âm, en premier, que, pendant toute cette période, Il entend éviter, par amour pour Israël, de se mettre en colère.
Bil’âm l’avoue bien malgré lui(32) : «Comment maudirais-je celui que D’ieu n’a point maudit? Comment menacerais-je, quand l’Ét’ernel est sans colère»?
1. Bé-midbar 22, 26.
2. Bé-midbar Rabba chap.20, paragr.1.
3. Bé-midbar 22, 2.
4. Dévarim 32, 4.
5. Yéchâya 14, 14.
6. Yéhèzqèl 3, 17.
7. Yirmiya 48, 36.
8. Yéhèzqèl 27, 2.
9. Bé-midbar Rabba chap. 20, paragr.5.
10. Bé-midbar 22, 5.
11. Chofétim 10, 11 et 12.
12. Id. 6.
13. Mikha 6, 3.
14. Wayi-qra 22, 27.
15. Début de la sidra Zohar III p.368b.
16. Bérèchit 26, 8.
17. Bé-midbar 23, 13 et 14.
18. N.B. Tsofim, dérive de tsafo, contempler.
19. Bé-midbar Rabba 20, 2.
20. Bérèchit 6, 2.
21. Id. 9, 22.
22. Ibid 12, 15.
23. cf. Sanhèdrine 108a et 109a.
24. Bérèchit 42, 1.
25. Bé-midbar Rabba chap. 20, paragr. 4.
26. Yalqout paragr. 765.
27. Tanhouma sur la sidra paragr. 1.
28. Bérakhot 7a.
29. cf. Sota 11a.
30. cf. Mékhil’ta sur la Sidra de Yitro.
31. Bé-midbar Rabba chap. 20, paragr. 3.
32. Bé-midbar 23, 8.