Bil’âm, prophète ou imposteur ?

Israël se dirige vers le pays de Kénaâne. La traversée du désert tire à sa fin. Israël livre bataille sur son chemin à Sihone, roi de Hèchebone, et à Ôg, roi de Bachane. Ce sont deux batailles décisives, avant de se lancer à la conquête de Kénaâne. Déjà, le nom d’Israël fait trembler de frayeur tous les royaumes.

Balaq, roi de Moab, saisi de grand’peur, se tourne vers Bil’âm pour l’aider à se débarrasser d’Israël qui menace son pays.

Bil’âm est le prophète des Nations. Sa force, il la doit à sa parole. Son pouvoir est la malédiction qu’il prononce pour porter tort aux ennemis de ses adeptes. Balaq est un de ses adeptes. Il lui doit son règne. Bil’âm lui avait prédit : «Tu seras un jour roi!». Cette prédiction dépasse même les attentes de Balaq.

Au début, roi de Midyane, il devient roi de Moab. Pourtant, Midyane et Moab étaient, depuis toujours, ennemis. Ils conclurent un traité de paix par peur d’Israël. Voyant les victoires fulgurantes d’Israël, Moab se renseigne auprès de Midyane, où fut élevé Mochè, sur la particularité de leur chef. Voyant que la force de Mochè est dans sa bouche, les Moabites résolurent d’attaquer Israël par un homme dont la force est dans sa bouche.

Bil’âm, consulté, ne se déplacerait qu’avec le consentement de D’ieu. En effet, son intervention n’a de chance d’aboutir que si D’ieu lui prête son concours. Aussi refuse-t-il de suivre les envoyés de Balaq, n’ayant pas reçu l’autorisation de D’ieu ni pour maudire, ni pour bénir Israël.

Plutôt que d’avouer sa dépendance totale de D’ieu, Bil’âm suggère à Balaq d’envoyer des princes plus nombreux et plus honorables que les premiers. Bil’âm dévoile ainsi son côté orgueilleux et, plus tard, son ambition et sa cupidité puisque tous les honneurs de Balaq, tout son or et tout son argent ne viendraient à bout d’Israël si jamais il devait engager contre lui de nombreuses armées sans, toutefois, être sûr de sa victoire alors qu’avec sa malédiction Bil’âm était sûr de vaincre.

Malgré les refus de D’ieu, malgré ses déclarations répétées qu’il ne pourrait jamais contrevenir à la parole de D’ieu, Bil’âm, convoitant les honneurs miroités par Balaq, insiste auprès de D’ieu. Si D’ieu lui accorde Son autorisation, c’est uniquement pour révéler à tous Son amour pour Israël. Bil’âm, porte-parole des Nations, aura pour tâche cette fois d’exprimer haut et fort l’attachement de D’ieu pour Israël.

Se prête-t-il à cette mission? L’empressement qu’il met à suivre les envoyés de Balaq, l’identité de vues et de sentiments qu’ils nourrissent ensemble à l’encontre d’Israël, ne laissent pas présager de la constance de Bil’âm dans son obéissance à D’ieu. Se limitera-t-il à être un prophète, auquel cas il n’a d’autre choix que de se rapporter à la parole divine? Sera-t-il plutôt tenté par les honneurs et les appétits matériels? C’est là son dilemme. Aveuglé par ses ambitions et son orgueil, il ne résiste pas. Prophète, il fut, mais il ne sut point garder ce privilège.

Le Midrache(1), citant(2)  :

«Balaq, fils de Tsippor, ayant su tout ce qu’Israël avait fait à l’Èmori», rapporte : c’est bien ce qu’exprime le texte(3) :

«Lui, notre rocher, Son oeuvre est parfaite, toutes Ses voies sont la justice même», car le Saint béni soit-Il ne donne pas aux peuples païens l’occasion de Lui reprocher : Tu nous as éloignés et Tu ne nous as point traités comme Israël dans ce monde. Que fit le Saint béni soit-Il? Il dote Israël de rois, savants et prophètes, ainsi en dote-t-Il les peuples païens! Mais les rois, les prophètes et les savants d’Israël furent mis à l’épreuve en même temps que les rois, les prophètes et les savants païens. Chélomo règne sur toute la terre. Néboukhad’nètsar règne aussi tel qu’il est dit(4) :

«Même les animaux des champs, Je les lui livre pour qu’ils le servent

Le premier construit le Bèt ha-Miqdache et entonne des louanges et des suppliques. Le second le détruit, offense et s’insurge [contre D’ieu]. Il dit(5) :

«Je monterai sur les hauteurs des nuées, je serai l’égal du Très-Haut

Il octroie la richesse à David qui l’emploie pour acquérir une résidence pour Son nom. Il accorde la richesse à Hamane, mais il conduit tout un peuple au massacre.

Toute gloire accordée à Israël, le fut également aux autres peuples. Il désigne Mochè pour Israël, Il communique avec lui selon son désir. Il désigne, pour les peuples, Bil’âm et, Il lui parle à volonté.

Remarque la différence existant entre les prophètes d’Israël et les prophètes des Nations. Les prophètes d’Israël invitent à la vigilance les peuples pour ne point enfreindre les interdits ainsi qu’il est dit(6) :

«Je t’avais désigné comme prophète des Nations.» Les prophètes désignés parmi les peuples ouvrent des brèches pour priver les hommes du monde futur.

En outre, tous les prophètes [d’Israël] se comportent avec miséricorde aussi bien pour Israël que pour les Nations, car ainsi s’exprime Yéchâya(7) :

«Aussi mes entrailles gémissent sur Moab, comme gémit la harpe, et mon coeur sur Qir Hèrès.» Yéhèzqèl dit également(8) :

«Toi, fils de l’homme, entonne une complainte sur Tyr

Les prophètes des Nations, en revanche, se comportent avec cruauté. [Bil’âm] se dresse pour anéantir gratuitement un peuple entier, pour rien. Aussi le texte, parlant de Bil’âm, révèle-t-il la raison qui motive le Saint béni soit-Il à priver les Nations de l’Esprit saint. Celui-ci fut bien désigné [prophète]. Mais jugez-en par son comportement!»

De toute évidence, le souci du midrache est de laver D’ieu de toute accusation d’injustice ou du moins de préférence à l’égard d’Israël. Celui-ci, jouissant de la présence de prophètes, évolue sûrement dans son cheminement vers la perfection. La mission du prophète est d’être un phareun guide qui indique la voie à suivre pour réaliser un rapprochement avec D’ieu.

La vie quotidienne présente beaucoup d’obstacles, de handicaps difficiles à surmonter. Mais le prophète est là pour faciliter ce rapprochement. Maintes fois, il adresse des reproches, fustige les récalcitrants, galvanise les indécis afin de les mettre sur le chemin qui mène droit à D’ieu et à la perfection.

L’humanité, dans son ensemble, mérite également d’être prise en mains par des prophètes. Les Nations ne sont-elles pas aussi concernées par un retour à la perfection? Certes, D’ieu tient à ce qu’elles soient traitées de la même manière qu’Israël. Ayant leurs rois, leurs sages et leurs prophètes, elles seront en mesure de viser l’excellence dans la conduite morale. Étant tous des fils de D’ieu, tous les hommes sont en droit de s’attendre aux mêmes égards que D’ieu accorde à Israël.

Le midrache introduit justement son propos par l’affirmation solennelle de l’intégrité et de la justice de D’ieu. Étant parfait, D’ieu respecte dans toutes Ses voies la justice. En effet, D’ieu ne saurait souffrir l’injustice tant au niveau de l’homme qu’à Son niveau.

Cependant, D’ieu sait pertinemment que ni les Nations ni leurs prophètes ne sont prêts à suivre les voies divines et la perfection morale. La présence d’un prophète auprès des Nations n’ajouterait absolument rien car leur tendance est de ne reconnaître que les valeurs matérielles. Tous les efforts pour les en détacher seront inutiles. Elles rejettent la Tora parce que leur nature s’oppose à ses principes essentiels et à sa nature.

Mais, malgré Ses réticences à traiter à égalité les Nations avec Israël, D’ieu se résout à désigner rois, sages et prophètes et ce, dans le but de montrer, aux yeux de tous, que la perspective des Nations ne changera pas pour autant.

Ainsi, l’exemple du roi pour Israël est Chélomo. Il règne sur tous par sa sagesse et sa richesse. Il les utilise non à des fins personnelles mais pour la gloire de D’ieu. Le Bèt ha-Miqdache est le lieu de résidence de la Chékhina, autrement dit le lieu d’où émane la vérité, et qui diffuse la perfection. Il se met au service de D’ieu et d’Israël.

Néboukhad’nètsar règne, lui aussi, sur le monde. Tout se plie à son autorité. Saura-t-il apprécier ce don du ciel et se mettre également au service de la Souveraineté de D’ieu? Non! Il s’attache à Le nier, s’insurge contre Lui. Il détruit le Bèt ha-Miqdache pour souligner sa négation de D’ieu, de la vérité et de l’idéal de perfection morale.

Ainsi, là où les efforts tendent vers l’établissement d’un ordre idéal et rationnel des valeurs morales et vertus élevant l’homme à un niveau spirituel, un ordre où D’ieu et la Tora sont ses uniques points de référence, Néboukhad’nètsar et ses acolytes s’emploieront pour plonger le monde dans les ténèbres et rejeter l’homme dans l’abîme de l’immoralité.

David met sa richesse à la disposition de D’ieu. Il acquiert avec son argent le terrain où sera érigé plus tard le Bèt ha-Miqdache. La richesse n’est pas une fin en soi. Elle doit servir pour un principe supérieur. Sans Bèt ha-Miqdache, l’unité du peuple n’est pas cimentée. Il faut préparer le terrain pour que Chélomo, son fils, réalise le projet d’unité et de perfection du peuple.

Hamane, en revanche, met sa richesse pour anéantir le peuple juif et détruire son unité chèrement acquise, malgré l’exil et les persécutions, grâce à la Tora.

L’exemple de Hamane justifie le fait que D’ieu n’accorde point aux Nations un traitement égal à celui d’Israël, étant assuré à l’avance du mauvais usage que celles-ci feraient des dons divins.

Comme prophète, Bil’âm reçoit le même traitement que Mochè. D’ieu communique avec lui comme Il communique avec Mochè. Ce privilège, à lui seul, devrait inspirer Bil’âm à plus de retenue et de respect. D’ieu lui a tout donné afin qu’il campe aux yeux des Nations le prophète dont la principale mission est de les ramener à la vérité et à la perfection.

Certes, des prophètes d’Israël, Yirmiya et Yéhèzqèl se sont adressés aux peuples pour les rendre meilleurs leur reprochant leurs faits, leur conduite. Mais D’ieu s’attend à ce que Bil’âm le fasse avec plus d’efficacité, étant en mesure de parler leur langage et connaissant leurs débordements. Les Nations seraient plus sensibles au discours d’un des leurs qui leur apporterait un message de vérité et de perfection morale.

Mais c’est compter sans la tendance de Bil’âm à la cupidité, à l’ambition démesurée et à l’orgueil maladif. Pour servir ses propres intérêts, il passe outre les avertissements de D’ieu. Qui mieux que Bil’âm sait combien D’ieu aime Israël? Il n’accepterait pas, par conséquent, que l’on s’attaque à lui. Mais comptant recevoir, en retour, une récompense importante, Bil’âm est prêt à scruter, à attendre, à séduire et à parlementer avec D’ieu afin d’attirer, sur Israël, la malédiction.

Bil’âm parvient à déterminer le moment de colère de D’ieu. Il ne se passe pas de jour sans un instant où D’ieu verse dans la colère. Bil’âm en sera pour ses frais. D’ieu refuse de se mettre en colère pour bien signifier que rien ne Le fera revenir sur Sa décision de protéger Israël.

Bil’âm ne s’avoue pas vaincu. Il comprend peu à peu le glissement qui s’opère dans ses relations avec D’ieu. Il ne jouit plus de la même considération. Mais, au lieu de se rattraper et revenir vers D’ieu, il se laisse abandonner à telle enseigne que de prophète, il se dégrade pour verser dans la divination et la magie.

Abandonné par D’ieu, chassé par Balaq qui ne croit plus en ses vertus, Bil’âm franchit le pas qu’il n’a jamais voulu franchir. Il conseille à Balaq de commettre une action que les Nations s’interdisent. La débauche, haïe de D’ieu, est proposée afin d’attirer sur Israël la colère divine. Balaq et Bil’âm fomentent un complot contre Israël. Les filles de Midyane entraîneront les Bénè Yisraèl à adorer Péôr, . Voilà Bil’âm reniant ses propres valeurs par haine pour Israël.

Sans doute parvient-il à ses fins. En adorant la divinité de Péôr, Israël provoque la colère de D’ieu. Nombreuses sont les victimes qui tombent sans coup férir. Car plus de 24,000 sont tombés.

Ainsi, Bil’âm n’a-t-il pu garder son statut de prophète. L’intérêt et son orgueil personnel passent avant l’amour qu’il doit témoigner à D’ieu. Son ambition et sa cupidité eurent raison de l’attachement à l’idéal de vérité et de perfection morale. Bil’âm franchit allègrement le pas qui le sépare de prophète à imposteur.

1. Tanhouma sur la Sidra paragr. 1.

2. Bé-midbar 22, 2.

3. Dévarim 32, 4.

4. Yirmiya 27, 6.

5. Yéchâya 14, 14.

6. Yirmiya 1, 5.

7. in. chap. 16, 11.

8. in. chap. 27, 2.

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