Israël dans le désert
Israël, sorti d’Égypte, s’installe au désert. Il y séjourne pendant quarante années. Ne devait-il pas se diriger vers Kénaâne, terre promise à Abraham, Yitshaq et Yaâqov pour leur descendance?
Ce séjour au désert est, tout compte fait, nécessaire. C’est là qu’Israël puise foi et confiance en D’ieu. Le destin d’Israël se forge donc à la fois dans l’exil d’Égypte et dans les pérégrinations du désert.
Le Midrache(1) citant le texte(2) :
“L’Ét’ernel parla en ces termes à Mochè dans le désert du Sinaï…“, rapporte : C’est bien ce qu’exprime le texte(3) :
“Ô génération [ingrate], considérez donc la parole de l’Ét’ernel : Ai-Je été un désert pour Israël ou une terre ténébreuse?…” Le Saint béni soit-Il s’adresse ainsi à Israël après leur reproche à Mochè(4) :
“Et pourquoi avez-vous conduit le peuple de D’ieu dans le désert pour y périr, nous et notre bétail?” : Ai-je été un désert pour Israël? Vous ai-Je rendu comme un désert? Ou Me suis-Je conduit avec vous comme dans un désert? D’habitude, lorsqu’un roi, en chair et en sang, s’installe au désert, y trouve-t-il ses aises, le manger et le boire comme dans son palais? Pourtant vous, vous étiez des esclaves en Égypte, et Je vous ai tirés de là pour vous installer dans l’un des meilleurs [pays du monde] ou (selon une autre version, dans les meilleurs lits), tel qu’il est dit(5) :
“D’ieu fit donc dévier, wa-yassèb, le peuple du côté du désert“. Que signifie wa-yassèb? [D’ieu] attable [les Bénè Yisraèl] étendus sur leur lit, comme des rois. Je ne les fais point souffrir, ne serait-ce que par la présence de trois insectes. De plus, Je leur envoie trois libérateurs pour les servir tel qu’il est dit(6) :
“Je suscitai Mochè, Aharone et Myriam…“. Grâce au mérite de Mochè, vous avez mangé la manne selon le texte(7) :
“Oui, il t’a fait souffrir et endurer la faim, puis il t’a nourri avec cette manne que tu ne connaissais pas et que n’avaient pas connue tes pères…“.
Grâce au mérite de Aharone, Je vous entoure de nuées de gloire selon le verset(8) :
“L’Ét’ernel les guidait, le jour, par une colonne de nuées qui leur indiquait le chemin; la nuit, par une colonne de feu…“, et il est dit par ailleurs(9) :
“Il déploya une nuée comme un voile protecteur, un feu pour éclairer la nuit“. Il y avait sept nuées : au-dessus, au sol, aux quatre directions du monde, et une nuée qui, leur indiquant le chemin, tuait serpents et scorpions, nivelait montagnes et vallées, brûlait épines et buissons, dégageant une fumée que tous les rois d’Orient et d’Occident apercevaient, et les païens disaient(10) :
“Qu’est-ce ceci qui s’élève du désert, comme une colonne de fumée…” Il est écrit par ailleurs(11) :
“Tes vêtements ne se sont pas usés sur toi“. L’enfant, en grandissant, voit son habit et son vêtement grandir avec lui.
Le puits est en récompense pour le mérite de Myriam qui chante le cantique sur la mer. Rabbi Bérakhya ha-Kohène dit au nom de Rabbi Léwi : Lorsqu’un roi, en chair et en sang, délègue dans une ville des personnages pour veiller à leurs affaires et les juger, n’est-ce pas les habitants de cette ville qui se préoccupent de les nourrir? Mais le Saint béni soit-Il n’agit pas ainsi : Il envoie Mochè, Aharone et Myriam tel qu’il est dit(12) :
“Je suscitai Mochè, Aharone et Myriam” dont le mérite suffit à diriger Israël.”
Le but essentiel de ce midrache est de souligner les bienfaits de D’ieu. La rétrospective des quarante années passées dans le désert suffit. Elle illustre suffisamment la sollicitude et la bienveillance divines à l’égard d’Israël.
L’expérience du désert donne à penser, il est vrai, aux nombreux sacrifices que doit consentir l’homme, aux dangers quotidiens auxquels il aura à faire face. Nombreux sont les inconvénients relatifs à un séjour au désert même s’il ne s’agit que pour une courte durée.
Ainsi un tel séjour jette l’homme dans un désarroi total. L’immensité du désert, les différences de température allant d’un extrême à l’autre, l’aridité, le manque d’eau, la présence de bêtes sauvages et de reptiles dangereux, sont autant d’éléments à affronter pour survivre.
Telles sont les conditions qu’affronte tout un peuple, hommes, femmes et enfants, pendant quarante années. Il y a lieu donc de s’interroger sur la nécessité de ce séjour.
Lorsque D’ieu fit sortir les Hébreux d’Égypte, Son intention fut de les diriger vers Kénaâne aussitôt après le don de la Tora. Car la Tora constitue l’objectif premier pour la libération des Hébreux. Le texte dit à ce propos(13) :
“[D’ieu] répondit : “C’est que Je serai avec toi, et ceci te servira à prouver que c’est Moi qui t’envoie : quand tu auras fait sortir ce peuple de l’Égypte, vous adorerez le Seigneur sur cette montagne même.”
Il est donc évident que, dans une telle perspective, D’ieu veuille préparer Israël à son existence future en Kénaâne. Une vie conforme aux préceptes de la Tora.
Mais Israël vient à peine de sortir d’Égypte, pays aux mœurs dépravées et immorales. Il y vécut pendant 210 ans, assimilant toutes ses valeurs matérialistes et païennes. Israël a donc besoin de faire le vide, le nettoyage pour se débarrasser de toutes les coutumes égyptiennes.
La nature même du pays de Kénaâne exige une purification morale d’Israël. Grâce à son passage dans le désert où, bénéficiant d’une conduite surnaturelle, miraculeuse, Israël parvient non seulement à faire table rase des mœurs égyptiennes, mais à se conformer surtout conformément à la Tora. Le séjour au désert devait en tout état de cause dépolluer l’esprit du peuple et le débarrasser de toute l’impureté contractée en Égypte.
Par ailleurs, D’ieu donne ainsi à Israël l’occasion d’apprécier tous Ses bienfaits afin de le lier à la Tora par des liens solides. La Tora nécessite, pour qu’Israël l’assimile et la développe, un lieu où les soucis et les plaisirs de la ville sont inexistants. Ainsi Israël appartient totalement à D’ieu. Dépendant de la volonté divine, Israël fait montre d’une disponibilité sans faille. Le peuple n’a d’autre choix, dans le désert, que de vivre pour D’ieu, être toujours prêt à lui obéir et à écouter ses enseignements. De toute évidence, le désert permet à Israël de renouer avec sa véritable nature qui connaîtra son expression parfaire lors de l’établissement en Kénaâne.
Cependant, Israël agrée-t-il le choix divin ? Il se lamente souvent à propos de son expérience dans le désert. Maintes fois il reproche à Mochè de l’avoir conduit au désert. Dans sa révolte, il ne retient que les inconvénients, la faim, la soif et l’hostilité des lieux et du climat. Il se plaint de ce qu’on l’ait sorti d’un pays fertile et beau pour l’exposer aux dangers mortels du désert.
Le prophète Yirmiya s’inscrit en faux contre une telle approche. Il s’exclame : “ô génération ingrate!”. L’ingratitude réside dans la transformation de la réalité. Le bienfait divin est mal interprété : il devient plutôt une entrave ou un châtiment. D’ieu ne saurait assumer un tel reproche. “Ai-je été un désert pour Israël ou une terre ténébreuse?”.
Bien au contraire, Israël était esclave en Égypte. Cette terre est celle où Israël connut les affres de l’asservissement, son horizon était obscur, ténébreux. Il n’a jamais pu se détacher de sa condition d’esclave. N’était l’intervention divine, Israël serait encore soumis aux pires persécutions de ses oppresseurs. Mais D’ieu décide de l’en délivrer.
Comparé à un roi quittant son palais pour aller s’établir dans un désert, Israël est mieux logé, car pour lui, le désert prend des allures d’un véritable palais.
Le midrache souligne que, grâce à son séjour dans le désert, Israël accède à la véritable liberté. Celle-ci s’exprime surtout par la manière différente de prendre ses repas. En Égypte, Israël mange en hâte, n’étant pas maître de son temps. Mais à sa libération, dans le désert, D’ieu donne à Israël la liberté de s’attabler comme des êtres libres, comme des rois. Il peut prendre tout son temps. Être libre revient à pouvoir disposer de son temps.
Plus encore, pour mieux jouir de la liberté que rien ne doit venir assombrir, D’ieu prend la précaution de ne jamais gêner Israël par la présence d’insectes. Les insectes ne manquent pas dans un désert. Pourtant, D’ieu évite également cet inconvénient à Israël. D’ieu évite ainsi à Son peuple toute entrave extérieure à l’exercice de la liberté. L’épanouissement du peuple passe également par l’existence de conditions matérielles les meilleures.
Les bienfaits divins ne s’arrêtent pas là. D’ieu conduit Israël au désert, certes! Mais, Il lui fournit trois chefs, trois libérateurs qui contribuent, chacun à sa manière, à procurer au peuple le nécessaire. Ainsi, Mochè assure par son mérite le pain quotidien. Pendant quarante années, D’ieu fournit aux Bénè Yisraèl la manne. C’est le pain des êtres célestes, un pain aux vertus extraordinaires puisque “la manne, dit Rachi(14), était entièrement assimilée par les organes”. Le texte dit(15), en effet : “Il les nourrit à satiété d’un pain du ciel.” Combien grand fut ce privilège! Chaque matin, trouver la quantité de manne nécessaire pour la journée. Israël peut ainsi investir tout son temps dans l’étude de la Tora.
Cependant, pour mieux apprécier la manne, il fallut que D’ieu les eût “fait souffrir et endurer la faim”, car rien n’a autant de valeur et d’importance que ce qui arrive au moment où le besoin se fait sentir.
Le mérite de Mochè fait qu’Israël eut la manne. En effet, Mochè, homme de D’ieu, se nourrissant lui-même tel un être céleste, est seul capable de donner au peuple d’Israël une nourriture dont le goût se transforme au gré du consommateur.
Aharone procure à Israël la protection des nuées. Difficile de supporter ce climat aride et désertique. La chaleur du jour, le froid la nuit, les bêtes et les reptiles, sont autant d’obstacles à la vie au désert. Les nuées sont là pour assurer au peuple leur protection. Une colonne avançant, détruisait tout obstacle entravant l’avance des Bénè Yisraèl. Elle tuait scorpions et serpents, aplanissait les montagnes, nivelait les vallées, brûlait épines et buissons. Grâce à ces nuées, Israël jouissait de la considération des Nations, leur avance étant visible au loin.
Aharone est l’homme qui, toute sa vie durant, protégeait l’unité et l’harmonie d’Israël. Aimant la paix, poursuivant la paix, aimant les êtres humains et les rapprochant de la Tora, tel était Aharone(16). En outre, sa mission était de veiller à la pérennité du peuple d’Israël. Aussi, pour cette raison, eut-il le mérite de donner à Israël cette protection.
Les nuées traitent également les vêtements que portait le peuple, si bien que, durant les quarante années, nul n’a vu son vêtement se déchirer ni s’user. Ainsi s’exprime Rachi(17) :
“Les nuées de Gloire nettoyaient et blanchissaient leurs effets devenus semblables à des vêtements rappropriés; les enfants aussi, au fur et à mesure qu’ils grandissaient, leurs vêtements grandissaient avec eux, comme la coquille de l’escargot pousse avec lui.”
Grâce à Myriam, un puits accompagnait les Bénè Yisraèl dans le désert. Le midrache souligne qu’en récompense du cantique qu’elle chante sur la Mer Rouge, Myriam procure ce puits aux Bénè Yisraèl. Le manque d’eau tournerait simplement au drame. Les deux fois où ils avaient ressenti ce manque, ils se révoltèrent tant leur soif était grande et les condamnait à une mort certaine.
Ainsi donc Mochè, Aharone et Myriam furent non seulement les artisans de leur sortie d’Égypte, mais aussi ceux qui, par leur mérite, avaient permis leur survie dans le désert. Leur intervention contribue à assurer à Israël les bienfaits divins.
Néanmoins, Rabbi Bérakhya va plus loin. Pour lui, il eut été plus logique de voir Israël se préoccuper du bien-être des délégués divins. Contrairement à ces ministres ou ces hauts fonctionnaires envoyés par le roi pour le représenter dans une de ses villes dont le couvert et le gîte doivent être assurés par les habitants de la ville, ce sont Mochè, Aharone et Myriam qui prirent en charge les Bénè Yisraèl. Chacun apporte sa contribution spécifique pour assurer la survie d’Israël.
Leur mérite, il est vrai, compte pour beaucoup. Mais tous ces prodiges, tous ces bienfaits ne sont possibles que parce que D’ieu entend préparer Âm Yisraèl à une existence sur la terre de Kénaâne dans le respect de la Tora. Cela ne devient possible qu’après un séjour au désert où Israël se rend à l’évidence de l’exercice quotidien de la Providence qui le contraint à une fidélité absolue à D’ieu.
1. Tanhouma sur la Sidra paragr. 2.
2. Bé-midbar 1, 1.
3. Yirmiya 2, 31.
4. Bé-midbar 20, 4.
5. Chémot 13, 18.
6. Yéhochouâ 24, 5.
7. Dévarim 8, 3.
8. Chémot 13, 21.
9. Téhillim 105, 39.
10. Chir ha-chirim 3, 6.
11. Dévarim 8, 4.
12. Yéhochouâ 24, 5.
13. Chémot 3, 12.
14. Bé-midbar 21, 5.
15. Téhillim 105, 40.
16. cf. Avot chap. 1, 12.
17. Dévarim 9, 4.