Israël se venge Ide Midyane

«L’Ét’ernel parla ainsi à Mochè : «Exerce sur les Midyanites la vengeance due aux enfants d’Israël; après quoi tu seras réuni à tes pères». Et Mochè parla ainsi au peuple : «Qu’un certain nombre d’entre vous s’apprêtent à combattre; ils marcheront contre Midyane, pour exercer sur lui la vindicte de l’Ét’ernel. Mille par tribu, mille pour chacune des tribus d’Israël, seront désignés par vous pour cette expédition.»On recruta donc, parmi les familles d’Israël, mille hommes par tribu; en tout douze mille, équipés pour le combat. Mochè les envoya en campagne, mille par tribu; et avec eux, pour diriger l’expédition, Pinhas, fils d’Èl’âzar le pontife, muni de l’appareil sacré et des trompettes retentissantes; et ils livrèrent bataille à Midyane, comme l’Ét’ernel l’avait ordonné à Mochè, et ils tuèrent tous les mâles(1)

Sur le conseil de Bil’âm, Midyane lance ses filles pour pervertir Israël et l’entraîner à l’idolâtrie. Cette opération provoque, sans coup férir, la mort de plus de 24 000 âmes. Grâce à l’acte de bravoure de Pinhas qui, ayant tué Zimri, prince de la tribu de Chimône, et Kozbi, fille du roi de Midyane, apaise la colère divine, D’ieu renonce à l’extermination d’Israël.

Cependant, D’ieu demeure courroucé contre Midyane. Il considère Midyane responsable du fléau qui avait décimé une partie importante d’Israël. Bien plus, Midyane se trouve accusé d’avoir provoqué la mort physique et morale des Bénè Yisraèl. Aussi demande-t-il à Mochè de venger les Bénè Yisraèl. Ce sera là sa dernière mission.

Le Midrache(2), abordant le texte(3) :

«Exerce sur les Midyanites la vengeance due aux enfants d’Israël; après quoi tu seras réuni à tes pères», rapporte :

Rabbi Yéhouda dit : Si Mochè voulait, il aurait pu vivre de nombreuses années. D’ieu lui dit en effet : «Exerce la vengeance, après quoi tu seras réuni à tes pères.»

Les Écritures relient la mort [de Mochè] à [la vengeance exercée sur] Midyane. Toutefois, elles font l’éloge de Mochè. Il s’est dit : pour que je puisse vivre, dois-je retarder la vengeance d’Israël? Aussitôt(4) :

«Mochè parla ainsi au peuple : «Qu’un certain nombre d’entre vous s’apprêtent à combattre…». Des hommes, autrement dit des Justes, tel qu’il est dit(5) :

«Choisis [pour nous] des hommes…» [Autrement dit des hommes semblables à nous, Mochè et Yéhochouâ]; c’est également le sens de la citation(6) :

«Alors qu’un lourd sommeil pèse sur les hommes.»

Il est dit(7)

«Pour exercer la vindicte de l’Ét’ernel.» Le Saint béni soit-Il parle de la «vengeance des enfants d’Israël» et Mochè rapporte «la vindicte de l’Ét’ernel» à exercer sur Midyane.

Le Saint béni soit-Il dit : Je réclame justice [des Midyanites] pour le mal que Je vous fit subir.

Mochè répond : Maître des Mondes, si nous étions des incirconcis, des idolâtres reniant les mitswot, ils ne nous auraient jamais haï. Ils ne nous persécutent que pour la Tora et les mitswot que Tu nous as données. Aussi, la vindicte est pour Toi, pour exercer la vengeance de l’Ét’ernel sur Midyane.»

Le midrache propose un aspect encore inconnu de la perfection de Mochè. Mochè se distingue certes par son grand souci de l’application stricte et rigoureuse de la volonté de D’ieu. Pour quelle raison cherche-t-il une fois de plus à souligner cette vertu?

En vérité, la vie n’a de sens que si l’homme fait tout pour accomplir la volonté divine. Chaque instant passé dans la pratique de la Tora et des mitswot a une valeur inestimable. Selon l’enseignement de Rabbi Yaâqov dans la Michena(8) : «Une heure de pénitence et de bonnes oeuvres dans ce monde est meilleure que toute la vie future», qui donc est mieux que Mochè pour investir tous les moments de sa vie dans l’accomplissement de la Tora? N’eût-il pas été préférable de retarder sa mort pour profiter justement des jours à vivre dans la pratique des mitswot?

En effet, l’enseignement de Rabbi Yéhouda l’atteste, Mochè pouvait envisager cette possibilité. D’autant plus que D’ieu n’a pas imposé un délai à la vengeance de Midyane! L’essentiel était de le faire peu avant sa mort. Celle-ci dépend d’ailleurs de cette vengeance.

Mais la vertu essentielle de Mochè consiste à être toujours disponible. L’ordre divin ne souffre point de retard. Le mettre en attente revient à se détacher de D’ieu. Il faut donc passer à l’acte, même au prix de sa vie. Car le détachement de D’ieu est plus grave que la mort. Et Mochè n’est pas prêt à vivre un seul instant détaché de D’ieu.

En outre, la vengeance d’Israël ne doit pas non plus souffrir de retard. Mochè aime tant Israël qu’il ne consent pas à reléguer à plus tard la vengeance. Souvent, il a prouvé qu’il était prêt à sacrifier sa vie pour Israël. Pourquoi ne le ferait-il pas maintenant que D’ieu lui en donne la possibilité? D’autant plus qu’il s’agit de voir les ennemis d’Israël subir en retour le mal qu’ils lui ont fait.

Pour ce faire, Mochè demande à Israël de choisir des combattants dignes qui, grâce à leur perfection morale au moment du danger, feraient taire l’accusation à propos de l’idolâtrie de Péôr et de la débauche avec les filles de Midyane. Le principe est : jamais un accusateur ne saurait devenir un défenseur. Les hommes vertueux, parce que n’ayant pas succombé aux filles de Midyane, sont seuls à pouvoir réaliser cette vengeance.

Reste à savoir pour quelle raison Mochè transforme l’ordre divin? S’agit-il de venger D’ieu ou de venger Israël? Pour D’ieu, Midyane est coupable. Il est responsable du fléau qui a décimé Israël. D’ieu a été forcé de frapper Israël sachant bien au départ que la faute revient aux Midyanites. Il est donc grand temps de leur faire subir les conséquences de leurs actes. C’est donc justice que de venger Israël.

Mais Mochè y voit la vengeance pour D’ieu, car Israël n’est l’objet de l’opprobre et de la haine que parce qu’il a accepté d’assumer la loi de D’ieu. Depuis que la Tora a été révélée à Sinaï, la sin’ala haine, des peuples s’exerce sur Israël. Ils veulent Israël semblable à eux, non différent et porteur d’un idéal. C’est cela même que Mochè retient de l’hostilité des peuples envers Israël. Venger Israël revient à venger en fait D’ieu qui a fait Israël différent des autres, un peuple au service de l’idéal de la Tora, au service de D’ieu.

L’Ét’ernel parla ainsi à Mochè : «Exerce sur les Midyanites la vengeance due aux enfants d’Israël; après quoi tu seras réuni à tes pères.»

L’Ét’ernel parla ainsi à Mochè.

Or ha-Hayim, citant le midrache Tanhouma, tente de justifier l’emploi de wa-y’dabbèrparole dure et cassante.

Mochè supplie D’ieu de le laisser en vie, lui, qui eut le privilège d’assister à tant de prodiges réalisés pour le peuple d’Israël. Mais dans Sa réponse, D’ieu lui rappelle justement que s’il tient à rester en vie, Israël ne pourrait pas exercer sa vengeance sur Midyane.

La parole est dure car Mochè se plaint de la rigueur du décret divin, car la vengeance sera aussitôt suivie de sa mort. D’ieu regrette Sa propre décision. Aussi, pour cette raison, l’usage de lèmorlangage doux et tendre, tente-t-il de calmer et d’apaiser l’amertume de Mochè.

La parole divine est exprimée comme à l’accoutumée de manière impérative. Mochè a le devoir de venger Israël. Il a le pouvoir de le faire. Mais il faut l’annoncer à Israël bien que sa fin en dépende. Mochè aura donc l’occasion unique d’accomplir la volonté divine même au prix de sa vie. C’est ainsi qu’il peut appliquer(9) : «Tu aimeras l’Ét’ernel, D’ieu, de tout ton coeur et de toute ton âme..»

Exerce sur les Midyanites la vengeance due aux enfants d’Israël.

Pour quelle raison l’ordre divin n’est pas adressé aux Bénè Yisraèl? Est-il possible d’entreprendre ce combat sans l’aide des Bénè Yisraèl?

Rav Alchèkh établit une différence entre les Moabites et les Midyanites. Les premiers se sont adressés au peuple au niveau moral bas, aux imparfaits. Tandis que les Midyanites avaient perverti les justes et parfaits. Ceux-ci, ayant succombé à la faute de l’idolâtrie de Péôr, se sont dégradés. Mochè aurait dû agir personnellement contre Zimri qui conteste la validité de son mariage. Mais l’absence de réaction de Mochè, quoique condamnable, semble être voulue par D’ieu afin que Pinhas puisse prétendre à sa récompense.

La vengeance des Midyanites revient autant à Mochè qu’à Pinhas. Plus que tout autre, Mochè, dont l’épouse est Midyanite, aurait dû réagir vigoureusement afin qu’il ne soit pas accusé de traitement de faveur à l’égard de Zimri. Pinhas, en raison de sa mère, Midyanite également, doit combattre les Midyanites et non Èl’âzar qui est Kohène Gadol.

Cette absence de réaction aurait pu troubler le repos éternel de Mochè. Aussi D’ieu lui recommande-t-il, pour lui prouver Son affection particulière, de se venger des Midyanites. Par ailleurs, si la vengeance se produisait après la mort de Mochè, les Midyanites trouveraient à dire que jamais celui-ci, de son vivant, ne les aurait traités avec autant de cruauté et de sévérité. D’ieu voulait donc éviter une telle accusation.

D’ieu parle de la vengeance d’Israël, et Mochè transforme en la vindicte de D’ieu. Pourquoi?

Le texte répète néqom niqmatevenge la vengeance, parce qu’il s’agit de deux vengeances en fait.

La première, les Midyanites ayant incité Israël à l’idolâtrie, réclame donc une réparation au nom de la gloire divine.

La deuxième venge la mort de 24 000 âmes qui avaient succombé par la faute des Midyanites.

D’ieu réclame cette vengeance davantage au nom de son amour pour Israël. Néanmoins, Mochè transmet l’ordre divin en soulignant que la vengeance ne peut être entreprise que pour l’honneur bafoué de D’ieu.

Rambane et Rabbènou Béhayè rappellent que D’ieu donne ainsi la possibilité à Mochè de voir Israël vengé pour le mal fait par les Midyanites.

Le repos de Mochè ne sera point troublé puisqu’il aura assisté à la chute et au châtiment des ennemis d’Israël. L’Ét’ernel fait donc une faveur à Mochè en lui permettant de jouir de la chute des Midyanites.

Or ha-Hayim voit dans la répétition néqom niqmate non pas un ordre personnel à Mochè de diriger le combat lui-même, puisque le texte ne parle à aucun moment de sa participation, mais plutôt d’organiser cette bataille au niveau de la stratégie pour s’assurer de la victoire. Son devoir se borne à décider du nombre des combattants et de l’ordre à suivre dans le déroulement du combat. De plus, fallait-il penser à la vengeance elle-même.

Le choix des combattants est important car il fallait écarter tout homme ayant succombé au péché de Péôr en acte ou par la pensée. Le choix se limite donc aux hommes parfaits auxquels on ne saurait reprocher une relation quelconque avec les Midyanites.

Rav Alchèkh remarque, à juste raison, qu’Israël, coupable d’idolâtrie, perd dans l’épidémie qui le décime 24 000 hommes. En revanche, la vengeance s’opère avec 12 000 hommes, justes et parfaits, qui reviennent tous du combat sains et saufs. Pour ce faire, il est nécessaire que tous soient parfaits. Autrement le succès de l’entreprise et l’issue du combat seraient compromis.

Rachi précise que la vengeance s’exerce sur les Midyanites, non sur les Moabites, car ces derniers se sont mêlés à l’affaire par crainte d’être pillés. En effet, il est seulement dit(10) :

«N’engage pas de combat avec eux.» Mais les Midyanites ont participé à une querelle qui n’était pas la leur. Par ailleurs, à cause de deux bonnes colombes que Je ferai sortir d’eux : Rout la Moabite et Naâma la Âmmonite.»

Et Mochè parla ainsi au peuple : «qu’un certain nombre d’entre vous s’apprêtent à combattre; ils marcheront contre Midyane pour exercer sur lui la vindicte de l’Ét’ernel. Mille par tribu, mille pour chacune des tribus d’Israël, seront désignés par vous pour cette expédition.»

Et Mochè parla ainsi au peuple.

Rachi souligne : «Quoiqu’il eût entendu que sa mort y était liée, Mochè s’exécuta avec joie et sans tarder».

Pour Or ha-Hayim, Mochè, ne veut pas choisir lui-même les combattants. Car nul ne donnerait l’assurance que les combattants désignés n’aient point participé ni en acte ni en pensée à l’idolâtrie de Péôr.

Aussi demande-t-il qu’ils se désignent eux-mêmes.

Qu’un certain nombre d’entre vous s’apprêtent à combattre

Mochè insiste sur le fait que le critère de désignation est l’innocence. Il laisse chacun d’agir selon sa conscience. Ainsi quiconque se sait innocent se désigne.

C’est pourquoi, s’adressant au peuple, Mochè utilise l’expression lèmor, dont la signification usuelle transmettre aux autres ne saurait s’appliquer ici. Elle fait plutôt allusion à la débauche qui entraîne l’idolâtrie(11).

Ainsi, pour exercer la vengeance sur Midyane, les combattants doivent être des hommes, justes et parfaits, de telle sorte qu’ils marchent sur Midyane, autrement dit leur condition morale les place au-dessus de Midyane.

En principe, le coupable a la tête basse. Le tsaddiq, le juste, marche tête haute, signe de sa perfection morale. La vengeance sera également au Nom de l’Ét’ernel en raison du comportement de Midyane qui avait éloigné Israël des mitswot et non pour avoir provoqué la mort de plusieurs milliers de Bénè Yisraèl.

Et, quand bien même D’ieu parlerait de vengeance d’Israël, l’intention n’est point de transmettre l’ordre divin sous cette forme à Israël. Il s’agit surtout de vindicte de l’Ét’ernel.

Sans doute, Mochè rappelle-t-il à Israël que l’auteur de la vengeance est en réalité D’ieu qui l’exerce pour Israël. Il suffit pour cela de choisir mille hommes, parfaits et justes, par tribu.

On recruta donc, parmi les familles d’Israël, mille hommes par tribu; en tout douze mille, équipés pour le combat. Mochè les envoya en campagne, mille par tribu; et avec eux, pour diriger l’expédition, Pinhas, fils d’Èl’âzar le pontife, muni de l’appareil sacré et des trompettes retentissantes; et ils livrèrent bataille à Midyane, comme l’Ét’ernel l’avait ordonné à Mochè, et ils tuèrent tous les mâles.

On recruta donc, parmi les familles d’Israël, mille hommes par tribu.

Pour Kéli Yaqar, la joie de Mochè d’accomplir la volonté divine, contraste avec le recrutement forcé des Bénè Yisraèl tel que précisé : On recruta donc, parmi les familles d’Israël, mille hommes par tribu.

Rachi dit à ce propos :

«Ce qui te fait connaître l’éloge des chefs d’Israël, comme ils sont chers à Israël. Qu’est-il dit avant qu’ils n’eussent entendu parler de sa mort(12) :

«Encore un peu et ils me lapideront». Lorsqu’ils eurent entendu que la mort de Mochè dépendait de la vengeance sur Midyane, ils refusèrent de marcher jusqu’à ce qu’ils furent recrutés contre leur volonté.»

Afin d’expliquer le passage de vengeance d’Israël en vindicte de D’ieu, Kéli Yaqar souligne que la faute de Midyane se situe à deux niveaux. Contre D’ieu, ils entraînent Israël à l’idolâtrie et à la débauche. Contre Israël, ils provoquent la mort de 24 000 hommes.

D’ieu est certes prêt à pardonner leur révolte et la faute d’idolâtrie. Mais Il ne consent point à renoncer à la vengeance d’Israël. Mochè, sachant qu’Israël est prêt à lui témoigner toute son affection en refusant d’exercer la vengeance sur Midyane pour ne point hâter la fin de Mochè, transforme l’ordre divin. La raison essentielle de la vengeance est surtout de venger D’ieu. Comprenant la subtilité des motivations de Mochè, Israël refuse, tout de même, ce recrutement. Il l’accepte contre sa volonté.

Mochè les envoya en campagne, mille par tribu.

Mochè envoie les combattants, autrement dit, les charge d’accomplir une chélihoutemission, celle de venger D’ieu, afin qu’ils ne soient ni blessés ni tués. Le Talmoud(13) dit : «Le chargé de mission d’accomplir une mitswa, ne subira pas de dommage.»

Et avec eux Pinhas

Le texte signale que Pinhas était l’équivalent des 12 000 combattants. Sans doute, est-il possible, bien que s’agissant de tsaddiqim, de reprocher leur absence d’intervention lors de la faute de Péôr. La présence de Pinhas à leur tête suffirait à les laver de cette accusation.

Pinhas réalise cette vengeance car le Saint béni soit-Il a dit : «Celui qui a commencé la mitswa en tuant Kozbi, la fille de Tsour, doit l’achever(14)

Muni de l’appareil sacré et des trompettes retentissantes.

Pinhas était muni de l’appareil sacré, l’arche et la plaque en or, pour venir à bout de Bil’âm et des cinq rois de Midyane.

Ainsi donc, D’ieu entend poursuivre de sa haine implacable tous ceux qui, non contents de vouloir exterminer son peuple, s’arrangent à troubler, par la faute, les relations privilégiées qu’Il entretient avec Israël. Le cas des Midyanites illustre bien l’affection particulière de D’ieu pour Israël.

1. Bé-midbar 31, 1-7.

2. Bé-midbar Rabba 22 paragr. 2.

3. Bé-midbar 31, 2.

4. id, 3.

5. Chémot 17, 9.

6. Iyob 4, 13.

7. Bé-midbar 31, 3.

8. Avot 4, 22.

9. Dévarim 6, 5.

10. Dévarim 2, 9.

11. Sanhèdrine 56b.

12. Chémot 17, 4.

13. Péssahim 8b.

14. cf. Rachi.

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