Pinhas combat Midyane
L’acte d’héroïsme de Pinhas apaise la colère divine. Malgré son inconduite causant la perte de 24 000 âmes, Israël jouit de l’amour de D’ieu. Il demande à Mochè d’exécuter une dernière mission. “Exerce, lui enjoint-Il, sur les Midyanim la vengeance due aux enfants d’Israël, après quoi tu seras réuni à tes pères(1).”
Comprenant que sa fin dépend de cette mission, Mochè n’hésite pas à l’accomplir, heureux de laver l’affront fait non à Israël mais à D’ieu. Mochè attribue l’exercice de cette vengeance à la gloire de D’ieu.
Cependant Mochè se plaint de la condition d’Israël qui est l’objet de la haine des peuples. S’adressant à D’ieu, Mochè dit(2) :
“Maître du monde, si nous étions des incirconcis, des idolâtres ou des mécréants reniant les mitswot, [les autres peuples] ne nous haïraient et ne nous poursuivraient point. Nous le sommes, cependant, à cause de la Tora que Tu nous as octroyée.”
Israël n’existe que pour la Tora; sans elle, il est absolument rien. Si les peuples l’attaquent, c’est uniquement parce qu’il appartient à D’ieu. La vengeance vise donc les ennemis de D’ieu.
Mais il est surprenant de voir la mort de Mochè dépendre de l’exercice de cette vengeance. Si Mochè voulait, il aurait facilement prolongé ses jours. Mais est-ce là le comportement d’un chef qui ne vit que pour le bonheur de son peuple?
Mochè ne saurait retarder justement la joie de voir les ennemis de D’ieu et d’Israël tomber. Mochè transmet différemment l’ordre divin à Israël. Il entend ainsi les inciter, non pas à renoncer à la vengeance pour le retenir plus longtemps, mais à réparer activement l’offense faite à D’ieu en adorant Péôr, la divinité de Midyane.
Cependant, comme le souligne Êts Yossèf, D’ieu tient à signifier à Mochè la gravité de sa faute. N’ayant pas réagi à la provocation de Zimri en défendant la gloire et le respect divins, D’ieu met un terme à sa mission avec l’attaque des Midyanim.
La mort de Mochè est imminente. Les Bénè Yisraèl, conscients du lien existant entre la vengeance et la mort de Mochè, refusent de partir en guerre contre Midyane. Ils tentent de retenir Mochè. Mais cédant à sa pression, ils consentent, bien malgré eux, à envoyer mille combattants, selon certains commentateurs, il s’agit de deux mille, par tribu.
Mochè, ne prenant pas part à cette guerre, place Pinhas à la tête des combattants. Le midrache ne manque pas de relever ce comportement inexplicable de Mochè.
Le Midrache(3), citant le texte(4) :
“Mochè les envoya en campagne, mille par tribu et, avec eux, pour diriger l’expédition, Pinhas, fils d’Èl’âzar, le pontife…“, rapporte :
Le Saint béni soit-Il dit à Mochè : [J’ai ordonné](5) :
“Exerce sur les Midyanim la vengeance due aux enfants d’Israël“, il t’appartient de diriger [l’expédition]. Pourtant, tu envoies d’autres à ta place! Mais comme il fut élevé à Midyane, [Mochè] s’est dit : il n’est pas juste que j’attaque [les Midyanim] qui m’avaient bien traité. Le proverbe dit : ne jette pas la pierre au puits qui t’a donné à boire de son eau.
Cependant, une autre opinion pense que Midyane actuel n’est pas le pays où grandit Mochè.
Midyane se situe au flanc de Moab et l’actuel fut, depuis lors, détruit. Mais alors pourquoi envoyer Pinhas? Ayant initié la mitswa, Pinhas doit l’achever. Il apaise ma colère en frappant la Midyanite, il lui revient d’achever la Mitswa, sa mission.”
Le midrache s’interroge, à juste raison, sur la désobéissance de Mochè. L’ordre divin lui étant personnellement adressé, Mochè envoie Pinhas pour diriger l’expédition au lieu d’exercer lui-même la vengeance sur Midyane. Comment peut-il désobéir à l’ordre divin?
Le reproche du midrache est justifié. Jamais Mochè ne s’est comporté ainsi. C’est toujours pour lui une joie d’accomplir la mitswa. Lors de la sortie d’Égypte, le peuple était occupé à s’emparer des richesses d’Égypte pendant que lui se souciait de ramasser les ossements de Yossèf. S’il agit cependant de la sorte, c’est non sans raison.
En vérité, Mochè ne cherche nullement à se dérober. Jusqu’au dernier instant de sa vie, il exprime son attachement à D’ieu et accomplit les mitswot. Sihone et Ôg sont des rois puissants. Et Mochè n’hésite pas à leur livrer bataille au crépuscule de sa vie. La guerre contre Midyane est justifiée. Injustement, ils se sont attaqués aux Bénè Yisraèl. Pourquoi s’abstient-il de diriger le combat lui-même?
Midyane avait protégé Mochè lors de sa fuite de devant Parô. C’est là qu’il grandit, fonde un foyer et parfait sa formation. Mochè ne saurait s’attaquer lui-même à Midyane. Ce faisant, il ne transgresse nullement l’ordre divin. Bien au contraire, riche de l’enseignement de D’ieu, il décide d’envoyer Pinhas à sa place. En effet, Rachi rapporte(6) :
“Parce que le fleuve avait donné abri à Mochè quand il y avait été jeté, ce n’est pas par Sa main qu’il a été frappé ni pour la plaie du sang, ni pour celle des grenouilles, mais par la main de Aharone.”
Par ailleurs(7), il souligne :
“La poussière ne méritait pas d’être frappée par Mochè car elle l’avait protégé quand il avait tué l’Égyptien.
“Et il le cacha dans le sable(8).” Elle a donc été frappée par Aharone.”
Mochè agit conformément à la Tora qui recommande d’exprimer sa reconnaissance à son bienfaiteur. D’ieu Lui-même ne peut supporter l’ingratitude. Car être ingrat conduit nécessairement à l’abandon de D’ieu, véritable bienfaiteur du monde et des hommes, ainsi qu’à l’abandon des principes de la Tora.
C’est au nom de la reconnaissance due à Midyane que Mochè ne se résout pas à diriger l’expédition punitive contre le pays où il fut élevé.
Le proverbe “ne jette pas la pierre au puits qui t’a donné à boire” justifie l’attitude de Mochè. Certes, Midyane mérite un châtiment pour son complot contre Israël. Mais Mochè, tout en respectant la volonté divine, n’est pas prêt à sacrifier les sentiments de reconnaissance à l’égard d’un pays qui lui avait donné asile et hospitalité. Pinhas fera tout aussi bien l’affaire.
Pour l’autre opinion qui marque une différence entre Midyane actuel et Midyane où trouve asile Mochè, la question se repose. Pour quel motif Mochè choisit Pinhas au lieu de prendre lui-même la direction des combats?
Le midrache souligne ici la rigueur de Mochè. L’intervention de Pinhas eut l’effet heureux d’arrêter une épidémie qui menaçait de s’étendre. L’acte de Pinhas sauve Israël. Mochè est soulagé. Pinhas lui enlève une épine. Car s’il avait tué lui-même Zimri et Kozbi, certains auraient conclu à une vengeance personnelle pour l’offense de Zimri. Mais avec Pinhas, le châtiment était juste et répondait uniquement au critère de venger D’ieu, de se montrer jaloux de la cause divine, sans y mêler un élément personnel.
C’est à ce titre que Pinhas put rétablir l’harmonie entre D’ieu et Israël. Reconnaissant, Mochè ne veut point priver Pinhas du bonheur d’achever la mitswa. Il est important de mener à son terme une mitswa. Quiconque parachève la mitswa en est le véritable auteur.
Aussi Mochè tient-il à donner à Pinhas le crédit de la mitswa d’exterminer les Midyanim qui, l’entraînant dans la débauche, visaient purement et simplement la fin du peuple d’Israël.
En envoyant Pinhas diriger ce combat, Mochè pense également à la mission historique que Èliyahou, autrement dit Pinhas, doit remplir. Il rétablira également la paix et l’harmonie entre D’ieu et Israël, préludant ainsi de sa délivrance définitive.
1. Bé-midbar 31, 2.
2. Tanhouma sur la Sidra paragr. 3.
3. Tanhouma, Mattote paragr. 3.
4. Bé-midbar 31, 6.
5. Bé-midbar 31, 2.
6. Chémot 7, 19.
7. id. 8, 12.
8. ibid. 2, 12.