La connaissance de la Tora
Jouissant de l’intérêt que lui porte D’ieu, Israël occupe une place privilégiée dans la Création. Aussi lui incombe-t-il le devoir d’être saint, séparé de toute souillure et de toute impureté. Que l’impureté soit relative à une cause interne : affection de la peau, flux de sang ou de matière séminale, qu’elle le soit à une cause externe : aliments impurs, impropres à la consommation ou contact avec un cadavre humain ou animal, elle souille l’âme et rend l’esprit imperméable à la compréhension de la Tora.
Aussi est-ce à dessein que la Tora situe les lois régissant la purification de la femme qui enfante entre les textes traitant de l’impurification par agent extérieur, d’une part, et celle provenant d’un agent intérieur, de l’autre. Sans doute, une telle disposition suggère-t-elle que l’enfant, dès le sein de sa mère, reçoit l’enseignement de la Tora. Dès sa naissance, il doit pouvoir éviter les impuretés qui mettent un écran devant la vérité et l’application de la Tora(1).
Le Midrache(2) met dans la bouche d’Adam ces propos(3) :
“Tu me serres de près derrière et devant, et Tu poses sur moi Ta main.” Il dit : après que le Saint béni soit-Il eut créé les bêtes, les oiseaux, les insectes et les reptiles, Il m’a créé. Ainsi l’enfant, avant qu’il ne sorte du sein de sa mère, le Saint béni soit-Il lui prescrit : mange ceci et ne mange point cela. “Voici ceux que vous tiendrez pour impurs… Voici les animaux que vous pouvez manger… et ceux que vous ne pouvez pas manger“. Adhérant, pendant qu’il est au sein de sa mère, aux prescriptions de la Tora, il naît. Aussi est-il écrit(4) :
“Lorsqu’une femme, ayant conçu, enfantera un mâle…“
Il est évident, pour le Midrache, que la préparation à la vie spirituelle et religieuse de l’enfant commence dès sa conception. L’enfant n’est nullement surpris par une vie régie selon les lois de la Tora. La Tora lui est enseignée. Les principes sont expliqués si bien qu’une fois né, l’enfant arrive dans ce monde avec une idée précise de ce que D’ieu attend de lui. La Tora et les mitswot ne sont point, pour lui, nouvelles ni étrangères. Il en a pris parfaitement connaissance et donné son adhésion. Sa venue dans ce monde dépend en fait de cette adhésion.
Ce Midrache tente de répondre à deux difficultés importantes. La Création, pour qu’elle se justifie pleinement, exige l’étude et l’application de la Tora. Le monde lui-même ne tire son existence que de l’étude de la Tora. Remettre en cause ce principe met en danger le maintien de la Création. Il insiste sur cette vérité. L’enfant ne peut naître que s’il accepte pleinement l’étude et la pratique de la Tora.
Mais encore faut-il que l’acceptation soit pleinement consentie. Cela suppose en fait qu’il existe un principe de liberté à un stade précédant l’existence réelle. La liberté elle-même ne s’exprime qu’après l’examen éclairé de toutes les possibilités se présentant à l’individu. Comment parler donc de possibilité de choix éclairé à ce niveau puisque le fœtus n’est nullement équipé pour y procéder?
De même, la liberté n’existe que si l’individu est à la fois sollicité autant par le principe du Mal que par celui du Bien. Est-ce à dire qu’il possède à ce niveau-là les deux principes? Si tel est le cas, cela remet en question tout l’enseignement de nos Maîtres. Le principe du Mal, le Yètsèr ha-râ, s’attache à l’homme dès la naissance et celui du Bien, le Yètsèr ha-tov, à partir de treize ans.
Certes, la notion consistant à enseigner au fœtus la Tora est-elle aussi intéressante que capitale eu égard aux possibilités qu’elle laisse entrevoir. En effet, un enfant vient au monde avec une connaissance parfaite de la Tora et du monde. Cette pré-connaissance est nécessaire car elle permet plus tard une juste appréciation des valeurs morales et des vertus, connaissance naturelle, mais sûre puisque basée sur un enseignement.
En outre, cette connaissance échappe aux catégories et aux normes ayant cours dans la vie réelle car le fœtus n’étant point soumis aux deux penchants du Bien et du Mal, ne prend connaissance que de la vérité absolue. Celle-ci s’impose à lui et il l’accepte.
Cependant, il arrive que le fœtus exprime une volonté contraire à cet enseignement qu’il refuse librement. Ainsi comprend-on la lutte sur le partage des mondes auquel recourent Yaâqov et Êssaw dès la conception. Yaâqov choisit le monde de la Tora et des mitswot, Êssaw se tourne vers ce monde et les valeurs matérielles. Le Midrache(5) illustre bien la lutte âpre qui s’engage entre eux. Il affirme que les deux fœtus avaient une connaissance parfaite des deux principes, des deux mondes, celui de la Tora et celui de la Matière. Ils viennent donc au monde avec une connaissance préconçue qui les guide durant leur vie.
Ainsi l’enfant reçoit l’enseignement de la Tora. Mais l’accent est surtout mis sur les impuretés à éviter pour préserver la connaissance de la Tora et la garder dans son intégralité. Il est dit à ce propos(6) :
“Ne vous rendez point vous-mêmes abominables par toutes ces créatures rampantes : ne vous souillez point par elles, vous en contracteriez la souillure. Car Je suis l’Ét’ernel, votre D’ieu; vous devez donc vous sanctifier et rester saints, parce que Je suis Saint, et ne point contaminer vos personnes par ces reptiles qui se meuvent sur la terre.”
L’étape de la conception constitue la période la plus heureuse de l’homme. Le Midrache(7), rapportant les propos de Iyob(8) :
“Ah! Que ne suis-je tel que j’étais aux temps passés…“, dit : Iyob s’exprime ainsi au moment où les souffrances se sont abattues sur lui. Il s’exclame : “Ah! Que ne suis-je tel que j’étais aux temps passés. Aux jours où quand j’étais encore au sein de ma mère, D’ieu me protégeait“, autrement dit, l’enfant est bien protégé dans le sein de sa mère. “Où son flambeau brillait sur ma tête, et où sa lumière me guidait dans les ténèbres(9)“. Ce texte enseigne que le fœtus, au sein de sa mère, dispose d’une lumière [qui l’éclaire].”
Cependant, le Talmoud(10), examinant la position du fœtus dans le sein de sa mère, rapporte :
“Située au-dessus de sa tête, une lumière l’éclaire. Grâce à cette lumière, il voit et contemple le monde d’un extrême à l’autre tel qu’il est dit :
“Où son flambeau brillait sur ma tête, et où sa lumière me guidait dans les ténèbres“. Ne sois point surpris car l’homme, dormant ici, voit son rêve se dérouler en Espagne. Il n’existe point de jours où l’homme connaît un bonheur [véritable] comme ces jours, tel qu’il est dit :
“Ah! Que ne suis-je tel que j’étais aux temps passés, aux jours où D’ieu me protégeait“. Quels sont donc les jours qui composent des mois et non des années, ce sont les mois de conception. On lui enseigne toute la Tora tel qu’il est dit(11) :
“Il m’instruisait en me disant : “Que ton coeur s’attache à Mes paroles; garde Mes préceptes et tu vivras!“, et il est dit(12) :
“L’amitié de D’ieu s’étendait sur ma demeure” […]. À peine sorti à l’air libre, un ange le frappe sur la bouche et lui fait oublier toute la Tora selon le texte(13) :
“Le péché est tapi à ta porte.” Il ne sort pas avant qu’on ne l’ait fait jurer […] : “Sois juste, ne sois pas impie. Quand bien même le monde entier te proclame “juste” sois à tes yeux comme un impie. Sache que le Saint béni soit-Il est pur, Ses serviteurs sont purs et l’âme qu’Il t’a confiée est pure. Si tu la gardes dans sa pureté, c’est bon! Sinon, Je te la reprends.”
Ainsi, le Midrache et le Talmoud conviennent que le fœtus est instruit dans le sein de sa mère. La Tora ne lui est pas étrangère. Bien au contraire, elle fait partie intégrante de son être, si bien que la vie elle-même n’a de sens que lorsque l’homme fait tout pour en entreprendre l’étude et réaliser ses mitswot.
1. cf. Rabbènou Béhayè, début Tazriâ.
2. Tanhouma Tazriâ, paragr. 1.
3. Téhillim 139, 5.
4. Wayi-qra 12, 2.
5. cf. Bérèchit Rabba, Chap. 63.
6. Wayi-qra 11, 43-44.
7. Tanhouma sur Tazriâ paragr. 1.
8. Iyob 29, 2-3.
9. id. 29, 3.
10. Nidda 30b.
11. Michelè 4, 4.
12. Iyob 29, 3.
13. Bérèchit 4, 7.