La faute de Mochè

Et l’Ét’ernel parla ainsi à Mochè : «Prends la verge et assemble la communauté, toi ainsi qu’Aharone ton frère, et dites au rocher, en leur présence, de donner ses eaux : tu feras couler, pour eux, de l’eau de ce rocher, et tu désaltéreras la communauté et son bétail. Mochè prit la verge de devant l’Ét’ernel, comme il le lui avait ordonné. Puis Mochè et Aharone convoquèrent l’assemblée devant le rocher, et il leur dit : «Or, écoutez, ô rebelles! Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir de l’eau pour vous?» Et Mochè leva la main, et il frappa le rocher de sa verge par deux fois; il en sortit de l’eau en abondance, et la communauté et ses bêtes en burent. Mais l’Ét’ernel dit à Mochè et à Aharone : «Puisque vous n’avez pas assez cru en moi pour me sanctifier aux yeux des Bénè Yisraèl, aussi ne conduirez-vous point ce peuple dans le pays que je leur ai donné.» Ce sont là les Eaux de Mériba, contestation, querelle, parce que les Bénè Yisraèl contestèrent contre le Seigneur, qui fit éclater sa sainteté par elles(1)

Après qu’elle eut prescrit la purification des impurs au contact d’un mort par les cendres de la vache rousse, la sidra relate aussitôt la mort de Myriam à Qadèche. Cette juxtaposition est importante. Le Talmoud s’interroge, en effet(2) :

«Pourquoi la mort de Myriam fait suite au texte de la vache rousse? Pour t’enseigner, dit-il, que tels les sacrifices expiant [les fautes], la mort des justes apporte l’expiation.»

Cependant, la mort de Myriam précède également le récit de la faute de Mochè.

La traversée du désert tire à sa fin. L’eau vint à manquer au peuple d’Israël. Pourquoi? Durant les quarante années du désert, le puits de Myriam les accompagne dans leurs déplacements. Ce puits alimente en eau le peuple d’Israël grâce au mérite de Myriam.

Israël lui doit déjà son sauveur. Sans son intervention, Âmram n’aurait pas repris avec sa femme, privant ainsi Israël de Mochè. Jeté au bord du Nil, Myriam n’était pas prête à abandonner son frère car son espoir est tellement fort qu’elle ne doute à aucun moment de son sauvetage miraculeux. Elle veut être là au moment où on aura besoin d’une nourrice. Son rôle auprès des femmes hébreues fut précieux car elle insuffle espoir et courage à toutes les femmes d’Israël.

Mais une fois décédée, Myriam n’eut droit à aucun hommage particulier. Les Bénè Yisraèl ont vite fait d’oublier les bienfaits de Myriam. Pour les obliger à prendre conscience de leur ingratitude et réaliser leur tort, D’ieu prive les Bénè Yisraèl du puits de Myriam. Aussi, Myriam à peine ensevelie, la communauté manque-t-elle d’eau. Cependant, plutôt que de se repentir et de rendre hommage à Myriam, le peuple cherche querelle à Mochè.

Le Midrache(3), abordant le texte(4) :

«Puis Mochè et Aharone convoquèrent l’assemblée devant le rocher…», rapporte : Il est dit(5) :

«Assemble aussi toute la communauté à l’entrée de la Tente d’Assignation» pour t’enseigner que chaque membre [de la communauté] se voyait debout devant le rocher. Après la traversée du Yardène, tout Israël [parvint] à se tenir entre les deux barres de l’arche ainsi qu’il est dit(6) :

«Et Yéhochouâ dit aux enfants d’Israël : «Approchez et écoutez les paroles de l’Ét’ernel, votre D’ieu

Ici, tout Israël est debout assistant à tous les miracles ayant pour objet le rocher. Ils se dirent : Mochè sait que le rocher [donne] par principe de l’eau. [Que perd-il] à extraire l’eau, s’il le voulait, d’un autre rocher? Mochè, indécis, s’est dit : Si je leur obéis, je transgresse les paroles de D’ieu.

Et le Saint béni soit-Il(7) :

«Prends les malins dans leurs propres artifices…». Mochè évitait, en effet, durant toutes ces quarante années, de s’irriter contre eux craignant le serment fait par le Saint béni soit-Il(8) :

«Si jamais un seul de ces hommes, de cette génération mauvaise, voit l’heureux pays que j’ai juré de donner à vos pères!…».

Ils lui dirent : voici un rocher. De même que tu es prêt à extraire [l’eau] de l’autre rocher, extrais-la de celui-ci. Il s’écria(9) :

«Or, écoutez, ô rebelles!». Ha-morimrebelles, supporte plusieurs sens. Ha-morim signifie désobéissants, ha-morim veut dire sots car dans les contrées maritimes on désigne les sots par morimHa-morim c’est aussi des enseignants, ils enseignent à leurs maîtres. Ha-morim, sont des tireurs d’arc(10) :

«Il fut surpris par les archers…»

Il est écrit(11) :

«Et Mochè leva la main et il frappe le rocher de sa verge par deux fois…». Il le frappa, au premier coup, le rocher laisse échapper peu d’eau comme il est dit(12) :

«Sans doute il a frappé un rocher et les eaux ont jailli…» comme celui qui est atteint de flux, zab, qui laisse distiller par gouttes le flux.

Ils lui dirent : fils de Âmram, cette eau suffit à peine aux nourrissons, aux enfants sevrés de lait maternel. Aussitôt s’irrite-t-il contre eux et frappe [le rocher] à deux reprises. Une eau abondante jaillit emportant ceux qui se lamentaient à l’endroit [de Mochè et d’Aharone], ainsi qu’il est dit(13) :

«Des torrents se sont précipités

Malgré cela, Mochè ne fit [extraire l’eau] que du rocher indiqué par le Saint béni soit-Il. Pourtant, même du rocher [choisi] par Israël et de tous les rochers qui se trouvaient à cet endroit, jaillit l’eau ainsi qu’il est dit(14) :

«Il entr’ouvrit des roches dans le désert et offrit à leur soif des flots abondants…»

Pourquoi Aharone fut-il [déclaré] coupable tel qu’il est dit(15) :

«Puisque vous n’avez pas assez cru en Moi pour Me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël?» Cela fait penser au créancier qui, devant saisir le grenier de son débiteur, saisit aussi celui du voisin. Le débiteur lui dit : certes, si moi je te suis redevable, qu’a fait mon voisin?

Ainsi s’exprime Mochè notre Maître : Certes, j’ai commis la faute de m’irriter, mais Aharone, lui, qu’a-t-il fait? C’est pourquoi le texte lui rend justice(16) :

«Sur Léwi, il s’exprima ainsi : Tes toumim, vérité, et Tes ourim, lumière, à l’homme qui T’est dévoué, que Tu as éprouvé à Massa, gourmandé pour les eaux de Mériba.»

Ce midrache tente, non pas de trouver des circonstances atténuantes à la faute de Mochè, mais d’établir le mécanisme qui a rendu possible une telle faute.

Mochè comprend qu’Israël réclame avec véhémence de l’eau tant sa souffrance est grande. Mais faut-il que le peuple, au terme de quarante années du désert, ait encore des doutes sur la capacité et sur les moyens que D’ieu met à sa disposition pour qu’il ne manque de rien? La foi et la confiance en D’ieu doivent être absolues. Tout le reste découle de cette disposition d’esprit.

Mais Myriam disparaît. Israël ne tient aucun compte de tous ses bienfaits et ses mérites. La privation d’eau vise le rappel de l’enseignement de Myriam pétri d’espoir et de confiance en D’ieu.

Mochè convoque le peuple auprès du rocher. Il s’agit du rocher qui fournit l’eau durant ces quarante années. Mochè entend réaliser de nouveau le prodige d’en extraire l’eau pour abreuver le bétail et étancher la soif du peuple. Ce miracle, il le veut évident, incontesté.

Pour ce faire, le peuple se place au devant du rocher. C’est en soi un miracle. Tout le peuple verra de manière éclatante l’eau jaillir du rocher. Rassembler tout Israël dans un lieu aux dimensions si réduites fut déjà possible lors des convocations dans la Tente d’Assignation, ou après la traversée du Yardène. Ce sont les rares occasions, certes privilégiées, où la sainteté du lieu qui est déterminante, mais non le nombre. À ce seul miracle, Israël devait s’abstenir d’éprouver D’ieu.

Bien au contraire, Israël doute. Pourquoi choisir le même rocher? Sans doute, pensent-ils que Mochè connaît la nature de ce rocher, de livrer son eau! On ne saurait parler dans ce cas de miracle. À moins que Mochè n’accepte, bien que se mettant dans la situation de désobéir à D’ieu, de prendre un autre rocher.

Pourtant Mochè se garde bien de s’irriter contre les Bénè Yisraèl. Il craint que son courroux ne l’entraîne à fauter, à désobéir, ce qui l’exposerait à coup sûr à être privé d’entrer au pays d’Israël.

Mais à force de prendre trop de précautions, Mochè finit par se retrouver dans la situation qu’il voulait à tout prix éviter. Tout se passe comme si D’ieu pousse Mochè à fauter. Celui-ci, excédé, se met en colère. Il les offense en les qualifiant de désobéissants et insurgésde sots et prétentieux qui veulent éduquer et enseigner à leurs propres maîtres et enseignants. Ils sont traités de tireurs de flèches, d’archers, autrement dit de calomniateurs qui blessent, par leurs propos, à distance.

Pourtant Mochè est à la tête des Bénè Yisraèl depuis bientôt quarante années. Pourquoi cède-t-il à la colère? D’ieu lui avait recommandé de s’adresser au rocher. Mais la colère lui fait perdre la tête. Il frappe le rocher au lieu de lui parler. N’ayant pas donné de l’eau en abondance, Mochè frappe de nouveau.

Ne devait-il pas, au contraire, parler? Ne voyant le rocher livrer son eau est suffisant pour alerter Mochè. Certes, devait-il se ressaisir! Mais la colère l’incite encore à frapper car l’attitude critique et cynique d’Israël n’est pas faite pour arranger les choses.

Le miracle agit. Ce sont tous les rochers de l’endroit qui livrent leur eau, une eau abondante qui emporte tous ces insurgés, ces moqueurs responsables d’un tel désastre. Il est certes légitime de réclamer de l’eau, mais pas au prix d’éprouver l’Ét’ernel, ni au prix de perdre un chef comme Mochè.

Aharone est aussi condamné. Il paie comme Mochè. D’ieu le prive également du droit d’entrer en Èrèts Yisraèl. Pourquoi un tel traitement, semble-t-il, injuste?

Mais il a sa part dans la colère de Mochè. Aharone donne en quelque sorte son aval à l’attitude de Mochè. En n’intervenant pas, il s’expose au même châtiment que Mochè. Il fallait sanctifier le Nom de l’Ét’ernel. En s’adressant au rocher, le miracle est plus crédible.

La faute d’Israël qu’illustre son manque de foi en D’ieu, en Son pouvoir de lui procurer de manière miraculeuse de l’eau, est assumée par Mochè, partagée par Aharone.

De toute évidence, D’ieu cherche à priver Mochè et Aharone de la possibilité de conduire le peuple à la conquête de Kénaâne. Le prétexte est fourni. La colère de Mochè déclenche donc ce mécanisme qui mène tout droit à relever Mochè et Aharone de leurs fonctions. D’autres se préparent à prendre la relève. Mochè est le chef qui délivre de l’esclavage d’Égypte, qui émancipe le peuple d’Israël. Yéhochouâ sera le conquérant qui prépare le peuple à vivre dans son pays.

Et l’Ét’ernel parla ainsi à Mochè : «Prends la verge et assemble la communauté, toi ainsi qu’Aharone ton frère, et dites au rocher, en leur présence, de donner ses eaux : tu feras couler, pour eux, de l’eau de ce rocher, et tu désaltéreras la communauté et son bétail.

Prends la verge et assemble la communauté, toi ainsi qu’Aharone ton frère, et dites au rocher, en leur présence, de donner ses eaux.

Privé du puits de Myriam, le peuple manqua d’eau. Mochè et Aharone, assaillis par la multitude, durent se rendre à la Tente d’Assignation. Le puits de Myriam était ce rocher frappé par Mochè tout au début; redevenu rocher, il alla se mêler aux autres rochers du désert. Mais D’ieu dit à Mochè de prendre la verge et de parler au rocher. Pour quelle raison prendre la verge si Mochè devait s’adresser uniquement au rocher? Où se situe la faute de Mochè?

Rambane et, à sa suite, Rabbènou Béhayè, énumèrent les diverses opinions à ce propos.

Tout d’abord, Rachi apporte la preuve du texte qui stipule : «Dites au rocher de donner ses eaux». Mochè devait parler et non frapper. Toutefois la verge devait jouer un rôle, sinon dans quel but D’ieu demande de la prendre?

Rambane ne voit nullement en quoi le miracle serait moins grand en frappant le rocher au lieu de lui parler. D’autant plus que, pour tous les prodiges en Égypte, Mochè se servait de sa verge. En outre, Mochè, au moment de passer à l’acte, s’adresse ainsi aux Bénè Yisraèl : «Or, écoutez, ô rebelles! Est-ce de ce rocher que nous pouvons faire sortir de l’eau pour vous?»

L’opinion de Rabbi Abraham Ibn Êzra, voulant que Mochè, préoccupé par la querelle du peuple, perde de son attachement à D’ieu si bien qu’il omet de parler au rocher, ne convient pas à Rambane. Car en frappant la seconde fois, Mochè fit preuve de très grande confiance en D’ieu. Aussi, pour cette raison l’eau jaillit-elle avec abondance.

Pour Rambam(17), la faute de Mochè réside dans sa colère. En s’emportant contre les Bénè Yisraèl«Écoutez, ô rebelles, Mochè commet la grave faute de profanation du Nom divin. En se comportant ainsi, au lieu de servir d’exemple à tous par le calme et la sérénité, il montre que son essence est mauvaise puisqu’il se laisse emporter par la colère. Le voyant agir ainsi, les Bénè Yisraèl peuvent penser, à juste titre, que D’ieu est fâché par la demande d’Israël car, si tel n’était pas le cas, pourquoi Mochè se serait-il emporté? D’ieu, au contraire, dit à Mochè d’assembler les Bénè Yisraèl et de dire au rocher, en leur présence, de donner ses eaux. La faute de Mochè est donc d’avoir traité Israël de «rebelles».

Rambane ne trouve pas que la colère constitue la faute essentielle puisque le texte admet que les Bénè Yisraèl soient réprimandés pour une telle conduite. En effet, le texte(18) dit : «Ce sont là les Eaux de Mériba, contestation, parce que les enfants d’Israël contestèrent contre le Seigneur…»

Par ailleurs, le texte(19) reproche aux Bénè Yisraèl leur révolte contre D’ieu qui compte parmi les dix épreuves : «Ils suscitèrent le courroux [divin] aux eaux de Mériba et il advint du mal à Mochè à cause d’eux.»

Rambane semble être d’accord plutôt avec l’opinion émise par Rabbènou Hanan’èl. Pour lui, la faute réside dans le fait que Mochè et Aharone s’attribuent d’avance le miracle. En effet, le texte s’exprime ainsi(20) : «Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir l’eau pour vous?» Au lieu de proclamer : «D’ieu fera sortir l’eau pour vous.», ils induisent les Bénè Yisraèl à croire qu’ils utilisent leur science pour extraire l’eau du rocher. Aussi, D’ieu leur reproche-t-il : «Puisque vous n’avez pas assez cru en Moi pour Me sanctifier aux yeux des enfants d’Israël

Certes, pour le premier prodige, Mochè frappe le rocher(21). Le risque d’erreur est nul. Car D’ieu dit : «Je vais t’apparaître là-bas sur le rocher, au mont Horèb.» La présence divine est une preuve suffisante, pour les Anciens présents, que l’auteur du miracle est D’ieu. En revanche, dans ce cas, les Bénè Yisraèl ne remarquent point la présence divine qui leur éviterait une telle erreur. La désobéissance de Mochè et d’Aharone faisant croire qu’ils s’attribuent le miracle, est leur véritable faute.

Mais l’opinion personnelle de Rambane est que Mochè et Aharone avaient mal évalué les intentions divines. Contrairement à la première expérience où la gloire divine, se tenant près du rocher, aide à ne frapper qu’une seule fois pour faire jaillir l’eau, dans cette deuxième expérience, n’étant pas assistés par la présence divine, ils résolurent de frapper par deux fois. C’est là leur manque de foi : «Vous avez désobéi à la parole de D’ieu(22) La parole divine, c’est l’esprit saint. Et, ne l’ayant pas respectée, il y a faute.

Parler au rocher,

L’emploi de èlau a ici le sens de âlà propos. Autrement dit, vous direz à propos du rocher.

Lé-ênèhèmen leur présence

Pour le Midrache, D’ieu tient que tous assistent au miracle de l’eau. Tous, sans exception, se trouvaient dans les quatre coudées du rocher.

Qu’il donne ses eaux,

Donner c’est toujours avec abondance. Ses eaux proviennent du rocher, ce qui exclut l’existence d’une source au-dessous du rocher.

Pour certains exégètes, la lettre médiane des trois lettres composant Sèlârocher, donne mayimeau. En prenant Mèm, de Samèkh, Mèm, de lamèd, et yod, de âyine, on obtient mèmyod, et mèm, autrement dit mayimeau. Le rocher lui-même renferme de l’eau! La parole divine la libère.

Mochè prit la verge de devant l’Ét’ernel, comme il le lui avait ordonné. Puis Mochè et Aharone convoquèrent l’assemblée devant le rocher, et il leur dit : «Or, écoutez, ô rebelles! Est-ce que de ce rocher nous pouvons faire sortir de l’eau pour vous?» Et Mochè leva la main, et il frappa le rocher de sa verge par deux fois; il en sortit de l’eau en abondance, et la communauté et ses bêtes en burent.

Or ha-Hayim rapporte, en plus des opinions de la faute de Mochè citées et discutées par Rambane, d’autres propositions!

D’ieu tient rigueur à Mochè pour avoir frappé deux fois au lieu d’une, dépréciant et réduisant ainsi la foi en D’ieu des Bénè Yisraèl.

Mochè n’entonne un cantique pour le puits que lorsque D’ieu le lui rappelle par les miracles produits lors des guerres contre l’Èmori(23). D’ieu est en droit de s’attendre à des actions de grâce pour Ses bienfaits.

Mochè qualifie les Bénè Yisraèl de rebelles. Il ne sied pas de traiter ainsi les enfants d’Abraham, Yitshaq et Yaâqov.

Pour Rabbi Mochè ha-Kohène, D’ieu ne pardonne pas à Mochè d’avoir dit «est-ce de ce rocher que nous pouvons faire sortir de l’eau», laissant entendre que D’ieu ne pouvait pas le faire.

Rabbi Yossèf Albo, dans son ouvrage Sèfèr ha-Îqarim, , pense que Mochè et Aharone, n’ayant point pris l’initiative de faire jaillir l’eau du rocher, font preuve de manque de foi en D’ieu.

Enfin, pour Rabbi Èliêzèr, Grand Rabbin de Cracovie, la discussion entre Mochè et Israël tourne autour de l’identité du rocher. Pour Mochè, il s’agit du premier rocher. Pour Israël, quel que soit le rocher, l’essentiel est qu’il livre son eau. Mochè, excédé, jette son bâton sans l’intention de frapper.

Or ha-Hayim, les ayant passés en revue, les écarte. Il trouve cependant dans le texte des indications précieuses pour n’en pas faire état surtout lorsqu’il s’agit de définir la nature de la faute de Mochè.

Mais l’Ét’ernel dit à Mochè et à Aharone : «Puisque vous n’avez pas assez cru en Moi pour Me sanctifier aux yeux des Bénè Yisraèl, aussi ne conduirez-vous point ce peuple dans le pays que je leur ai donné.» Ce sont là les Eaux de Mériba, contestation, querelle, parce que les Bénè Yisraèl contestèrent contre le Seigneur, qui fit éclater sa sainteté par elles.

Or ha-Hayim puise dans le Yalqout(24) un enseignement capital. Il énumère quatre niveaux dans la faute de Mochè :

«Vous n’avez pas cru, Je n’ai point demandé de frapper et, pourtant, vous l’avez fait. Vous ne M’avez pas sanctifié en ne faisant pas jaillir l’eau du rocher choisi par Israël. Vous avez désobéi en disant «est-ce de ce rocher que nous ferons sortir de l’eau». Vous avez contesté en transgressant Mes paroles [vous enjoignant] de parler au rocher, autrement dit d’étudier un chapitre de la Tora pour que l’eau jaillisse du rocher.»

Le midrache éclaire le texte. En effet, en demandant à Mochè de prendre la verge, D’ieu voulut l’investir du pouvoir de réaliser le miracle et non dans le but de frapper le rocher. Il en découle que Mochè devait parler uniquement au rocher. En frappant, il commet la première faute.

Parler au rocher, pour le Midrache, c’est étudier un chapitre de la Tora. Ne l’ayant pas compris ainsi et donc ne l’ayant pas fait, il commet la seconde faute.

En répétant «tu feras couler, pour eux, de l’eau du rocher…», D’ieu précise qu’éventuellement, si les Bénè Yisraèl le demandent, Mochè doit faire couler de l’eau d’un rocher autre que celui identifié au puits de Myriam.

Mochè les traite de MorimrebellesMorim signifie plutôt ceux qui désignent, qui indiquent. Ainsi, les Bénè Yisraèl lui désignent un autre rocher. N’ayant pas retenu le choix d’Israël, Mochè commet encore la faute de s’irriter et de ne pas accéder au désir d’Israël. Comment Mochè peut-il se permettre autant d’erreurs?

Pour lui, frapper est nécessaire. Ainsi comprend-il du moins les paroles divines. Il craint qu’en ne frappant pas, le rocher ne laisserait pas couler ses eaux et le Nom divin serait profané.

Le midrache n’indique pas clairement le texte de la Tora que Mochè devait étudier. De plus, wé-dibbartèmvous direz, ne signifie pas étudier ou lire. D’autant plus que Mochè, ne pensant pas que l’heure est à l’étude, juge qu’il est nécessaire de frapper le rocher.

Par ailleurs, utiliser un autre rocher alors que le doute de le voir livrer ses eaux subsiste, expose Mochè à profaner encore plus le Nom divin. S’il s’emporte, c’est bien parce que les Bénè Yisraèl cherchent à éprouver une fois de plus l’Ét’ernel. Cela dérange beaucoup Mochè.

Mais D’ieu condamne Mochè et Aharone. Ne doivent-ils pas sanctifier le Nom de D’ieu en montrant que le rocher était prêt à obéir à l’ordre divin? Les Bénè Yisraèl, étant en ce moment tous parfaits, se résoudraient, quant à eux, à obéir aux ordres divins puisqu’un rocher, inanimé et non doué de raison, est prêt à les respecter.

Agissant ainsi, Mochè et Aharone renforceraient la foi des Bénè Yisraèl en D’ieu et, installés en Israël, ils seraient d’une perfection absolue. Mochè et Aharone, conduisant les Bénè Yisraèl en Kénaâne, écarteraient du Bèt ha-Miqdache qu’ils auraient construit, toute menace de destruction et, par suite, d’exil.

Mochè tente d’éviter la réalisation d’un miracle éclatant quand il est possible de se contenter d’un miracle plus discret. Ainsi frapper, rappelant le premier miracle du rocher de Horèb, est-il mieux indiqué aux yeux de Mochè. D’ieu avait cependant décidé autrement. Le peuple d’Israël avait atteint une perfection plus grande. Affermir sa foi nécessite un plus grand miracle. Aussi D’ieu fait-Il serment de ne point laisser Mochè et Aharone conduire Israël pour la conquête de Kénaâne.

Kéli Yaqar rapporte l’opinion de Hazéqouni précisant que la verge est celle d’Aharone qui, de toutes les verges des chefs des tribus, avait fleuri(25). En effet, le texte emploie, au lieu de la formule consacrée «Prends ta verge»«Prends la verge», celle d’Aharone qui fut placée «devant le Statut, comme signe durable à l’encontre des rebelles.» Cette verge, n’étant qu’un bois mort et sec, fleurit, sur l’ordre de l’Ét’ernel, après avoir dégagé sa sève.

Mochè, montrant la verge, invitera les enfants d’Israël, à s’imprégner du pouvoir divin qui, ayant transformé la nature d’un bois mort, transformera également la nature du rocher.

Mochè, s’adressant au rocher, lui enjoint d’obéir comme cette verge avait elle-même obéi et donné ses eaux, sa sève. Il s’agit non du rocher, mais du bois, de la verge. Dans le texte, il s’agit de Sèlârocher, dont la valeur numérique 160 est égale à celle de êtsarbrebois.

Cependant, lorsque Mochè frappe le rocher, il utilise sa propre vergebé-mattèhou, et non avec «la verge qu’il prit de devant l’Ét’ernel», verge d’Aharone.

Mais l’Ét’ernel dit à Mochè et Aharone : «Puisque vous n’avez pas assez cru en moi…»,

Le texte emploie wa-yomèr, terme signifiant s’adresser à la fois avec tendresse et égards alors que l’on s’attend à des paroles dures, exprimant le châtiment.

Pour Or ha-Hayim, Mochè ne souhaite pas que l’on assimile sa faute à celle des explorateurs dont le châtiment fut également de ne pas entrer en Kénaâne. Ici, D’ieu rend public Son décret ainsi que la raison qui le motive. La faute de Mochè et Aharone est d’avoir négligé de sanctifier l’Ét’ernel dans les eaux de Mériba.

Ainsi Mochè et Aharone paient-ils pour une faute responsable de la baisse dans le niveau de sanctification du Nom divin. Mais le châtiment qu’Il leur inflige permet à D’ieu d’être encore plus sanctifié et élevé tel qu’il est dit : «Il fit éclater sa sainteté parmi eux». D’ieu montre ainsi qu’Il est plus rigoureux à l’égard de ses proches, les Justes et les Saints.

1. Bé-midbar 20, 7-13.

2. Moêd Qatane 28a.

3. Bé-midbar Rabba, chap. 19, paragr. 5.

4. Bé-midbar 20, 10.

5. Wayi-qra 8, 3.

6. Yéhochouâ 3, 9.

7. Iyob 5, 13.

8. Dévarim 1, 35.

9. Bé-midbar 20, 10.

10. Chémouèl I 31, 3.

11. Bé-midbar 20, 11.

12. Téhillim 78, 20.

13. id. 78, 21.

14. ibid. 78, 15.

15. Bé-midbar 20, 12.

16. Dévarim 33, 8.

17. Huit chapitres, fin du chap. 4.

18. Bé-midbar 20, 13.

19. Téhillim 106, 32.

20. Bé-midbar 20, 10.

21. Chémot 17, 6.

22. id. 27, 14.

23. cf. Bé-midbar 21, 17.

24. sur la sidra paragr. 764.

25. cf. Bé-midbar 17, 25.

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