La ôrla, excroissance des arbres fruitiers
«Quand vous serez entrés dans la Terre promise et y aurez planté quelque arbre fruitier, vous en considérerez le fruit comme une excroissance : trois années durant, ce sera pour vous autant d’excroissances, il n’en sera point mangé. Dans la quatrième année, tous ses fruits seront consacrés à des réjouissances, en l’honneur de l’Ét’ernel; et la cinquième année, vous pourrez jouir de ses fruits, de manière à en augmenter pour vous le produit : Je suis l’Ét’ernel, votre D’ieu(1).»
La Sidra consacre ses enseignements aux principes de Sainteté auxquels le peuple d’Israël doit se conformer afin de viser la perfection morale et tendre à la sainteté.
Cependant, il est surprenant de voir, parmi l’énoncé de ces prescriptions morales, une prescription concernant la ôrla, excroissance des arbres fruitiers. Quel lien relie cette mitswa à la conduite morale faite de sainteté?
Le Midrache(2), abordant le verset(3) :
«Quand vous serez entrés dans la Terre [promise] et y aurez planté quelque arbre fruitier…», dit : «C’est bien ce qu’exprime le texte(4) :
«Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’en rendent maîtres.»
Rav Houna dit au nom de Rabbi Aha : Fais que les paroles de la Tora ne soient à tes yeux comme le cas de ce père qui, ayant une fille déjà adulte, veut la marier [à tout prix] mais plutôt(5) :
«Mon fils, puisses-tu accueillir mes paroles, te pénétrer de mes recommandations». Si tu as quelque mérite «accueille mes paroles».
Rav Houna dit au nom de Rabbi Binyamine, fils de Léwi : ceci fait penser au roi qui demande à son fils d’ouvrir un commerce. Celui-ci répond : J’ai peur en chemin des brigands et en mer des pirates. Que fait le père? Il prend un bâton le grave et y place un talisman. Puis il le confie à son fils en lui recommandant : Tiens ce bâton en main et tu n’auras rien à craindre de toute créature.
Ainsi dit le Saint béni soit-Il à Mochè : recommande à Israël d’étudier la Tora afin qu’il n’ait à craindre aucune nation. Si le texte avait dit : un arbre de vie à ceux qui s’investissent [dans l’étude], Israël n’aurait jamais pu subsister. Il est écrit plutôt «à ceux qui le soutiennent».
Et, si le texte disait : «qui n’étudierait point», l’existence d’Israël serait remise en cause. Il dit plutôt(6) :
«Maudit soit quiconque ne respecterait point les paroles de la présente Tora». C’est pourquoi le texte précise :
«Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’en rendent maîtres.»
Le midrache ne se contente pas d’expliquer le texte de la Tora au sens littéral. Certes, c’est une mitswa de planter des arbres et cultiver la terre. Les textes abondent dans ce sens.
Cependant, plus loin, l’homme est appelé à se comporter à l’exemple de D’ieu. De même qu’à la création D’ieu avait planté un jardin en Êdène(7), ainsi Israël devait planter des arbres dès son installation en terre promise. Pour le Midrache, il existe une plantation encore plus importante requérant toute l’attention. Il s’agit de l’arbre de vie, la Tora.
Toutefois, pour le Midrache, bien que cherchant un partenaire pour l’étudier et l’accomplir, la Tora constitue, en fait, une aide précieuse pour Israël. Il ne doit, à aucun moment, croire qu’en recevant la Tora, il l’a délivrée de sa solitude. Bien au contraire, la Tora se met au service d’Israël. Grâce à elle, aucune nation ne peut l’attaquer. La survie d’Israël dépend surtout de sa disponibilité pour l’étude et la réalisation des préceptes de la Tora. Mieux encore, la Tora rend possible pour Israël l’accès à la perfection morale.
Ainsi la mitswa, interdisant la consommation des fruits pendant les trois premières années de l’existence d’un arbre, montre combien l’homme, grâce à la Tora, apprend à maîtriser et à discipliner ses désirs et appétits.
Le midrache(8) enseigne à ce propos :
«Rabbi Yéhouda Ben Pazi dit : Puisse-t-on nettoyer le sable de tes yeux Adam! Tu n’as pu résister une petite heure sans désobéir à l’ordre que [D’ieu] t’adresse. En revanche, tes fils, eux, patientent trois ans et s’interdisent [la consommation] des fruits(9)!»
Excellente leçon de patience et de maîtrise de soi face au désir ardent de goûter au fruit tant attendu.
Quand vous serez entrés dans la Terre promise et y aurez planté quelque arbre fruitier, vous en considérerez le fruit comme une excroissance : trois années durant, ce sera pour vous autant d’excroissances, il n’en sera point mangé.
Quand vous serez entrés dans la Terre promise et y aurez planté quelque arbre fruitier, vous en considérez le fruit comme une excroissance.
Rav Alchèkh pense que les trois premières années, la terre dégage toute sa force externe. À la quatrième, commençant à donner sa force sainte, «les fruits seront consacrés à D’ieu». À partir de la cinquième année, D’ieu assure une production qui ira toujours croissant.
Or ha-Hayim s’attarde sur la relation de la prescription de la ôrla à l’installation en Israël.
Pour lui, l’établissement en Èrèts Israël ne doit pas répondre au but unique de jouir de ses fruits, mais viser plutôt la qédoucha, sainteté, et la perfection morale que l’homme atteint en Israël.
Les fruits sont interdits à la consommation les trois premières années de l’arbre en signe de respect pour le Créateur auquel l’homme se doit d’offrir les premiers fruits.
Pour Rabbènou Béhayè, pendant les trois premières années, le fruit est de si mauvaise qualité qu’il est indécent et incorrect de les offrir à D’ieu. Il faudrait attendre la production de la quatrième année pour que le fruit soit digne de l’honneur et de l’hommage dûs à D’ieu.
Pour Rambam, dans le Guide des Égarés(10), cette prescription vise, avant tout, à tenir Israël éloigné des païens qui, au moment de la plantation de l’arbre, par des pratiques superstitieuses et idolâtres, pensaient stimuler la production. La Tora, par cet interdit, oblige Israël à attendre quatre ans avant de manger le fruit devant D’ieu et non faire comme les païens qui consommaient les premiers fruits devant leur divinité.
Kéli Yaqar établit un parallèle avec la Création. La ôrla, pour lui, rappelle l’oeuvre de la Création. Le troisième jour fut le jour de la création des plantes et des arbres fruitiers. Mais ils n’apparurent que le quatrième, jour de la création du soleil et de la lune qui participent à la maturation des fruits. Couverts et inexistants pendant les trois premiers jours, les fruits sont donc non consommables.
Le principe de la ôrla commande d’obéir également à trois années de non consommation en souvenir de l’acte de la création des arbres dont les fruits demeurent couverts et cachés. Le quatrième jour, les fruits apparaissent et mûrissent. En l’absence des êtres humains et vivants pour les consommer, ces fruits sont là pour entonner des louanges au Créateur. C’est pourquoi la quatrième année ils sont consacrés à D’ieu. Ils ne seront propres à la consommation qu’à partir de la cinquième année. Car certains êtres vivants, créés le cinquième jour, pouvaient enfin les consommer.
Vous en considérerez le fruit comme une excroissance.
Durant les trois premières années, les fruits sont interdits à la consommation et à la jouissance. Cependant les fruits, conservés au-delà des trois années, ne sont pas pour autant permis. Ils demeurent interdits à jamais(11).
Dans la quatrième année, tous les fruits seront consacrés à des réjouissances, en l’honneur de l’Ét’ernel.
Tous les fruits seront consacrés à des réjouissances, en l’honneur de l’Ét’ernel.
Rachebam souligne que les fruits de la quatrième année, considérés saints, seront consommés à Yérouchalayim comme le deuxième maâssèr(12). Il était interdit de consommer ces fruits hors de Yérouchalayim à moins de les racheter, autrement dit de les vendre sur place et utiliser l’argent, produit de la vente, pour l’achat de fruits à Yérouchalayim où ils seront mangés dans la crainte de D’ieu. Si toutes ces dispositions sont respectées, la Tora assure que la récolte et la production iront toujours croissants.
Ainsi :
Et la cinquième année vous pourrez jouir de ses fruits, de manière à en augmenter pour vous le produit : Je suis l’Ét’ernel, votre D’ieu.
Cette mitswa contribue donc à enseigner à l’homme, en même temps qu’elle réglemente et discipline ses appétits, à servir D’ieu et à Le craindre.
1. Wayi-qra 19, 23-25.
2. Wayi-qra Rabba 25, 1.
3. Wayi-qra 19, 23.
4. Michelè 3, 18.
5. id. 2, 1.
6. Dévarim 27, 26.
7. Bérèchit 2, 8.
8. Wayi-qra Rabba 25, 2.
9. N.B. Le midrache fait allusion à la prescription de la ôrla.
10. chap. 7.
11. cf. Mèâm Loêz.
12. N.B. Après la septième année, année chabbatique, le prélèvement des maâsrot, dîmes, se fait comme suit : les années 1, 2, 4 et 5, on prélève le maâssèr richone, première dîme, destiné au Léwi sur lequel il donne le dixième au Kohène que l’on appelle, maâssèr mine ha-maâssèr. Ensuite, le prélèvement du dixième de la récolte restante constitue le maâssèr chèni, deuxième dîme, que l’on devait consommer à Yérouchalayim. Les années 3 et 6, le maâssèr chèni est remplacé par le maâssèr âni, la dîme destinée aux pauvres.