La traversée de la Mer Rouge
Parô laisse partir le peuple d’Israël d’Égypte mais c’est pour, aussitôt, le regretter. Voyant qu’Israël s’enferme dans le désert, il décide de le poursuivre. D’ieu raffermit, en fait, le cœur de Parô pour entreprendre cette poursuite. Coincé entre les guerriers de Parô et la mer, Israël est rempli d’effroi. Mochè tente de les calmer, promettant une délivrance totale et définitive.
Plutôt que de se perdre en conjectures, l’Ét’ernel dit à Mochè d’ordonner aux Bénè Yisraèl de se mettre en marche. Devant, c’est la mer. Eh bien! Qu’ils avancent dans la mer! La délivrance se réalisera aussitôt qu’Israël ferait un acte de foi en D’ieu. Au moment où toute solution est impossible, l’intervention de D’ieu devient éclatante. Le miracle divin aura, de toute évidence, pour théâtre la Mer Rouge.
Le Midrache(1) citant le verset(2) :
“Et toi, lève ta verge, dirige ta main vers la mer, et divise-la…, rapporte :
“Mochè dit au Saint béni soit-Il : Tu me demandes de diviser la mer et la transformer en terre ferme, n’est-il pas dit(3) :
“Moi qui ai donné le sable comme limite à la mer. N’as-Tu pas fait serment de ne jamais la diviser?
Rabbi Èl’âzar ha-Qappar dit : Mochè s’adressant [au Saint béni soit-Il] dit : N’as-Tu pas déjà affirmé que la mer ne deviendra jamais terre ferme, tel qu’il est dit : “Moi qui ai donné le sable comme limite à la mer?. Et il est écrit(4) :
“Qui a fermé la mer avec des portes. Le Saint béni soit-Il réplique : Tu n’as point lu la Tora à son début.
Qu’est-il écrit(5)?
“Que les eaux répandues sous le ciel se réunissent sur un même point, et que le sol apparaisse. C’est Moi qui ai dicté une condition à la mer. Déjà, dès le début, J’avais posé comme condition de la diviser ainsi qu’il est dit(6) :
“Et la mer, aux approches du matin, reprit son niveau, lé-ètano, son niveau, li-tnao, à sa condition(7). Aussitôt, Mochè obéit au Saint béni soit-Il et s’en fut diviser la mer.
Quand [Mochè] se présenta à la mer pour la diviser, celle-ci lui opposa un refus. Elle dit à [Mochè] : Je refuse de me laisser diviser par toi car j’ai privilège sur toi, je fus créée en effet au troisième jour et toi au sixième jour.
À ces paroles, Mochè s’en fut auprès du Saint béni soit-Il et lui dit : la mer refuse de se laisser diviser. Que fait le Saint béni soit-Il? Il place Sa main droite dans la main droite de Mochè tel qu’il est dit(8) :
“Celui qui, pendant la marche, accompagna la droite de Mochè de son bras glorieux, fendit les eaux à leur approche…
Voyant le Saint béni soit-Il, la mer s’enfuit tel qu’il est dit(9) :
“La mer le vit et se mit à fuir. Qu’a-t-elle vu? Elle vit le Saint béni soit-Il plaçant sa main droite dans celle de Mochè et ne put s’opposer. Elle dut s’enfuir aussitôt. Mochè s’adresse [à la mer] : Qu’as-tu à t’enfuir? La mer répond : [Je fuis] à la vue du D’ieu de Yaâqov, de devant la crainte du Saint béni soit-Il!
Dès que Mochè étend la main sur la mer, celle-ci se fend selon le texte(10) :
“Et les eaux furent divisées. Le texte ne dit pas “la mer se fendit” mais “les eaux furent divisées”. Cela nous enseigne que les eaux de toutes les sources, les puits et dans tous endroits, furent divisées tel qu’il est dit “Et les eaux furent divisées.”
Midrache d’une importance capitale puisqu’il traite du miracle de la traversée de la Mer Rouge. Qu’est-ce qu’un miracle?
Les Bénè Yisraèl se trouvent devant un dilemme : ou ils se rendent aux Égyptiens, ou ils se lancent à corps perdu dans la mer. Ils choisissent la deuxième option montrant ainsi leur foi absolue en D’ieu. S’il les fait sortir d’Égypte, c’est pour assumer toutes les responsabilités. Parô les poursuit, et D’ieu s’efforce de l’attirer dans la mer. C’est là qu’il subira son châtiment pour avoir noyé plusieurs milliers de créatures innocentes. C’est dans la mer que Parô, pensant pouvoir se débarrasser du Sauveur des Bénè Yisraèl, essuie sa défaite cuisante. La haine d’Israël est si implacable que Parô ne voit pas le danger en les poursuivant même en mer.
Cependant, Mochè s’interroge sur les intentions de D’ieu! Comment peut-Il fendre la mer et diviser les eaux? Il se demande comment se réalisera un tel miracle! Les eaux ne sauraient déborder pour laisser apparaître la terre ferme car D’ieu avait placé le sable comme limite à la mer. Il est également impossible que les eaux se dressent en muraille à la droite et à la gauche des Bénè Yisraèl afin de leur livrer un passage, car D’ieu avait juré de ne pas fendre la mer!
Pour Èts Yossèf, Mochè comprend que D’ieu entend livrer un passage aux Bénè Yisraèl à travers la mer, après quoi, Il attire Parô et ses guerriers dans la mer afin de les y engloutir. Mochè trouve cela irréalisable non pas que D’ieu est incapable de le faire, mais parce qu’Il avait juré de ne point faire périr le monde par les eaux. L’erreur est que le monde entier est concerné par le serment divin et non un peuple. Ainsi Parô et son armée seront anéantis par les eaux de la mer.
Mais pour Rabbi Èl’âzar ha-Qappar, Mochè sait parfaitement que le serment divin ne s’applique pas à une seule nation. Pour lui, la marge de manœuvre de D’ieu ne lui permet pas de réaliser ce miracle. Car de même qu’il y a impossibilité de rejeter les eaux à l’extérieur de la mer “puisque le sable constitue une limite”, ainsi il est impossible de les dresser en murailles “puisqu’il a fermé la mer par des portes”, ce qui oblige les eaux à couler et non à se dresser en hauteur.
Mochè ne saurait imaginer un miracle défiant les lois et les principes que D’ieu avait imprimés à Sa Création. Au nom de ces principes, le miracle serait irréalisable. Faut-il que D’ieu Lui-même introduise un principe étranger à la nature?
La réponse divine à Mochè écarte complètement la définition du miracle qui s’oppose au phénomène de la nature. Le miracle ne s’oppose pas à la nature. Il est prévu et fait partie des lois qui régissent la nature. Ainsi D’ieu, au moment de la Création, avait-Il tenu à se réserver le droit de “réunir les eaux sur un même point pour qu’apparaisse le sol”. Au moment voulu, décidé par D’ieu, les eaux auront à obéir à la condition que leur a imposée le Créateur.
L’idée de contrat passé avec la nature obéissant contre ses propres règles à la volonté spécifique du Créateur, ouvre ainsi une nouvelle perspective. Le miracle s’inscrit dans la nature. C’est son intervention exceptionnelle qui le classe parmi les actes appartenant à la conduite miraculeuse plutôt que parmi ceux de la conduite naturelle. Parce qu’il est unique et rare, il se définit comme miracle.
Mochè, renseigné sur le véritable sens du miracle, accepte de fendre la mer. Cependant, si le contrat prévoit que la mer doit obéir aux ordres du Créateur, rien ne spécifie également qu’elle doive obéir à Mochè. La mer refuse de se laisser diviser par Mochè. Pourquoi? Elle recourt à un argument étonnant : la mer a priorité sur Mochè parce qu’elle est antérieure à la création de l’homme. Elle ne doit donc pas obéir à une créature comme elle et qui, dans l’ordre de la Création, vient en dernier. En outre, tous les prodiges réalisés jusqu’à présent par Mochè se sont déroulés sans qu’aucune opposition ne se manifeste. La Mer Rouge se souvient certainement du contrat passé avec D’ieu.
En vérité, D’ieu avait ordonné à Mochè, selon Rav Alchèkh, de lever la verge, autrement dit de mettre de côté la verge qu’il utilisait pour tous les prodiges, pour ne diriger que sa main vers la mer. Celle-ci, voyant que le miracle se produirait au moyen de la matière, par la main de Mochè, refuse d’obéir. Car, se plaçant au niveau de la matière, la création de la mer est antérieure à celle de l’homme et, à ce titre, elle n’a pas à obéir. Rien ne justifie l’obéissance de la mer si ce n’est au nom d’un principe d’un niveau supérieur à celui de la matière.
Aussi, revenant auprès du Créateur, Mochè comprend que le miracle, échappant aux lois physiques de la nature et de la matière, ne saurait être envisagé que dans un contexte supérieur à celui de la nature. D’ieu intervient. Il met sa main droite dans celle de Mochè. C’est le symbole de la transmission de la Tora. Mochè reçoit la Tora de la main de D’ieu. Du moins, D’ieu annonce à la mer que la main de Mochè est appelée à recevoir l’élément fondamental de toute la Création, la Tora. Là, l’argument faisant appel à l’antériorité n’est plus valable puisque la Tora avait préexisté à l’acte créateur. La main de Mochè devient l’instrument de la Tora et, à ce titre, la mer doit obéir.
La mer ne peut plus s’opposer. Au lieu de se laisser fendre, elle se mit à fuir. L’intervention de D’ieu la fait fuir. Mochè assiste à ce revirement de la mer. Pourtant, il lui demande la raison de cette fuite.
Le Midrache constate en fait que le miracle est l’oeuvre de D’ieu, non celle de Mochè. En effet le texte souligne(11) : “Mochè étendit sa main sur la mer, et l’Ét’ernel fit reculer la mer…” Mais Mochè interpelle le génie de la mer qui s’est opposé à lui. Pourquoi cette fuite? Cette hâte et cette fuite ne peuvent se comprendre que par la présence de D’ieu. La fuite n’est pas un refus, une désobéissance, mais plutôt un geste de respect. C’est un recul pour marquer sa révérence au D’ieu de Yaâqov.
Pourquoi mentionner D’ieu de Yaâqov? Le génie de la mer aurait pu obtempérer à l’ordre de Mochè comme il avait obéi à Yaâqov qui, pour traverser le Yardène, s’est contenté de montrer son bâton. Mais ici, la mer ne se laisse diviser que par D’ieu.
La Mékhilta rapporte également un Midrache semblable. Citant le texte(12) :
“Mochè étendit sa main sur la mer, rapporte : ” Devant le refus de la mer de reculer, Mochè invoque le nom du Saint béni soit-Il. Elle refuse. Lui montrant la verge, elle persiste dans son refus. Cela fait penser à ce propriétaire de deux vergers, l’un situé à l’intérieur de l’autre. Ayant vendu celui de l’intérieur, l’acheteur voulut y pénétrer. Le gardien lui refuse le passage. Invoquant le nom du roi, il refuse. Lui montrant le sceau du roi, il refuse. Alors le roi se mit en marche. Voyant le roi approcher, le gardien s’enfuit.
L’acheteur lui dit : tout le temps que j’invoquai le nom du roi, tu refusais. Maintenant, pourquoi t’enfuis-tu?
Ainsi Mochè demande au nom du roi sans succès. Lui montrant la verge, le [génie de la mer] refuse. Mais à peine le Saint béni soit-Il fait Son apparition, la mer se mit à fuir.
[Mochè] lui dit : tout ce temps, je te le demandais au nom du Saint béni soit-Il sans résultat. Pourquoi maintenant fuis-tu? [La mer] répond : Je ne fuis pas devant toi, fils de Âmram, mais devant le Seigneur de la terre”.
Tout se passe comme si Mochè ne comprend pas que la mer doive obéir à un principe supérieur. Celui de remplir son engagement vis-à-vis du Créateur qui a toute latitude de décider du lieu où se déroulera le miracle. En effet, la Mékhilta suggère que Mochè aurait pu réaliser le même miracle si les événements s’étaient produits au lieu prévu.
Ainsi, selon Rav Alchèkh, les Bénè Yisraèl devaient pénétrer au pays de Kénaâne par l’Occident en passant le territoire de Pélichetim. La traversée de la mer initialement prévue était en mer de Pélichetim. Mais D’ieu, changeant l’itinéraire, décide de leur faire traverser la Mer Rouge. Voilà pourquoi le génie de la mer s’oppose à Mochè jusqu’à l’apparition du Créateur.
L’appui de la Chékhina assistant Mochè dans ce miracle fait que toutes les eaux furent divisées. Il ne s’agit point seulement des eaux de la Mer Rouge, mais celles des sources et des puits furent divisées. Est-ce un miracle gratuit ne répondant à aucune nécessité?
Non! D’ieu tient à signaler aux Égyptiens qui sont restés en Égypte, l’existence de ce miracle. Ceux-ci furent eux aussi frappés et noyés par les eaux en Égypte. L’intervention divine fait que tous eurent connaissance de ce miracle. Ainsi, une des caractéristiques du miracle est d’être universel. Il ne se limite pas à un seul lieu. Le monde entier fut secoué et saisi par ce miracle.
La traversée de la Mer Rouge couronne ainsi tous les prodiges que D’ieu réalise pour délivrer Israël de l’esclavage égyptien. C’est là que D’ieu attire Parô et les meilleurs guerriers afin de leur infliger le châtiment mérité pour avoir asservi et maltraité les Bénè Yisraèl. Il donne ainsi l’occasion à son peuple de mesurer l’affection qu’Il lui porte puisque le miracle en est l’expression parfaite.
- Chémot Rabba paragr. 21, 6.
- Chémot 14, 16.
- Yirmiya 5, 22.
- Iyob 38, 8.
- Bérèchit 1, 9.
- Chémot 14, 27.
- N.B. Par permutation de lettres ètano, niveau, on obtient ténao, condition première.
- Yéchâya 63, 12.
- Téhillim 114, 3.
- Chémot 14, 21.
- Chémot 14, 21.
- Chémot 14, 21.