L’amour de D’ieu pour Israël
A peine uni à D’ieu, Israël rompt son engagement. Le souvenir de la Révélation divine n’est pas encore oublié qu’Israël fait le veau d’or et l’adore comme divinité. Quel scandale! D’ieu décide d’anéantir le peuple d’Israël. Mais Mochè se tient en prières : trois périodes de quarante jours parviennent à faire revenir D’ieu sur son projet funeste. D’ieu pardonne et demande à Mochè de bâtir un Michekane, Tabernacle, où Il résidera.
Mochè muni des Tables de la Tora et du pardon divin se met aussitôt à recueillir des offrandes pour construire le Sanctuaire. Israël avait offert ses bijoux pour la confection du veau; il doit, pour réparer sa faute, offrir également ses biens pour la construction du Michekane. Preuve d’amour de D’ieu pour le peuple d’Israël. Sa révolte est grave! Mais D’ieu accède à la demande de Mochè et accorde une deuxième chance à Israël. Se comporte-t-Il avec autant de bienveillance pour d’autres peuples? Cette interrogation fait l’objet de la réflexion du Midrache(1).
Citant le texte(2) :
“Qu’ils prennent pour moi une offrande” il rapporte : C’est bien ce qu’exprime Mal’akhi(3) :
“Je vous ai pris en affection, dit l’Ét’ernel! Vous répliquez : “En quoi nous as-tu témoigné ton amour?” – Êssaw n’est-il pas le frère de Yaâqov? dit l’Ét’ernel; or, j’ai aimé Yaâqov, mais Êssaw, je l’ai haï…” Tornosrufus dit, un jour, à Rabbi Âqiba : Pour quelle raison le Saint béni soit-Il nous hait puisqu’il écrit “Mais Êssaw, je l’ai haï“?
Demain je te donnerai une réponse, réplique-t-il.
Le lendemain Tornosrufus revint : Qu’as-tu rêvé cette nuit Rabbi Âqiba? Qu’as-tu vu?
Dans mon rêve, lui répond-il, j’avais cette nuit deux chiens. Un avait pour nom Rufus et l’autre Rufina.
Aussitôt [Tornosrufus] se mit en colère : tu appelles tes chiens par mon nom et celui de ma femme, tu mérites la mort, par ordre du roi!
Rabbi Âqiba lui dit alors : quelle différence existe-t-il entre toi et eux? Tu manges et tu bois, ils mangent et boivent. Tu procrées, ils procréent. Tu mourras, ils mourront. Parce que je les appelle par ton nom, tu te mets en colère! Pourtant le Saint béni soit-Il, qui a déployé les cieux et fondé la terre fait mourir et ressuscite, tu tailles un [morceau de] bois et tu l’appelles D’ieu comme Son Nom, n’est-il pas en droit de vous haïr! C’est pourquoi il est dit “Mais Êssaw, je l’ai haï!“
Le midrache tente, avant tout, de montrer le traitement privilégié du peuple d’Israël. L’amour et l’attachement que D’ieu témoigne à Israël sont exclusifs. Aucun peuple ne peut prétendre supplanter Israël dans le cœur de D’ieu. Pourquoi? Israël est le descendant des ancêtres Abraham, Yitshaq et Yaâqov. Ils ont voué leur existence à D’ieu, chaque moment de leur vie avait un rapport avec le service divin. Servir D’ieu ne suffit pas. Il faut Le faire aimer. Leur dévouement, leur action de tous les jours font que des païens renouent avec D’ieu, quittent l’idolâtrie pour n’aimer et ne servir que le Maître du monde. Il est naturel, tout compte fait, qu’Israël jouisse d’un statut privilégié.
Mais Israël mérite également des égards pour son propre comportement. Asservi et maltraité en Égypte, il n’a jamais eu un geste de révolte contre D’ieu. Il sait qu’il doit payer une dette de 400 années de servitude et la supporte sagement. Est-elle justifiée? Ce n’est pas là son problème! Il faut simplement se rendre à l’évidence. Il y a un prix à payer pour mériter le privilège divin.
Le passage en Égypte s’avère nécessaire car les vertus et valeurs essentielles d’Israël n’apparaissent qu’après ce séjour dans le creuset Égyptien dont la civilisation matérialiste et idolâtre allait broyer son âme. Pourtant à peine sorti d’Égypte il accepte la Tora proposée par D’ieu. Il retrouve sa nature, “une nature divine“, tournée vers l’idéal de la vérité et la vérité idéale. Il prononce deux termes dont les répercussions atteignent les sphères célestes : Naâssè wé-nichemaâ, “Nous exécuterons et écouterons.” C’est la disponibilité totale. Ils sont toujours prêts à servir D’ieu.
Cependant Israël amorce un revirement. Les tonnerres et les éclairs du jour Mattane Tora, la voix de D’ieu sont à peine calmés qu’Israël procède à la confection du veau d’or. Où est l’attachement juré à D’ieu? Où est l’engagement d’obéir à D’ieu? Israël n’est-il pas tombé plus bas que les autres peuples? Eux ont toujours l’excuse de n’avoir pas reçu ni accepté la Tora! Que fait-il de son statut privilégié? Il est vrai que êrèv rav, le ramassis de peuples, l’avait incité à franchir le pas de l’idolâtrie et de la révolte. Néanmoins il a marché, il a suivi.
Mochè intercède pour ramener l’harmonie entre D’ieu et le peuple d’Israël. D’ieu résidait auparavant parmi chaque individu de Âm Israël. Mais après la faute, le sanctuaire devint nécessaire pour la résidence divine. Le veau est le produit de la contribution de tous. Et D’ieu malgré tout, garde son affection à Âm Yisraèl. Pourtant tout condamne Israël à être l’objet de la haine, non de l’amour. Telle est la position de Tornosrufus. Israël mérite la haine, non Êssaw.
Quoi qu’il fasse, Israël possède une nature divine justifiant l’amour de D’ieu. Cette nature exige l’obéissance à D’ieu, à la Tora et aux Mitswot. Israël est toujours porté à faire le bien, non le mal, parce que sa nature est bonne. Aussi pour cette raison, affirme Bénè Yissakhar dans son développement consacré à Èloul, Israël a le privilège de se voir attribuer la récompense pour la seule intention de réaliser une mitswa qu’entrave un obstacle de dernière minute. La seule pensée de bien faire compte, en cas de force majeure, comme une bonne action. Parce que sa nature vise le bien que l’intention de mal agir ne compte que si l’acte se joint à la pensée.
En revanche pour les autres peuples, l’intention de la mauvaise action est en soi une mauvaise action. Il y a châtiment parce que leur nature vise le mal. L’intention de bien agir ne compte que s’il joint l’acte à la pensée. Étant d’une nature différente de celle des autres peuples, nature qui n’a pour autre objectif que d’accomplir la volonté divine, Israël, malgré ses écarts de conduite, continue à jouir de l’amour et de l’affection de D’ieu.
Cette différence a de quoi inquiéter et révolter un esprit malveillant comme celui de Tornosrufus qui, de tous les procurateurs romains a mérité d’être qualifié d’impie pour sa haine implacable des juifs. Il prenait un malin plaisir à les faire souffrir, et veillait à faire respecter toutes les restrictions et tous les édits proclamés contre eux. Il est d’autant plus révolté de constater que Yaâqov et Êssaw, bien qu’étant frères, ne bénéficient pas du même traitement. Yaâqov est aimé, Êssaw haï. Pourquoi?
Bien plus, Mal’akhi adresse cette prophétie à un moment où Israël est coupable de trahison à l’égard de D’ieu et de Sa Tora. Il ne peut qu’être l’égal de Êssaw. Pourquoi donc cette différence?
Pour Tornosrufus, Êssaw est aussi le fils de Yitshaq. Abraham fut l’élu de D’ieu. Sa descendance, non toute sa descendance, reprend le flambeau. Il s’agit de Yitshaq. Mais D’ieu avertit Abraham qu’Il ne prend en considération qu’une partie de Yitshaq et non Yitshaq en totalité. Cet enseignement est rejeté par Tornosrufus.
Certes, Rabbi Âqiba dispose de plusieurs réponses. Mais l’esprit tortueux de son interlocuteur s’arrangerait pour trouver des raisons pour les rejeter. La mauvaise foi de Tornosrufus est évidente aux yeux de Rabbi Âqiba qui ajourne sa réponse. Dans quel but renvoie-t-il au lendemain une réponse qu’il peut faire tout aussi bien sur-le-champ? Craint-il que Tornosrufus ne soit animé de mauvaises intentions et que toute réponse lui donnerait l’occasion de sévir contre les juifs? Rabbi Âqiba cherche à intriguer autant Tornosrufus qu’à lui donner un temps de réflexion car avec de la bonne foi il serait en mesure de reconnaître le bien fondé des raisons du prophète lui-même(4) : “Qu’ils [Édome] bâtissent, moi je démolirai, et on les appellera le Domaine de la Perversité, le Peuple à jamais réprouvé de D’ieu!”
D’ieu Lui-même ne saurait s’accommoder de la présence d’Édome parce que pervers, fourbe, usant de violence et de rapine. C’est tout le contraire de la volonté du Créateur.
Tenace, Tornosrufus revient à la charge le lendemain. Avec ironie et cynisme, il s’adresse à Rabbi Âqiba : “Quel rêve as-tu fait cette nuit? C’est l’erreur de Tornosrufus. Car Rabbi Âqiba tente de ménager la susceptibilité de l’autorité romaine. Il veut en tout cas s’en tenir aux limites de la correction.
En vérité Tornosrufus cherche avant tout à montrer que D’ieu livre Israël son préféré à Êssaw et ce, malgré la haine qu’Il lui voue! La réponse de Rabbi Âqiba est cinglante : ses chiens portaient pour nom Rufus et Rufina. Cela provoque la colère de Tornosrufus. N’est-ce pas un crime de lèse-majesté? Ne mérite-t-il pas la mort? On ne saurait comprendre sa réaction! En quoi un homme est-il responsable d’un acte même répréhensible fait en état de rêve? Sans doute un homme ne rêve que de choses auxquelles il a dû penser pendant le jour. Cela est en soi un crime : Rabbi Âqiba, connu d’ailleurs pour ses prises de positions anti-romaines, doit payer de sa vie le fait de traiter Rufus et Rufina de chiens.
Dans sa réponse, Rabbi Âqiba souligne l’absurdité de se fâcher pour avoir établi une comparaison entre lui et un chien. En fait rien ne les diffère quant aux fonctions essentielles : manger, boire et mourir. La seule différence entre l’être humain et l’animal réside dans le fait de diriger son esprit, son âme, vers des valeurs éternelles. En servant le Créateur, l’homme s’attache à la Tora et à Ses mitswot accédant ainsi à une âme impérissable.
En revanche, Tornosrufus s’attache seulement à la matière. Comme elle, il connaîtra une fin et ne laissera aucune trace. Par ailleurs, un idolâtre se comporte de telle sorte qu’il mérite la colère de D’ieu et sa haine. En effet, en élevant au rang de dieu un morceau de bois, ne mérite-t-il pas que D’ieu le haïsse? Voilà la raison pour laquelle D’ieu applique sa haine à Êssaw mais réserve son attachement à Yaâqov. Et quand bien même Yaâqov s’écarterait de la voie de la Tora, D’ieu lui garde toujours son affection. Les liens qui attachent D’ieu et Israël sont indéfectibles. Leur rupture met l’existence du monde en danger. C’est pourquoi, malgré sa conduite idolâtre, Israël demeure, toujours attaché à D’ieu. Son repentir ramène aussitôt la présence de D’ieu avec tout son éclat. Aussi le texte cité à l’appui est “Qu’ils prennent pour Moi une offrande” dont la lecture pour le midrache est : “Qu’ils Me prennent pour offrande…” En pensant toujours à réserver à D’ieu une place particulière dans leur coeur, Israël sera toujours assuré de l’amour de D’ieu.
Tornosrufus avait, selon Rachi et Rabbènou Nissim(5), l’habitude de débattre avec Rabbi Âqiba. Réduisant à néant ses arguments devant César, il suscitait sa colère et sa frustration.
“Un jour Tornosrufus rentre chez lui, le visage défait. Sa femme lui dit : pourquoi es-tu en colère? C’est à cause, répond-il, de Rabbi Âqiba qui a le don de m’énerver par ses paroles. Elle reprit : permets que je le séduise car leur D’ieu hait la débauche. Je l’entraînerai assurément à fauter, tant elle était belle! Lui ayant accordé son autorisation, elle se fait belle et se présente devant Rabbi Âqiba. L’apercevant, Rabbi Âqiba crache, rit, et pleure. Elle lui demande : que signifie ces trois actions? Je m’expliquerai, répond-il, sur deux mais pas sur la troisième. Je crache car tu fus créée d’une goutte putride. Je pleure cette beauté appelée à être ensevelie dans la terre. Mais il ne donne pas la signification de son rire. Il savait par l’Esprit Saint que se convertissant, elle allait devenir sa femme. S’étant convertie, il l’épousa”.
Rufus, à cause de sa haine maladive de Rabbi Âqiba, est prêt à sacrifier la vertu de sa femme. N’est-ce pas là une preuve supplémentaire de l’amour que témoigne D’ieu pour Âm Yisraèl! La fidélité des liens de mariage. Sur les Tables de la Loi, la foi en D’ieu Un fait face à l’interdit de commettre l’adultère. Rabbi Âqiba n’a d’autre joie que de servir D’ieu, Créateur des cieux et de la terre, auteur de la mort et de la résurrection.
La joie du Créateur consiste également à voir les Bénè Yisraèl, malgré les persécutions et les exils, attachés à la Tora si bien qu’Il peut affirmer : “ils m’ont pris pour offrande.”, autrement dit, ils font de telle sorte que leur coeur soit le sanctuaire où réside en permanence D’ieu.
1. Tanhouma sur la sidra paragr. 3.
2. Chémot 25, 2.
3. chap. 1, 2-3.
4. chap. 1, 4.
5. Nédarim 50b.