L’attaque des Midyanim

Sur le conseil de Bil’âm, Balaq finit par lâcher les filles de Moab pour entraîner à la débauche Israël qui, se laissant séduire, se mit à adorer leur dieu Péôr.

C’est le faux pas qu’attendaient Bil’âm et Balaq. Sachant que D’ieu a en horreur la débauche et l’idolâtrie, Balaq n’a pas hésité à sacrifier Kozbi sa propre fille. Elle avait pour mission de séduire Mochè. Mais, en chemin, Zimri Ben Salou, le prince de Chimône, l’intercepte.

Le Talmoud rapporte(1) :

“La tribu de Chimône se rassembla chez Zimri, leur chef, pour lui dire : On veut nous condamner à la peine capitale, et toi tu te trouves là en compagnie de la Médyanite. Se présentant devant Mochè, ils lui dirent : Mochè, celle-ci est-elle interdite ou permise? Si tu dis : elle est interdite, qui a permis la fille de Yitro?”

Zimri crée ainsi une situation où tous les Israélites hésitant encore, franchirent le cap de la débauche et de l’idolâtrie. L’exemple de Zimri est en soi une incitation à la révolte.

Pinhas, assistant aux côtés de Mochè aux provocations de Zimri, lui rappelle son enseignement : “Quiconque s’accouple à une aramite sera abattu par les zélateurs.” Aussitôt, Mochè lui demande d’être l’exécuteur de ce message.

Voilà donc Pinhas embarqué dans l’action de venger l’honneur de D’ieu et de son maître.

Le peuple d’Israël bascule. C’est la première fois après la faute du veau d’or où il est question d’un abandon de D’ieu au profit de l’idolâtrie et de la débauche. La situation est grave. D’ieu réagit. Vingt-quatre mille sont les victimes d’un tel égarement. Faut-il laisser décimer le peuple d’Israël? Pinhas n’obéit qu’à son courage. Il pénètre dans la tente de Zimri sous prétexte de prendre lui aussi part à la partie de plaisirs et de débauche. Ainsi a-t-il pu surprendre en pleine faute Zimri et Kozbi. Il les transperce tous les deux de sa lance. Aussitôt, la colère divine s’apaise.

L’action de Pinhas est citée en exemple. Dans cette aventure, alors que nombreux sont ceux qui perdent la tête pour verser dans la luxure, la débauche et l’idolâtrie, un seul homme garde la tête froide. Il agit parce que le peuple est menacé d’extermination. D’ieu, reconnaissant, lui accorde la prêtrise pour lui et pour ses descendants.

Mais qu’advient-il des Midyanim et Moabim? Ils sont les premiers responsables d’un tel carnage. Sans les filles de Moab, Israël ne se serait jamais laissé aller à la débauche et à l’idolâtrie. D’ieu ne saurait passer sous silence une telle provocation. Cela mérite un châtiment exemplaire.

Aussi le Midrache(2), citant(3) :

Attaquez les Midyanites et les taillez en pièces.” 

Nos Maîtres tirent cet enseignement : Quiconque veut te tuer, tue-le en premier.

Rabbi Chimône dit : Entraîner son prochain à la faute est plus grave que de le tuer! Car le tuer dans ce monde ne le prive pas pour autant de sa part dans le monde futur. Deux nations ont attaqué Israël par l’épée et deux par la faute. Les Égyptiens et les Èdomim ont attaqué par l’épée. Les Égyptiens attaquèrent par l’épée tel qu’il est dit(4) :

L’ennemi disait : Courons, atteignons! Partageons le butin…

Èdom, tel qu’il est dit(5) :

Èdom lui répondit : Tu ne traverseras point mon pays car je me porterais en armes à ta rencontre.” Deux autres [Nations] les entraînent à la faute : Moabim et Âmmonim.

 propos de ceux qui attaquèrent par l’épée, il est dit(6) :

N’aie pas en horreur l’Èdomi car il est ton frère; n’aie pas en horreur l’Égyptien car tu as séjourné dans son pays.

Mais pour ceux qui entraînent Israël à la faute, il est dit(7) :

Ni un Âmmoni ni un Moabi ne seront admis à l’assemblée du Seigneur; même après la dixième génération, ils seront exclus de l’assemblée du Seigneur, à perpétuité.”

Aussi, ne furent-ils pas quittes dans ce monde ainsi qu’il est dit :

Attaquez les Midyanites!” Que veut dire “Attaquez les Midyanites“? Bien que j’aie prescrit(8) :

Quand tu marcheras sur une ville pour l’attaquer, tu l’inviteras d’abord à la paix“, pour [ces Nations] ne vous comportez pas ainsi.

Il est écrit(9) :

Ne t’intéresse donc jamais à leur bien-être et à leur prospérité, tant que tu vivras.” Il se trouve que celui qui les traite avec miséricorde se voit finalement humilié et entraîné dans des guerres et des peines. Ce fut le cas de David, tel qu’il est écrit(10) :

David se dit “Je veux agir amicalement avec Hanoune, fils de Nahache [roi des Âmmonites], comme son père a agi à mon égard.”

Le Saint béni soit-Il dit : Tu désobéis à Ma prescription : “Ne t’intéresse donc jamais à leur bien-être et à leur prospérité tant que tu vivras” en les traitant avec bienveillance.

Ne sois pas juste à l’excès(11)!” L’homme ne doit pas transgresser l’enseignement de la Tora. Et celui-ci envoie dire à Nahache Bèn Âmmone qu’il agira avec lui avec bonté et bienveillance. À la fin, il fut humilié(12) :

Alors Hanoune fit saisir les serviteurs de David, raser la moitié de leur barbe et couper la moitié de leurs vêtements jusqu’aux reins, puis il les congédia.” Il fut humilié et, par la suite, [obligé] à faire la guerre à Aram Naharayim, avec les rois de Tsoba, avec les rois de Maâkha et avec les Bénè Âmmone, quatre nations. Il est écrit(13) :

Yoab, voyant que la bataille le menaçait par-devant et par derrière.” Quelle a été la cause [de tout cela]? Il voulut agir amicalement avec ceux dont le Saint béni soit-Il avait dit : “Ne t’intéresse jamais à leur bien-être et à leur prospérité.” C’est pourquoi il est écrit : “Attaquez les Midyanites!

Deux enseignements se dégagent de ce midrache(14). Il est important de réagir en cas de légitime défense. Abattre celui qui veut attaquer est certes le meilleur moyen d’assurer sa survie. Car se laisser surprendre par l’ennemi qui veut notre mort est considéré comme un abandon de responsabilité. En effet, la vie est un don de D’ieu et l’on se doit de la préserver même au prix de la mort de celui qui veut nous la retirer.

Mais le midrache n’accuse-t-il pas un retard cruel pour nous livrer son message? En effet, ce n’est qu’après la mort de 24 000 parmi Israël que D’ieu recommande d’attaquer les Midyanim! Le mal est déjà fait! Comment un tel enseignement se justifie-t-il après coup?

Sans doute l’intention des Midyanim est-elle d’anéantir le peuple d’Israël. Bil’âm cherchait à tout moment l’occasion propice de maudire Israël, de l’exterminer. Mais D’ieu s’abstient de se mettre en colère malgré les efforts de Bil’âm d’invoquer les mauvaises actions d’Israël.

De plus, Midyane n’a rien à craindre d’Israël qui n’avait nullement l’intention de l’attaquer. L’hostilité de Midyane est donc gratuite à moins que son désir, au fond, soit de souhaiter l’extermination d’Israël. Aussi, pour cette raison, D’ieu ordonne de l’attaquer, d’en finir avec Midyane car “quiconque t’attaque abats-le en premier.”

Le deuxième enseignement est capital. En effet, Rabbi Chimône va plus loin que la mort physique de l’homme. Il voit en l’individu qui entraîne son prochain à fauter un double meurtrier. Il l’assassine dans ce monde et dans le monde à venir. Le danger moral est plus grave que le danger physique.

En fait, l’homme ne réagit que lorsqu’il se sent menacé physiquement. Mais devant les assauts qui visent à le faire dévier de la voie juste et droite, l’homme réagit avec tiédeur.

L’enseignement de Rabbi Chimône rappelle à l’homme une vérité dont il tient si peu compte. Il est vrai qu’en agissant mal, il vise bien souvent la satisfaction de ses besoins matériels et physiques. Il entend profiter de la vie de ce monde, en donnant libre cours à ses plaisirs et à ses désirs. Rabbi Chimône appelle cela mourir également dans ce monde car la vie exige au contraire la discipline de ses appétits. À vouloir trop satisfaire ses besoins, l’homme développe en lui tout ce qui peut précipiter même sa mort physique.

Le sens de la vie est de pouvoir, à travers toutes les situations, lutter contre ses penchants afin de parvenir à la perfection morale. Toutes les privations répondent en fait à ce besoin de placer le règne de l’âme au-dessus de toutes les volitions qui retiennent l’homme au monde de la matière.

Les Midyanim, en fait les Moabim puisque ce sont eux qui désiraient l’extermination d’Israël, furent prêts à tout entreprendre pour provoquer la rupture des relations privilégiées d’Israël avec D’ieu.

Les deux fautes visées sont la débauche et l’idolâtrie. Elles sont toutes deux à l’origine de tout le mal de la société. Elles sont complémentaires car si la débauche se définit comme le désordre des sentiments se rattachant au corps, l’idolâtrie recherche avant tout le désordre au niveau de l’âme, de la foi.

La Tora traite différemment les peuples qui attaquent ouvertement Israël pour se défendre et ceux qui attentent à sa vie morale. Èdom et l’Égypte méritent malgré tout la considération de D’ieu qui recommande de ne pas les éloigner tout à fait et de maintenir à leur égard une approche d’ouverture.

Mais Moab et Âmone, parce qu’ils ont incité Israël à la faute et au mauvais comportement moral, sont rejetés. Aucune conversion n’est admise, à perpétuité. C’est dire qu’il ne faut attendre d’eux aucune perfection morale puisqu’ils se sont tournés vers la débauche et le mal.

Il est surprenant de voir Âmone subir le même sort que Moab puisqu’il n’est pas partie prenante dans l’affaire de Bil’âm. Mais Sifrè(15) atteste que Âmone s’est associé à Moab dans l’incitation à l’adoration de Péôr. D’ieu recommande pour ces deux peuples l’intransigeance. Ils ne méritent pas qu’Israël fasse un appel à la paix. Au contraire, le meilleur moyen de traiter avec eux est la guerre. Aucune ouverture de paix car leur nature fait que toute sollicitude à leur égard est signe de faiblesse, ce qui entraîne et humiliations et luttes infinies.

L’exemple de David est édifiant. Envoyer des condoléances à Hanoune à l’occasion de la mort de son père Nahache, qui avait bien traité David, donne des résultats contraires à ses espoirs. La Tora ne fait pas de distinction entre un bon et un mauvais Âmmoni. Il faut les traiter tous de la même manière : “Ne t’intéresse pas à leur bien-être.”

Pour Rabbi Chimône, Moab et Âmone qui cherchaient la ruine morale des Bénè Yisraèl sont plus dangereux qu’Èdom et l’Égypte. Aussi ne faut-il pas leur donner l’occasion de frayer avec Israël. Le meilleur traitement est de les attaquer :

“car ils vous ont attaqués eux-mêmes par les ruses qu’ils ont machinées contre vous au moyen de Péôr et au moyen de Kozbi, la fille du prince de Midyane, leur sœur, qui a été frappée le jour de la mortalité à cause de Péôr.”

En vérité, l’enseignement de Rabbi Chimône s’adresse à Âmone et Moab, mais la Tora parle surtout d’attaquer les Midyanim. Midyane et Moab se sont ligués contre Israël. Moab fait appel à Midyane qui apporte toutes les informations pertinentes sur Mochè et Israël.

Selon Èts Yossèf, en ordonnant d’exterminer les Midyanim, la Tora veut faire subir en fait le même sort à Moab puisque tous les deux se sont engagés dans le même combat contre Israël.

Rachi fait remarquer cependant que la Tora n’ordonne pas d’exterminer Moab pour donner au monde Rout(16). C’est admettre avec lui que toute disposition est prise pour laisser la chance à celle qui allait donner naissance à la lignée de rois d’Israël et au futur Messie.

1. Sanhèdrine 82a.

2. Tanhouma, Pinhas paragr. 3.

3. Bé-midbar 25, 17-18.

4. Chémot 15, 9.

5. Bé-midbar 20, 18.

6. Dévarim 23, 8.

7. Bé-midbar 23, 4.

8. Dévarim 20, 19.

9. id. 23, 7.

10. Chémouèl 2.10, 2.

11. Qohèlète 7, 16.

12. Chémouèl 2, 10, 4.

13. id, 10, 9.

14. N.B. Quoique succinctement plus haut analysé, il nous semble intéressant d’en reprendre spécifiquement l’étude afin d’en dégager le message.

15. cf. sur la Sidra Balaq.

16. cf. Baba Qama 38b.

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