Le Yovèl, le Jubilé

«Tu compteras pour toi sept années chabbatiques, sept fois sept années, de sorte que la période de ces sept années chabbatiques te fera quarante-neuf ans; puis tu feras circuler le retentissement du cor, dans le septième mois, le dixième jour du mois : au jour des Expiations, vous ferez retentir le son du cor à travers tout votre pays. Vous sanctifierez cette cinquantième année en proclamant, dans le pays, la liberté pour tous ceux qui l’habitent : cette année sera pour vous le Jubilé où chacun de vous rentrera dans son bien, où chacun retournera à sa famille. La cinquantième année est le Jubilé, elle le sera pour vous : vous ne sèmerez point, vous n’en couperez point les produits, ni n’en vendangerez les vignes intactes, parce que cette année est le Jubilé et doit vous être une chose sainte. C’est à même le champ que vous en mangerez le produit. En cette année jubilaire, vous rentrerez chacun dans votre possession(1)

Après les prescriptions relatives à l’année chabbatique, année de chémitta, pendant laquelle la terre est soumise à un chômage en l’honneur de l’Ét’ernel, la Tora livre les lois concernant le Yovèlle Jubilé.

En abordant l’étude de ce passage de la Tora, Abrabanèl recommande à l’homme, surtout à Israël, de se soucier plus de la perte de son temps que de la perte de son argent et de ses biens.

Ainsi l’homme parvient-il à viser la perfection. Pour ce faire, il est nécessaire de se rappeler que la vie d’un être humain est prévue pour une durée de soixante dix ans. L’année de chémitta est prescrite pour laisser chômer la terre afin que l’homme, réalisant qu’il n’en est point le propriétaire mais le gérant, se mette à l’étude de la Tora et à l’acquisition de valeurs morales. En effet, se libérant des contraintes du temps et de la matière, l’homme se soucie-t-il davantage de la vie spirituelle et morale.

Le Yovèl, couronnant la période des sept années chabbatiques, a lieu la cinquantième année. Cette année, proclamant la liberté pour tous les habitants de la terre, car chacun rentre dans son bien et retourne à sa famille, appelle l’homme à une prise de conscience qui l’oblige, après les soixante premières années de sa vie, à se tourner davantage vers la sainteté et la perfection morale.

Les dix premières années de son existence, l’homme ne peut se consacrer au travail physique et matériel. Mais aussitôt après commence une période de cinquante années toutes vouées au travail et à la production. Les dix dernières années correspondant à l’année chabbatique, l’homme les consacrera aux besoins de sa vie spirituelle. L’année du Yovèl est l’année de la liberté car l’homme se libère également de toutes ses contraintes physiques pour atteindre la perfection morale.

Le jour de Kippour est proclamé le Yovèl pour bien souligner la possibilité qu’a l’homme d’expier toutes ses fautes et se consacrer à une vie faite de pureté et de sainteté. Cette libération devient possible car, le Yovèl dont le sens est aussi vieillesse et altération des forces physiques, permet à l’homme d’être plus disponible à la vie morale afin de «retourner [parfait] à sa famille».

Le midrache Tanhouma(2), abordant le texte(3) :

«Si donc tu fais une vente à ton prochain…» rapporte : «C’est bien ce qu’exprime le texte(4) :

«L’homme envieux court après la fortune…», en parlant de plusieurs personnes. «L’homme envieux court après la fortune», il s’agit de Qayine.

Le Saint béni soit-Il lui dit : Tu cours pour posséder le monde, par ta vie, tu ne récoltes que perte. Le texte poursuit :

«Il ne s’aperçoit pas que la misère viendra fondre sur lui

Qu’obtient-il? Il doit errer dans le monde ainsi qu’il est dit(5) :

«Tu seras errant et fugitif dans le monde.»

Autre explication :

«L’homme envieux court après la fortune.» Il s’agit de Êfrone, le Hitti, qui, sollicité par Abraham de lui vendre son caveau pour y ensevelir Sara, lui en réclame son prix disant(6) :

«Une terre de quatre cents sicles d’argent, qu’est-ce que cela représente entre nous deux?». Abraham [comprit] et se mit à compter tout l’argent à Êfrone comme il est dit(7) :

«Abraham compta le prix qu’il avait énoncé en présence des enfants de Hète : quatre cents sicles d’argent, en monnaie courante

Ben Mara dit : Bien que Rabbi Hanina enseigne que tous les chéqalim, sicles, de la Tora sont des sélaîm, ceux-ci font exception car ils représentent en fait des qantarim,  cent sicles étant un qantar. Abraham a compté à Êfrone quatre cents qantarim. Voyant surtout cet argent, Êfrone s’y jette avec précipitation et dit :

«Dans la meilleure de nos tombes, ensevelis ton mort

Le Saint béni soit-Il dit : Tu te précipites sur l’argent, par ta vie, tu n’auras que perte». Et quelle est cette perte?

Rabbi Yéhouda ha-Léwi, fils de Chalom, dit : Tout Êfrone cité avant qu’il ne prenne l’argent d’Abraham s’écrit plein, avec un waw, à l’exception de «Abraham compta à Êfrone», écrit sans waw 

Autre explication :

«L’homme envieux court après la fortune.» Il s’agit de l’homme qui fait du commerce avec les fruits de l’année chabbatique. Il court après la fortune car, faisant du commerce avec les fruits de la chémitta, il pense s’enrichir. Le Saint béni soit-Il affirme, en revanche qu’il subira une perte, n’ayant pas observé l’année de chémitta. La malédiction s’empare de ses biens qu’il est contraint de vendre. Qu’est-il dit plus haut(8)?

«La terre sera soumise à un chômage en l’honneur de l’Ét’ernel…» La suite est :

«Si donc tu fais une vente à ton prochain…»

Ce midrache a pour objet d’attirer l’attention sur les conséquences désastreuses qui peuvent résulter de la passion démesurée que l’homme développe dans sa poursuite des biens matériels. Certes est-il légitime de vouloir s’enrichir et augmenter ses biens. Mais courir après la fortune, si à la base il y a l’envie et la cupidité, aboutit à des résultats contraires aux attentes de l’homme.

L’envie et la cupidité ne sont pas bonnes conseillères. Au lieu de vouloir s’enrichir honnêtement, tous les moyens étant permis et utilisés, laissent à l’homme un goût amer puisque ce bien mal acquis, faisant des ailes, lui échappera des mains. À peine s’accapare-t-il d’un bien qu’il perd même ce qu’il possède.

Le cas de Qayine est significatif. Le monde entier appartenait à Qayine et Hèvèl. Deux tendances s’affrontent. Qayine, dérive de qanoacquérir, ou qanojalouser. Il veut absolument s’accaparer des biens de Hèvèl. Il en est maladivement jaloux. Hèvèl, désigne vanité, néant. Pour lui, tout bien de ce monde est vain. Aucune acquisition n’est éternelle.

La vérité se situe entre les deux conceptions. D’ieu octroie à l’homme des biens. Il convient de les faire fructifier et de les gérer honnêtement.

Qayine ne se contente pas de ce qu’il possède. Voulant pour lui le monde entier, il subit une perte totale car, tuant son frère, il doit s’exiler, errant et fugitif dans le monde.

Êfrone est tout le contraire d’Abraham. Les deux présentent deux approches différentes. Êfrone dérivant de âfarsable et poussière, tend par une fausse modestie à cacher à tous sa cupidité et son désir de s’enrichir.

Abraham est père d’une multitude de nationsAb hamone goyim. Il est puissant et riche. Et pourtant! Il n’entend point profiter d’une donation. Il peut toujours invoquer son droit à la propriété puisque D’ieu lui fit don de tout le pays. Il n’en fait rien. Il comprend, à la manière dont Êfrone s’adresse à lui, combien grand est son désir de profiter de la situation pour tirer le prix le plus fort.

Êfrone se montre sous son vrai visage, cupide et envieux. En effet, la Tora  ô s’il savait que la Tora lui retirerait un waw de son nom, peut-être se serait-il retenu à temps! laisse une impression indélébile de sa condamnation : Êfrone sans waw a la même valeur numérique que râ âyine,  l’homme au mauvais oeil, envieux. Êfrone perd tout : sa prétendue modestie laisse seulement apparaître sa passion démesurée de l’argent.

La troisième explication cite à l’appui le commerce illicite des fruits de l’année de la chémitta et du yovèl. Le but consiste à poursuivre l’acquisition des biens, à vouloir s’enrichir. Mais le résultat sera fatalement de se dessaisir de toutes les possessions pour finalement devenir l’esclave de l’étranger et être contraint de s’exiler.

La chémitta et le yovèl enseignent que le monde n’appartient qu’à D’ieu. Dès que l’homme veut se substituer à D’ieu en devenant le propriétaire de la terre, il s’expose à l’exil et à la pauvreté. La cupidité et l’envie sont à la base d’une telle attitude.

La Tora, prescrivant cette mitswa, demande à l’homme de fournir l’effort nécessaire en vue de combattre sa tendance à l’expansionnisme et sa passion des biens matériels, pour se tourner vers la perfection morale.

Tu compteras pour toi sept années chabbatiques, sept fois sept années, de sorte que la période de ces sept années chabbatiques te fera quarante-neuf ans.

Tu compteras pour toi .

Pour Kéli Yaqar, Lékhapour toi, signifiant dans ton intérêt, souligne la nécessité, pour l’homme, de se préoccuper du contenu moral à donner aux années de responsabilité religieuse et morale. Étant donné qu’elle ne commence à courir qu’à l’âge de vingt ans, l’homme se doit de compter les quarante-neuf années restantes pour satisfaire ses besoins spirituels. Ainsi ces années seront-elles pour lui, seul, puisqu’elles lui appartiennent en propre, les ayant acquises par les efforts investis dans la perfection morale.

Mais si l’homme les emploie uniquement à l’acquisition de biens matériels, la Tora l’avertit qu’après sa disparition d’autres en profiteront. Ces années ne lui appartiennent pas, puisque le résultat de son labeur reviendra aux autres et non à lui.

Sept années chabbatiques, sept fois sept années, de sorte que la période de ces sept années chabbatiques te fera quarante-neuf ans.

Haâmèq Davar s’interroge sur la raison qu’a la Tora de préciser que sept fois sept années chabbatiques feront quarante-neuf ans. A-t-elle réellement besoin de nous le faire savoir?

Pour lui, la Tora met l’accent, comme l’explique Sforno, sur le fait de compter les années selon les jours et non selon le nombre de mois. Car si tel était le cas, le nombre de mois des années embolismiques pouvant constituer des années de douze mois, le Yovèl tomberait avant la quarante-neuvième année. Aussi, pour cette raison, le texte souligne-t-il : «Les jours des sept périodes de sept années chabbatiques totaliseront quarante-neuf années.»

Puis tu feras circuler le retentissement du chofar, dans le septième mois, le dixième jour du mois, au jour de Kippour, vous ferez retentir le son du chofar à travers tout votre pays.

Puis tu feras circuler le retentissement du chofar

Pour Sforno, le son du chofarcorne de bélier, annonce la joie de la libération des esclaves et le retour des terres à leur premier propriétaire.

Dans le septième mois, le dixième jour du mois, au jour de Kippour

Rambane s’interroge, après Rachi, sur le besoin de préciser inutilement que le dix Tichri est le jour de Kippour.

Rachi dit :

«La sonnerie du chofar au 10ème jour du mois a bien lieu même le Chabbat à travers tout le pays, tandis que la sonnerie de Roche ha-chana n’a pas lieu le Chabbat dans tout le pays mais seulement au siège du tribunal.»

Rambane souligne que l’explication de Rachi n’est valable qu’après la destruction du Bèt ha-Miqdache. Nos Maîtres décrètent que la sonnerie de Roche ha-Chana, serait interdite partout le Chabbat à l’exception du siège du tribunal. Cependant, ce qu’il faut retenir c’est que, pour le yovèl, la sonnerie était permise Chabbat dans tout le pays.

Pour Kéli Yaqar, cette sonnerie a lieu le jour de Kippour, jour où l’homme est délivré des tentations du yètsèr ha-râmauvais penchant, pour mieux inspirer l’homme et le décider à suivre une vie de perfection morale plutôt qu’une vie vouée à la matière. En outre, dit-il, l’homme se doit de placer toute sa confiance et toute sa foi en D’ieu.

Il poursuit : pour que l’homme ne s’attache point au monde matériel, la Tora ordonne de sanctifier cette cinquantième année, proclamant ainsi que la terre appartient à l’Ét’ernel et qu’il n’est, en fait, qu’un étranger auquel D’ieu avait confié la gérance.

Vous sanctifierez cette cinquantième année en proclamant, dans le pays, la liberté pour tous ceux qui l’habitent : cette année sera pour vous le yovèl où chacun de vous rentrera dans son bien, où chacun retournera à sa famille.

Cette année sera pour vous le yovèl où chacun de vous rentrera dans son bien, où chacun retournera à sa famille.

Cette année est appelée, explique Rachi, yovèl à cause de la sonnerie du chofar car yovèl, signifie aussi corne de bélier(9).

Mais Rambane est d’un avis différent car le chofar de la corne de bélier n’est utilisé que pour Roche ha-chana. En revanche, pour Kippour la sonnerie est faite à l’aide d’un chofar de la corne de chamois. C’est pourquoi, dit-il, cette année est appelée yovèl à cause de la liberté donnée à tous les habitants de la terre, chacun retourne – youvalest dirigé – vers son patrimoine et retourne à sa famille.

Selon Rabbènou Béhayè, cette année porte ce nom parce que tout retourne à son origine, à la cause première qui est D’ieu. C’est le sens véritable de la chémitta et du yovèl.

En la sanctifiant, autrement dit en s’interdisant de semer la terre, de la moissonner ou de vendanger les vignes, parce que la terre cesse de lui appartenir et revient à D’ieu, l’homme sera en mesure de comprendre que le yovèl libère les esclaves de leur esclavage et chacun rentre dans ses possessions.

Le texte utilise le terme ahouzzapossession, et non nahala,  héritage, pour bien souligner le retour au premier propriétaire.

Mèchèkh Hokhma affirme, à juste raison, qu’en abandonnant tout travail de la terre, l’homme n’éprouve pas de difficulté à la rendre à ses premiers propriétaires. En fait, la sanctification de l’année du yovèl constitue une préparation morale débouchant sur la possibilité de réaliser la prescription de libérer les esclaves et de rendre à leurs propriétaires les terres.

1. Wayi-qra 25, 8-13.

2. Bé-har paragr. 1.

3. Wayi-qra 25, 14.

4. Michelè 28, 22.

5. Bérèchit 4, 12.

6. id. 23, 15.

7. Bérèchit 23, 16.

8. Wayi-qra 25, 2.

9. cf. Yéhochouâ 6, 5.

Leave a Reply