L’élection des Kohanim

La Création vise essentiellement l’étude et la mise en pratique de la Tora. Israël, bien que faisant partie du concert des Nations, est seul à assumer cette mission. Sans un engagement authentique, il remet en question l’existence du monde.

L’élection d’Israël ne constitue aucunement un privilège. Elle exige au contraire la pratique de vertus morales. Israël a le devoir d’être saint et pur. Pratiquer la sainteté c’est vouer son existence à D’ieu, l’orienter vers les valeurs divines allant jusqu’à s’interdire parfois ce qui est permis. Le seul souci est de se maintenir dans un état de pureté et de sainteté afin de garder intact l’amour de D’ieu.

Cependant, à l’intérieur même d’Israël, les Kohanim constituent une classe à part. Soumis aux mêmes devoirs et obligations qu’Israël, les Kohanim doivent, en plus, respecter des prescriptions qui leur sont propres. L’élection des Kohanim entraîne un surcroît de responsabilités. Aussi sont-ils tenus à une sainteté et à une pureté encore plus grandes.

Le Midrache(1) citant le verset(2) :

L’Ét’ernel dit à Mochè : “Parle aux pontifes, fils d’Aharone, et dis-leur : Nul ne doit se souiller par le cadavre d’un de ses concitoyens“, rapporte :

“Rabbi Bérakhya dit au nom de Rabbi Léwi : cela fait penser à l’Israélite et au Kohène, tous deux épileptiques, auxquels un médecin compétent confie, pour les soigner, un talisman. Il fait ses recommandations à l’Israélite et néglige le Kohène.

Ce dernier lui dit : N’est-il pas vrai que tu as confié [le talisman] à nous deux? Pourtant vous adressez des recommandations à l’Israélite. Quant à moi, vous m’ignorez!

L’Israélite, répond-il, est habitué à frayer entre les tombes alors que toi, parce que Kohène, tu évites d’emprunter de tels chemins. C’est pourquoi je fais des recommandations à l’Israélite. En revanche, nul besoin de m’intéresser à toi.

Ainsi parce que les êtres célestes n’ont pas de yètsèr ha-râ, le mauvais penchant, une seule parole leur suffit tel qu’il est dit(3) :

Tel est l’arrêt prononcé par la volonté des anges et la résolution maamar, décrétée par les saints..

En revanche, les êtres humains, les êtres terrestres, habités par le yètsèr ha-râ, deux paroles leur sont nécessaires. Cependant puissent-ils s’y conformer tel qu’il est dit : “L’Ét’ernel dit à Mochè : “Parle aux Kohanim, fils d’Aharone, et dis-leur…

Midrache surprenant, déroutant. Rabbi Léwi établit un parallèle entre les êtres célestes et les Kohanim. Tous deux sont portés, grâce à leur perfection morale, à l’obéissance et au respect de la volonté divine. Ils ne nécessitent point, pour obtenir leur soumission à D’ieu, d’insister, par la répétition, sur l’importance des prescriptions.

Mais à la lecture de notre texte, force est de constater que la parole divine est répétée aux Kohanim. L’obligation, mitswa, de pureté et de sainteté imposée aux Kohanim est à ce point capitale que le texte la souligne par la répétition : “Èmor wé-amarta, parle et dis-leur”. Cela ne supporte point la comparaison avec les êtres célestes qui, eux, ne nécessitent qu’une seule parole!

En outre, pour Rabbi Léwi, le Kohène se plaint en fait de ne point faire l’objet de recommandations particulières. C’est Israël qui, au contraire, jouit de l’intérêt de D’ieu puisque les recommandations lui sont toujours adressées. Si les deux, l’Israélite et le Kohène, sont atteints d’épilepsie, – pourquoi l’épilepsie? – ne devraient-ils pas subir le même traitement?

En vérité, Rabbi Léwi entend donner la raison fondamentale des mitswot. La Tora fournit à l’être humain l’instrument Nécessaire pour lutter contre toutes ses tendances et affiner son âme. “J’ai créé le yètsèr ha-râ, J’ai aussi créé la Tora comme antidote”, affirment nos Maîtres(4).

Comme l’épileptique perd tous ses moyens, n’ayant plus contact avec le monde réel, ainsi l’homme, livré au yètsèr ha-râ, oublie jusqu’à sa mission véritable, celle de se soumettre à D’ieu, pour ne se lancer que dans la satisfaction de ses besoins physiques et matériels. La Tora agit comme une panacée contre le yètsèr ha-râ. Parce que l’homme s’investit dans l’étude et la pratique des mitswot, il arrive à se libérer et à briser les chaînes qui l’entravent et que le yètsèr ha-râ tente de renforcer. La Tora agit, par la pratique de ses mitswot, à insuffler l’amour des vertus morales et à rapprocher l’homme de D’ieu.

Tel un feu, le yètsèr ha-râ dévore l’homme. Il multiplie ses besoins, aiguise ses appétits et ses tendances afin de le priver de toute initiative au moment nécessaire de secouer son joug. Mais le feu de la Tora est ardent. Il parvient à éteindre celui du yètsèr ha-râ et ramène l’homme à la raison.

Néanmoins, la Tora exige une certaine pureté. Car pour garder son pouvoir intact, il faut la préserver de l’impureté, en particulier celle que dégage un cadavre. Nos maîtres désignent le cadavre comme étant le père des pères de l’impureté, l’impureté par excellence. Non pas que la Tora perd tout à fait son efficacité, mais l’impureté contribue néanmoins à dresser un écran devant l’homme qui se soustrait ainsi à l’influence bénéfique de la Tora. Ainsi est-il absolument interdit à l’épileptique de frayer parmi les tombes s’il veut avoir une chance d’éviter sa crise. Les prescriptions de la Tora arrivent également à circonscrire les visées et les attaques du yètsèr ha-râ.

Chaque mitswa a pour but, en plus d’affiner l’âme et de la rendre plus parfaite, d’assujettir un organe corps humain à D’ieu. En effet, il y a 248 mitswot âssè, “, des devoirs ou des prescriptions contraignantes, correspondant aux 248 organes qui composent le corps de l’homme, et 365 interdits ou défenses, “, mitswot lo-ta-âssè, correspondant aux 365 nerfs constituant le système nerveux. Chaque mitswa cherche ainsi à conférer, à l’organe ou au nerf correspondant, la vigueur tant physique que morale.

Le Midrache rend bien compte de la différence de traitement entre Israël et le Kohène. La Tora n’adresse ses prescriptions qu’à Israël. “Parle aux enfants d’Israël, ordonne aux enfants d’Israël.” Pourquoi donc faut-il ordonner plus de prescriptions à Israël?

En vérité, le Kohène comprend que les prescriptions divines sont nécessaires pour atteindre la perfection morale. Aussi réclame-t-il le privilège d’avoir plus de prescriptions puisque sa fonction nécessite une perfection supérieure. Certes, il est en droit de faire une telle demande, insistant du reste sur le principe d’égalité!

Mais l’inégalité n’est qu’apparente puisque le Kohène, étant tenu d’éviter toutes les souillures provenant de l’impureté au contact d’un cadavre, a plus de chance de respecter la Tora que l’Israélite. C’est le surcroît de recommandations qui assure à Israël de garder sa perfection. Partout, la Tora s’adresse à Israël. Tous les ordres divins ne visent qu’Israël. Mais lorsque arrivent les prescriptions de pureté, la Tora ne les attribue qu’aux Kohanim. C’est cela même qui fait réagir le Kohène. Ne fait-il pas jusqu’à présent partie du peuple d’Israël pour qu’il soit nécessaire de s’adresser particulièrement à lui? Et, quand bien même l’intérêt l’exigerait, faut-il répéter l’ordre en utilisant l’expression “èmor wé-amarta”?

Rabbi Léwi vient, par son explication, remettre les choses dans leur véritable optique. Tel un être céleste, le Kohène vit en proximité de D’ieu. Cette intimité lui confère une perfection qui le met à l’abri des attaques du yètsèr ha-râ. Certes, le yètsèr ha-râ se fait plus pressant et plus entreprenant lorsqu’il a affaire à des êtres parfaits et justes. Il se veut alors plus fin et plus convaincant. Mais, s’agissant du Kohène qui est au service quotidien de D’ieu, son succès est plus qu’hypothétique. Car D’ieu vient en aide à ceux qui Le servent et Le vénèrent.

Le Kohène, se plaçant sous la protection divine, jouit d’une immunité face aux tentations du yètsèr ha-râ. Mais l’aide divine ne serait efficiente que si le Kohène respecte les lois lui interdisant l’impurification et la souillure au contact d’un cadavre. L’insistance divine pour une telle prescription prouve la tendance du Kohène à obéir fidèlement à la Tora.

De toute évidence, le Kohène, se soumettant à une prescription n’exigeant de lui ni dépense ni effort autre que celui de se préserver de toute souillure, montre encore plus de disponibilité à se soumettre aux autres prescriptions. Aussi, pour cette raison, l’emphase est-elle mise sur sa pureté. Israël a besoin, pour lutter contre le yètsèr ha-râ, de sentir peser sur lui, de manière permanente, le poids des ordres divins. La répétition crée l’intérêt, force l’attention afin qu’Israël soit enclin à remplir sa responsabilité face à la Création.

C’est à dessein que le Midrache souligne la déchéance frappant Néboukhad’nétsar prise par le concert des anges à partir d’un décret unanime. Si l’homme est incapable de remplir la mission divine, il se dégrade et mérite de vivre plutôt en compagnie des bêtes et des animaux. Parce qu’il a failli à son devoir, il ne saurait garder les prérogatives d’un être humain. Ayant subi les tentations du yètsèr ha-râ, il descend au niveau de l’animal.

Aussi les anges, dont la perfection les soustrait aux attaques du yètsèr ha-râ, prennent-ils la décision de dégrader Néboukhad’nétsar dont la mission consiste à ramener Israël à D’ieu. D’ieu enjoint aux mal’akhim, anges, d’appliquer Son décret. Pour ce faire, il suffit de l’exprimer par une seule parole.

Par ailleurs, les Kohanim sont célèbres pour leur zèle et leur ardeur à servir D’ieu. Le texte répète malgré tout l’ordre aux Kohanim de garder leur pureté pour les inciter à réaliser les mitswot de manière rigoureuse. En effet, D’ieu, exigeant la rigueur dans l’application de la mitswa d’être purs qui vise uniquement la gloire divine, s’attend-Il à la même rigueur pour l’application du reste des mitswot qui, elles, nécessitent une lutte constante contre le yètsèr ha-râ.

Ainsi D’ieu ne néglige point ni n’ignore le Kohène. Étant l’élément essentiel de la communauté d’Israël, celui-ci jouit, au contraire, de l’attention divine qui, pour l’admettre dans Sa proximité, exige de lui une pureté parfaite.

Le Midrache poursuit :

Autre explication :

Parle aux pontifes“, c’est bien ce que le texte exprime(5) :

La crainte de l’Ét’ernel est pure : elle subsiste à jamais“.

Rabbi Léwi dit : Par la crainte témoignée au Saint béni soit-Il, Aharone eut le mérite de se voir attribuer cette section [de la Tora] qui ne le quitte plus, ni lui, ni ses fils, ni ses petits-fils, jusqu’à la fin des générations. De quelle section s’agit-il? De celle qui traite des morts tel qu’il est dit :

L’Ét’ernel dit à Mochè : “Parle aux pontifes, fils d’Aharone, et dis-leur…

Rabbi Léwi, l’auteur du midrache précédent, entend résoudre une difficulté qui ne manque pas de surgir à l’étude des prescriptions spécifiques aux Kohanim. Nombreuses sont, en effet, les prescriptions qui cessent aussitôt le Bèt ha-Miqdache détruit. Pourtant l’ordre de ne point s’impurifier au contact d’un cadavre, se perpétue et subsiste malgré la destruction du Bèt ha-Miqdache. Les Kohanim demeurent toujours concernés par l’interdiction de se souiller au contact d’un mort. La raison, pour Rabbi Léwi, réside dans la crainte qu’Aharone témoigne à l’Ét’ernel.

Lors de son investiture pour exercer les fonctions de Kohène Gadol, Aharone hésite longtemps avant d’accepter. Cette retenue se justifiait par sa grande crainte de l’Ét’ernel. Il se juge certes indigne d’occuper un tel poste, lui, l’auteur du Veau d’or qui entraîne la colère divine sur Israël. Cette crainte pure fait que la Kéhounna, la prêtrise, se maintient malgré l’absence du Bèt ha-Miqdache. Parlant d’Aharone, le prophète Mal’akhi dit(6) :

“Mon pacte avec lui a été un gage de vie et de paix; Je les lui ai accordées comme condition de son respect, et il M’a révéré et s’est humilié sous Mon Nom.”

Pour Ânaf Yossèf, la pureté d’Aharone fait que, pour arriver à la perfection et ne point succomber aux tentations du yètsèr ha-râ, Aharone n’a nullement besoin de suivre le conseil du Talmoud(7). En effet, l’homme se doit, dans sa lutte contre le yètsèr ha-râ, d’appliquer les approches suivantes : étudier la Tora, lire le chapitre du Chémâ(8), ou se rappeler du jour de la mort. L’ultime tentative serait donc le souvenir du jour de la mort ou, pour y arriver, se rendre dans des maisons en deuil afin de mieux méditer sur la fin de l’homme.

Aharone, dont la crainte de l’Ét’ernel est pure et naturelle, n’aurait donc nullement besoin, pour éviter les appels du yètsèr ha-râ, de recourir au procédé du jour de la mort. Bien au contraire, il est soumis à l’interdiction de se souiller au contact d’un mort ou de se rendre dans la maison d’un mort.

Ainsi donc, la Tora exalte la perfection d’Aharone dont la crainte de l’Ét’ernel laisse une impression permanente. Les lois de pureté à travers les âges de l’histoire témoignent de son attachement véritable à D’ieu.

1. Wayi-qra Rabba chap. 26, paragr. 5.

2. Wayi-qra 21, 1.

3. Danièl 4, 14.

4. T.B. Qiddouchine 30b.

5. Téhillim 19, 10.

6. Mal’akhi 2, 5.

7. Bérakhot 5a.

8. Texte tiré de Dévarim 6, 4-9 qui rappelle le devoir d’aimer D’ieu.

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