Les sacrifices célèbrent l’Unité

Coupable de la faute du Veau d’Or, le peuple d’Israël avait perdu la proximité de D’ieu. La Chékhinaprésence divine, l’ayant boudé ne revient qu’après le repentir d’Israël et la construction du Michekane. Mais Israël, malgré la présence du Michekane, devient vulnérable. La perfection morale chèrement acquise lors de la Révélation sur le Mont Sinaï ne dure pas longtemps. La faute du Veau d’Or entame cette plénitude et inaugure l’exil intérieur d’Israël. Pour le surmonter, il est absolument nécessaire de renouer le dialogue avec D’ieu. Ce fut là la mission du Michekane, surtout celle des sacrifices qui vont réaliser le rapprochement avec D’ieu. Toute faute condamne son auteur à un effort de reconversion, de repentir, afin de retrouver D’ieu.

Le terme qorbanesacrifice, dérive de qarèvrapprocher. C’est donc le sacrifice qui réalise la rencontre avec D’ieu. Cependant, pourquoi passer par le sacrifice d’une victime, d’une bête, pour obtenir ce rapprochement?

Commettant une faute, l’homme descend au niveau de la bête. Composé d’un corps et d’une âme, l’homme ne viole les défenses divines qu’en raison du débordement de tous ses appétits physiques. Il laisse exprimer davantage son animalité. Mais dans son repentir, son âme reprend le dessus. Aussi, pour réparer ses erreurs, convient-il de sacrifier une bête dont le sang et les graisses sont offertes sur l’autel afin que son ardeur animale soit refroidie et, par conséquent, mieux contrôlée.

Mais le Midrache(1) nous réserve une approche originale. Ainsi citant(2) :

Ceci est la règle de l’holocauste…” il rapporte : C’est bien ce que le texte exprime(3) :

Car qui, au-dessus des nuages, rivalise avec l’Ét’ernel, égale le Seigneur parmi les fils des dieux?“. Le Saint béni soit-Il dit : Si je voulais un sacrifice, n’aurais-je pas demandé à Mikhaèl, qui est proche de Moi, de me l’offrir? A qui j’en fais la demande? A Israël! Il en est ainsi pour les pains d’exposition(4) :

Régulièrement, chaque jour de Chabbat, on les disposera devant l’Ét’ernel, en permanence, de la part des enfants d’Israël…“. Il est dit par ailleurs(5) :

Le Seigneur prendra-t-Il plaisir à des hécatombes de béliers…?”. Bil’âm l’impie fut le défenseur des Nations. Étant leur porte-parole, il s’exprime ainsi : “Le Seigneur prendra-t-il plaisir à des hécatombes de béliers, à des torrents d’huile par myriades?” Il prend plaisir à ce que vous lui offrez. Ne lui faites-vous don que d’un log, mesure, d’huile? Eh bien! nous lui offrirons plusieurs myriades de torrents d’huile! Que lui a sacrifié Abraham? N’est-ce pas un seul bélier(6)? :

Abraham, levant les yeux, remarqua qu’un bélier, derrière lui, s’était embarrassé les cornes dans un buisson. Abraham alla prendre ce bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils“. S’il le désire, nous lui offrirons plusieurs milliers. Et Abraham, qu’a-t-il sacrifié? N’est-ce pas son fils? Eh bien! je lui sacrifierai mon fils et ma fille tel qu’il est dit(7) :

Donnerai-je mon premier-né pour ma faute – il s’agit de son fils – le fruit de mes entrailles, comme rançon expiatoire de ma vie – il s’agit de sa fille“.

Que Bil’âm l’impie est donc rusé! Il a commencé par dire(8) :

J’ai dressé les sept autels…“. Il ne dit point sept autels mais les sept autels. Ce sont les autels érigés à partir d’Adam, le premier homme, jusqu’à ce jour. J’en offre autant. Que présentent-ils [par ailleurs], douze pains tel qu’il est dit(9) :

Tu prendras aussi de la fleur de farine, et tu en cuiras douze gâteaux.”

S’étant révélé à lui, le Saint béni soit-Il lui dit : “Impie, que fais-tu?” [J’ai dressé les sept autels]. A qui ressemble à ce moment cet impie? Au boucher dont l’étalage au marché était plein de viande. Passe le précepteur qui examine la viande. L’ayant vu, le boucher lui dit : je t’ai déjà envoyé un présent par mon serviteur. Ainsi se comporte Bil’âm. Le Saint béni soit-Il lui dit : que fais-tu? “J’ai dressé les sept autels, répond-il, et j’ai offert un taureau et un bélier sur chaque autel“. Le Saint béni soit-Il lui fait remarquer : “Le Seigneur prendra-t-Il plaisir à ces hécatombes de sacrifices?“. [Bil’âm] reprend : “Donnerai-je mon premier-né pour ma faute, le fruit de mes entrailles, comme rançon expiatoire de ma vie?“. Et le Saint béni soit-Il de répondre : Impie, si Je veux un sacrifice c’est à Mikhaèl et Gabrièl que Je l’aurais demandé, tel qu’il est dit :

Car qui, au-dessus des nuages, rivalise avec l’Ét’ernel, égale le Seigneur parmi les fils des dieux?“. Il s’agit ici de Bil’âm qui avait la prétention de se comparer au Saint béni soit-Il ainsi qu’aux fils des dieux, Abraham, Yitshaq et Yaâqov qui sont les puissants du monde. Le Saint béni soit-Il lui dit : Pourquoi t’induire dans l’erreur? Est-ce pour que J’accepte un sacrifice des Nations? Jamais tu ne réussiras! Par serment éternel, Je me suis engagé à n’agréer que les sacrifices d’Israël. C’est pourquoi il est dit(10) :

Ordonne à Aharone et à ses fils ce qui suit…“. Et les Nations de dire : pourquoi est-ce ainsi? Pourquoi Israël sacrifie et offre des encens? Le Saint béni soit-Il répond : “Ceci est la règle de l’holocauste“. Il est dit(11) :

Qu’est-ce que ceci qui s’élève, ôla, du désert…?” et il est dit également(12) :

Mochè monta, âlavers le Seigneur…

Ce midrache, contrairement à la version qu’en donne le Yalqout(13), précise ainsi le sens des sacrifices. Il écarte, de prime abord, l’idée que le sacrifice réponde à un besoin de D’ieu. En effet, que peut ajouter un sacrifice à D’ieu? Le monde entier lui appartient. La faim et la soif ne sauraient l’affecter. Quand bien même en serait-il ainsi, doit-Il pour les satisfaire, demander à l’homme? Assaf reproche à juste titre cette tendance qu’a l’homme de penser que D’ieu aspire aux sacrifices. D’ieu attend plutôt le repentir de l’homme. Il dit en substance(14) :

“Ce n’est pas pour tes sacrifices que Je te reprends : tes holocaustes sont constamment sous mes yeux. Je ne réclame pas de taureau de ta maison, ni des béliers de tes parcs. Car à Moi sont tous les fauves de la forêt, les bêtes qui peuplent par milliers les montagnes. Je connais tous les oiseaux des hauteurs, tout ce qui se meut dans les champs est à Ma portée. Dussé-je avoir faim, je ne te le dirais pas, car l’univers avec ce qu’il renferme M’appartient.

Ainsi le but visé par les sacrifices ne consiste-t-il point en la satisfaction d’un besoin ressenti par D’ieu. Pensant que le sacrifice d’une bête répond à un besoin spécifique de D’ieu, certains se sont permis d’immoler même une bête infirme, présentant un défaut. Le prophète s’insurge contre cet état de fait(15) :

“Et lorsque vous venez M’immoler une [bête] aveugle, ce n’est point un mal? Point un mal quand vous amenez une [bête] éclopée ou malade? Présente-la donc à ton Satrape! Tu verras s’il te fera bon accueil, s’il te témoignera sa faveur, dit l’Ét’ernel – Tsébaote.”

Plus loin, le prophète va jusqu’à réclamer l’annulation des sacrifices, car leur mission subit une déviation. Il affirme en fait(16) :

“Ah! s’il s’en trouvait un parmi vous pour fermer les portes, afin que vous n’allumiez plus Mon autel en pure perte! Je n’ai aucun plaisir à vous voir, dit l’Ét’ernel – Tsébaote, l’offrande de votre main, Je ne la veux pas.”

Déjà le prophète Chémouèl, suivi en cela par tous les prophètes, insiste sur le fait que les sacrifices ne peuvent prétendre réconcilier D’ieu avec Israël que s’ils sont accompagnés de repentir. C’est avec une colère à peine contenue que Chémouèl reproche à Chaoul(17) :

“Des holocaustes, des sacrifices, ont-ils autant de prix aux yeux de l’Ét’ernel que l’obéissance à la voix divine? – Ah! l’obéissance vaut mieux qu’un sacrifice, et la soumission que la graisse des béliers!

Le midrache, se plaçant dans cette perspective, s’élève contre la volonté des Nations à réclamer pour elles le bénéfice des sacrifices. Car si c’est pour satisfaire un besoin de D’ieu, le sacrifice de Mikhaèl est plus indiqué, car mieux apprécié. Pourquoi demander aux hommes ce que D’ieu pourrait avoir des êtres célestes? La proximité de Mikhaèl milite alors en faveur des êtres célestes plutôt que des êtres humains. Si le sacrifice a un sens, c’est bien parce qu’il correspond à la nature divine d’Israël.

Israël a une mission à remplir dans le monde. Elle exige de lui une vie conforme aux principes de la Tora. S’il fait défaut, le sacrifice, en plus du repentir, rétablit l’harmonie entre lui et son Créateur. La nature divine d’Israël, trouvant sa parfaite expression dans l’accomplissement de la Tora, est incompatible avec l’imperfection morale. Toute faute contribue à éloigner Israël de D’ieu! Pour remédier, le sacrifice est là. Encore faut-il prendre conscience de la nécessité de tout mettre en oeuvre pour se réhabiliter et mériter de nouveau la considération divine.

Mais il est des sacrifices qui ne sont nullement le fait d’une faute morale. Servir D’ieu revient surtout à accomplir simplement Sa volonté. Les sacrifices quotidiens sont de ceux-là. Ils viennent en fait maintenir le monde en fonction. Sans les sacrifices, un de ses trois soutiens(18), le monde s’écroulerait. Ce rôle ne saurait appartenir qu’à Israël, car le monde ne fut créé qu’en vue de l’existence d’Israël. La responsabilité de maintenir l’existence du monde est davantage l’affaire d’Israël, non celle des anges ou des Nations.

Les pains d’exposition, illustrent bien, pour leur part, cet enseignement. Ils sont exposés de Chabbat à Chabbat. Pourtant ils demeurent par miracle frais et chauds. C’est dire qu’Israël détermine par sa conduite l’attachement et l’amour divins. Les pains nous renseignent sur le degré d’amour d’Israël pour D’ieu. La fraîcheur est fonction de la perfection morale d’Israël.

Le pain, symbole de Tora, représente la perfection. Pour l’obtenir, il faut passer par dix travaux, dix étant l’unité malgré la pluralité et la diversité. La transformation que subit le blé avant de devenir pain est celle que l’homme doit subir pour réparer la faute d’Adam. Israël est seul à prendre part à la réparation morale de la première faute. Il représente Adam.

Bil’âm voudrait contrebalancer tous les sacrifices offerts par nos Ancêtres afin de pouvoir avoir le privilège d’être seul digne d’offrir les sacrifices à D’ieu. Il assure être en mesure d’offrir des béliers par milliers et des torrents d’huile. Tout se passe comme si le nombre serait déterminant. Bil’âm s’exprime avec une arrogance inouïe. Si Israël se contente d’un log, d’huile, il est prêt à en offrir des torrents. Abraham sacrifie Yitshaq, il est disposé à sacrifier son fils et sa fille. Bil’âm dispute à Israël son privilège et reproche à D’ieu de le préférer à toutes les Nations.

Pour parvenir, par ses malédictions, à exterminer Israël, Bil’âm érige sept autels. Rachi commente ainsi l’emploi de l’article défini que Bil’âm utilise à dessein. Il dit notamment(19) :

“Il n’est pas écrit ceci : j’ai préparé sept autels, mais les sept autels. Bil’âm dit : leurs pères ont construit pour toi sept autels, et moi j’en ai érigé autant qu’eux tous ensemble. Abraham en a construit quatre(20), Yitshaq en bâtit un(21); Yaâqov en bâtit deux(22).”

Conscient que D’ieu assiste à ses agissements, comme le fait remarquer la parabole du percepteur, Bil’âm pousse l’audace de dire à D’ieu que les sept autels sont là en signe de présent corrupteur pour le détacher de l’amour qu’Il témoigne à Israël.

Rachi souligne la haine de Bil’âm pour Israël. Il fait tout pour contrebalancer les gestes et actes d’Abraham. Il s’exprime ainsi(23) :

Il sangla son ânesse. On voit que la haine fait fi de la hiérarchie, car lui-même sangla l’ânesse. Alors le Saint béni soit-Il lui dit : “Misérable, leur père Abraham t’a déjà devancé, comme il est dit(24) :

Abraham se leva de bon matin et sangla son âne.”

Tous les faits et gestes de Bil’âm ne visent qu’à détacher D’ieu d’Israël. Mais il se leurre, car D’ieu avait prêté serment de ne demander, et surtout de n’agréer, que les sacrifices d’Israël.

Ainsi, les sacrifices visent plus que la réparation des fautes ou des inconduites d’Israël. Ils vont surtout célébrer l’harmonie et l’amour entre D’ieu et Israël. D’ieu contracte une alliance avec Israël qui, lui, fait preuve de fidélité et de confiance en D’ieu. Sorti d’Égypte, il suit D’ieu dans le désert sans remettre à aucun moment en question les choix divins. Cet acte de foi et de bonté, D’ieu n’est jamais prêt à l’oublier. Ainsi dit Yirmiyahou(25) :

“Va proclamer aux oreilles de Yérouchalayim ce qui suit : Ainsi parle l’Ét’ernel : Je te garde le souvenir de l’affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles, quand tu Me suivais dans le désert, dans une région inculte.”

D’ieu se réfère à l’amour et à la fidélité d’Israël qui, se lançant à l’aventure du désert, ne doute pas un seul instant de Son assistance et de Sa protection. Tout un peuple s’enfonce dans des lieux, loin des pays habités, sans vivres ni provisions, fort de sa seule confiance en D’ieu.

Qui donc s’élève du désert? La lecture du midrache établit, en fait, une relation entre la marche d’Israël dans le désert et l’institution des sacrifices. Le terme ôla, exprime à la fois élévation et holocauste. C’est aussi le terme âla, monter, qui permet à Mochè, grâce à Israël, la proximité de D’ieu.

Le geste d’amour d’Israël suscite, à son tour, une preuve d’amour de D’ieu à Israël. Il associe Israël à Son Oeuvre. D’ieu crée le monde et Israël contribue, par les sacrifices, à son maintien.

La traversée du désert élève donc si haut Israël qu’elle justifie, à elle seule, le privilège exclusif qu’il a d’offrir des sacrifices qui, en plus de la perfection morale qu’ils procurent, célèbrent l’harmonie et l’amour de D’ieu pour Israël.

1. Tanhouma Tsaw paragr. 1.

2. Wayi-qra 6, 2.

3. Téhillim 89, 7.

4. Wayi-qra 24, 8.

5. Mikha 6, 7.

6. Bérèchit 22, 13.

7. Mikha 6, 7.

8. Bémidbar 23, 4.

9. Wayi-qra 24, 5.

10. id. 6, 2.

11. Chir ha-Chirim 3, 6.

12. Chémot 19, 3.

13. cf. Voir notre texte début de la Sidra Tsaw.

14. Téhillim 50, 8-14.

15. Mal’akhi 1, 8.

16. id, 10.

17. Chémouèl 1, 15, 22.

18. cf. Avot, chap.1, paragr.2.

19. Bémidbar 23, 4.

20. Bérèchit 12, 7; id, 8; ibid 13, 18; ibid 22, 9.

21. Bérèchit 26, 25.

22. id. 33, 20 et 35, 7.

23. Bémidbar 22, 21.

24. Bérèchit 22, 3.

25. Yirmiya 2, 2.

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