L’esclave hébreu

Et voici les statuts que tu leur exposeras. Si tu achètes un esclave hébreu, il restera six années esclave, et à la septième il sera remis en liberté sans rançon. S’il est venu seul, seul il sortira; s’il était marié, sa femme sortira avec lui. Si son maître lui a donné une femme, laquelle lui a enfanté des fils et des filles, la femme, avec les enfants, appartiendront à son maître, et lui se retirera seul.
Que si l’esclave dit : J’aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas être affranchi, son maître l’amènera par-devant le tribunal, on le placera près d’une porte ou d’un poteau; et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon, et il servira indéfiniment Chémot 21, 1-6..

La sidra traite principalement des michepatim, statuts, qui régissent la société. Sans la justice les fondements de la société sont ébranlés.

Le Tanhouma rapporte citant le verset Téhillim 99, 4. :

La force du roi, c’est l’amour de la justice. Toute la force, la puissance et la louange appartiennent au Saint béni soit-Il. David disait Divrè ha-Yamim I, 29, 11. :

À toi, Ét’ernel, appartiennent la grandeur… Il arrive au fort de confisquer la justice mais le Saint béni Soit-Il, malgré Sa puissance, aime la justice. Il est dit Téhillim 99, 4. :

C’est Toi qui as fondé solidement l’équité… Rabbi Alexandri dit :

Deux âniers ennemis allaient en chemin. Un des ânes croula. L’ayant vu, l’autre passa son chemin. Le premier lui fit remarquer : il est écrit Chémot 23, 5. :

Si tu vois l’âne de ton ennemi succomber sous sa charge, garde-toi de l’abandonner.

Rebroussant chemin, il l’aida à charger. Après réflexion, il se dit : ainsi m’aime-t-il sans que je le sache! À l’auberge, ils mangent et boivent ensemble. Quelle a été la cause de leur paix? Le fait d’avoir bien compris le précepte de la Tora. C’est ce que dit le verset : C’est Toi qui as fondé solidement l’équité.

Et voici les statuts… c’est ce qu’exprime le verset Michelè 29, 4. :

Un roi grandit son pays par la justice. Le Saint béni Soit-Il, proposant la Tora à Israël, fit une ouverture en l’introduisant par la justice. Qu’est-il écrit Chémot 15, 25.?

C’est là qu’il lui imposa un principe et une justice. Et c’est là que Mochè apprit les statuts qu’il enseigna à Israël.

Rabbi Abbahou dit : chaque fois qu’il est dit Èllè, voici, c’est pour annuler les [enseignements] précédents. Ainsi Bérèchit 2, 4. :

Telles furent les origines du ciel et de la terre. Ce èllè annule la solitude, le chaos et les ténèbres [de la création].

Mais dans notre cas wé-èllè, , Et voici les statuts, ajoute aux [enseignements] précédents. C’est là qu’Il lui imposa un principe et une justice est conforme à ce que dit le texte Téhillim 147, 19. :

Il a révélé ses paroles à Yaâqov, Ses statuts et Ses lois de justice à Israël. Le Saint béni Soit-Il dit à Mochè : Je leur ai donné la Tora, donne leur toi les statuts de justice.

Le Tanhouma insiste sur la nécessité de maintenir le monde et la société sur les bases de la justice. La Tora, donnée à Israël, a besoin de voir l’équité et la justice s’instaurer parmi les hommes pour qu’elle puisse elle-même se réaliser.

Comment se déroule l’enseignement des statuts? Le Yalqout cite Chémot paragr. 307. le Talmoud Êroubine 54. :

Rabbi Âqiba dit : D’où tire-t-on le devoir qu’a le maître, lors de son enseignement, de répéter à son élève la leçon autant de fois qu’il est nécessaire? À partir du texte Dévarim 31, 19. :

Qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël et qu’on le mette dans leur bouche. Et d’où tire-t-on l’obligation de la lui expliquer? Tel qu’il est dit Chémot 21, 1. :

Et voici les statuts que tu leur exposeras.

Il ne suffit pas que l’enseignement soit basé sur la seule transmission, il faut que l’effort soit mis sur l’explication de chaque précepte. Le Talmoud T.B. Êroubine 54b. cite en exemple comment Mochè transmettait l’enseignement aux Bénè Yisraèl. En premier Mochè enseignait à Aharone. Ensuite se présentaient les fils d’Aharone auxquels Mochè répétait l’enseignement fait précédemment au père. Après, c’est le tour des Anciens. À la fin celui de tout Israël.

Mochè se retire et Aharone enseigne à son tour. Se retirant, à son tour, il est remplacé par ses fils qui sont relayés par les Anciens.

Il se trouve donc que chacun eut droit au même enseignement à quatre reprises. C’est ce qui fait dire à Rabbi Èl’âzar Ben Âzaria que le maître doit reprendre quatre fois l’enseignement à son disciple.

Et voici les statuts que tu leur exposeras. Si tu achètes un esclave hébreu, il restera six années esclave, et à la septième il sera remis en liberté sans rançon.

Et voici les statuts. .

Or ha-Hayim, reprenant la Mékhilta sur ce verset, rapporte la discussion entre Rabbi Yichemaêl et Rabbi Âqiba. Wé-èllè, pour Rabbi Yichemaêl ajoute à ce qui a été dit précédemment. De même que les premières prescriptions, les dix paroles, ont été données sur le Mont Sinaï ainsi ces statuts furent transmis sur le Mont Sinaï.

Mais pour Rabbi Âqiba, wé-èllè nous contraint d’enseigner les prescriptions précédentes de telle manière qu’elles soient comprises à la perfection comme si celles-ci étaient exposées devant eux comme une table dressée.

Pour Rabbi Yichemaêl, nous semble-t-il, l’accent porte essentiellement sur le fondement des statuts. Ils régissent, certes, la société parce qu’ils présentent un intérêt pour tous ses membres. Mais l’homme, convaincu de leur aspect rationnel et universel, aurait donc tendance à adhérer à ces statuts. Rabbi Yichemaêl attire l’attention d’Israël sur l’aspect divin de ces Michepatim, statuts. Ils émanent également de Sinaï comme les premières prescriptions émanent de Sinaï.

Sforno tente d’établir un lien entre notre sidra et celle de Yitro. Les dix paroles s’achèvent sur la prescription de ne point convoiter… rien de ce qui est à ton prochain Chémot 20, 14.. En revanche, cette sidra définit, pour sa part, les règles régissant la propriété du prochain.

Rambane abonde dans ce sens. Il affirme justement que ces statuts viennent expliquer l’interdiction de convoiter. Il est, en effet, impossible à un homme ignorant tout des statuts relatifs aux propriétés, maison, champ, biens meubles ou immeubles, d’échapper à la convoitise parce que tout simplement il pense avoir un titre de propriété sur des biens ne lui appartenant pas. Aussi est-il prescrit d’exposer devant eux, des principes droits, équitables et justes pour qu’ils ne transgressent pas l’interdit de convoiter tout bien qui ne leur appartient pas de droit.

Chémot Rabba Sur Chémot 30, 15. affirme que toute la Tora repose sur la justice. Aussi D’ieu a-t-Il prescrit ces statuts après les dix paroles

Tu exposeras devant eux. .

Le texte précise lifnéhèm, devant eux, et non lahème, , à eux, car pour les principes de justice la Tora avait déjà employé Chémot 15, 25. : cham sam lo hoq ou-michepat, c’est là qu’il lui (non devant lui) imposa un principe et une justice.

De lifnéhèm, le Tanhouma et le Talmoud Guittine 84b. excluent la possibilité d’aller se faire juger devant des tribunaux païens.

Et Rachi d’ajouter que l’interdit de comparaître devant un tribunal païen demeure valable même si ce tribunal devait juger selon des lois semblables à celles d’Israël. Quiconque le fait commet d’une part une profanation du nom de D’ieu et, d’autre part, accorde importance et considération aux divinités païennes.

Mais Kéli Yaqar applique ce verset : Et voici les statuts que tu leur exposeras aux juges eux-mêmes. Ils seront régis par certaines lois qui ont été édictées plus haut. Aussi cite-t-il comme preuve le Talmoud Sanhèdrine z.l. :

Bar Qapara enseigne : D’où nos sages déduisent-ils l’obligation d’être circonspects dans le jugement? Du verset Chémot 20, 23. :

Tu ne dois pas non plus monter sur mon autel à l’aide de degrés…,

Aussitôt après le texte dit : Et voici les statuts…

Rabbi Èl’âzar dit : D’où sait-on qu’un juge ne doit pas marcher par dessus la tête du peuple Saint? Du verset : Tu ne dois pas non plus monter sur Mon autel à l’aide de degrés qui est aussitôt suivi de et voici les statuts.

Cet enseignement ne se contente pas d’expliquer la juxtaposition de l’interdiction de monter sur l’autel avec des degrés à l’instauration des statuts et principes de justice. Il tente au contraire de donner des obligations aux juges. Pour Bar Qapara, le juge se doit d’être très patient et circonspect afin que son jugement soit équitable. Il faut, pour cela, que le juge fasse preuve d’humilité et non d’orgueil au point de ne pas prendre suffisamment le temps nécessaire à la compréhension du cas à juger. Par orgueil, il s’empresse de trancher un jugement. Le texte souligne, en revanche, l’examen patient et circonspect Téhillim 75, 3. : Quand j’en aurai pris le temps, je rendrai mes arrêts avec équité.

Rabbi Èl’âzar fait obligation au juge de ne point humilier ses justiciables. Peut-être sera-t-il porté, en raison du respect dû à ses fonctions, à les traiter avec dédain! Mais faisant appel au respect dû à l’autel, fait de pierres, insensible à l’humiliation, le juge respectera davantage son prochain, créé à l’image de D’ieu, qui pourrait ne pas lui pardonner son humiliation.

Le midrache Tanhouma Michepatim paragr. 5. dit à propos de ce verset :

Si la justice est pratiquée dans ce monde, il n’est point nécessaire d’exercer la justice dans le ciel. Mais si la justice n’est pas pratiquée dans ce monde alors il y aura justice en haut. Comment? Si les hommes pratiquent l’équité, la justice ne s’exercera pas en haut. Aussi D’ieu recommande-t-Il : observez la justice, afin que je n’aie point à le faire tel qu’il est dit : Et voici les statuts que tu exposeras devant eux et non devant moi.

Si tu achètes un esclave hébreu. .

Cette sentence est ambiguë! S’agit-il d’un esclave qui est lui-même hébreu ou de l’esclave d’un hébreu?

Pour Or ha-Hayim, s’adressant à l’acheteur éventuel ayant l’option d’acheter un esclave kénaâni qui le servira pour la vie ou un esclave hébreu qui, après six années de service, recouvrera sa liberté à la septième, la Tora lui fait obligation d’acheter de préférence l’esclave hébreu.

Êvèd îvri, . Le terme îvri, dérive de âvor, , passer. Ce texte indique que l’esclavage pour un juif est en fait un état passager provisoire et non permanent et fixe. Car les Bénè Yisraèl sont les serviteurs de l’Ét’ernel qui les a acquis, pour Son service, par les miracles de la sortie d’Égypte. Aussi pour cette raison la sidra de Michepatim commence-t-elle par traiter les principes qui régissent les esclaves hébreux, ce qui rappelle la première parole Chémot 20, 2. : Je suis l’Ét’ernel, ton D’ieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, d’une maison d’esclavage cf. Kéli Yaqar..

Mais il est possible, dit Or ha-Hayim, que cet homme n’a mérité cet état d’esclavage que parce qu’il a transgressé la Tora N.B. Îvri dérive de âvèra, transgression. Ceci vérifie le principe énoncé par nos maîtres, pas de souffrances sans faute.

Si tu achètes un esclave, .

En principe le texte aurait dû dire si tu achètes un îvri pour esclave. Mais la Tora tient à rappeler que cet hébreu est déjà esclave et serviteur de D’ieu! Donc tu achètes un esclave ayant déjà le devoir de servir un maître qui est également le tien. L’esclave hébreu est tenu, pour cette raison, de respecter et d’accomplir toutes les mitswot sans exception.

Et à la septième année il sera remis en liberté sans rançon.

La Tora exige que l’esclave serve son maître pendant 6 années. Kéli Yaqar souligne que cet esclave, vendu pour vol commis qu’il ne peut rembourser, est coupable de trois fautes principales : voler les biens de son prochain; tromper le propriétaire du bien volé; trahir la Providence. Pour chacune de ces fautes, il mérite une année de servitude. Néanmoins devant s’acquitter, en raison de l’amende qui le frappe, du double paiement, il servira son maître pendant six ans.

Par ailleurs, les six années rappellent les six jours de la création à la suite desquels D’ieu s’est révélé comme étant le maître du monde. Ce voleur, n’ayant pas respecté l’ordre de la création, paie par une servitude de 6 années. La septième, correspondant au Chabbat, il recouvre sa pleine liberté.

S’il est venu seul, seul il sortira; s’il était marié, sa femme sortira avec lui.

S’il est venu seul, seul il sortira.

Rambam, dans ses Lois sur les Esclaves cf. Chap. 3, article 4., affirme que l’esclave hébreu n’est autorisé à prendre une esclave kénaânite que s’il a une femme juive et des enfants. Mais n’étant pas marié ou n’ayant pas d’enfants, le maître n’a pas le droit de lui donner une servante kénaânite. La Tora précise, pour cette raison, que s’il est venu seul, seul il sortira cf. T.B. Qiddouchine 20a., s’il était marié, sa femme sortira avec lui.

Sa femme sortira avec lui. .

Le Talmoud Qiddouchine 22a. s’étonne que le texte ne précise pas qui a engagé la femme avant de mentionner elle sortira avec lui. De là, dit-il, l’obligation faite au maître de nourrir la femme et les enfants de l’esclave hébreu.

Mais il n’en demeure pas moins que la Tora emploie elle sortira au lieu de elle sera avec lui. L’emploi d’une telle expression elle sera avec lui donnerait à croire au maître qu’il est autorisé à la faire travailler comme son mari en contrepartie de tous les avantages qu’il lui fournit. Mais en ne parlant que de la sortie, la Tora précise qu’elle n’est nullement tenue de travailler et de servir Chaâr bat Rabbim..

Si son maître lui a donné une femme, laquelle lui a enfanté des fils et des filles, la femme, avec les enfants, appartiendront à son maître, et lui se retirera seul.

Si son maître lui a donné une femme… la femme avec les enfants appartiendra à son maître.

Le maître n’est autorisé à lui donner une servante kénaânite pour femme que s’il était déjà marié parce que la Tora craint que n’étant pas marié, l’esclave s’attacherait à la kénaânite, à ses enfants et renoncerait à la liberté. Mais marié, jouissant déjà de l’amour de sa femme juive et de ses enfants, il lui serait difficile de garder son statut d’esclave.

En outre, étant marié et père d’enfants, aucun maître ne voudrait l’acheter n’était la compensation qu’il obtient en lui donnant une femme kénaânite dont les enfants seraient la propriété du maître.

Sans doute, étant déjà marié et, par conséquent, ayant accompli son devoir de procréation, , pirya wé-ribya, la Tora comprendrait-elle le fait que son maître puisse lui donner une kénaânite. Ce ne sera pas le cas pour l’esclave non-marié car les enfants de la kénaânite n’étant pas considérés comme sa descendance, il aura donc failli à son devoir de procréation.

Que si l’esclave dit : J’aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas être affranchi, son maître l’amènera par-devant le tribunal, on le placera près d’une porte ou d’un poteau; et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon, et il servira indéfiniment.

Et son maître lui percera l’oreille avec un poinçon.

La Mékhilta paragr. 34. rapporte l’opinion de Rabbi Yohanane : L’oreille qui a entendu sur le Mont Sinaï ne vole point et qui a volé mérite d’être percée à l’aide du poinçon.

Une question surgit cependant : Pourquoi attendre à la fin des six années et son refus d’être libre pour le poinçonner? Le tribunal aurait dû lui percer son oreille aussitôt vendu puisque la raison est qu’il a transgressé l’interdit de voler!

Pour Kéli Yaqar, on ne juge pas un individu en lui faisant subir deux châtiments. Celui qui commet un vol doit payer le double de la valeur du vol. S’il n’a pas de quoi payer, il est vendu en esclave. Ce n’est que lorsqu’il préfère rester esclave que l’on doit lui faire subir un deuxième châtiment pour avoir exprimé la volonté d’être l’esclave de l’esclave et non le serviteur de D’ieu.

On le placera près d’une porte ou d’un poteau.

Rabbi Chimône enseigne Qiddouchine 22b. :

Pourquoi la porte et le poteau ont-ils été préférés à tous les objets de la maison?

Le Saint béni Soit-Il dit :

La porte et le poteau sont témoins de mon saut par dessus leur porte et leur linteau en Égypte et j’ai dit car les enfants d’Israël sont pour moi, mes serviteurs, et non serviteur des serviteurs. Celui-ci s’étant donné un maître, il sera poinçonné près de la porte et du poteau.

Pour Hatam Sofèr, lors de la vente on ne poinçonne pas l’esclave hébreu, car le maître, en l’achetant, sait qu’en réalité il s’est acquis un maître cf. Ârakhine 30a.. Mais à la fin des six années de service en ne reprenant pas sa liberté, il dévoile qu’il a une nature d’esclave. Pour demeurer l’esclave de l’esclave, il doit être poinçonné.

La Tora illustre ici le principe énoncé par nos maîtres cf. Avot 6, 2. que l’homme n’est véritablement libre que s’il se met au service de D’ieu. La Tora contraint l’homme à l’obéissance certes mais le fait même d’obéir à D’ieu est déjà le premier acte de la liberté de l’homme.

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