L’institution de cours de justice
«Le lendemain, Mochè s’assit pour rendre la justice au peuple; et le peuple se tint debout autour de Mochè, du matin jusqu’au soir. Le beau-père de Mochè, voyant comment il procédait à l’égard du peuple, lui dit : «Que signifie ta façon d’agir envers ce peuple? Pourquoi sièges-tu seul, et tout le peuple stationne-t-il autour de toi du matin au soir?». Mochè répondit à son beau-père : «C’est que le peuple vient à moi pour consulter le Seigneur. Lorsqu’ils ont une affaire, elle m’est soumise; alors je prononce entre les parties, et je fais connaître les décrets du Seigneur et ses instructions». Le beau-père de Mochè lui répliqua : «Le procédé que tu emploies n’est pas bon. Tu succomberas certainement, et toi-même et le peuple qui t’entoure; car la tâche est trop lourde pour toi, tu ne saurais l’accomplir seul. Or, écoute ma voix, ce que je veux te conseiller, et que D’ieu te soit en aide! Représente, toi seul, le peuple vis-à-vis de D’ieu, en exposant les litiges au Seigneur; notifie-leur également les lois et les doctrines, instruis-les de la voie qu’ils ont à suivre et de la conduite qu’ils doivent tenir. Mais de ton côté, choisis entre tout le peuple des hommes éminents, craignant D’ieu, amis de la vérité, ennemis du lucre; et place-les à leur tête comme chiliarques, centurions, cinquanteniers et décurions. Ils jugeront le peuple en permanence; et alors, toute affaire grave ils te la soumettront, tandis qu’ils décideront eux-mêmes les questions peu importantes. Ils te soulageront ainsi en partageant ton fardeau. Si tu adoptes cette conduite, D’ieu te donnera ses ordres et tu pourras suffire à l’oeuvre; et de son côté, tout ce peuple se rendra tranquillement où il doit se rendre(1).»
Yitro, beau-père de Mochè, ayant appris la sortie miraculeuse d’Israël d’Égypte, décide de quitter Midyane, grande métropole, pour venir s’installer dans le désert. Étant ancien conseiller de Parô, Yitro savait par expérience, que jamais le roi d’Égypte ne consentirait à laisser partir les Hébreux. Pas un seul esclave ne fut jamais affranchi et, s’agissant de tout un peuple, Parô ferait tout pour le retenir à son service.
Les prodiges réalisés en Égypte, la traversée de la mer Rouge, le don de la Tora ou la guerre avec Âmalèq, avaient convaincu Yitro que D’ieu d’Israël est le véritable D’ieu surpassant toutes les divinités. Bien que placé au sommet de la hiérarchie de la prêtrise de Midyane, il préfère être un homme simple, sans prétention aucune, parmi Israël.
Il conduit dans son déplacement vers le désert la femme et les deux enfants de Mochè. Yitro pense à juste raison qu’ils ont leur place parmi le peuple d’Israël. À ce titre, ils doivent participer aux joies et aux peines d’Israël.
Comment se passe le séjour de Yitro dans le désert? Après les festivités des retrouvailles, Yitro assiste à l’exercice de la justice. Au lendemain de Kippour, des différends apparaissent. Il faut les régler. L’exercice de la justice est nécessaire. Mochè s’installe en qualité de juge et le peuple se tient autour de lui, du matin au soir. Cette attitude dérange Yitro la jugeant inacceptable autant pour Mochè que pour le peuple d’Israël.
Le midrache(2) rapporte à ce propos :
«Rav Hasda et Rabba, fils de Rav Houna, exerçant la justice, ressentent, un jour, une faiblesse [n’ayant rien mangé]. Rabbi Hiya de Difti leur enseigne(3) :
«Et le peuple se tint debout autour de Mochè, du matin jusqu’au soir».
Imagine donc Mochè rendant justice toute la journée, quel moment lui reste-t-il pour l’étude de la Tora? Mais le texte enseigne justement que tout juge qui prononce un jugement de vérité est considéré comme l’associé du Saint béni soit-Il dans l’oeuvre de la Création. Il est écrit à ce propos «du matin jusqu’au soir» et [dans le récit de la Création] il est dit(4) :
«Il fut soir, il fut matin – un jour».
Jusqu’à quand siège-t-on pour rendre justice? Jusqu’au moment du repas. Rabbi Aha dit : quel est le texte cité à l’appui(5)?
«Heureux pays, si ton roi est un fils de nobles et si les grands mangent à l’heure voulue, pour prendre des forces et non par goût de la boisson.»
Pour prendre des forces pour l’étude de la Tora, et non par goût de la boisson, autrement dit pour boire du vin».
Le midrache nous surprend. Est-il possible, en effet, que Rav Hasda et Rabba, fils de Rav Houna, aient pu penser qu’en raison de l’exercice de la justice il leur était interdit de manger? Rabbi Hiya de Difti leur apporte un enseignement à partir de Mochè. N’eût-il pas pu le faire à partir du verset de Qohèlète cité par Rabbi Aha?
Il semble que le midrache prend prétexte de la faiblesse de Rav Hasda et de Rabba pour nous éclairer sur le comportement de Mochè quand il rend justice. Yitro fut étonné de la manière dont Mochè se comporte vis-à-vis des Bénè Yisraèl. Rachi dit à ce propos(6) : «Mochè était assis, tel un roi, et tous se tenaient debout.» La chose déplut à Yitro car, selon lui, Mochè faisait fi de l’honneur d’Israël. Il le reprend d’ailleurs : «Pourquoi es-tu assis, toi seul, et tous se tiennent debout?»
Le midrache(7) établit une différence entre Mochè et Chémouèl :
«Mochè devait pénétrer [dans le sanctuaire] auprès du Saint béni soit-Il pour entendre la parole divine. En revanche, le Saint béni soit-Il allait au-devant de Chémouèl ainsi qu’il est dit(8) :
«Le Seigneur vint, s’arrêta là et appela…» Pourquoi ainsi? Le Saint béni soit-Il dit : «avec justice et équité Je Me comporte avec l’homme.»
Mochè s’installe, et quiconque a une affaire vient à lui pour son jugement ainsi qu’il est dit :
«Le lendemain, Mochè s’assit pour rendre justice au peuple». Mais Chémouèl se dérange, se rendant de ville en ville pour juger et ce, afin que le peuple n’ait pas à peiner pour venir jusqu’à lui ainsi qu’il est dit(9) :
«Tous les ans il faisait un voyage, parcourant Bèt Èl, Guilgal, Mitspa, et rendait la justice à Israël dans toutes ces villes».
Le Saint béni soit-Il dit : parce qu’il siège toujours au même endroit pour rendre justice à Israël, Mochè doit venir à Moi dans la tente d’Assignation pour entendre Ma parole. En revanche, parce que Chémouèl fait le tour de toutes les villes pour juger Israël, Je Me déplacerai pour lui communiquer Ma parole, selon le verset(10) :
«Les plateaux, les balances de justice sont choses de D’ieu, il est l’auteur de tous les justes poids.»
En vérité, lorsque Mochè veut transmettre la parole de D’ieu, tout Israël se rassemble. Rendre justice pour Mochè, revient aussi à enseigner la Tora à tout Israël. Un jugement n’est pas affaire de bon sens et de raisonnement. Il fait appel aux principes de la Tora.
Pour Rav Hasda et Rabba, rendre justice exclut la possibilité pour le juge de se restaurer, car si le cas réclame l’attention du juge pour la journée, s’absenter même pour se restaurer pose un problème.
Rabbi Hiya enseigne que Mochè lui-même doit s’arrêter une fois l’affaire jugée pour se restaurer et reprendre des forces. En soulignant «du matin jusqu’au soir», la Tora précise l’importance considérable du rôle du juge qui, l’exerçant avec honnêteté, dans le seul but de faire triompher la vérité, devient, en fait, l’associé de D’ieu dans l’acte de Création. D’ieu a créé le monde mais le juge, par l’exercice de la justice, le maintient.
Il est d’ailleurs significatif de constater que le juge complète l’oeuvre de D’ieu. Le verset cité en preuve pour la Création du monde est «ce fut un soir et ce fut un matin». En revanche, le verset cité pour le juge est «du matin jusqu’au soir». C’est comme si l’oeuvre du juge succède à celle de D’ieu puisque le jour est le temps où l’activité des hommes nécessite justement l’intervention de la justice sinon le monde et la société sont voués à l’anéantissement.
Rabbi Aha cite un autre enseignement. Le roi et les princes dont le but est de maintenir la justice doivent respecter aussi leurs heures de repas. Peuvent-ils s’adonner aux plaisirs de la table? Non! car prendre des forces, c’est avant tout connaître la Tora, base de l’exercice de la justice et de l’équité. Boire, oui, mais non par goût de boissons. Le vin, comme toute consommation de fruits à forte densité de sucre, ayant par conséquent une présence d’alcool, sont interdits pendant le déroulement d’un procès. Le juge doit avoir l’esprit vif et clair afin que sa justice soit conforme à la vérité et à l’équité. La justice exige une attention particulière. Aussi, pour cette raison, Yitro ne comprend-il pas que Mochè puisse l’exercer seul.
Le lendemain, Mochè s’assit pour rendre la justice au peuple; et le peuple se tint debout autour de Mochè, du matin jusqu’au soir.
Le lendemain, Mochè s’assit pour rendre justice au peuple.
La Mékhilta enseigne que le texte fait référence au lendemain de Kippour. Bien qu’une divergence apparut pour fixer l’arrivée de Yitro au désert avant ou après Mattane Tora, le don de la Tora, tous s’accordent à dire que le conseil de Yitro intervint après Mattane Tora, la deuxième année après la sortie d’Égypte.
Haâmèq Davar préfère opter pour le lendemain du jour où Yitro offrit un holocauste et d’autres sacrifices à D’ieu. Grâce aux sacrifices, Yitro atteint une perfection qui lui permet d’avoir l’esprit saint. Yitro put donner alors ce conseil à Mochè à propos de l’installation des juges.
Le peuple se tint debout autour de Mochè du matin jusqu’au soir.
Mèâm Loêz remarque à juste raison que le peuple ne saurait avoir, dans le désert, des sujets de discorde pour qu’il se présente devant la cour de Mochè. En fait, le seul sujet de discorde qui intéresse le peuple dans son ensemble, concerne le butin pris aux cadavres des Égyptiens rejetés par la mer Rouge. Le butin composé d’articles de qualité, de pierres précieuses, d’or et d’argent fut, selon la proximité des Bénè Yisraèl par rapport aux cadavres, inégalement ramassé. Les contestataires sont ceux qui réclament le partage égal. Le différend est là et des arguments sont avancés de part et d’autre. Mochè devait donc juger et trancher.
Kéli Yaqar déduit, à partir de ce verset, «que l’on ne doit pas juger la nuit» puisque Mochè avait siégé du matin au soir seulement. Le Talmoud(11) affirme :
«Tout juge qui exerce une justice absolue, selon la vérité, ne fut-ce que pendant une heure, devient l’associé de D’ieu dans la Création du monde comme il est dit(12) : «Ce fut un soir et ce fut un matin».
Dans notre texte, il est rapporté «du matin jusqu’au soir». Mais, dit-il, le monde ne peut exister que s’il y a justice en bas ou en haut. Le midrache(13) rapporte :
«Rabbi Èl’âzar dit : là où il y a justice, point n’est besoin de justice, mais là où il n’y a pas de justice, la justice s’exerce. Comment? Il y a justice sur terre, nul besoin de l’exercice de la justice dans le ciel, mais point de justice sur terre, la justice s’exerce alors au ciel. Nul n’échappe à l’exercice de la justice. Du soir au matin dans le ciel, et du matin au soir sur terre. Le juge devient donc, quand il s’applique à exercer la justice dans toute sa vérité, l’associé du Créateur parce qu’il maintient l’existence du monde, du matin au soir.»
Le beau-père de Mochè, voyant comment il procédait à l’égard du peuple, lui dit : «Que signifie ta façon d’agir envers ce peuple? Pourquoi sièges-tu seul, et tout le peuple stationne-t-il autour de toi du matin au soir?»
«Que signifie ta façon d’agir envers le peuple? Pourquoi sièges-tu seul?»
Les paroles de Yitro manquent de cohérence. En disant «ta façon d’agir envers le peuple», Yitro se plaint donc du mauvais traitement fait au peuple. Mais en lui disant : «Pourquoi sièges-tu seul», il semble plaindre Mochè.
Cependant, quand, par la suite, il lui reproche
«pourquoi tout le peuple stationne-t-il autour de toi du matin au soir»,
Yitro souligne un mécontentement justifié à la fois pour Mochè et pour le peuple.
Pour Rav Alchèkh, trois faits déplaisent à Yitro. Mochè dérange, en premier, tout le peuple qui se tient debout devant lui. Aussi, lui fait-il remarquer «que signifie ta façon d’agir envers ce peuple?» Puis il s’inquiète des possibilités qu’a Mochè de résister à ce rythme; il lui dit : «Pourquoi sièges-tu seul?». Enfin, si toutefois c’est ainsi qu’il faut agir, une partie de la journée suffirait : «Pourquoi tout le peuple stationne-t-il autour de toi du matin au soir?».
Mochè répondit à son beau-père : «C’est que le peuple vient à moi pour consulter le Seigneur. Lorsqu’ils ont une affaire, elle m’est soumise; alors je prononce entre les parties, et je fais connaître les décrets du Seigneur et ses instructions.»
«C’est que le peuple vient à moi pour consulter le Seigneur».
Lorsque les parties en cause viennent consulter Mochè, elles consultent en fait D’ieu. Car D’ieu se trouve dans l’assemblée des Juges. Ainsi dit Chimône Bèn Chattah au roi Yannaï(14) : «Tu ne comparais pas devant moi mais devant Celui qui créa le monde par Sa parole.»
Mais, remarque Or ha-Hayim, la réponse de Mochè donne l’impression que Yitro n’avait point compris le but visé par cette consultation. Pour Yitro, Mochè oblige tout le peuple à comparaître devant lui! Mochè précise à Yitro qu’il n’oblige nullement le peuple à venir le consulter.
La critique de Yitro, de nommer d’autres juges pour alléger le fardeau de Mochè et faire moins souffrir le peuple n’est pas fondée. Au contraire, la demande vient du peuple. Pourtant, malgré la difficulté et l’attente pénible, le peuple préfère agir ainsi.
Lorsqu’ils ont une affaire, elle m’est soumise.
Le Zohar(15) enseigne que l’affaire elle-même venait à Mochè. Se trouvant dans l’impossibilité de départager les parties, à cause de l’absence de témoins et de preuves, Mochè fait appel au cas lui-même qui se présente à lui dans sa stricte vérité. Cette faculté faisait défaut à tous les juges à l’exception de Mochè.
Alors je prononce entre les parties.
Mochè apprend à Yitro qu’il est seul à savoir ce qui a pu se passer entre un homme et son prochain(16). Chose impossible pour d’autres juges.
Par ailleurs il est seul à pouvoir juger sans que soit nécessaire l’intervention de témoins(17).
Je fais connaître les décrets du Seigneur et ses instructions.
En dehors de l’affaire à juger, il y a d’autres raisons pour lesquelles le peuple consulte. Certains viennent pour leurs malades, il prie pour qu’ils vivent; d’autres pour leur indiquer l’endroit où retrouver l’objet perdu(18).
Pour Rambane, le peuple consulte Mochè car, invoquant D’ieu, il transmet la réponse divine concernant le malade ou l’objet perdu, ainsi qu’il est dit(19) : «Autrefois, en Israël, celui qui se proposait d’aller consulter D’ieu disait «Venez, allons trouver le voyant». Chaoul consulte, en effet, le prophète Chémouèl pour retrouver les ânesses de son père Quiche qui se sont égarées.
Il est dit également(20) :
«Munis-toi, dit le roi de Syrie à Hazaèl, d’un présent et va à la rencontre de l’homme de D’ieu. Consulte l’Éternel par son entremise pour savoir si je guérirai de cette maladie».
En priant pour le malade, le prophète peut savoir si sa prière a été exaucée.
De plus, Mochè précise à Yitro le besoin du peuple de lui enseigner les décrets de D’ieu et Ses instructions.
Mochè définit ainsi le rôle du Tsaddiq. Prier pour les malades; répondre au besoin spirituel de la société; juger tous les différends et faire régner la paix; enseigner la Tora et redresser les torts de la société.
Certes, Yitro convient que tous les aspects spirituels et éducatifs sont importants car c’est à travers eux que la société s’accomplit et se parfait.
Mais le fait de juger seul ne peut qu’engendrer haine et mésentente de la part de celui qui a perdu son procès.
Le beau-père de Mochè lui répliqua : Le procédé que tu emploies n’est pas bon. Tu succomberas certainement, et toi-même et le peuple qui t’entoure; car la tâche est trop lourde pour toi, tu ne saurais l’accomplir seul.
Le procédé que tu emploies n’est pas bon.
Assumer tous les besoins du peuple y compris rendre la justice ne peut que provoquer l’épuisement de Mochè et l’épuisement du peuple.
Tu succomberas certainement, et toi-même et ce peuple qui t’entoure.
Même si la justice est parfaite parce qu’inspirée par D’ieu, Mochè court toujours le risque, selon Yitro, de se voir dépassé par l’ampleur de la tâche. Il pourrait donc succomber. Toutefois s’il pense que l’aide divine supplée au manque de forces, le peuple qui l’entoure succombera parce qu’il ne résistera pas longtemps à l’attente indéterminée.
Par conséquent,
La tâche étant trop lourde pour toi, tu ne saurais l’accomplir seul.
Mochè ne réussirait que s’il consent à se décharger des cas les plus simples(21).
Hatam Sofèr ajoute qu’en jugeant seul, le juge s’expose à la haine du coupable. Mais en s’adjoignant d’autres juges, ce coupable ne saurait haïr, à aucun moment, celui qui l’a condamné. D’où, pour Mochè, la nécessité de ne point exercer seul la justice afin d’éviter les tracas et les critiques des coupables.
Or, écoute ma voix, ce que je veux te conseiller, et que D’ieu te soit en aide! Représente, toi seul, le peuple vis-à-vis de D’ieu, en exposant les litiges au Seigneur; notifie-leur également les lois et les doctrines, instruis-les de la voie qu’ils ont à suivre et de la conduite qu’ils doivent tenir.
Yitro suggère à Mochè de suivre son conseil car, affirme-t-il, D’ieu te sera en aide. Yitro s’appuie sur l’inspiration divine pour exprimer cela avec certitude.
Représente, toi seul, le peuple vis-à-vis de D’ieu en exposant les litiges au Seigneur.
Yitro demande à Mochè non seulement de requérir la sollicitude divine pour le peuple, mais aussi de prier pour lui.
Haâmèq Davar dit :
«Mochè ne doit pas se contenter de chercher à transmettre au peuple la volonté de D’ieu, tel un fonctionnaire dont la mission est d’interpréter les désirs d’un roi et qui n’éprouve aucune affection pour le peuple. Il doit en plus exposer les désirs et les litiges de son peuple au Seigneur à l’exemple du Tsaddiq qui invoque la miséricorde de D’ieu pour son peuple qu’il aime tant».
Et que D’ieu te soit en aide, – .
Selon Hatam Sofèr, Yitro conseille à Mochè de demander à D’ieu son autorisation car, muni de son accord, il réussira dans cette entreprise.
Yitro concède également un rôle exclusif à Mochè. Il reconnaît, en effet, que Mochè soit seul «à leur notifier les lois et les doctrines, à les instruire sur la voie qu’ils doivent suivre et sur la conduite qu’ils doivent tenir».
Selon Haâmèq Davar qui cite le Talmoud Yérouchalmi(22), sans l’intervention de Mochè et son enseignement qui dispose d’un appui divin, rien ne sera fait de manière adéquate et convenable. Le rôle de Mochè est absolument nécessaire et important non seulement pour l’enseignement des lois et des doctrines, mais également pour la conduite morale et les règles de bienséance(23).
Selon Rabbènou Béhayè, Yitro exprime son accord total avec Mochè pour tout sauf pour l’exercice de la justice où Mochè n’est pas tenu de supporter le fardeau tout seul. Pour l’alléger, il devra consentir à nommer lui-même les juges qui doivent l’aider.
Mais de ton côté, choisis entre tout le peuple des hommes éminents, craignant D’ieu, amis de la vérité, ennemis du lucre; et place-les à leur tête comme chiliarques, centurions, cinquanteniers et décurions. Ils jugeront le peuple en permanence; et alors, toute affaire grave ils te la soumettront, tandis qu’ils décideront eux-mêmes les questions peu importantes. Ils te soulageront ainsi en partageant ton fardeau.
Choisis entre tout le peuple des hommes éminents.
En disant tèhèzè, , tu verras, Yitro demande à Mochè de faire son choix à l’aide de l’esprit Saint, de la prophétie.
Or ha-Hayim souligne qu’en désignant les juges, Mochè sera toujours celui qui juge les Bénè Yisraèl. Il agit par personne interposée. Il continue à exercer également ce pouvoir entre tout le peuple. Le choix de Mochè ne sera définitif que si le peuple exprime également son accord.
Les quatre qualités requises par Yitro correspondent en fait aux exigences morales que devraient posséder les quatre catégories de juge. Ainsi, pour être nommé comme chiliarques, il faut des hommes éminents, connus pour leur perfection; pour des centurions, , il faut des hommes craignant D’ieu, -, qui craignent le châtiment; pour des cinquanteniers, il faut des amis de la vérité, et pour des décurions, il suffit des hommes ennemis du lucre(24), .
Enfin Yitro expose à Mochè les avantages de sa proposition :
Ils jugeront le peuple en permanence.
Disponibles, libérés de toute autre occupation, ils exerceront pleinement leur fonction. Cela présente également l’avantage, pour le peuple, de voir ses affaires réglées avec plus de célérité. En effet, l’attente est-elle ainsi éliminée car le choix de se présenter devant le juge libre demeure possible.
Toute affaire grave, .
Toute affaire qu’ils ne peuvent juger, ils la soumettront à Mochè pour avoir son avis, soit en lui référant les parties en cause.
Mais ils décideront eux-mêmes les questions peu importantes.
Agissant ainsi, Mochè sera soulagé car les juges partageront avec lui le fardeau.
Si tu adoptes cette conduite, D’ieu te donnera ses ordres et tu pourras suffire à l’oeuvre; et de son côté, tout ce peuple se rendra tranquillement où il doit se rendre.
Cependant Mochè ne pourra procéder à de telles nominations que si D’ieu lui en donne l’ordre, -, car c’est ainsi que le succès de l’entreprise sera assuré(25).
Tu pourras suffire à l’oeuvre.
Selon Mèâm Loêz, Yitro conseille à Mochè d’épargner ses forces. Sa prophétie sera par ailleurs d’autant plus importante que sa force sera grande car la névoua, , prophétie, ne réside que sur un homme fort, riche et sage. Tel ne sera pas le cas s’il continue à juger seul. Ainsi Mochè, étant davantage libre, aura le loisir de se recueillir avec D’ieu et apprendre la Tora dans la tente d’Assignation.
Toutefois il est surprenant qu’aucun parmi Israël, Aharone et les 70 anciens inclus, n’ait eu la même idée que Yitro. De toute évidence, un homme ne peut pas, à lui seul, juger 600,000 hommes.
En fait, Mochè sait qu’il lui était impossible de tenir ce rôle. Néanmoins s’il ne procède point à la désignation des juges c’est bien pour qu’Israël ne tombe dans l’erreur de penser que Mochè lui témoigne moins d’intérêt et d’affection.
Aharone et les anciens pourraient être accusés de conflit d’intérêt. Et les Bénè Yisraèl ne sauraient exprimer leur avis devant plus grands et importants qu’eux.
Enfin, D’ieu entend faire connaître au monde la sagesse de Yitro(26).
Pour Or ha-Hayim, D’ieu montre que l’élection d’Israël et son attachement ne sont point dictés par la qualité et le niveau de sagesse des Bénè Yisraèl.
En matière de sagesse, c’est là une preuve éclatante, elle se trouve davantage chez les autres peuples. Et s’Il choisit Israël c’est surtout par bonté.
Ainsi ce passage placé avant le texte de Mattane Tora, souligne-t-il que la Tora fut octroyée à Israël en signe de sollicitude et de bienveillance divines.
1. Chémot 18, 13-23.
2. Yalqout Chimôni Yitro paragr. 270.
3. Chémot 18, 13.
4. Bérèchit 1, 5.
5. Qohèlète 10, 17.
6. Chémot 17, 13.
7. Chémot Rabba 6, 4.
8. Chémouèl I 3, 10.
9. Chémouèl I 7, 16.
10. Michelè 16, 11.
11. Chabbat 10a.
12. Bérèchit 1, 5.
13. Dévarim Rabba 5, 4.
14. Sanhèdrine 19a.
15. Chémot 78a.
16. Rav Alchikh et Kéli Yaqar.
17. Mèâm Loêz.
18. Mèâm Loêz.
19. Chémouèl I 9, 9.
20. Mélakhim II, 8, 8.
21. Haâmèq Davar.
22. Soukka chap.4.
23. cf. Mékhilta et Baba Qama 99a.
24. Or ha-Hayim.
25. Hatam Sofèr.
26. Mèâm Loêz.