L’investiture d’Aharone

Mochè érige le Michekane. Sept jours durant, Mochè occupant les fonctions de Kohène GadolGrand Prêtre, initie Aharone et ses fils à l’exercice de leur sacerdoce. Le texte souligne(1) :

“Tu agiras à l’égard d’Aharone et de ses fils exactement comme Je te l’ai prescrit. Tu emploieras sept jours à leur installation.”

Les sacrifices expiatoires des sept jours ainsi que les purifications de l’autel au moyen de ces expiations contribuent, après l’onction d’Aharone et de ses fils, à leur consécration. Si l’une de ces dispositions vient à faire défaut, leur consécration est frappée d’invalidité.

Cependant, avant d’investir Aharone, D’ieu demande à Mochè d’agir à son égard avec ménagement. Mochè se doit de vanter à Aharone les mérites et le privilège d’être au service de D’ieu et ce, afin qu’il accepte d’assumer les fonctions de Kohène Gadol. Certes la Kéhounna Guédolala Grande Prêtrise, est-elle une prérogative! Mais elle n’est pas sans risque et sans danger. Aharone, quoique choisi par D’ieu, pourrait y renoncer. Aussi le Midrache n’écarte-t-il pas cette éventualité.

Citant(2) :

Va prendre Aharone et ses fils avec lui; prends aussi les vêtements et l’huile d’onction ainsi que le taureau expiatoire, les deux béliers et la corbeille d’azymes“, il dit notamment(3) : C’est ce que le texte exprime(4) :

Heureux, celui que Tu choisis et admets en Ta présence pour qu’il habite dans Tes parvis!“. Heureux celui que le Saint béni soit-Il choisit bien qu’il ne l’ait point appelé. Qui fut choisi quoique n’étant point invité? Abraham! Il s’est approché de lui-même tel qu’il est dit(5) :

C’est Toi, Ét’ernel D’ieu, qui élus Abraham“. Le Saint béni soit-Il choisit Yaâqov. Le texte le précise(6) :

Mais toi, Israël Mon serviteur, Yaâqov Mon élu…” et il est dit également(7) :

Car le Seigneur a fait choix de Yaâqov…” mais ne l’a point appelé. Ce fut lui qui s’est approché selon le texte(8) :

Et Yaâqov, homme parfait, vécut sous la tente.”

Mochè fut choisi mais non invité selon le texte(9) :

N’était Mochè, son élu…

Il choisit David mais ne l’a point fait approcher selon le verset(10) :

Il élut David, son serviteur, et lui fit quitter les parcs des troupeaux“. Pourtant c’est lui qui s’est approché selon le texte(11) :

Je suis l’allié de tous ceux qui Te révèrent…” Heureux ceux que le Saint béni soit-Il élit même s’Il ne les admet point.

Yitro, le Saint béni soit-Il, le fait approcher mais ne l’a point choisi. Rahab, la courtisane, le Saint béni soit-Il l’admet mais ne la choisit point. Mais Aharone est doublement heureux, car le Saint béni soit-Il l’élut et le fait approcher tel qu’il est dit(12) :

Un homme de D’ieu vint trouver Èli et lui dit : “Ainsi parle l’Ét’ernel : Quoi! Je me suis manifesté à tes pères… et Je les ai choisis entre toutes les tribus d’Israël pour être Mes pontifes…” D’où [savons-nous] qu’Il le fait approcher? Selon le texte(13) :

De ton côté, fais venir à toi Aharone… pour exercer le sacerdoce en Mon honneur.” Aussi David le loue-t-il ainsi :

Heureux, celui que Tu choisis et admets en Ta présence pour qu’il habite dans Tes parvis.”

Ce midrache bouscule toutes les idées reçues. Certes, est-il communément admis qu’Abraham, Yaâqov, Mochè et David jouissent de la préférence de D’ieu. Abraham est choisi car il eut à prouver maintes fois son attachement à D’ieu. Yaâqov est l’élu de D’ieu parce qu’il donne naissance au peuple d’Israël dont la mission essentielle est d’être le partenaire de D’ieu. L’étude et l’application des prescriptions de la Tora ont pour objectif fondamental de maintenir l’existence du monde. Mochè, en raison de son rôle dans la libération d’Israël et de son émancipation spirituelle et morale, est élu de D’ieu. David répond, quant à lui, aux normes idéales du roi d’Israël. A ce titre, D’ieu le choisit.

Que signifie être l’élu de D’ieu? L’élu mérite de retenir l’attention divine en raison de ses vertus essentielles ou de ses qualités morales virtuelles. Il est donc celui qui, toute sa vie durant, se conforme à l’idéal divin. De plus, tous ses efforts tendent à la perfection morale. Son existence étant vouée à D’ieu, il met tout en oeuvre pour satisfaire les exigences divines. Abraham, Yaâqov, Mochè et David, en raison de leur perfection et de leur attachement à D’ieu, se sont illustrés chacun à leur niveau dans la maturation et la formation d’Israël.

Mais leur statut d’élus suffit-il à les distinguer au point de voir D’ieu les approcher de Lui? Le Midrache est clair. Il établit en fait une distinction entre l’élection et la proximité de D’ieu. Ils ont certes été l’objet de la préférence de D’ieu. Pour la proximité, des efforts supplémentaires s’avèrent nécessaires.

Abraham agit de telle sorte que chacun de ses faits et actes exprime un amour exclusif pour D’ieu. Si D’ieu ne le fait point approcher, c’est bien pour le forcer à réaliser toutes ses vertus potentielles. En s’opposant à un monde hostile, à une société perverse, Abraham arriverait à exprimer toutes les valeurs morales qu’il possède. Avec l’appui divin, les mêmes valeurs apparaîtraient. Mais elles sont d’autant plus éclatantes qu’Abraham investit des efforts soutenus pour les découvrir. Rachi souligne à juste titre(14) “qu’Abraham était assez fort et marchait dans sa piété de lui-même”, n’ayant pas besoin du soutien de D’ieu.

En tant que père fondateur du peuple d’Israël dont la mission serait d’assumer l’idéal de la Tora, Abraham doit se prouver à lui-même et de prouver à D’ieu qu’il était digne de Son choix et de la mission dont Il l’a investi.

Yaâqov est le véritable héritier d’Abraham. Il lui succède en ce sens qu’il prend sur lui de poursuivre, et mener à son terme, l’oeuvre d’Abraham. Nos maîtres assurent que grâce au mérite de Yaâqov, Abraham fut sauvé de la fournaise où le jette Nimrod(15). Le texte affirme en effet(16) : “Donc, ainsi parle l’Ét’ernel à la maison de Yaâqov, lui, le libérateur d’Abraham.”

A lui seul, il réalise la synthèse entre Abraham et Yitshaq. Sa droiture et son attachement à la vérité lui valent la considération divine. Il n’a pas, quant à lui, besoin d’une assistance divine pour mener à bien sa mission, celle pour laquelle D’ieu le choisit.

Mochè, dès sa naissance, est l’élu de D’ieu. Sa naissance est miraculeuse. Elle tient du prodige. Sa mère est âgée de 130 ans quand Âmram la reprend. Elle donne un enfant malgré son âge avancé. La chambre se remplit de clarté à sa naissance. C’est le signe de la présence divine. Tout est mis en oeuvre pour qu’il échappe à une mort certaine. Les faits miraculeux se succèdent pour protéger celui que D’ieu a choisi pour libérer le peuple d’Israël.

Lui-même montre des aptitudes exceptionnelles. Il participe à la souffrance de son peuple. Il combat l’injustice, la cruauté. Peu importe le camp de celui qui commet l’acte répréhensible. Qu’il soit Égyptien ou Hébreu, Mochè ne saurait être indifférent. Il réagit malgré les foudres d’un Parô cruel et sanguinaire.

Il est l’élu de D’ieu. Pourtant il ne le fait point approcher. Ses valeurs essentielles l’obligent à remplir sa mission. Il n’a d’autre choix que d’accepter.

Mochè présente, il est vrai, un aspect qui l’apparente à Abraham. Il est modeste. Sa modestie est exemplaire. Sans doute D’ieu ne saurait ignorer un tel homme qui, malgré ses mérites et ses états de services, n’a jamais eu une attirance pour la gloire et les honneurs. Il fuit l’autorité et le pouvoir. Tout ce qu’il entreprend porte l’empreinte de D’ieu. Mais D’ieu ne cherche point à l’approcher de Lui. Mochè, par lui-même, se rapproche de D’ieu. Ses vertus et qualités agissent comme le moyen le plus sûr d’être proche de D’ieu.

David à son tour est élu par D’ieu. Il lui faut mériter cette élection et se rapprocher par ses propres moyens de D’ieu. Certes il a des vertus qui font de lui un homme au destin exceptionnel. Sa piété et son attachement à D’ieu sont hors du commun. Il atteste avoir tué en lui le Yètsèr ha-râle Mauvais Penchant. Il sut le maîtriser mais ne voulut jamais en tirer gloire. Abraham, Mochè et David forment le trio des plus humbles que l’humanité connut. Aux trois lettres initiales de leur nom correspond le mot Adam. C’est dire qu’ils représentent l’humain véritable.

Tous les trois jouissent de la considération divine. S’ils sont élus, ils possèdent des vertus qui les rapprochent de D’ieu et justifient l’amour que leur témoigne D’ieu.

Le Midrache ne manque pas de mentionner ceux qui, n’ayant pas un mérite personnel, avaient été rapprochés de D’ieu. Ce fut le cas de Yitro et Rahab. Il semble que D’ieu, en raison de leur intervention dans le destin d’Israël, tient à les rapprocher de Lui. Ils ne sont point des élus dans le sens plénier du terme. Ils n’ont pas de vertus essentielles. Mais D’ieu les attire vers Lui parce qu’à un moment donné, ils auront à prouver leur intérêt à tout ce qui touche à Israël.

Yitro recueille Mochè. Il lui permet d’accomplir la mission divine. Il consent à lui donner sa fille et l’aide certainement à comprendre le contexte politique égyptien. Yitro fut conseiller de Parô. Mochè devait sans doute profiter de l’expérience de Yitro. Dans le désert, il s’applique à suggérer à Mochè des dispositions pratiques dans la manière de diriger les destinées d’Israël. Yitro subit l’attrait de Âm Yisraèl. D’ieu l’appelle et le rapproche de Lui mais il n’est point élu.

Rahab, elle aussi, intervient dans l’histoire d’Israël. Elle comprend la mission d’Israël dans la création. Elle agit dans le sens voulu par D’ieu sans pour autant être élue. Elle protège les explorateurs envoyés par Yéhochouâ, les dirige dans leur fuite. Touchée par l’appel divin certes, elle ne présente aucune vertu fondamentale qui justifierait l’intérêt que lui témoigne D’ieu.

Ainsi le Midrache oscille entre les élus et les proches de D’ieu. Élus ou proches, par l’aspect qu’ils présentent et développent, ils occupent une place prépondérante dans l’histoire et le destin d’Israël.

Aharone, en revanche, est seul à mériter à la fois et l’élection de D’ieu et l’intérêt que lui porte D’ieu au point de le retenir dans Sa proximité. Il est l’interlocuteur de D’ieu en Égypte. Avant que Mochè ne soit investi de sa mission, Aharone est le messager divin et son porte-parole. Mochè le supplante, il s’en réjouit. Il ne conçoit aucune peine. Au contraire, son coeur se remplit de joie à l’annonce de la promotion de son frère.

Devant Parô, Aharone se place en retrait par rapport à Mochè. Cela n’affecte en rien leur fraternité car il ne porte pas ombrage de la gloire de son frère. Son seul souci est la réussite de la mission de Mochè.

L’amour qu’il porte à tout le peuple d’Israël, son action pour le maintien des relations pacifiques et harmonieuses entre toutes les créatures font que D’ieu le choisit et le rapproche de Lui. En effet, servir D’ieu et accomplir un sacerdoce ne pouvant se concevoir que sur la base des relations harmonieuses entre les hommes, condition préalable à tout rapprochement avec D’ieu, militent en faveur de sa désignation en tant que Kohène Gadol, Grand-Prêtre.

Être au service de D’ieu exige une disponibilité permanente. Aharone était l’homme prêt à remplir à toute heure, en toute modestie, son sacerdoce. Bien souvent, Aharone marque ses doutes quant à ses capacités de remplir une mission pour laquelle d’autres sont mieux désignés que lui. Mochè est contraint de lui faire remarquer, pour mieux l’encourager à faire face à ses responsabilités, son statut d’élu.

Lors de l’inauguration du Michekane, au moment même où il entre en fonction, Aharone est pris de panique. Mochè, le voyant hésiter, lui dit(17) ce propos : “Aharone avait honte et peur d’avancer. Mochè lui dit : Pourquoi as-tu honte? Tu as été élu pour cette dignité.”

Ainsi Aharone devra être doublement réjoui et heureux. Il est élu et proche de D’ieu. Aharone accède ainsi à être l’intime de D’ieu. Il est à Son service, se trouvant toujours dans Sa proximité, dans la résidence divine. Mochè convoitait sans doute un tel privilège. Il lui fut refusé. Ainsi dit Rabbi Halabo(18) :

“Pendant les sept [premiers] jours de l’installation [du Michekane], Mochè exerçant la fonction de Grand-Prêtre, pense la garder. Mais le septième jour, [le Saint béni soit-Il] lui dit : la Grande Prêtrise n’est pas pour toi, c’est pour Aharone, ton frère! Aussi est-il dit(19) :

Quand on fut au huitième jour, Mochè manda Aharone et ses fils.”

1. Chémot 29, 35.

2. Wayi-qra 8, 2.

3. Tanhouma, Tsaw, paragr. 8.

4. Téhillim 65, 5.

5. Néhèmya 9, 7.

6. Yéchâya 41, 8.

7. Téhillim 135, 4.

8. Bérèchit 25, 27.

9. Téhillim 106, 23.

10. id. 78, 70.

11. ibid. 119, 63.

12. Chémouèl 1, 2, 2728.

13. Chémot 28, 1.

14. cf. Bérèchit 6, 9.

15. cf. Bérèchit Rabba 63, 2.

16. Yéchâya 29, 22.

17. Wayi-qra 9, 7.

18. Wayi-qra Rabba 11, 6.

19. Wayi-qra 9, 1.

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