L’orgueil de Qorah
«Qorah, fils de Yitshar, fils de Qéhate, fils de Léwi, forma un parti avec Datane et Abiram, fils de Èliab et One, fils de Pèlète, descendants de Réouvène. Ils s’avancèrent devant Mochè avec deux cent cinquante des enfants d’Israël, princes de la communauté, membres des réunions, personnages notables : et, s’étant attroupés autour de Mochè et Aharone, ils leur dirent : «C’en est trop de votre part! Toute la communauté, oui, tous sont des saints, et au milieu d’eux est le seigneur pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur?» Mochè, en les entendant, se jeta sur sa face(1).»
La sidra Qorah, relate principalement la révolte de Qorah, Datane et Abiram auxquels s’ajoutent deux cent cinquante chefs de Sanhèdrine contre Mochè et Aharone. Cette révolte coûte la vie à quatorze mille sept cents âmes dont plusieurs vies innocentes, celles des enfants.
Cependant elle laisse perplexe car il est impensable que Qorah ait pu à un moment donné envisager remplacer Mochè que D’ieu ne cesse de soutenir et auquel Il exprime Sa préférence et Son affection.
Le Midrache(2) dit :
«Viens voir combien est pénible la querelle car tout celui qui contribue à la division, le Saint béni soit-Il efface son souvenir tel qu’il est dit(3) : «Puis un feu s’élança de devant le Seigneur et consuma les deux cent cinquante hommes qui avaient offert l’encens.»
Rabbi Bérakhya dit : combien est pénible la querelle! Car le tribunal céleste ne condamne qu’à partir de l’âge de vingt ans, le tribunal terrestre à partir de treize ans. Mais dans la querelle de Qorah même des bébés d’un jour furent brûlés et engloutis aux profondeurs de la terre tel qu’il est dit(4) :
«Leurs femmes, leurs fils et leurs jeunes enfants.»
Et il est dit(5) : «Ils descendirent, eux et tous les leurs vivants dans la tombe.» C’est pourquoi il est écrit: «Qorah…prit.»
Le midrache souligne la gravité de la querelle et la division qui, une fois déclenchée, n’épargne personne. Tous les meneurs, Qorah et ses compagnons furent anéantis. Certes, ils le méritent. Mais cette querelle avait emporté aussi des êtres innocents, des bébés d’un jour. Ce que Qorah prit en réalité n’est qu’une autre forme de jugement divin dans toute sa rigueur.
De toute évidence, le Créateur aime la paix et la coexistence entre les hommes! Il apprécie quiconque se soucie de maintenir la paix. Le roi Ah’ab était un grand idolâtre. Mais il faisait tout pour maintenir le peuple uni. Aussi le Saint béni soit-Il le protégeait-Il contre tous ses ennemis.
Qorah, inspirant la division au sein du peuple d’Israël pour contester l’autorité de Mochè et d’Aharone, s’attire la mort et l’anéantissement de tout son camp. En se révoltant contre Mochè, Qorah fait donc une mauvaise affaire.
Le midrache poursuit :
«Fils de Yitshar, fils de Qéhate fils de Léwi. Pourquoi n’a-t-on pas écrit fils de Yaâqov ou fils de Israël? Le texte dit(6) :
«Ne t’associe point à leurs desseins, Ô mon âme! Mon honneur, ne sois pas complice de leur alliance.»
Ne t’associe point à leurs desseins, Ô mon âme, il s’agit des explorateurs. Mon honneur, ne sois pas complice de leur alliance, il s’agit de Qorah. Yaâqov dit au Saint béni soit-Il :
«Maître du monde! Que mon nom ne sois pas mentionné, ni a propos des explorateurs, ni dans la querelle de Qorah, [pour ne point m’associer] à ces impies qui T’irritent. Mais quand mon nom sera-t-il associé à eux?
Pour le service du chant [au Bèt ha-Miqdache], ils seront nommés selon leur filiation(7) :
«Fils de Tahat, fils de Assir, fils de Abiassat, fils de Qorah, fils de Yitshar, fils de Qéhate fils de Léwi, fils de Yisraèl.»
Et Datane et Abiram? Les maîtres déduisent : «Malheur à l’impie, malheur à son voisin!» Datane et Abiram sont anéantis dans la révolte car ils étaient ses voisins : Qorah était situé au sud tel qu’il est dit(8) :
«Les familles des enfants de Qéhate devaient occuper le flanc méridional du Michekane.» La bannière de Réouvène le jouxtait tel qu’il est dit(9) :
«La bannière du camp de Réouvène occupera le midi.» Ils se sont donc associés. Mais la bannière de Yéhouda, celle de Yissakhar et celle de Zébouloune se situent à l’Est selon le texte(10) :
«Ceux qui campent en avant à l’orient, seront sous la bannière du camp de Yéhouda… Près de lui campera la tribu de Yissakhar… Puis la tribu de Zébouloune.» Ils sont les voisins de Mochè et d’Aharone tel qu’il est écrit(11) :
«Pour ceux qui stationnaient à la face orientale du Michekane devant la Tente d’assignation, au levant, c’étaient Mochè, Aharone et ses fils…» Parce que proches de la Tora, ils méritent d’être sages en Tora tel qu’il est écrit(12) :
«Yéhouda est mon sceptre (législateur)»; il est écrit également(13) :
«Des gens de Yissakhar experts en la connaissance des temps pour décider la conduite à tenir en Israël.» Il est par ailleurs écrit(14) :
«Plusieurs dans Zébouloune, manient la plume du scribe.» En revanche, Datane et Abiram, voisins de Qorah qui s’insurge [contre Mochè], partagent son châtiment et disparaissent du monde.»
Ce midrache exprime le grand désappointement du père de la nation qui demande, le moment de la révolte venu, de ne point inclure son nom dans l’ascendance de Qorah. Cependant il est tout à fait surprenant de constater, malgré tout, que le nom de Yaâqov figure dans l’ascendance de Qorah lorsqu’il s’agit de nommer les Léwiim qui accompagnent de leurs cantiques le service des qorbanote, sacrifices.
Mais il est d’autant plus surprenant encore que Yaâqov ne juge point utile de prier pour que Qorah s’abstienne de toute révolte contre Mochè plutôt que de prier pour lui-même? Faut-il en conclure que, pour Yaâqov, la conduite de Qorah est fixée et déterminée à l’avance?
Certes, non! Dans la vision de Yaâqov, tout peut être sauvé et redressé. C’est ce qu’il souhaite. En attirant l’attention de Léwi sur cette éventualité, il l’engage, en fait, à prendre toutes les mesures et précautions pour éviter un tel incident.
De plus, un accent particulier est mis sur l’environnement social. Datane et Abiram, voisins de Qorah, subiront eux-mêmes son influence au point d’être partie prenante dans cette révolte. Car il est impensable que les fils de Réouvène réclament la Kéhounna, prêtrise. Comme Qorah, ils sont appelés à mourir car «Malheur à l’impie, malheur à son voisin!»
Cependant Yéhouda, Yissakhar et Zébouloune, parce qu’ils sont les voisins de Mochè, d’Aharone et de ses fils, subissent l’influence bénéfique de la proximité de Mochè à telle enseigne qu’ils parviennent à la connaissance de la Tora. «Bonheur au juste bonheur à son voisin!»
Qorah, fils de Yitshar, fils de Qéhate, fils de Léwi, forma un parti avec Datane et Abiram, fils de Èliab et One, fils de Pèlète, descendants de Réouvène.
Le Midrache Pélia, s’interroge sur le choix du moment de cette révolte : «Qu’est-ce qui motive Qorah à se révolter contre Mochè? [L’enseignement] de la vache rousse.»
Midrache étonnant! Quelle relation existe-t-il entre les deux sujets? Est-il possible de trouver dans la prescription de la vache rousse une raison suffisante pour justifier la révolte d’un homme aussi perspicace et avisé que Qorah? Car il n’ignore nullement les risques encourus dans une telle aventure!
Cependant Chaâr bat Rabbim propose qu’aux tous débuts, Qorah prenait Aharone pour un Saint. Grâce à son sacerdoce, Aharone est l’élu de l’Ét’ernel, D’ieu accorde aux Bénè Yisraèl pardon et expiation de leurs fautes. C’est, pensait-il, sa nature sainte et pure qui parvient à un tel résultat. Mais apprenant la fonction de la vache rousse, impurifiant quiconque touche ses cendres et purifiant les impurs au contact d’un cadavre, le degré le plus grave dans l’échelle des impuretés, Qorah conclut que le mérite ne revient point à la sainteté d’Aharone et, de ce fait, décide de contester sa Kéhounna.
Hatam Sofèr avance l’explication suivante. Qorah se rend compte de sa supériorité sur Aharone. Aharone est coupable de la confection du veau d’or. En revanche, toute la tribu de Léwi, ne l’ayant pas adoré, prouve grandement sa fidélité à D’ieu. En outre pour la réparation de cette faute, la préparation de la vache rousse est plus l’oeuvre d’Èl’âzar, non d’Aharone. Tout contribue à conforter Qorah dans son impression que sa sainteté dépasse, en fait, celle d’Aharone.
Qorah semble avoir pris assez d’assurance. Son attitude ne révèle, en effet, aucune crainte du peuple lorsqu’il décide de fomenter cette révolte. Faut-il conclure qu’Israël remet, lui-même, en question les prérogatives de Mochè en tant que roi et chef ainsi que la dignité d’Aharone en tant que Kohène Gadol?
Qorah, fils de Yitshar, fils de Qéhate, fils de Léwi, forma un parti.
En parlant de Qorah, la Tora mentionne son ascendance, mais elle ne remonte pas jusqu’à Yaâqov. Pourquoi?
Wayi-qah, il a pris. Comment peut-il prendre et se saisir d’hommes tels Datane et Abiram? Mais si tel n’est point le cas, qu’a-t-il pris?
Pour Rambane, Qorah prit effectivement assez d’assurance, juste à ce moment. En fait, Qorah, n’ayant jamais pardonné à Mochè d’avoir nommé, comme dit Rachi, Èltsafane fils de Ôuzièl à la tête de Qéhate, attendit le moment propice pour remettre en question, non seulement les décisions de Mochè, mais Mochè lui-même et Aharone.
Constatant l’inaction de Mochè pour éviter les pertes des Bénè Yisraèl lors des épidémies à Parane, pour la faute des méraguélim et à Qibrote ha-taava, pour leur désir d’avoir de la viande, Qorah conclut vite que le peuple d’Israël ne soutiendrait pas Mochè. De ce fait, en se révoltant, il était sûr qu’aucun mouvement de soutien à Mochè, venant du peuple, ne troublerait sa révolte.
Datane et Abiram, fils de Èliab et One, fils de Pèlète, descendants de Réouvène.
Datane et Aviram, descendants de Réouvène, ont toujours été les adversaires de Mochè. Faut-il comprendre que Qorah n’ait trouvé de partisans que dans la tribu de Réouvène?
Il s’allie à Datane et Abiram, tous deux descendants de Réouvène, l’aîné, pour rapatrier le droit d’aînesse en faveur de ses descendants, droit que Yaâqov lui avait retiré pour l’accorder à Yossèf.
De plus, accusant Mochè de vouloir faire mourir tout le peuple d’Israël dans le désert, châtiment décrété contre le peuple d’Israël après la faute des méraguélim, Qorah compte neutraliser le peuple d’Israël contre un éventuel soutien à Mochè. Voilà pour la stratégie.
Ils s’avancèrent devant Mochè avec deux cent cinquante des enfants d’Israël, princes de la communauté, membres des réunions, personnages notables : et, s’étant attroupés autour de Mochè et Aharone, ils leur dirent : «C’en est trop de votre part! Toute la communauté, oui, tous sont des saints, et au milieu d’eux est le seigneur pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur
Toute la communauté est sainte!… Pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’Assemblée de l’Ét’ernel?
Quel sens donner à cet argument de Qorah? Est-il possible que tout un peuple puisse fonctionner sans les directives ni l’autorité d’un chef ou d’un roi? Pour un homme aussi avisé que Qorah, on s’attend à des positions plus réalistes!
Le mobile de Qorah, choisi et avoué, était de réclamer l’égalité pour tout le peuple d’Israël puisque «toute la communauté est sainte.»
Le midrache(15), cité par Rachi, rapporte :
«Que fit Qorah? Il rassembla deux cent cinquante chefs de Sanhèdrine, pour la plupart de la tribu de Léwi, ses voisins dont Èlitsour fils de Chédèour et ses compagnons. Il les revêtit d’habits entièrement confectionnés de laine d’azur, ils se rendirent auprès de Mochè et lui demandèrent :
«Est-ce qu’un vêtement entièrement de laine d’azur est soumis au commandement des tsitsit, franges, ou en est-il dispensé?
Il leur répondit qu’il y est soumis. Sur ce, ils commencèrent à se moquer de lui: Est-il possible qu’un habit fait d’une étoffe différente soit rendu conforme par un seul fil d’azur et que celui-ci composé entièrement de laine d’azur ne se rende pas conforme de lui-même?»
Le midrache poursuit :
«Une chambre pleine de Sifrè Tora,, rouleaux de Tora, est-elle soumise au commandement de la mézouza ? Lorsque Mochè répond par l’affirmative, Qorah choisit de le ridiculiser. Comment toute la Tora qui compte 613 commandements ne peut-elle exempter cette chambre alors qu’un seul commandement, celui de la mézouza, la rend conforme?»
En vérité, selon le midrache, Qorah reprocherait à Mochè sa volonté de se maintenir à la tête du peuple d’Israël, chose qui ne se justifie pas, puisque lors de la Révélation sur le Mont Sinaï tous les Bénè Yisraèl, absolument tous, devinrent les égaux de Mochè, ayant entendu de la bouche de l’Ét’ernel(16) «Je suis l’Ét’ernel ton D’ieu». Par conséquent, il n’est nul besoin de chef ni de Kohène Gadol.
Mais Mochè comprend bien les intentions et la portée des propos de Qorah. Il vise, en réalité, la dignité de Mochè pour lui-même et ce, malgré l’opposition de ses propres alliés.
Pour clarifier la situation, la réponse de Mochè se veut nette et tranchante. Mochè et Aharone sont aussi nécessaires pour Israël que le fil d’azur et la mézouza le sont, aussi surprenant que cela puisse paraître, pour le vêtement composé entièrement de laine azur ainsi que pour la chambre pleine de rouleaux de Tora.
Aussi Rachi citant le midrache(17) dit : Faites ceci : munissez-vous d’encensoirs(18).
Mochè tient à signifier l’absurdité de leur position. Qu’à cela ne tienne! S’ils persistent à réclamer l’égalité pour tous, c’est admettre, au contraire, la diversité des rites ainsi que la multiplicité des temples et des prêtres. Or de l’aveu même de Qorah, tout le peuple a reçu la même Tora sur le mont Sinaï.
Rachi souligne donc après le midrache :
«C’est dans les moeurs des autres peuples d’avoir de nombreux rites et de nombreux prêtres, qui ne se rassemblent pas tous dans le même temple. Quant à nous, nous n’avons qu’un seul D’ieu, une arche sainte, une Tora, un autel et un Kohène Gadol; et vous, 250 hommes, réclamez la grande prêtrise; je me déclare d’accord.
Voici pour vous le service le plus estimé : c’est la combustion de l’encens qui est le sacrifice le plus important; mais un poison s’y trouve par lequel Nadav et Abihou ont été brûlés. Je vous aurai avertis : Or, l’homme que distinguera l’Ét’ernel c’est celui qui est le saint!»
La réponse de Mochè montre combien la démarche démagogique de Qorah présente un danger, non seulement pour lui, mais aussi pour tous ses compagnons. Car il ne saurait s’agir d’égalité. Mochè reste le chef et Aharone est Kohène Gadol.
Une telle révolte implique un grave danger que le Talmoud(19) ne manque pas de relever :
«Qorah a pris : il a réalisé une mauvaise affaire pour lui-même. Qorah, appelé ainsi, parce qu’il fit, une tonsure en Israël; fils de Yitshar, car il mit en ébullition le monde comme à l’heure de midi(20); fils de Qéhate, car il fit grincer les dents de ses parents(21); fils de Léwi, parce qu’il s’est fait le compagnon de Guéhinam(22). Pourquoi ne mentionne-t-il pas fils de Yaâqov qui pourrait signifier qu’il s’est réservé une place à Guéhinam(23)? Parce que Yaâqov avait prié que son honneur ne soit pas entaché lors de cette révolte(24) :
«Ne t’associe point à leurs desseins, ô mon âme! Mon honneur, ne sois pas complice de leur alliance!»
Cependant une question demeure. Si, grâce à ses prières, Yaâqov ne fut pas associé aux desseins de Qorah, pour quelle raison Yitshar, Qéhate et Léwi ne formulent-ils pas une prière en ce sens, à l’instar de Yaâqov?
Or ha-Hayim met l’accent sur l’ambivalence des noms. Le comportement moral de l’individu influe sur le nom. Ainsi les actes en déterminent-ils l’interprétation qui oscille entre bien et mal. Car toutes les âmes, issues de Adam, sont contenues, en vérité, dans les lettres de la Tora. À partir de Adam, les âmes commencent à perdre de leur éclat moral jusqu’à la naissance d’Abraham. Il communique l’impureté héritée de ses parents à Yichemaêl, son fils. Yitshaq, à son tour, transmet le peu qu’il possède à Êssaw. Yaâqov est à ce point parfait qu’il rappelle par sa beauté morale, Adam. Il ne saurait, quant à lui, donner naissance qu’à des enfants aussi parfaits que lui. Ce sont les douze tribus dont Léwi avait la charge des fonctions saintes.
Qorah descend donc d’hommes illustres et saints. Il est, lui-même, tout au début, pur et saint. Par ses qualités morales, il se rattache à ses pères : fils de Yitshar dont la sagesse illumine le monde, fils de Qéhate dont la sainteté fait grincer les dents de tous, fils de Léwi dont la fidélité fait le compagnon de D’ieu. Mais lorsque Qorah conteste la kéhounna à Aharone, dérangeant ainsi l’ordre établi par D’ieu, il affecte, au niveau moral, non seulement son essence, mais celle de toute son ascendance, à l’exception toutefois de l’essence de Yaâqov afin de ne pas perdre tout contact avec sa racine.
Ils s’avancèrent devant Mochè avec deux cent cinquante enfants d’Israël.
Que signifie cette avance? Si c’est pour annoncer leur intention de se révolter, le texte le précise plus loin : S’étant attroupés autour de Mochè et Aharone,
Mais si l’intention est de signaler qu’ils s’avancèrent devant Mochè pour montrer leur insoumission, le texte ne devait-il l’écrire après s’étant attroupés?
De plus, pour quelle raison la mention des 250 hommes, princes du Sanhèdrine, fut-elle placée entre les deux moments de cette révolte? Que signifie le choix du nombre de 250?
Or ha-Hayim constate une progression dans la stratégie de Qorah. Tout d’abord, il ose s’attaquer à Mochè parce que, de tous les Léwiim, il se considère le plus important après Mochè. Au niveau de sa tribu, étant fils de Yitshar cadet de Âmram, il prétend pouvoir contester l’autorité de Mochè sans être inquiété par l’opposition interne de la part des Léwiim. Aussi, le texte stipule : Qorah prit, il s’appuie sur l’argument qu’il est fils de Yitshar.
Ensuite, il s’allie Datane et Abiram en raison de leur rang social. Étant les fils de Réouvène, l’aîné, ils pouvaient se mesurer à Mochè. Ainsi dira-t-il wa-yaqoumou, ils se sont dressés, autrement dit ils manifestent leur importance, faisant état de leur statut d’aînés pour imposer respect à Mochè.
Enfin, il prit deux cent cinquante hommes, il s’agit de personnalités représentant tout Israël pour lui s’assurer du support nécessaire, politique et moral, contre Mochè. La suite logique est que fort de ces appuis, Qorah pouvait se révolter contre Mochè.
Baâlè ha-Tosséfot rapportent que Qorah, voulant une représentation de toutes les tribus, à l’exception de celle de Léwi, choisit le nombre de 23, correspondant à celui du Petit Sanhèdrine. En tout, on obtient 253. En ajoutant aux 250 Datane, Abiram et One de la tribu de Réoubène, la délégation se compose bien de 253.
Hatam Sofèr tente de répondre aux questions soulevées mais en tenant compte d’autres remarques qui sont dans le texte. En effet se demande-t-il pourquoi cette répétition :
Toute la communauté, oui, tous sont des saints et pourquoi vous érigez vous en chef de l’assemblée divine?
Dans sa réponse, Hatam Sofèr rappelle la remarque faite par Yitro à Mochè : Pourquoi, le peuple se tenait-il debout près de Mochè du matin au soir? La réponse de Mochè fut que le peuple, en venant consulter D’ieu, se tient debout par respect pour Lui et non pour Mochè.
Qorah, Datane et Abiram, importants et tsaddiqim se sont concertés de se tenir debout, Wa-yaqoumou, ils se tiennent debout, afin que les 250 chefs de Sanhèdrine trouvent injustes le traitement que leur inflige Mochè et donnent ainsi leur appui à Qorah et à son assemblée.
Aussi, pour appuyer leur réclamation, établissent-ils une différence entre êda, communauté, pour se référer à tout le peuple, et qéhal ha-Chèm, assemblée de D’ieu, pour désigner les grands, les tsaddiqim.
Ils disent en fait à Mochè : si un tel comportement vis-à-vis de la communauté, bien que ses membres soient tous saints et au milieu desquels se trouve le Seigneur, se justifie, il n’est pourtant pas permis de l’avoir à l’égard de l’assemblée du Seigneur qui se compose de tsaddiqim, comme vous!
Pour Mochè il existe trois catégories : le peuple appartenant certes à D’ieu, les tsaddiqim proches de D’ieu, et surtout l’élu de l’Ét’ernel qui est le saint.
Aussi leur dit-il : Demain, le Seigneur fera savoir qui est digne de Lui, il s’agit du peuple appartenant à D’ieu; qui est le saint qu’il admet auprès de lui, c’est le tsaddiq qui est proche de D’ieu; enfin celui qu’Il aura élu, s’Il le laisse approcher de Lui, ce sera donc lui le saint.
En les entendant, Mochè, se jeta sur sa face.
Mochè entendit,
Le Talmoud(25) demande: «qu’a-t-il au juste entendu? Ils le suspectèrent d’avoir commis l’adultère.» Comment peut-on affirmer une telle chose? Mais le Talmoud dit par ailleurs(26) : «Quiconque se montre orgueilleux sera amené à commettre l’adultère.» Plus loin il affirme même : «Comme s’il avait commis toutes les impudicités.»
Mochè, apprenant qu’on l’accuse d’orgueil «Pourquoi vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur?», comprend que leur reproche va plus loin. Mais si un tel reproche se justifie, l’effet immédiat serait donc que l’assemblée n’est plus l’assemblée du Seigneur, autrement dit sainte. Elle perdrait, par leur faute, cette qualité(27).
Rachi s’étonne à juste titre du comportement de Qorah. Il tente d’en connaître les véritables mobiles : «Qorah qui, cependant était intelligent, par quoi se laissa-t-il entraîner à cette folie?»
Imrè Chammaï souligne, pour sa part, que l’attitude de Qorah est incompréhensible. Étant condamné à ne point réussir, pourquoi cette folie? En effet, le Talmoud(28), relatant le différend qui oppose Rabbane Gam’lièl à Rabbi Yéhochouâ, précise qu’en destituant Rabbane Gam’lièl de son poste de président du Sanhèdrine, on ne le remplace point par son adversaire. Ainsi, quand bien même Qorah réussirait à destituer Mochè et Aharone, il n’avait point de chance de les remplacer.
Pourquoi donc cette folie? Qorah qui était pourtant sage et perspicace s’était laissé emporter par son orgueil. S’il conteste l’autorité de Mochè c’est, comme le dit le Midrache(29), à cause d’une fausse perception de la réalité. Car voyant le prophète Chémouèl, son descendant, égaler à la fois Mochè et Aharone, il conclut vite à son rôle prépondérant au sein d’Israël. Une telle tragédie, seul l’orgueil peut y mener.
1. Bé-midbar 16, 1-4.
2. Tanhouma, Qorah paragr. 3.
3. id. 16, 35.
4. id. 16, 27.
5. ibid 16, 33.
6. Bérèchit 49, 6.
7. Divrè ha-Yamim I 6, 22-23.
8. Bé-midbar 3, 29.
9. id. 2, 10.
10. ibid. 2, 3 et suivants.
11. Bé-midbar 3, 38.
12. Téhillim 60, 9.
13. Divrè ha-Yamim I 12, 33.
14. Chofétim 5, 14.
15. Bé-midbar Rabba chap. 18, paragr. 3.
16. Chémot 20, 2.
17. Tanhouma sur la sidra, paragr. 5.
18. Bé-midbar 16, 6.
19. Sanhèdrine 109b, sur Bé-midbar 16, 1.
20. Yitshar, , dérive de tsahorayim, , après-midi.
21. N.B. Qaho, , faire grincer.
22. N.B. Le midrache rapproche Léwi de léwaya, accompagnement.
23. N.B. Il entend poursuivre son explication même si le texte avait mentionné également Yaâqov, car ce nom dérive de âqov, détourner.
24. Bérèchit 49, 6.
25. Sanhèdrine 110a.
26. Sota 4b.
27. cf. Kéli Yaqar sur le texte.
28. Bérakhot 27b.
29. Tanhouma sur la sidra paragr. 5.