La bénédiction de Léwi

«Sur Léwi, il s’exprima ainsi : «Tes toumim,, et Tes ourim,, à l’homme qui t’est dévoué; que Tu as éprouvé à Massa, gourmandé pour les eaux de Mériba; qui dit de son père et de sa mère : «Je ne les considère point», qui n’a pas égard à ses frères et ne connaît pas ses enfants. Uniquement fidèle à Ta parole, gardien de Ton alliance, ils enseignent Tes lois à Yaâqov et Ta doctrine à Israël; présentent l’encens devant Ta face et l’holocauste sur Ton autel. Bénis, Seigneur, ses efforts, et agrée l’oeuvre de ses mains! Brise les reins de ses agresseurs, de ses ennemis, pour qu’ils ne puissent se relever(1).

Peu avant sa mort, Mochè adresse ses admonestations au peuple dans le cantique ha-Azinou, . Ce sont des paroles dures appelées à marquer le destin de Âm Yisraèl. Mais il ne veut point le quitter sur une note triste et pénible. Il bénit toutes les tribus pour les laisser sur des paroles de consolation et d’apaisement, traçant la voie à tous les prophètes qui, après les reproches, achèvent leur message sur une note réjouissante et apaisante.

Mais Mochè bénit toutes les tribus à l’exception de celle de Chimône. Ainsi s’exprime le Midrache(2) :

«Mochè bénit onze tribus. Pourquoi n’a-t-il pas béni la tribu de Chimône? Parce qu’il en avait contre lui pour son comportement à Chittim. Malgré cela, il l’a associé à Yéhouda, tel qu’il est écrit(3) :

«À Yéhouda, il adressa cette bénédiction : «Chémâ, écoute, Seigneur, le voeu de Yéhouda…» Chémâ fait [allusion] à Chimône, tel qu’il est dit(4) :

«Parce que le Seigneur a entendu, chamâ, que j’étais dédaignée, Il m’a accordé aussi celui-là. Et elle l’appela Chimône…» Parce que [Mochè] ne l’avait point béni, [Chimône] n’a pas fourni [à Israël] un juge.»

Le midrache remarque donc l’absence de bénédiction à Chimône dont le chef Zimri Bèn Salou eut un comportement inqualifiable en se rendant coupable de débauche avec la Midyanite Kozbi, fille de Tsour.

Rachi, reprenant ce midrache, dit :

«Les bénédictions de Yéhouda contiennent ici une allusion à la bénédiction de Chimône. De même, lorsqu’ils partagèrent la terre d’Israël, Chimône prit sa part dans le lot de Yéhouda, car il est dit(5) :

«Les Chimônites eurent leur possession au milieu des enfants de Yéhouda.» Pourquoi ne lui attribue-t-il pas de bénédiction particulière? C’est qu’il lui en voulait de ce qu’il avait fait à Chittim.»

Bien plus, Chimône n’eut pas également le privilège de donner un juge à Israël. C’est grave. Diriger Israël requiert un comportement moral irréprochable.

Cependant, Yaâqov, quant à lui, n’adresse point de bénédiction à Chimône et Léwi. Bien au contraire, irrité par leur conduite dans l’affaire de Chèkhèm, il leur reproche plutôt leur emportement et leur colère.

Mochè, en revanche, bien que dédaignant Chimône, réserve une bénédiction particulièrement importante à Léwi. Pourquoi?

Le Midrache(6), citant(7) :

«Sur Léwi, il s’exprima ainsi…», rapporte : Pour quelle raison est-il cité? Parce que Chimône et Léwi avaient bu à la même coupe, tel il est dit(8) :

«Maudite soit leur colère, car elle fut malfaisante, et leur indignation, car elle a été funeste!» Cela fait penser à deux [hommes] qui avaient une dette envers le roi. L’un paie, mais le deuxième, non content de ne pas la rendre, se permet d’emprunter de nouveau. Ainsi Chimône et Léwi s’étaient rendus coupables à Chèkhèm comme il est dit(9) :

«Deux des fils de Yaâqov, Chimône et Léwi, frères de Dina, prirent chacun leur épée, marchèrent sur la ville avec assurance, et tuèrent tous les mâles

Léwi paie sa dette dans le désert, tel qu’il est dit(10) :

«Mochè se porta à la porte du camp et il dit : «Qui aime l’Ét’ernel me suive!». Et tous les Lévites se groupèrent autour de lui.» Il a de nouveau prêté à D’ieu dans Chittim, tel qu’il est dit(11) :

«Pinhas, fils d’Èl’âzar, fils d’Aharone le pontife, a détourné ma colère de dessus les enfants d’Israël…»

Chimône, en revanche, non seulement ne paie pas la dette, mais emprunte de nouveau, comme il est dit(12) :

«Or le nom de l’Israélite frappé par lui, qui avait péri avec la Midyanite, était Zimri, fils de Salou, chef d’une famille paternelle des Chimônites

Ce midrache montre que l’attitude de Chimône est aussi inqualifiable que celle de Léwi est irréprochable. Tous deux se sont illustrés dans l’affaire de Dina leur soeur. Chimône et Léwi se sont vengés sur tous les habitants de Chèkhèm au grand désappointement de Yaâqov. C’est donc un acte de violence contre des habitants innocents. Chèkhèm mérite, il est vrai, un châtiment exemplaire. Mais pourquoi s’attaquer aux autres?

De plus, Chimône et Léwi avaient prouvé, par leur réaction violente, qu’ils tiennent la débauche en abomination. Comment comprendre la conduite de Zimri Bèn Salou? Ne devait-il pas, au contraire, agir comme Léwi et se révolter contre ceux qui se sont laissés séduire par les filles de Midyane? Chimône avait là une belle occasion de se racheter comme Léwi. Il n’en fit rien. Bien au contraire, Zimri avait heurté Mochè.

Le Talmoud(13) rapporte :

«Zimri tira par les cheveux Kozbi et, s’adressant à Mochè, lui dit : Mochè, celle-ci est-elle interdite ou permise? Si tu l’interdis, qui te permet la fille de Yitro?»

Voici donc un revirement net dans l’attitude de Chimône qui, d’intransigeant pour tout ce qui a trait à la débauche, l’accepte et tolère, au contraire, toutes les implications et conséquences. Il consent à pratiquer l’idolâtrie, puisque les Midyanites ne visent qu’à inciter Israël à adorer la divinité de Péôr.

Léwi prouve par sa conduite irréprochable qu’il est hostile, non seulement au principe de l’idolâtrie, mais à tous ceux qui l’adoptent. La tribu de Léwi ne se laisse point emporter par la folie du veau d’or. Elle se montre digne de la confiance dont l’investit D’ieu, pourchasse de sa vindicte tout celui qui s’est rendu coupable de la faute du veau d’or.

Plus tard, Pinhas, descendant de Léwi, témoigne une fois de plus de sa fidélité à D’ieu et à toutes Ses prescriptions. Il l’exprime par son indignation face à la conduite infâme de Zimri qui, en tant que descendant de Chimône, aurait dû au contraire repousser Kozbi et châtier tous ceux qui se sont laissés séduire par les Midyanites. D’autant plus que l’infidélité à D’ieu ne s’est point arrêtée à la débauche. Car la débauche n’était que le prétexte. C’est l’idolâtrie que visent par les filles de Midyane.

Léwi a su se racheter. Il eut, par deux reprises, l’occasion de payer sa dette de Chèkhèm. Chimône, en revanche, ne fit rien pour regagner la faveur de D’ieu. Par son comportement, il aggrave davantage sa faute.

Ainsi donc, partis pour réprouver la débauche et l’idolâtrie, Chimône et Léwi auraient dû garder de telles dispositions au moment où le destin d’Israël était en jeu. Chimône a failli. Léwi demeure fidèle à D’ieu. Aussi Mochè réserve-t-il à Léwi une bénédiction particulière qui exalte sa conduite exemplaire alors qu’il passe sous silence le nom de Chimône.

Sur Léwi, il s’exprima ainsi : «Tes toumim, vérité, et Tes ourim, lumière, à l’homme qui T’est dévoué; que Tu as éprouvé à Massa, gourmandé pour les eaux de Mériba.

Tes toumim, vérité, et Tes ourim, lumière, à l’homme qui T’est dévoué;

Sforno applique , l’homme qui T’est dévoué, à Aharone qui, lui, portait sur le pectoral les ourim et toumim, et possédait l’esprit saint.

Le Talmoud(14) dit :

«Tout Kohène qui s’exprime par l’esprit saint qui réside sur lui, est autorisé à porter les ourim et toumim, 

Aharone, chef de la tribu de Léwi, a toujours exprimé sa fidélité à D’ieu sans jamais faillir. Ainsi, lorsqu’Israël éprouve D’ieu, Aharone et sa tribu ne s’y associèrent point. Aussi la tribu de Léwi ne fut-elle pas condamnée à mourir dans le désert. Elle eut droit à entrer en Kénaâne. Ce qui ne fut point le cas des autres tribus.

Cependant, Rambane, citant Ibn Êzra, souligne qu’Aharone s’est toujours montré à la hauteur de toutes les épreuves à l’exception des eaux de Mériba, où il fut associé à Mochè pour le châtiment. Le veau d’or, dit-il, n’a été l’oeuvre d’Aharone que pour l’honneur de D’ieu.

Que tu as éprouvé à Massa,

Maintes fois, Tu l’as éprouvé et il s’est avéré parfait dans toutes les épreuves(15).

Gourmandé pour les eaux de Mériba.

Tu as cherché à l’accuser [injustement] à propos des eaux de Mériba car si Mochè s’était exclamé(16) : «Ecoutez, ô rebelles!», qu’ont fait Aharone et Myriam?

En vérité, dit-il, Massa fait référence à Réfidim, endroit où Israël avait éprouvé D’ieu. Là la tribu de Léwi ne s’associe point à la révolte du peuple contre D’ieu. Elle exprime, au contraire, sa confiance en la promesse de D’ieu de faire jaillir l’eau du rocher.

À Mériba, la faute n’incombe pas à Aharone, à Léwi, mais plutôt à l’inconduite du peuple qui fit éclater la colère de Mochè.

Les Kohanim, portant le pectoral, et l’ensemble de la tribu, parce qu’ils ont prouvé, en Égypte, leur fidélité à D’ieu, ainsi que lors de la faute du veau d’or, méritent tous «d’enseigner Tes lois à Yaâqov et Ta Tora à Israël.»

Or ha-Hayim rappelle que Yaâqov avait blâmé Léwi et Chimône pour leur tendance à se laisser emporter par la colère. Mais le texte souligne que Léwi prouve, au contraire, qu’il surmonte la colère puisqu’il calme celle que provoque le peuple dans sa révolte contre D’ieu.

Kéli Yaqar, faisant référence au blâme de Yaâqov à propos de la colère de Léwi, prétend que cette malédiction s’est accomplie au niveau de Mochè dans son emportement contre le peuple.

Mochè souhaite, cependant, que l’ensemble de sa tribu en soit préservé car, étant appelés à enseigner la Tora à Israël, la colère, cause d’erreurs, est à écarter.

Qui dit de son père et de sa mère : «Je ne les considère point», qui n’a pas égard à ses frères et ne connaît pas ses enfants. Uniquement fidèle à Ta parole, gardien de Ton alliance, ils enseignent Tes lois à Yaâqov et Ta doctrine à Israël; présentent l’encens devant Ta face et l’holocauste sur Ton autel.

Qui dit de son père et de sa mère : «Je ne les considère point», qui n’a pas d’égard à ses frères et ne connaît pas ses enfants…

Rachi applique tout ce verset au comportement exemplaire de Léwi lors de la faute du veau d’or. Il dit notamment :

«Lorsqu’ils ont péché au veau d’or et que j’ai dit(17) :

«Qui est pour le Seigneur, à mes côtés», tous les Léwiim se sont rassemblés près de moi et je leur ai ordonné de tuer qui, le père de sa mère, un israélite non Léwi, qui, son frère utérin, qui, le fils de sa fille, et ils le firent.

«Ils ont gardé Ta parole», ils sont fidèles à l’interdiction de l’idolâtrie(18) :

«Tu n’auras pas d’autres dieux devant Moi

«Ils ont conservé Ton alliance» : il s’agit de bérit mila, la circoncision. Car tous les natifs du désert n’ont pas été circoncis. Tandis que les Léwiim étaient circoncis et ont circoncis leurs enfants.»

Pour Kéli Yaqar, ce verset rappelle l’enseignement suivant(19) : «Quiconque s’adonne à l’étude de la Tora est dispensé du respect dû à son père et à sa mère.» La preuve? Yaâqov ne fut point châtié pour les quatorze années passées dans L’Académie de Chèm et Êvèr.

Ainsi, dit-il, le verset souligne : «Qui dit de son père et de sa mère, je ne les ai point vus», et à fortiori ses frères et ses enfants comme ce fut le cas de Rav Ada, fils de Mat’na(20) qui ne s’est point soucié du sort de ses enfants et ce, afin de garder la parole divine et Son alliance.

Ils enseignent Tes lois à Yaâqov et Ta Tora à Israël;

Or ha-Hayim relie ainsi les deux versets. Comme Léwi prouve sa sévérité et son équité vis-à-vis de ses parents, il mérite d’être nommé juge sur tout le reste du peuple avec la garantie qu’il s’appliquera à le juger avec droiture et équité sans risque de se montrer injuste ou partial. En effet, nul ne peut lui reprocher d’avoir dévié la justice en faveur de ses proches.

Sforno souligne la vertu et la perfection de Léwi qui mérite que D’ieu lui accorde grâce et intelligence pour pouvoir juger, enseigner et servir D’ieu.

Bénis, Seigneur, ses efforts, et agrée l’oeuvre de ses mains! Brise les reins de ses agresseurs, de ses ennemis, pour qu’ils ne puissent se relever!

Bénis, Seigneur, ses efforts, et agrée l’oeuvre de ses mains!

Rambane justifie cette bénédiction par le fait que le service sacré dans le temple pourrait décimer le nombre des Léwiim. Aussi souhaite-t-il que D’ieu les multiplie tant au niveau du nombre que pour leurs biens et richesses.

Kéli Yaqar précise, quant à lui, que l’étude de la Tora, entraînant un affaiblissement, justifie la bénédiction de voir ses efforts soutenus et l’oeuvre des mains bénie et agréée.

La tribu de Léwi a besoin de force et de vigueur pour s’adonner à l’étude de la Tora tout comme de la protection divine contre tous ses ennemis et, principalement l’ennemi intérieur de l’homme, le Yètsèr ha-râ, dont l’antidote est justement la Tora(21).

Pour qu’ils ne puissent se relever.

Or ha-Hayim cite le Midrache(22) précisant que ce texte prédit la chute des Grecs entre les mains des Hasmonéens.

Pour lui, même si les ennemis étaient au sommet de leur puissance et Israël au plus bas de leur faiblesse, l’effet du miracle sera tel que D’ieu brisera les reins des agresseurs, des ennemis, et la victoire des Hasmonéens sera prodigieuse.

Ainsi, après avoir réservé une bénédiction particulière à la tribu de Yéhouda, lui accordant toute la puissance dans l’exercice de la royauté, Mochè bénit Léwi qui, lui, aura la charge de la prêtrise, de la Kéhounna et la Léwiya.

1. Dévarim 33, 8-11.

2. Yalqout sur la sidra, paragr. 950.

3. Dévarim 33, 7.

4. Bérèchit 29, 33.

5. Yéhochouâ 19, 1.

6. Yalqout sur la sidra, paragr. 955.

7. Dévarim 33, 8.

8. Bérèchit 49, 7.

9. id. 34, 25.

10. Chémot 32, 26.

11. Bé-midbar 25, 11.

12. id. 25, 14.

13. Sanhèdrine 82a.

14. Yoma 73a.

15. Sifrè, Dévarim 349.

16. Bé-midbar 20, 10.

17. Chémot 32, 26.

18. id. 20, 3.

19. Méguila 17a.

20. cf. Êroubine 22a.

21. cf. Soukka 52b.

22. Bérèchit Rabba chap. 99, paragr. 2.

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